Nous entamons cette après-midi de travaux par une audition commune de trois praticiens qui, sous des formes diverses, se sont exprimés ces derniers mois sur la situation de l'hôpital.
Je suis heureux d'accueillir le professeur Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours, qui a notamment publié il y a deux ans un essai intitulé L'hôpital, une nouvelle industrie ; le professeur Michaël Peyromaure, chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin à Paris, qui a publié un ouvrage intitulé Hôpital, ce qu'on ne vous a jamais dit ... ; enfin, le docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo et chroniqueur médical, notamment sur la situation de l'hôpital.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Avant de passer la parole à notre rapporteure, Mme Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Velut, M. Michaël Peyromaure et M. Gérald Kierzek prêtent successivement serment.
Je vous souhaite à tous une excellente année 2022 ! Je remercie à mon tour les intervenants aujourd'hui présents devant notre commission. Comme l'a indiqué le président, vous avez tous trois analysé les difficultés du système hospitalier, et cela indépendamment de la crise sanitaire qui les accentue très fortement. Vous avez notamment relayé le sentiment des équipes soignantes d'un écart croissant entre les logiques de fonctionnement et de gestion et les exigences d'une bonne organisation des soins.
Nous souhaiterions que vous nous présentiez tout d'abord vos principaux constats s'agissant des facteurs de tension sur les établissements et sur les conditions de prise en charge des patients.
Nous pourrons ensuite évoquer plus particulièrement les aspects liés aux ressources humaines, à l'organisation et au fonctionnement des établissements, ainsi que les moyens de mieux concilier les problématiques de financement et l'organisation des soins. Cette commission d'enquête a été initiée par le groupe Les Républicains en vue de formuler des propositions et de dresser un constat sans tabous ni idées préconçues. Nous devons rendre des conclusions dans des délais assez brefs eu égard à la situation qui perdure depuis des années, l'objectif étant d'y remédier sur le long terme.
Professeur Stéphane Velut, neurochirurgien au centre hospitalier universitaire de Tours. - Je vous remercie de cette invitation, qui me permet de faire une sorte d'état des lieux. Quelques mots sur mon cursus : j'ai passé l'internat en 1981, j'ai été nommé professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en 1993 ; n'ayant jamais exercé d'activité libérale au sein du CHU, j'ai donc embrassé la carrière hospitalo-universitaire très tôt et ne l'ai pas quittée depuis. J'ai vu apparaître en 2007 la tarification à l'activité (T2A), en 2009 la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), et en 2012 le plan Copermo. On n'a pas vu tout de suite les conséquences immédiates de ces différentes étapes importantes, même si l'on s'est aperçu progressivement que la T2A entraînait l'augmentation des actes des séjours, et ce sans aucune évaluation de la pertinence des soins.
La loi HPST a donné tous pouvoirs au directeur de l'hôpital, donc à l'administration, avec l'apparition de pôles remplaçant les petits comités médicaux consultatifs qui donnaient pourtant satisfaction. L'intérêt de ces pôles n'est pas évident et leur fonctionnement manque de souplesse du fait de l'empilement des échelons administratifs et décisionnels.
Le plan Copermo a été le signal d'alerte, qui a conduit à la restructuration de plusieurs hôpitaux incluant une diminution du nombre de lits. On a bien compris que la seule variable d'ajustement pour opérer des économies au sein des CHU était le personnel - 60 % du budget. La réduction du nombre de lits équivaut pour le praticien à un management par délégation de responsabilités. Le but a toujours été le même, à savoir soigner tous les malades, mais avec des moyens en personnels et en lits réduits, ce qui passe par la diminution de la durée moyenne de séjour et l'augmentation du rythme de nos actes. La réduction du nombre de lits est antérieure à 2012 et concernerait 100 000 lits dans les vingt années précédentes. Un lit n'est pas un meuble ; c'est, selon le type de soins, entre 3,2 et 4,5 équivalents temps plein (ETP). Cette diminution correspond donc à la suppression de 350 000 emplois.
Je me suis rendu compte de cette mutation à l'occasion d'une anecdote importante : en 2017, à la faveur de la construction d'un nouvel hôpital à Tours et d'une réduction importante du nombre de lits, des consultants du secteur privé sont venus nous expliquer que notre pratique était inappropriée, comme s'ils s'adressaient à des enfants. Se retrouver considéré comme un agent de soin indifférencié a provoqué un certain malaise chez les chefs de service que nous sommes, même si, j'en conviens, nos pratiques ne sont évidemment pas toujours parfaites.
Que s'est-il réellement passé ces quinze dernières années ? En 2017, j'ai constaté que la mise en oeuvre du plan Copermo donnait lieu à une multiplication des réunions et des tableaux Excel. Comme nombre de mes collègues d'autres hôpitaux, j'ai eu l'impression que, dans l'hôpital public, la réalisation du bénéfice était non plus le résultat de notre travail, mais son but exclusif. La performance financière devenait l'indicateur dominant.
L'institution, qu'elle soit publique ou privée, est un lieu, un organisme au sein duquel les agents qui travaillent sont mus par une oeuvre commune. Or on a confondu la performance avec cette oeuvre, de telle sorte qu'on a abouti à une gouvernance par les nombres. C'est là que réside le vice de la conception du New Public Management, qui vise à un renversement radical des fins et des moyens. Or une institution, qu'elle soit privée ou publique, n'a pas forcément une mission purement financière. C'est ce qu'a affirmé Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France. Nous assistons actuellement à une véritable conversion à la doctrine de la mise en concurrence pour combler le déficit, et in fine, à une désinstitutionnalisation de l'hôpital. Toute entreprise qui se plie à cette conception finit par décliner. J'espère que tel ne sera pas le cas de l'hôpital...
Que perçoivent les soignants aujourd'hui ? Leur perception a toute son importance, car l'abnégation n'est pas élastique.
Avant l'an 2000, on savait que les dirigeants de l'hôpital étaient au service de l'intérêt général et comptable d'une mission de soins. Désormais, les soignants ont l'impression que les dirigeants des hôpitaux sont au service de leur comptabilité. Conséquence, la mission de soins, véritable service public, ne peut pas être affectée par la subordination, tout simplement, car les supérieurs ont le même but que les personnels. Du fait de la désinstitutionnalisation de l'hôpital, les soignants sont confrontés à une double contrainte : la subordination prégnante et la perte de sens de leur travail. Pour preuve, au printemps 2020, les soignants se sont tout d'un coup réapproprié leur institution, leur outil de travail. On a vu des infirmières, des aides-soignantes et des médecins, fatigués, particulièrement dans les services de pneumologie, mais pleins de ferveur. Ils s'étaient réapproprié l'hôpital, car le renversement dont j'ai parlé s'inversait, de même que la délégation de responsabilités. Les soignants ont interpellé les directions, qui ont elles-mêmes demandé au ministère d'obtenir plus de moyens. Nous nous retrouvions alors dans une véritable institution de santé.
