Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 16 octobre 2023 à 16h00
Programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd'hui à examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Ce texte a eu un parcours peu commun : l'Assemblée nationale l'a rejeté en première lecture il y a un an, puis le Sénat l'a adopté en novembre dernier, en prévoyant une trajectoire de rétablissement des finances publiques plus ambitieuse que celle qui était proposée par le Gouvernement. La commission mixte paritaire a échoué à parvenir à un accord le 15 décembre dernier.

Puis, le texte est entré dans une sorte de sommeil. Le Gouvernement, qui nous expliquait et nous explique toujours que ce texte est essentiel, n'a en réalité rien fait pour tenter de trouver un compromis, malgré de nombreuses déclarations d'intention. En effet, c'est seulement à la fin du mois de septembre, soit neuf mois après l'échec de la commission mixte paritaire, que le Gouvernement a demandé à l'Assemblée nationale de se prononcer en nouvelle lecture. Elle n'a pas eu véritablement le temps de le faire, puisque le Gouvernement a mis un terme aux débats en engageant sa responsabilité pour faire adopter le texte sans vote, en application de l'article 49, alinéa3, de la Constitution.

En court-circuitant ainsi les débats à l'Assemblée nationale, vous imposez, monsieur le ministre, un texte qui ne me paraît pas plus satisfaisant qu'en première lecture.

Je commencerai par ce qui est le fondement même d'une telle loi de programmation, à savoir les hypothèses macroéconomiques et la trajectoire affichée des finances publiques.

Les prévisions macroéconomiques sur lesquelles est assise la trajectoire du Gouvernement paraissent toujours trop optimistes. Pour la seule année 2024, je rappelle que la prévision de croissance du Gouvernement est de 1, 4 %, contre 0, 9 % du côté de la Banque de France et 0, 8 % pour le consensus des économistes. Vos prévisions jusqu'en 2027, monsieur le ministre, reposent sur une combinaison d'hypothèses toutes favorables, les planètes s'alignant comme par enchantement : investissement élevé des entreprises, contribution positive du commerce extérieur, retour du taux d'épargne à son niveau d'avant-crise, etc.

Toutefois, monsieur le ministre, l'actualité internationale récente nous indique, encore une fois, à quel point, en matière de prévisions économiques, la prudence est de mise.

Au-delà même du manque de crédibilité de ce scénario, les objectifs de déficit de votre texte paraissaient en deçà de ce qui est nécessaire pour rétablir nos comptes.

Certes, la cible est légèrement plus ambitieuse que l'an dernier, avec un déficit de 2, 7 points du PIB prévu pour 2027, contre 2, 9 dans le texte initial, mais le seuil des 3 % ne serait pas atteint avant 2027. Nous serions ainsi le plus mauvais élève de l'Europe et nous exposerions à une procédure de déficit excessif.

Le texte du Gouvernement, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, n'a ainsi tenu aucun compte du vote du Sénat en première lecture. Il n'a pas non plus repris le vote de notre assemblée visant à aligner l'effort de redressement de l'État sur celui des collectivités territoriales, hors mesures exceptionnelles.

À l'exception de la suppression bienvenue des nouveaux contrats de Cahors, dont nous nous réjouissons, le texte résultant du 49.3 est, en substance, un retour à la version initiale du Gouvernement, ce que je déplore.

Par ailleurs, le texte qui nous a été transmis en nouvelle lecture porte la marque d'une certaine improvisation. Ainsi, aux articles 12 et 17, qui fixent des plafonds de dépenses pour le budget de l'État et des objectifs pour les administrations de sécurité sociale, le Gouvernement a ajouté, en nouvelle lecture, deux alinéas qui nous interpellent.

Outre les dispositions classiques contenues dans ces articles et prévues par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), ces deux sortes de « verrues » semblent dire : « ne tenez pas compte des chiffres qui précèdent, nous ferons 6 milliards d'euros d'économies de plus en 2025, 2026 et 2027 sur chacune des deux catégories de l'administration publique ».

Après tout, pourquoi pas ? Mais rien n'est dit sur l'origine de ces économies. Il est en particulier douteux qu'elles puissent découler des « revues de dépenses », qui n'ont été que très peu productives cette année, malgré l'importante communication faite à leur sujet. Il est également douteux qu'elles soient conformes aux dispositions de la Lolf et, en tout état de cause, elles nuisent fortement à la clarté de notre débat.

