Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 4 janvier 2022 à 14:5
Audition de médecins — Docteur gérald kierzek médecin urgentiste directeur médical de doctissimo ; professeurs michaël peyromaure chef du service d'urologie à l'hôpital cochin paris et stéphane velut neurochirurgien au chu de tours

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Je vous souhaite à tous une excellente année 2022 ! Je remercie à mon tour les intervenants aujourd'hui présents devant notre commission. Comme l'a indiqué le président, vous avez tous trois analysé les difficultés du système hospitalier, et cela indépendamment de la crise sanitaire qui les accentue très fortement. Vous avez notamment relayé le sentiment des équipes soignantes d'un écart croissant entre les logiques de fonctionnement et de gestion et les exigences d'une bonne organisation des soins.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez tout d'abord vos principaux constats s'agissant des facteurs de tension sur les établissements et sur les conditions de prise en charge des patients.

Nous pourrons ensuite évoquer plus particulièrement les aspects liés aux ressources humaines, à l'organisation et au fonctionnement des établissements, ainsi que les moyens de mieux concilier les problématiques de financement et l'organisation des soins. Cette commission d'enquête a été initiée par le groupe Les Républicains en vue de formuler des propositions et de dresser un constat sans tabous ni idées préconçues. Nous devons rendre des conclusions dans des délais assez brefs eu égard à la situation qui perdure depuis des années, l'objectif étant d'y remédier sur le long terme.

Professeur Stéphane Velut, neurochirurgien au centre hospitalier universitaire de Tours. - Je vous remercie de cette invitation, qui me permet de faire une sorte d'état des lieux. Quelques mots sur mon cursus : j'ai passé l'internat en 1981, j'ai été nommé professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en 1993 ; n'ayant jamais exercé d'activité libérale au sein du CHU, j'ai donc embrassé la carrière hospitalo-universitaire très tôt et ne l'ai pas quittée depuis. J'ai vu apparaître en 2007 la tarification à l'activité (T2A), en 2009 la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), et en 2012 le plan Copermo. On n'a pas vu tout de suite les conséquences immédiates de ces différentes étapes importantes, même si l'on s'est aperçu progressivement que la T2A entraînait l'augmentation des actes des séjours, et ce sans aucune évaluation de la pertinence des soins.

La loi HPST a donné tous pouvoirs au directeur de l'hôpital, donc à l'administration, avec l'apparition de pôles remplaçant les petits comités médicaux consultatifs qui donnaient pourtant satisfaction. L'intérêt de ces pôles n'est pas évident et leur fonctionnement manque de souplesse du fait de l'empilement des échelons administratifs et décisionnels.

Le plan Copermo a été le signal d'alerte, qui a conduit à la restructuration de plusieurs hôpitaux incluant une diminution du nombre de lits. On a bien compris que la seule variable d'ajustement pour opérer des économies au sein des CHU était le personnel - 60 % du budget. La réduction du nombre de lits équivaut pour le praticien à un management par délégation de responsabilités. Le but a toujours été le même, à savoir soigner tous les malades, mais avec des moyens en personnels et en lits réduits, ce qui passe par la diminution de la durée moyenne de séjour et l'augmentation du rythme de nos actes. La réduction du nombre de lits est antérieure à 2012 et concernerait 100 000 lits dans les vingt années précédentes. Un lit n'est pas un meuble ; c'est, selon le type de soins, entre 3,2 et 4,5 équivalents temps plein (ETP). Cette diminution correspond donc à la suppression de 350 000 emplois.

Je me suis rendu compte de cette mutation à l'occasion d'une anecdote importante : en 2017, à la faveur de la construction d'un nouvel hôpital à Tours et d'une réduction importante du nombre de lits, des consultants du secteur privé sont venus nous expliquer que notre pratique était inappropriée, comme s'ils s'adressaient à des enfants. Se retrouver considéré comme un agent de soin indifférencié a provoqué un certain malaise chez les chefs de service que nous sommes, même si, j'en conviens, nos pratiques ne sont évidemment pas toujours parfaites.

Que s'est-il réellement passé ces quinze dernières années ? En 2017, j'ai constaté que la mise en oeuvre du plan Copermo donnait lieu à une multiplication des réunions et des tableaux Excel. Comme nombre de mes collègues d'autres hôpitaux, j'ai eu l'impression que, dans l'hôpital public, la réalisation du bénéfice était non plus le résultat de notre travail, mais son but exclusif. La performance financière devenait l'indicateur dominant.