En conclusion, si le Ségur a cru pouvoir régler tous ces problèmes, il l'a fait avec des chiffres ; cela ne remplace pas ce que souhaitent les soignants : s'émanciper dans un lieu de travail où ils peuvent tous réaliser les soins qu'ils estiment devoir prodiguer à leurs malades.
Professeur Michaël Peyromaure, chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin (Paris). - Je dresse les mêmes constats. Pour moi, la plus grande évolution de l'hôpital public ces vingt dernières années a été la montée en puissance du pouvoir administratif, sur les plans à la fois quantitatif et qualitatif. J'ai connu l'époque où les soignants étaient entièrement dédiés aux patients, et les gestionnaires de l'hôpital les assistaient et les soutenaient dans leur mission. En vingt ans, c'est exactement l'inverse qui s'est produit : les soignants sont désormais à la merci des gestionnaires, qui imposent toutes les règles jusqu'à s'immiscer dans les types de soins. Aujourd'hui, ce sont les soignants qui font ce que les directeurs d'hôpitaux leur demandent. La loi HPST a considérablement aggravé cette tendance.
Il en découle d'énormes dysfonctionnements, des coupes massives dans les effectifs, dans le nombre de lits, dans les moyens attribués aux équipes soignantes, et un désespoir des soignants, qui ont perdu tout le sens de leur métier en étant soumis à des injonctions contradictoires. En haut, on leur demande d'industrialiser les soins, de tout recenser et coder par l'informatique, de faire des actes ; dans le même temps, les moyens dont ils disposent fondent comme neige au soleil, et surtout, ils n'ont plus voix au chapitre. J'ai souvent alerté ma hiérarchie administrative ces cinq dernières années sur des dysfonctionnements qui pourraient être évités ou facilement réglés, parfois sans engager de frais, mais je n'ai jamais été entendu. À ce stade, nous ne sommes plus considérés par notre hiérarchie administrative, ni même écoutés. Les directives tombent, tantôt par un simple mail ou par un courrier, tantôt au cours d'une réunion collective sans que l'on ait été prévenu. Et lorsqu'on tente d'opposer une résistance à ce que l'on considère comme un projet néfaste pour les patients, l'administration sait comment s'y prendre : elle s'entoure très souvent de collègues - c'est une faille du système - qui, hélas ! prennent le parti des dirigeants pour vous forcer à l'obéissance. Notre système est totalement déshumanisé, caporalisé, soviétisé ! De surcroît, la fuite de personnels et la démission des médecins sont liées davantage à ce problème qualitatif de perte de sens qu'à la difficulté quantitative de perte des moyens. Nous avons l'habitude de travailler avec peu de moyens, mais nous ne pouvons plus supporter d'être traités de cette manière.
Docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo. - Merci de votre invitation. Je ne peux que souscrire aux propos de mes deux collègues. J'exerce dans le même groupe hospitalier que Michaël Peyromaure, car je suis praticien hospitalier à mi-temps à l'Hôtel-Dieu - certains d'entre vous l'ont visité -, qui est un peu le symbole de cette descente aux enfers, de cette décrépitude et de cette gestion aberrante et très coûteuse de l'hôpital public. C'est un hôpital de proximité comprenant un service d'urgence qui avait été rénové récemment, car les besoins en la matière sont réels. La crise actuelle du covid est de nature structurelle avant d'être liée à un virus qui tuerait 30 % des malades - on sait maintenant que ce n'est pas du tout le cas, car les chiffres du covid sont connus. On paie l'insuffisance de services d'urgence de proximité, de lits d'hospitalisation et, éventuellement, de lits de réanimation. Ces places existaient à l'Hôtel-Dieu et ont finalement été fermées ces dernières années par des décisions arbitraires.
Le constat de la perte de sens, nous le partageons tous. Un commissaire au Plan disait : après l'autonomie des mandarins, nous sommes passés à l'autocratie des managers, selon laquelle les blouses blanches sont soit soumises soit démises, avec des jeux de concurrence entre les services. Vous avez auditionné un certain nombre de nos collègues, qui ont affirmé que tout allait bien dans les hôpitaux ! Il faut aussi examiner les processus de nomination. L'un des gros problèmes de la loi HPST, c'est que les chefs de service sont nommés par les directeurs d'hôpitaux. Cela soulève le problème de la liberté d'expression, y compris déontologique, des blouses blanches. Nombre de sénateurs et de sénatrices sont médecins ; vous savez que l'indépendance des soignants est importante, qui a finalement été aliénée par la nomination de collègues aux postes clés. Certains managers dirigent même une technostructure médico-administrative. Cela joue contre l'hôpital et, surtout, va à l'encontre de la santé des malades.
J'évoquerai trois points concernant le traitement à mettre en oeuvre autour de l'humanité, de la proximité et de la gouvernance.
La gouvernance est la première réforme à effectuer dans tout le système de santé, au-delà de l'hôpital. La loi HPST a été le point d'orgue, mais ce glissement perdure depuis des années. On s'est trompé d'objectif : on a mis à la première place les économies au lieu des soins, et donc les gestionnaires avant les soignants. Il faut renverser le paradigme en soignant mieux par une meilleure rationalisation des moyens. Cela suppose de mettre des soignants aux manettes. Il est intolérable qu'un chef de service reçoive des ordres d'un jeune directeur, frais émoulu de Sciences Po et de l'école de Rennes, qui lui explique que, par souci d'économies, il devra choisir un seul type d'instrument pour ses opérations. Ce sont les malades qui en pâtissent, d'autant que les coûts pour la collectivité seront supérieurs à long terme.
La gouvernance est un vrai problème, pas seulement à l'hôpital, mais également dans les agences régionales de santé (ARS). Il faut à tout prix remédicaliser cette gouvernance, ce qui présenterait aussi l'avantage de favoriser une évolution intéressante dans la carrière des soignants. Un chirurgien, un urgentiste ou un anesthésiste-réanimateur pourrait devenir directeur médical à l'hôpital au lieu - pardonnez-moi ces propos un peu crus - de devenir alcoolique, dépressif ou de démissionner ! La gestion des hôpitaux mériterait d'être bicéphale, avec des directeurs médicaux qui effectueraient des fonctions administratives à mi-temps, tout en continuant d'exercer leur spécialité. Le président de la commission médicale d'établissement (CME), élu, n'est pas libre, car il doit rendre des comptes. De plus, il est souvent déconnecté de la réalité médicale. Cette option de remédicalisation de la gouvernance serait possible à tous les échelons : hôpital, ARS.
Deuxième axe intéressant : la proximité.