Par ailleurs, le Gouvernement inscrit ces économies théoriques en loi de programmation, tout en déposant des textes financiers pour 2024 qui voient la dépense publique progresser encore de 2, 2 % hors mesures de crise. Où sont donc les économies ?

De même, votre version de la loi de programmation propose la stabilité des emplois de l'État et de ses opérateurs, alors que le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 8 200 postes supplémentaires, qui viennent s'ajouter aux 11 200 postes supplémentaires déjà prévus en projet de loi de finances pour 2023. Très clairement, le Gouvernement ne tient pas les engagements qu'il se propose lui-même de tenir. Allez comprendre !

Monsieur le ministre, à force de ne pas faire ce que vous dites et de ne pas dire ce que vous faites, non seulement les comptes de la France ne sont pas tenus, mais aussi les Français ne s'y retrouvent pas. Vous ne priorisez rien, en annonçant vouloir financer tout ou presque. À chaque jour une annonce nouvelle, dont l'unité de valeur est souvent le milliard !

Vous parlez de sérieux budgétaire, tout en faisant exploser la dette de la France et en renvoyant aux parlementaires – ce que vous avez encore fait à l'instant – la responsabilité de faire des économies. C'est le monde à l'envers !

Tout cela est très nuisible à notre société, à l'heure où nos concitoyens attendent des choix clairs, avec un cadre cohérent définissant les efforts à réaliser et les perspectives d'amélioration attendues, pour notre pays et pour les Français eux-mêmes.

C'est pourquoi la commission des finances n'a pas simplement rejeté votre texte ; elle l'a aussi modifié, en nouvelle lecture, en toute responsabilité. Elle propose au Sénat d'adopter une position claire et ambitieuse, dans le droit-fil de son vote en première lecture l'année dernière.

Le texte qui vous est proposé prévoit ainsi une diminution annuelle en volume de 0, 5 % des dépenses des administrations centrales, hors charge de la dette et hors coût des dépenses engagées pour faire face aux crises. Ainsi, l'effort de redressement de l'État serait réel et non essentiellement porté par la disparition progressive et inéluctable des mesures de crise. Surtout, cet effort serait équivalent à celui qui est demandé aux administrations locales par le texte qui nous a été soumis. Il permettrait, enfin, de franchir le seuil d'un déficit inférieur à 3 % du PIB dès 2025 et non en 2027.

Outre cette trajectoire, nous avons, sur plusieurs points, quand c'était opportun, conservé les avancées intervenues à l'Assemblée nationale, mais repris aussi plusieurs modifications adoptées en première lecture au Sénat et qui ne figuraient plus dans le texte. C'est le cas notamment pour l'évolution de l'emploi public, à l'article 10, l'encadrement des dispositifs d'aide aux entreprises, à l'article 15, la mise en réserve de l'Ondam, l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie, à l'article 19, et l'évaluation de l'action publique, à l'article 21.

Vous insistez, monsieur le ministre, sur la nécessité d'adopter ce projet de loi de programmation pour bénéficier des versements européens du plan de relance, comme si le contenu de ce texte n'avait guère d'importance, mais que seule comptait son adoption formelle.

Je crois, pour ma part, à la veille de la cinquantième année consécutive de déficit budgétaire de l'État français, qu'il faut surtout adopter un texte qui trace une véritable perspective pour le rétablissement des finances publiques et qui préserve les marges de manœuvre dont nous aurons besoin pour financer la transition écologique, les mutations économiques, la préservation de notre modèle social et pour faire face à toutes les crises que notre pays ne manquera pas de rencontrer à l'avenir.

Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous écoutiez la voix du Sénat et les choix qu'il propose de faire. Après le rejet de votre texte par l'Assemblée nationale, puis un 49.3, le texte que nous vous soumettons aujourd'hui est le seul qui a été voté par la représentation nationale.

Ne pas en tenir compte serait une faute politique. Ne pas en tenir compte et repasser en force, avec le même texte, par le biais du 49.3 à l'Assemblée nationale, serait une erreur coupable. Ne pas en tenir compte confinerait l'attitude du Gouvernement à une forme d'entêtement aveugle, puisqu'il refuserait d'entendre la voix de la raison s'exprimant au Sénat. Ne pas en tenir compte consacrerait une réalité, celle d'un gouvernement qui ne veut pas rétablir les comptes publics de la France.

Monsieur le ministre, écoutez le Sénat. C'est à la fois une invitation et un conseil amical.

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