L'institution, qu'elle soit publique ou privée, est un lieu, un organisme au sein duquel les agents qui travaillent sont mus par une oeuvre commune. Or on a confondu la performance avec cette oeuvre, de telle sorte qu'on a abouti à une gouvernance par les nombres. C'est là que réside le vice de la conception du New Public Management, qui vise à un renversement radical des fins et des moyens. Or une institution, qu'elle soit privée ou publique, n'a pas forcément une mission purement financière. C'est ce qu'a affirmé Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France. Nous assistons actuellement à une véritable conversion à la doctrine de la mise en concurrence pour combler le déficit, et in fine, à une désinstitutionnalisation de l'hôpital. Toute entreprise qui se plie à cette conception finit par décliner. J'espère que tel ne sera pas le cas de l'hôpital...

Que perçoivent les soignants aujourd'hui ? Leur perception a toute son importance, car l'abnégation n'est pas élastique.

Avant l'an 2000, on savait que les dirigeants de l'hôpital étaient au service de l'intérêt général et comptable d'une mission de soins. Désormais, les soignants ont l'impression que les dirigeants des hôpitaux sont au service de leur comptabilité. Conséquence, la mission de soins, véritable service public, ne peut pas être affectée par la subordination, tout simplement, car les supérieurs ont le même but que les personnels. Du fait de la désinstitutionnalisation de l'hôpital, les soignants sont confrontés à une double contrainte : la subordination prégnante et la perte de sens de leur travail. Pour preuve, au printemps 2020, les soignants se sont tout d'un coup réapproprié leur institution, leur outil de travail. On a vu des infirmières, des aides-soignantes et des médecins, fatigués, particulièrement dans les services de pneumologie, mais pleins de ferveur. Ils s'étaient réapproprié l'hôpital, car le renversement dont j'ai parlé s'inversait, de même que la délégation de responsabilités. Les soignants ont interpellé les directions, qui ont elles-mêmes demandé au ministère d'obtenir plus de moyens. Nous nous retrouvions alors dans une véritable institution de santé.

En conclusion, si le Ségur a cru pouvoir régler tous ces problèmes, il l'a fait avec des chiffres ; cela ne remplace pas ce que souhaitent les soignants : s'émanciper dans un lieu de travail où ils peuvent tous réaliser les soins qu'ils estiment devoir prodiguer à leurs malades.

Professeur Michaël Peyromaure, chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin (Paris). - Je dresse les mêmes constats. Pour moi, la plus grande évolution de l'hôpital public ces vingt dernières années a été la montée en puissance du pouvoir administratif, sur les plans à la fois quantitatif et qualitatif. J'ai connu l'époque où les soignants étaient entièrement dédiés aux patients, et les gestionnaires de l'hôpital les assistaient et les soutenaient dans leur mission. En vingt ans, c'est exactement l'inverse qui s'est produit : les soignants sont désormais à la merci des gestionnaires, qui imposent toutes les règles jusqu'à s'immiscer dans les types de soins. Aujourd'hui, ce sont les soignants qui font ce que les directeurs d'hôpitaux leur demandent. La loi HPST a considérablement aggravé cette tendance.

Il en découle d'énormes dysfonctionnements, des coupes massives dans les effectifs, dans le nombre de lits, dans les moyens attribués aux équipes soignantes, et un désespoir des soignants, qui ont perdu tout le sens de leur métier en étant soumis à des injonctions contradictoires. En haut, on leur demande d'industrialiser les soins, de tout recenser et coder par l'informatique, de faire des actes ; dans le même temps, les moyens dont ils disposent fondent comme neige au soleil, et surtout, ils n'ont plus voix au chapitre. J'ai souvent alerté ma hiérarchie administrative ces cinq dernières années sur des dysfonctionnements qui pourraient être évités ou facilement réglés, parfois sans engager de frais, mais je n'ai jamais été entendu. À ce stade, nous ne sommes plus considérés par notre hiérarchie administrative, ni même écoutés. Les directives tombent, tantôt par un simple mail ou par un courrier, tantôt au cours d'une réunion collective sans que l'on ait été prévenu. Et lorsqu'on tente d'opposer une résistance à ce que l'on considère comme un projet néfaste pour les patients, l'administration sait comment s'y prendre : elle s'entoure très souvent de collègues - c'est une faille du système - qui, hélas ! prennent le parti des dirigeants pour vous forcer à l'obéissance. Notre système est totalement déshumanisé, caporalisé, soviétisé ! De surcroît, la fuite de personnels et la démission des médecins sont liées davantage à ce problème qualitatif de perte de sens qu'à la difficulté quantitative de perte des moyens. Nous avons l'habitude de travailler avec peu de moyens, mais nous ne pouvons plus supporter d'être traités de cette manière.

Docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo. - Merci de votre invitation. Je ne peux que souscrire aux propos de mes deux collègues. J'exerce dans le même groupe hospitalier que Michaël Peyromaure, car je suis praticien hospitalier à mi-temps à l'Hôtel-Dieu - certains d'entre vous l'ont visité -, qui est un peu le symbole de cette descente aux enfers, de cette décrépitude et de cette gestion aberrante et très coûteuse de l'hôpital public. C'est un hôpital de proximité comprenant un service d'urgence qui avait été rénové récemment, car les besoins en la matière sont réels. La crise actuelle du covid est de nature structurelle avant d'être liée à un virus qui tuerait 30 % des malades - on sait maintenant que ce n'est pas du tout le cas, car les chiffres du covid sont connus. On paie l'insuffisance de services d'urgence de proximité, de lits d'hospitalisation et, éventuellement, de lits de réanimation. Ces places existaient à l'Hôtel-Dieu et ont finalement été fermées ces dernières années par des décisions arbitraires.

Le constat de la perte de sens, nous le partageons tous. Un commissaire au Plan disait : après l'autonomie des mandarins, nous sommes passés à l'autocratie des managers, selon laquelle les blouses blanches sont soit soumises soit démises, avec des jeux de concurrence entre les services. Vous avez auditionné un certain nombre de nos collègues, qui ont affirmé que tout allait bien dans les hôpitaux ! Il faut aussi examiner les processus de nomination. L'un des gros problèmes de la loi HPST, c'est que les chefs de service sont nommés par les directeurs d'hôpitaux. Cela soulève le problème de la liberté d'expression, y compris déontologique, des blouses blanches. Nombre de sénateurs et de sénatrices sont médecins ; vous savez que l'indépendance des soignants est importante, qui a finalement été aliénée par la nomination de collègues aux postes clés. Certains managers dirigent même une technostructure médico-administrative. Cela joue contre l'hôpital et, surtout, va à l'encontre de la santé des malades.

J'évoquerai trois points concernant le traitement à mettre en oeuvre autour de l'humanité, de la proximité et de la gouvernance.

La gouvernance est la première réforme à effectuer dans tout le système de santé, au-delà de l'hôpital. La loi HPST a été le point d'orgue, mais ce glissement perdure depuis des années. On s'est trompé d'objectif : on a mis à la première place les économies au lieu des soins, et donc les gestionnaires avant les soignants. Il faut renverser le paradigme en soignant mieux par une meilleure rationalisation des moyens. Cela suppose de mettre des soignants aux manettes. Il est intolérable qu'un chef de service reçoive des ordres d'un jeune directeur, frais émoulu de Sciences Po et de l'école de Rennes, qui lui explique que, par souci d'économies, il devra choisir un seul type d'instrument pour ses opérations. Ce sont les malades qui en pâtissent, d'autant que les coûts pour la collectivité seront supérieurs à long terme.

La gouvernance est un vrai problème, pas seulement à l'hôpital, mais également dans les agences régionales de santé (ARS). Il faut à tout prix remédicaliser cette gouvernance, ce qui présenterait aussi l'avantage de favoriser une évolution intéressante dans la carrière des soignants. Un chirurgien, un urgentiste ou un anesthésiste-réanimateur pourrait devenir directeur médical à l'hôpital au lieu - pardonnez-moi ces propos un peu crus - de devenir alcoolique, dépressif ou de démissionner ! La gestion des hôpitaux mériterait d'être bicéphale, avec des directeurs médicaux qui effectueraient des fonctions administratives à mi-temps, tout en continuant d'exercer leur spécialité. Le président de la commission médicale d'établissement (CME), élu, n'est pas libre, car il doit rendre des comptes. De plus, il est souvent déconnecté de la réalité médicale. Cette option de remédicalisation de la gouvernance serait possible à tous les échelons : hôpital, ARS.

Deuxième axe intéressant : la proximité.

Cette crise sanitaire a montré le démantèlement du tissu hospitalier de proximité. Il faut revenir à des choses simples : niveau 1, la médecine générale, ambulatoire ; niveau 2, l'hôpital de proximité ; niveau 3, le CHU. Or ce dernier fait l'objet de toute la concentration par ceux qui y ont intérêt. Les hôpitaux de proximité disparaissent les uns après les autres, alors qu'ils représentent un échelon intéressant, notamment pour les généralistes qui ne veulent plus s'installer dans un endroit dépourvu de tout recours hospitalier. Nous rêvons tous d'un système où le médecin de premier recours peut être en contact avec l'urgentiste de l'hôpital de proximité, qui peut lui-même coopérer, par télétransmission, avec le radiologue de garde dans un centre hospitalier (CH). De l'ordre de 5 % des malades se rendant aux urgences constituent des cas graves ; ils pourraient être exfiltrés directement sur le niveau 3 si leur état le nécessite. Or les hôpitaux de proximité disparaissent, en dépit du Ségur et de la stratégie « Ma santé 2022 ».

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