Cette crise sanitaire a montré le démantèlement du tissu hospitalier de proximité. Il faut revenir à des choses simples : niveau 1, la médecine générale, ambulatoire ; niveau 2, l'hôpital de proximité ; niveau 3, le CHU. Or ce dernier fait l'objet de toute la concentration par ceux qui y ont intérêt. Les hôpitaux de proximité disparaissent les uns après les autres, alors qu'ils représentent un échelon intéressant, notamment pour les généralistes qui ne veulent plus s'installer dans un endroit dépourvu de tout recours hospitalier. Nous rêvons tous d'un système où le médecin de premier recours peut être en contact avec l'urgentiste de l'hôpital de proximité, qui peut lui-même coopérer, par télétransmission, avec le radiologue de garde dans un centre hospitalier (CH). De l'ordre de 5 % des malades se rendant aux urgences constituent des cas graves ; ils pourraient être exfiltrés directement sur le niveau 3 si leur état le nécessite. Or les hôpitaux de proximité disparaissent, en dépit du Ségur et de la stratégie « Ma santé 2022 ».
Il y a eu la loi de 2019.
Docteur Gérald Kierzek. - Ce sont plutôt des dispensaires ou des structures de soins de longue durée. Notre impression est que les services d'urgence et les hôpitaux de proximité disparaissent tous en faveur d'hôpitaux Potemkine, vitrines vides de soins. Actuellement, une douleur thoracique requiert un scanner, un plateau de biologie délocalisé, ce qui ne se traite ni en cabinet de médecine générale ni en dispensaire, et ne justifie pas plus l'envoi dans un CHU. La gradation et la proximité sont fondamentales. Il serait aussi possible de prévoir une diversité d'exercice des soignants, par exemple successivement dans une maternité de proximité puis un CHU. Cela favoriserait la diversité des pratiques et le développement professionnel continu.
Troisième mot clé : l'humanité. On a déshumanisé l'hôpital, avec des consultants qui sont en train de chronométrer les soignants. Les patients et les soignants s'en plaignent, et je parle ici en tant que directeur médical de Doctissimo. Il y a une perte de sens. C'est un sujet de cohésion sociale. Les gens ont besoin de leur hôpital de proximité ; ils ont besoin de temps, et ne veulent pas devenir des numéros. Cette humanité ne se quantifie pas. On en revient au problème du financement et de la T2A.
Désormais, il y a un « forfait patient urgence » : on continue de culpabiliser les patients comme s'ils venaient aux urgences sans justification. Alors qu'on avait réalisé de nets progrès pour la prévention de certaines pathologies comme les AVC, la prise en charge de douleurs thoraciques, d'artères bouchées, nous risquons de perdre les gains réalisés. Les gens n'oseront plus venir aux urgences, de peur de déranger ou de venir pour rien, en devant de surcroît payer. Ils resteront chez eux et nous perdrons des vies humaines. Pour gagner quelques euros, il y aura un fort coût médical et humain. Cela aggravera la crise de l'hôpital public.
C'est un sujet de cohésion sociale et de consentement à l'impôt. Lors de la crise des « gilets jaunes » et du Grand débat, la santé était l'un des thèmes prioritaires. Les Français veulent à proximité des services d'urgence, une maternité, un médecin traitant, qu'ils n'ont plus. Cela va au-delà de l'hôpital.
Je vous remercie de vous être saisis du sujet.
Merci de votre regard et de vos propositions.
Vous mettez tous en cause un fonctionnement hospitalier insuffisamment tourné vers les soins. Disposez-vous de comparaisons internationales ? Sommes-nous suradministrés par rapport aux pays voisins ? Accumulez-vous des tâches administratives, au détriment du soin ?
Parlementaires, nous avons aussi une responsabilité : nous demandons des certificats de qualité, des données pour justifier la qualité des soins ou leur efficience... Peut-on revenir sur ces tendances normatives et qualitatives du soin à l'hôpital ? Quelles sont les solutions ? Souvent, nous voulons le risque zéro et nous avons tendance à tout codifier...
Depuis des mois, nous entendons unanimement qu'il faut remédicaliser le pouvoir de décision à l'hôpital. On nous dit aussi qu'auparavant, il y avait un sentiment d'appartenance au sein d'un service. Peut-on supprimer les pôles, ou comment mettre en adéquation les pôles et les services pour donner plus de souplesse et de sens au travail réalisé ?
Vous avez évoqué la gradation et la proximité. D'après les premières auditions, il semble que nous devons trouver un système souple et laissant suffisamment de liberté aux soignants à l'intérieur d'un territoire pour s'organiser, en faisant tomber les barrières entre secteurs public et privé, entre types d'établissements, et en incluant l'hospitalisation à domicile... Est-il possible d'envisager une telle gestion, assez souple, avec des organisations différentes selon les territoires ? Nous avons tendance, en France, à établir des règles uniques. Les services d'urgence ont des difficultés à organiser les soins : on ne peut pas comparer l'hôpital Cochin à celui de Clamecy. Il faut redonner du sens au travail, donner plus d'importance au soin, et de l'autonomie de gestion aux soignants. Avez-vous des pistes en ce sens à nous proposer ?
Docteur Gérald Kierzek. - Il faut vraiment régionaliser la santé, plutôt qu'elle n'émane des ARS technocratiques qui dépendent du ministère. Il faudrait quasiment un parlement sanitaire. Chaque Land allemand dispose d'un véritable ministre régional de la santé : après avoir fermé une maternité, il est soit sanctionné, soit plébiscité lors des élections suivantes. Il faut repolitiser la santé et avoir une vraie vision territoriale. Les choix doivent être réalisés en fonction des territoires, qui ne font pas face aux mêmes problèmes. Il faut des gens de terrain qui ont à la fois les mains dans le cambouis et qui décident, que ce soit en ville ou à l'hôpital.
Le sujet de l'évolution des carrières est capital. Il faut pouvoir travailler en ville et à l'hôpital. La réforme de 1958 qui a créé les CHU était une bonne idée au départ, mais soixante ans après, nous avons de nouveau les mêmes problèmes : nous n'arrivons plus à recruter, et certains font des carrières à vie. Certains collègues sont plus du côté de l'administration que du côté des soins. Il faut réfléchir à des évolutions de carrière intéressantes, éventuellement à des contrats d'objectifs et de moyens, mais sur des critères médicaux, et évalués par les pairs.
Avec les pôles, nous sommes arrivés à une situation abracadabrantesque. Or un malade qui a un problème d'urologie doit pouvoir être reçu par une infirmière du service d'urologie, qui le renvoie vers l'urologue chef de service. Revenons à des choses basiques.
Professeur Michaël Peyromaure. - La réforme la plus efficace serait de créer des services autonomes comme dans certains pays européens et anglo-saxons, où le chef de service, secondé par un cadre administratif, disposerait d'un budget propre. Actuellement, l'administration gère seule tous les budgets, en toute opacité. Pour responsabiliser les équipes soignantes, avoir un budget propre - comme c'est le cas à l'hôpital de Valenciennes - permettrait à un service de recruter et de s'équiper, en autonomie. Ce ne serait pas signer un chèque en blanc : tous les ans ou tous les deux ans, le chef de service présenterait son bilan, ses objectifs et ses résultats devant la CME.
Actuellement, il y a trop de strates et de commissions, tandis que seul le directeur décide. Il faut restaurer de la transparence, y compris sur les budgets, et de la démocratie avec des services autonomes, qui auraient une autonomie de budget et de fonctionnement. En contrepartie, les chefs de service mauvais gestionnaires se verraient retirer leur budget ou seraient démis de leur chefferie. Cette solution, qui existe dans certains pays, règlerait de nombreux problèmes.
Professeur Stéphane Velut. - Pour moi, deux réformes sont nécessaires.
Il faut effectivement une autonomie des services, au plan budgétaire, à condition que le chef de service soit secondé par des personnes spécialisées dans la gestion budgétaire, mais surtout en termes de soins. Voici un bon exemple. Un de mes élèves, excellent chirurgien de 38 ans, en fin d'internat, qui a une thèse d'État, excellent chercheur et enseignant et qui pouvait être agrégé dans deux ans, a décidé de partir pour une clinique privée du sud de la France. Ce n'est pas pour le climat, un peu pour l'argent, mais surtout, car il n'en peut plus. Son seul regret, m'a-t-il dit, ce sera la bonne ambiance du service, l'esprit de « famille ». Je suis très affecté par ce départ.
Chaque mois, on voit partir de très bons praticiens hospitaliers dans tous les CHU. Il est important que vous le sachiez : entre secteur public et secteur privé, les émoluments et la souplesse de fonctionnement n'ont rien à voir.
Nous formons un chirurgien en quinze ans, dans un CHU payé par le contribuable, puis ensuite il s'en ira, il gagnera deux à quatre fois plus que moi en exerçant en libéral grâce à des dépassements d'honoraires - même si je n'ai rien contre le secteur libéral. Le système public est en train d'alimenter le système libéral, qui tue, in fine, sa matrice de formation. Ce jeune praticien devait me succéder. Je n'ai plus de successeur. Qui formera mes étudiants dans trois ans ?
En 1958, Robert Debré avait eu une idée de génie : créer des CHU regroupant toutes les spécialités, des services autonomes, des centres de recherche et l'université. Cet esprit de la faculté de médecine est en train de disparaître. Ce n'est pas nous, mais nos petits-enfants qui en verront les conséquences pour leur formation. Tant qu'il y aura autant de différences et qu'on alimentera la concurrence entre public et privé, on n'y arrivera pas. Le problème se pose non pas sur le plan hospitalier, mais sur le plan académique.
Bien sûr, les instituts privés sont prêts à former des internes. Mais un CHU peut comprendre 45 services et 20 laboratoires de recherche ; c'est différent d'un institut de la hanche près de Lyon ou d'une clinique du coeur près de Bordeaux, que ce soit en termes académiques ou d'état d'esprit. Nous devons être inquiets pour les générations futures.
L'équilibre des intérêts est-il en train d'être rompu ?
Professeur Stéphane Velut. - Le chirurgien me dit que dans la clinique qu'il a visitée, il y a neuf neurochirurgiens, six salles d'opération, une soixantaine de lits. S'il veut opérer une névralgie faciale demain - ou au pire après-demain - il peut le faire. Actuellement, dans mon service, j'ai sept chirurgiens, mais seulement une salle d'opération et demie, tout simplement, car nous manquons de personnel. Je ne peux pas donner de rendez-vous avant mi-février.
Je suis incapable de donner des pistes politiques, car l'on touche au secteur libéral, puissant. Il faudrait peut-être réformer sur quinze à vingt ans pour revenir à une situation cohérente. Une réforme brutale n'est pas possible.
Merci de vos interventions, diverses, mais qui nous prouvent que la médecine hospitalière est mal partie...
J'exerce à la fois comme pédiatre libéral et en maternité, mais rien n'est fait pour favoriser cet exercice mixte, ni par le Conseil de l'ordre, ni par la faculté, qui pensent que c'est au CHU qu'on forme le mieux. Or les petits hôpitaux de proximité doivent pouvoir participer à la formation. Les doyens d'université n'ont pas assez de personnel. J'exerce dans la région bordelaise. Lorsque nous étions externes ou internes, nous étions aussi formés en dehors des CHU, lors de stages. Il ne faut pas séparer autant les choses. Ne faudrait-il pas réhabiliter cet exercice mixte ?
De quels moyens informatiques disposez-vous ? Je travaille dans une maternité avec des logiciels bricolés qui viennent de Bretagne, qui ne sont pas adaptés, et d'autres services ont d'autres logiciels. Ce n'est pas homogène sur tout le pays. Dans ma maternité, un tiers des sages-femmes ont démissionné, regrettant passer plus de temps sur l'informatique et les exigences des patients. Quelle disponibilité peut-on avoir quand on est débordé de travail ? Ce phénomène s'est-il accentué avec le temps ? Quel est le poids de la menace médico-légale pour les médecins et chirurgiens que vous êtes ?
Tout le monde est d'accord sur la suradministration. Vous avez parlé de régionalisation. On pense qu'on va arriver à régler le problème avec les ARS, et auparavant avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS). La vraie régionalisation serait un premier pas vers une cohérence géographique, et non d'administrer depuis Paris - je pense notamment aux maternités.
L'autonomie est une idée très intéressante, mais qui va faire hurler : on va faire des économies dans l'administratif ou le comptable, mais je ne suis pas sûr que les chefs de service soient de très bons gestionnaires. Chacun son métier ! Je préfère l'idée de rééquilibrage. La déshumanisation n'est pas due qu'à l'administration de l'hôpital. C'est une erreur partagée. Nous sommes passés à une médecine de protocole, à une médecine où nous sommes des numéros. De plus en plus de patients s'en plaignent. Il y a une pression juridique et des réseaux sociaux. Les médecins font signer des lettres de décharge pour être couverts. Il n'est pas bon d'exercer dans cette crainte.
Pour les urgences, il y a une responsabilité partagée des généralistes qui n'assurent plus les gardes. Ils ont fait exploser les services d'urgence. Dans le département de la Haute-Garonne, la plus faible densité de généralistes est dans la ville de Toulouse. Est-ce dû à la proximité de l'hôpital ? Mais surtout, les jeunes ne veulent plus s'installer là. Ils profitent des niches offertes par des collectivités leur faisant des « ponts d'or » : prise en charge d'un cabinet, d'une secrétaire, voiture de fonction, salaire « royal » pour 30 heures, travail quatre jours par semaine jusqu'à 17 heures, sans garde durant les jours fériés ni les week-ends. Tout est à repenser régionalement et localement.
Merci de vos propos qui montrent la gravité de la situation. Nous sommes nombreux à partager votre constat. Merci de vos propositions. Il y a urgence à modifier les politiques.
Monsieur Kierzek, l'Hôtel-Dieu est un gâchis terrible. Des projets alternatifs ont été proposés par le personnel, qui n'ont pas été pris en compte. De même pour la fusion entre les hôpitaux Bichat et Beaujon. Il faut s'interroger sur la gouvernance et l'écoute du personnel médical et paramédical. Il faut redonner du pouvoir à tous les soignants, et pas seulement aux mandarins. Ce pouvoir doit être partagé. Comment envisager ce partage des pouvoirs et l'écoute des acteurs ?
Le Gouvernement nous dit que des lits sont fermés faute de personnel. Auparavant, c'était à cause de l'ambulatoire... Je ne suis pas dupe !
Oui, on manque de personnel, mais en raison des conditions de travail : de plus en plus de personnel médical ou paramédical s'en va ; ils n'en peuvent plus. La profession manque d'attractivité ; des infirmières interrompent leur formation. Quelles propositions faire pour inverser la tendance en matière d'embauche ? J'ai deux pistes : redonner de l'attractivité pour redonner aux infirmières l'envie de venir à l'hôpital ; et développer les concours internes. Actuellement, les budgets des hôpitaux sont tellement insuffisants que lorsqu'il y a trop de postulants, les formations internes sont reportées aux années suivantes.
Vous avez évoqué l'articulation entre médecine de ville, les hôpitaux de proximité et les CHU. Qu'en est-il des dispensaires, des pôles de santé libéraux en ambulatoire, des cliniques privées, de l'hospitalisation à domicile, des soins de suite ? Ne serait-il pas intéressant de prévoir un va-et-vient avec des structures tampons évitant l'hospitalisation ? Ne faudrait-il pas réfléchir en réseau, plus largement que par le passé ?
Pour justifier l'évaluation et la qualité des soins, on prend prétexte des risques nosocomiaux et du développement de l'ambulatoire à outrance. Or il y a des mesures comptables : on ferme des lits faute d'un nombre d'accouchements suffisant...
Est-il encore possible de mettre en place des évaluations plus qualitatives que quantitatives, en fonction des besoins du territoire, et selon les compétences des équipes sur place ?
Peut-on encore se payer le luxe d'avoir des praticiens faisant aussi de la recherche ? C'est le temps médical auprès du patient, pour les soins, qui a été la variable d'ajustement.
S'agissant de la T2A, ou de l'ambulatoire qui visait notamment à réduire les maladies nosocomiales, ne peut-on porter un regard plus positif ? La T2A a été instaurée pour éviter une course à la consommation des enveloppes budgétaires, sans considération pour la qualité des soins. Il s'agissait d'assurer une meilleure répartition. L'objectif a été dévoyé. Mais ne faut-il pas conserver la T2A en la faisant évoluer ?
Merci de vos témoignages qui nous vont droit au coeur.
Je voudrais partager une anecdote, rapportée de source sûre : un lundi matin, un chirurgien arrive pour opérer, et voit que son opération a été déprogrammée. L'administrateur de garde a fait le programme tout seul, sans en référer au praticien. Ce genre de mésaventure vous est-il arrivé ?
Je suis triste de votre tristesse. Je vous vois désabusés, alors que vous faites le plus beau des métiers. Nous avons supprimé le circuit court médical au profit d'une logique administrative.
Estimez-vous que vos conditions de travail sont différentes ? On a l'impression d'une logique infernale, allant de pire en pire.
Observez-vous un changement de culture chez vos jeunes élèves internes ? Auparavant, nous travaillions sans regarder les heures, et nous retournions faire nos gardes en nous en vantant. Cet état d'esprit a-t-il disparu ? Certes, améliorer la qualité de vie des jeunes internes pourrait être une très bonne chose. Ils ne peuvent plus admettre d'être de garde un jour sur deux, un week-end sur deux, tout le temps...
Merci de votre éclairage et de l'aide que vous apportez à notre commission d'enquête.
Dans les pôles, il était prévu une délégation de gestion, certes limitée à la formation et aux commandes logistiques. Elle devait être accompagnée de moyens supplémentaires, mais en pratique, ces moyens n'ont que peu suivi. Certains hôpitaux se sont inscrits dans ce projet de gestion en pôle. Je regrette l'absence d'évaluation objective pour en tirer un avis précis.
La charge administrative des soignants représente entre deux et trois heures par jour, sans compter la codification des actes. Je suppose qu'il en est de même pour vous ? Que proposez-vous pour réduire cette charge, et permettre aux soignants de soigner ? Avec le régime des 35 heures hebdomadaires, il reste peu de temps pour les soins. Quel avis portez-vous sur les 35 heures ?
Nous évaluons à 30 % les actes redondants. Quelles seraient vos pistes d'amélioration ?
Les normes et la réglementation découragent les soignants - médecins et infirmiers. Dans quelle case placez-vous les cadres de santé ? Sont-ils des cadres administratifs ou des soignants, sur lesquels vous pouvez vous adosser ?
Vous avez opposé hôpital public et privé. Mais existent aussi des établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH)
Au lieu d'opposer, comment coordonner et imaginer une complémentarité entre les uns et les autres - établissements publics, privés, PSPH ? Comment organiser chaque maillon du système de santé avec les médecins libéraux, les paramédicaux... Il faut réfléchir sur la santé au complet, y compris le médico-social.
Il faut une revalorisation des métiers hospitaliers pas seulement financière, mais aussi plus de reconnaissance.
Les infections nosocomiales sont fort heureusement en baisse, grâce notamment aux agents de services hospitaliers (ASH). Comment donner plus d'attractivité à ce métier ? Beaucoup d'entre eux souhaitent suivre une formation pour être aide-soignant. Cela permettrait de disposer de davantage de soignants à l'hôpital.
Nos collègues vous ont posé de très nombreuses questions, aussi n'hésitez pas à nous adresser tout document complémentaire qui serait nécessaire à notre réflexion.
Professeur Michaël Peyromaure. - Les 35 heures ont été dramatiques pour l'hôpital, car elles n'ont pas été accompagnées d'embauches. C'est plutôt l'inverse : elles ont créé de la pénurie. Il y en aurait peut-être eu sans les 35 heures, mais beaucoup moins qu'actuellement : nous sommes obligés de rappeler 20 à 30 % d'infirmières sur leur week-end... Selon moi, les 35 heures sont une faute grave pour l'hôpital.
Il faut supprimer les pôles, qui n'apportent rien, et repartir du patient. Les pôles ont alimenté les querelles d'ego, certains médecins sont devenus les « collaborateurs » de l'administration. C'est un avis personnel.
Comment débureaucratiser l'hôpital ? Il faut débureaucratiser toute la chaîne, et dégraisser le mammouth dans son ensemble, que ce soit la Haute Autorité de santé (HAS) qui nous pond une norme par semaine ou les ARS qui nous en pondent deux, ou bien les directions d'hôpitaux. Nous ne pourrons débureaucratiser l'hôpital si nous ne supprimons pas quantitativement les gens qui font les normes. Ayons le courage d'instaurer un moratoire sur les normes à l'hôpital, pendant les quelques années qu'il va nous falloir pour récupérer du personnel et pour envisager une réforme structurelle de l'hôpital. Ne pourrions-nous pas simplement dire non à toutes les normes qui nous tombent dessus ?
Je n'ai pas subi de déprogrammation à la dernière minute ainsi, pas à ce point. Il est arrivé que le directeur de l'hôpital intervienne lors de réunions de programmation. L'insuffisance du nombre de salles d'opération conduisait à programmer beaucoup de malades et provoquait des débordements horaires dont le personnel se plaignait. Le directeur a décidé de retirer certains malades du programme, sur des critères totalement arbitraires. Cela a fait l'objet de controverses à l'hôpital. Vous vous en doutez, je ne me suis pas laissé faire. Mais il ne m'est jamais arrivé d'arriver un lundi pour découvrir une opération déprogrammée.
En revanche, il m'arrive presque tous les jours d'arriver au bloc et de découvrir qu'il manque un intérimaire ou une infirmière anesthésiste, et donc de devoir déprogrammer des patients.
Pour qu'un groupe fonctionne, mieux vaut avoir trop de personnel que pas assez. Si vous n'avez pas assez de personnel, une personne manque et le château de cartes s'effondre.
J'ai connu la fin d'une époque où nous avions effectivement un peu trop de personnel et un peu trop de lits. Nous avions de la marge sur le personnel, et c'est la raison pour laquelle cela fonctionnait bien. Mieux vaut avoir trop de personnel. Actuellement, les gestionnaires versent des larmes de crocodile en regrettant le départ du personnel, et disent qu'ils ne savent plus quoi faire. Mais ce sont les mêmes qui ont appliqué cette politique de réduction du personnel. Ce sont les directeurs d'hôpitaux qui ont réduit le personnel. Et comment le réduire ? En fermant des lits. Sachez que les directeurs d'hôpitaux établissent des contrats avec les ARS. Ils sont bénéficiaires de primes de fonction et de résultat, qui dépendent de certains critères. Dans les primes de résultat, il y a systématiquement le critère d'équilibre budgétaire de l'hôpital. Or comment l'obtenir, sinon en jouant sur la masse salariale ? Et comment réduire le nombre d'infirmières ? En supprimant des lits.
Cela fait des années que nous demandons un moratoire sur les fermetures des lits, mais cela continue. Le professeur Varenne, à l'hôpital Cochin, est en train de faire des travaux dans son service de cardiologie, vétuste, qui comptait vingt lits d'hospitalisation conventionnelle, toujours occupés. L'obtention des travaux a été conditionnée à la réduction de vingt à douze lits. Pourquoi douze ? Car c'est la norme qu'il faut pour avoir une seule infirmière, plutôt que deux actuellement. Le professeur va donc devoir réduire les temps de séjour et augmenter le turn-over. Il a beau dire que ce n'est pas possible, on lui a dit que sinon il ne pourra pas faire les travaux...
Malgré toutes nos alertes et nos revendications, cela continue. C'est extraordinaire ! Sans parler de l'hôpital Nord, qui fusionnera les hôpitaux Beaujon et Bichat, où l'on supprimera au passage 30 % des lits.
Nous avons beau alerter, il y a beau avoir des articles dans la presse, des reportages à la télévision, la même politique continue.
Docteur Gérald Kierzek. - Il faut insuffler de la bienveillance et de la bientraitance dans le management, et cela fera revenir spontanément le personnel. Si vous avez de la bientraitance, une bonne évolution des carrières, une aide-soignante qui peut passer infirmière, qui a plaisir à travailler, au sein d'un esprit de famille, les soignants ne vont plus partir, mais revenir. À l'inverse, actuellement, nous sommes dans de la maltraitance institutionnelle. Quand nous alertons, Michaël Peyromaure et moi, publiquement, dans notre hôpital, nous sommes « les deux à sortir », selon les termes mêmes de la directrice hospitalière. Non seulement on ne nous écoute pas, mais il faut nous sortir. Ce système maltraite à tous les échelons.
Les cadres infirmiers font un travail difficile. Ils sont censés être des soignants, une courroie de transmission entre l'administration et les équipes de soignants. En fait, ils se trouvent dans des situations intenables. Avant-hier, j'ai encore reçu un mail d'un cadre infirmier de l'AP-HP qui m'annonce qu'il démissionne, car il n'en peut plus en raison des injonctions paradoxales. Les cadres infirmiers sont devenus de simples collaborateurs de l'administration, faisant appliquer les décisions de l'administration, alors qu'ils devraient faire remonter les besoins du terrain et du soin. On leur demande de faire descendre des normes et décisions complètement aberrantes. Certains craquent et démissionnent, d'autres se résignent, et malheureusement certains jouent le jeu. On leur demande de choisir un camp.
Sur les 35 heures et les RTT, je suis plus modéré. Elles sont une soupape de sécurité. Sans elles, davantage de personnes partiraient. Le personnel est tellement maltraité qu'au moins, il a un peu moins de temps de travail, ce qui lui permet de souffler. Les 35 heures ont peut-être été le péché originel, mais y toucher actuellement, dans le cadre d'une maltraitance organisée et généralisée, ne ferait qu'aggraver les choses.
Peut-on tout faire - recherche, enseignement, soin ? Non, on ne peut pas tout faire au même moment. En revanche, un généraliste peut enseigner à la faculté, un chercheur faire des recherches pendant cinq ou dix ans avant de revenir faire des soins. Cette flexibilité est indispensable. J'ai fait un post-doc au Canada. Ma patronne, chercheuse spécialisée - scientist - sur l'arrêt cardiaque, était une ancienne généraliste qui, à 40 ans, avait décidé de se former. Elle est devenue une leader sur ce sujet. Un tel type de parcours est impossible en France.
Pourtant, le chef de service des urgences de l'hôpital Cochin est à l'origine un généraliste, et non un PU-PH. Il a un parcours atypique.
Docteur Gérald Kierzek. - Oui, mais on ne peut pas, sauf à faire une carrière administrative, être chercheur, chirurgien, puis partir dans le libéral avant de revenir enseigner. L'élève du professeur Velut part définitivement ; il ne pourra plus revenir. Ces allers-retours ne sont pas possibles, alors qu'ils seraient extrêmement bénéfiques, tant pour la personne que pour le système. Je vous rappelle que les nominations des chefferies de service sont faites par les directeurs d'hôpitaux.
Professeur Stéphane Velut. - Je n'ai pas vécu ce cauchemar de déprogrammation le lundi.
Les internes choisissent désormais des spécialités faciles à recycler en libéral, comme la gynécologie médicale, l'ORL, la chirurgie plastique... Elles sont très différentes de celles choisies dans les années 1990 comme la chirurgie cardiaque, la neurochirurgie, la réanimation médicale ou la médecine interne.
Je remercie les internes, qui travaillent 65 à 70 heures par semaine, sans rechigner. Sans eux, le service se casserait la figure.
Je ne veux pas faire des CHU un sanctuaire académique. On peut très bien former ailleurs des internes, et cela se fait, à l'hôpital général d'Orléans, de Saint-Malo ou d'Annecy. Il n'y a pas de problème sur ce point.
Sur les systèmes informatiques, j'ai été ahuri d'apprendre que, dans le CHU où je travaille, il y avait 17 ou 27 logiciels différents concernant les programmations, l'alimentation, le linge, l'imagerie... L'informatique nous rend beaucoup de services, mais si l'on pouvait harmoniser à l'échelon français, ou du moins métropolitain, la transmission des dossiers et l'imagerie, ce serait un grand progrès. Nous gagnerions beaucoup de temps. Je n'évoquerai pas tous les tableaux Excel que nous avons à remplir comme chefs de service...
Concernant le temps de travail administratif, je ne souhaitais pas renouveler ma chefferie de service pour mes dernières années - je pars à la retraite dans un peu plus de deux ans. J'ai proposé à un collègue de prendre ma suite, mais il a refusé, me rétorquant que le lieu où il est le plus tranquille, c'est sa salle d'opération, là où il exerce son métier.
L'évaluation de la qualité des soins est extrêmement difficile et devrait passer en second plan après la pertinence des soins. Évaluer qu'untel opère plus ou moins bien pour installer une prothèse est très difficile, mais évaluer la pertinence d'installer une prothèse est important en termes d'économie de la santé.
Sur le pouvoir administratif, j'estime que le principe de subsidiarité a disparu. On pense que les gens de terrain pensent mal et qu'ils s'organisent mal. Revenons au service. Je suis d'accord avec le professeur Peyromaure sur la disparition des pôles.
Je suis plus nuancé sur les 35 heures. Au-delà du secteur hospitalier, les 35 heures ont changé le rapport au travail, et ont entraîné un manque de souplesse en termes de choix de congés. Cela a été une très mauvaise chose à hôpital.
Nous avons trois missions, mais chacun sait qu'un hospitalo-universitaire ne peut assumer ces trois missions en même temps. C'est bien de montrer, le jour du concours, des publications, une activité clinique et de l'enseignement. Mais les très grands chercheurs ne font qu'un peu d'enseignement, les très bons chirurgiens opèrent beaucoup, enseignent peu, et ne font pas de recherches. Faire deux missions sur trois est déjà pas mal. Et qu'on ne nous ajoute pas la mission de manager, comme j'ai pu l'entendre lors des débats du Ségur de la santé...
Dans un hôpital de 2 000 lits, rassemblant médecine, obstétrique, chirurgie, psychiatrie et gériatrie, qui compte environ 1 200 à 1 300 lits aigus, dans une ville de taille moyenne, il suffit de 25 malades covid en réanimation, 15 en pneumologie et 5 en médecine pour que toute la chaîne soit affectée - alors que cela ne représente que 2 % des lits occupés ! C'est un problème. On veut un taux d'occupation des lits de 97 %, un taux important d'occupation des salles, mais pour pouvoir accueillir en temps et en heure des patients, un hôpital doit avoir des lits vides avec une infirmière auprès de ces lits en temps normal. Le système est extrêmement affecté en termes de programmation puisque les réanimateurs doivent aider leurs collègues, les infirmières aussi. On reprogramme, on déplace des infirmières, pour 2 % des lits ! C'est incroyable.
Cela concerne aussi l'attractivité des métiers : il faut redonner du sens, et non estimer qu'au prétexte qu'un soignant est dans une position subordonnée, il serait interchangeable. Un infirmier de réanimation cardiaque aime son métier. Si un jour il veut changer pour découvrir l'obstétrique, c'est très bien, mais ne le déplaçons pas comme cela. Or actuellement, les flux sont tellement tendus qu'ils sont déplacés comme des pions. Voilà une autre raison pour comprendre que leur métier perd de son sens. C'est vrai pour tous les métiers : aide-soignant, brancardier...
Merci pour toutes ces interventions.
Il est rassurant que des médecins fassent un diagnostic commun, mais le problème est que cela ne débouche pas sur les bonnes décisions de traitement. J'espère que l'avenir démentira vos craintes. Les pistes que vous portez sont largement partagées, malgré quelques nuances. J'espère que les bonnes décisions seront prises.
Professeur Stéphane Velut. - Notre tristesse est tempérée par votre écoute.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
Nous poursuivons nos travaux avec l'audition commune des conférences de présidents des commissions médicales d'établissement.
Je suis heureux d'accueillir le professeur François-René Pruvot, président de la conférence des commissions médicales d'établissement (CME) des centres hospitaliers universitaires (CHU) ; le docteur Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers ; le docteur Laurence Luquel, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif ; enfin, le docteur Marie-Paule Chariot, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée.
Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et j'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François-René Pruvot, Thierry Godeau, Mmes Laurence Luquel et Marie-Paule Chariot prêtent successivement serment.
Je remercie également les représentants des commissions médicales d'établissement de leur présence.
Nous vous recevons à un moment où nos établissements de santé se trouvent de nouveau sous la pression très forte de la crise sanitaire. Par sa durée, celle-ci aggrave incontestablement les difficultés auxquelles était confronté le système hospitalier, en particulier en termes de ressources humaines.
Au-delà de cette situation critique, mais conjoncturelle - du moins peut-on l'espérer - nous souhaitons évoquer avec vous les aspects plus structurels de ces difficultés : le recrutement et la fidélisation des personnels ; l'organisation et le fonctionnement des établissements, et notamment la place et le rôle des soignants ; le financement et le mode de régulation de la dépense prise en charge par la collectivité ; les conditions actuelles du recours à l'hôpital dans notre système de santé, ce qui soulève la question de l'organisation territoriale des soins et de l'articulation avec le secteur privé, hospitalier ou libéral.
Nous voudrions également connaître votre appréciation sur les effets à attendre des mesures prises au cours des deux dernières années, que ce soit au plan financier avec le Ségur ou au plan législatif, en dernier lieu avec la loi Rist d'avril 2021.
Professeur François-René Pruvot, président de la conférence des commissions médicales d'établissement (CME) des centres hospitaliers universitaires (CHU). - Les présidents de conférence partagent des valeurs et objectifs semblables. Mais à la lueur des événements des deux dernières années, nous appelons solennellement, à l'aube des élections présidentielles, à un rééquilibrage des deux grands systèmes d'exercice de la médecine en France : le service public et le service privé. Cette recommandation fera partie des éléments forts de notre plateforme présidentielle, qui sera publiée par une tribune dans Le Monde, puis diffusée par une conférence de presse dans quelques jours, présentant cinq axes stratégiques, huit propositions thématiques et 38 actions pour les candidats à l'élection.
Nous identifions trois ressorts dans la situation actuelle. Le premier est la pandémie avec une lassitude extrême des équipes, ainsi que la carence de soins des malades non-covid, qui sont autant d'anticipations de soucis pour les années qui viennent, en particulier en oncologie. Il est impossible aujourd'hui de tirer un bilan du déficit de prise en charge pendant la crise.
Le deuxième réside dans les manquements du Ségur, à deux titres. On doit évoquer les manquements intrinsèques : la démarche était systémique, mais comportant des insuffisances, en particulier concernant la permanence des soins, le travail de nuit et certaines rémunérations. D'autre part, une réforme d'une telle ampleur ne peut pas entraîner un impact immédiat, donc on n'en mesure pas aujourd'hui tous les bénéfices. C'est la raison pour laquelle il y a encore de la grogne et des difficultés dans les hôpitaux.
Le troisième point est le plus problématique, et fera la transition avec les sujets que vous nous avez demandé de parcourir : c'est une vague de fond, sur laquelle des signaux faibles sont à l'oeuvre depuis une dizaine d'années sans qu'ils soient suffisamment pris en compte, qui traduit un changement de paradigme dans l'imaginaire des métiers de soins et leur exercice dans la population des futurs soignants en formation, médecins ou pas. Cette évolution dans la vision presque ancestrale des métiers de soin est aussi pour beaucoup dans les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui. On les partage probablement avec d'autres professions.
Pouvez-vous préciser ?
Professeur François-René Pruvot. - S'il y a aujourd'hui incontestablement un haut niveau de conscience professionnelle chez les professionnels de santé, le travail est conçu comme un métier indépendant de la vie personnelle et familiale. Le décompte en temps de travail est très répandu dans la population des soignants. Je dirais aussi que l'empathie vers son prochain est paramétrée et concurrencée par des objectifs personnels plus nets qu'auparavant.
Il y a une forme d'abandon partiel de l'État, et en tout cas une difficulté à gérer la crise systémique du public.
Je débute par le sujet de la gouvernance. Il fallait faire évoluer la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoire » (HPST), qui a fortement infléchi l'équilibre décisionnel vers les métiers et les compétences administratives. Il y a été répondu par le pilier 3 du Ségur. Je pense que tout est contenu, désormais, dans le rapport de juin 2020 de la mission Claris et la circulaire d'application d'août 2021 qui devrait se trouver exprimée au travers d'une charte de gouvernance entre les directeurs d'hôpitaux et les médecins - en particulier les présidents de commission médicale d'établissement. L'enjeu sera de l'appliquer. Par exemple, la loi HPST de 2009 contenait déjà des éléments de délégation de prérogatives aux pôles, qui n'ont jamais été appliqués.
Cette gouvernance s'étend au retour de la notion de service, qui avait disparu réglementairement. Nous verrons comment cela sera appliqué. Il est toutefois certain que la plupart des soignants et non-soignants ont toujours su, malgré les changements de sémantique, ce qu'était une équipe, et ont pu identifier très clairement ce qu'était un service.
S'agissant des relations avec la tutelle, je vous renvoie à notre audition à l'Assemblée nationale le 12 avril 2021. Il y a une énorme hétérogénéité de relations des établissements publics avec les agences régionales de santé (ARS), avec la tutelle centrale. Je pense que la crise covid, en donnant l'impression d'une déconcentration de l'exercice de la gouvernance, est l'arbre qui cache la forêt, la réalité étant plutôt celle d'une forte centralisation. On devra en tirer les conséquences dans quelques mois.
En ce qui concerne la situation financière, je ne peux évoquer que les CHU. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes de 2018 et au pilier 2 du Ségur de la santé. Aussi bien les directeurs généraux que nous-mêmes avons contesté les conditions dans lesquelles était prise en compte l'activité de recours des CHU. Ceci reste un énorme problème. L'exemple en a encore été donné dans la mise en oeuvre de la garantie de financement lors de la crise covid. On a caractérisé de manière uniforme, homogène, et classé dans une même catégorie des actes pour des malades totalement différents, ce qui a pénalisé les CHU.
Sur le mode de financement, je ne veux pas empiéter sur l'énorme rapport préparé par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (HCAAM). On sait qu'on ne reviendra pas au budget global et qu'on n'ira pas dans le sens d'une tarification à l'activité excessive. C'est un portefeuille de modalités de financement qui est important. En tant que président du conseil scientifique des investissements en santé, je suis bien placé pour en parler. 12 milliards d'euros pour relancer la finance des hôpitaux constituent une chance qui s'est tendue à nous. L'enjeu essentiel est d'échapper à la doctrine Copermo (Comité interministériel de performance et de modernisation de l'offre de soins), axée sur la performance, et de mettre en avant les activités médicales, la cohérence des schémas architecturaux et de reconstruction et l'insertion territoriale des projets des établissements.
Le sujet du recrutement et de la fidélisation est traité par les piliers 1 et 3 du Ségur, c'est-à-dire à la fois le niveau de salaire et d'intéressement des soignants mais également leur mode de reconnaissance, de valorisation et leurs rapports à l'intérieur de l'hôpital. S'agissant du personnel hospitalo-universitaire, mis de côté de façon volontaire par le Ségur, le groupe de travail sur l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires a remarquablement rempli sa fonction, avec 24 propositions qui vont être égrenées de fin décembre 2021 à 2023. Nous verrons quels effets elles produiront.
La structuration territoriale est l'un des plus beaux enjeux, qui dépasse le domaine de la santé. Les maîtres-mots sont la gradation et la coordination des soins, ce qui va de pair avec la réforme des autorisations engagée par l'État en 2016. En CHU, nous y accordons beaucoup d'importance, car il faut définir ce qu'est la centralisation. La centralisation et l'organisation des soins sur un territoire reposent souvent sur la mise en avant de l'excellence, mais on oublie toujours que celui qui est excellent a, en proportion, autant de devoirs. Nous souhaitons que cette réforme de la gradation et des autorisations de soins, en vue d'une juste répartition cohérente des soins sur un territoire, s'adosse à ce que nous avions proposé dans le cadre de notre rapport sur « le CHU de demain », c'est-à-dire une segmentation en proximité / référence / recours / complexité, et qu'elle fasse la part belle aux paramètres de pertinence.
Docteur Laurence Luquel, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif. - Je représente mes collègues médecins des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), qui renvoient à un mode de fonctionnement peu visible par la population ou le corps médical, et peut-être par vous.
En effet, nous avons une mode de fonctionnement de droit privé avec des missions de service public. Même si nos établissements possèdent des services de réanimation, les services d'aide médicale urgente (Samu) nous ont placés en deuxième intention lors de la crise sanitaire. Nous souffrons de problèmes de visibilité au niveau de nos concitoyens. Les Espic regroupent les établissements relevant de la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap) et qui ont signé la convention collective de 1951, mais aussi les établissements de lutte contre le cancer, de l'assurance-maladie (Ugecam) et de la Croix-Rouge. Je représente plutôt les établissements du privé solidaire, dont 700 disposent d'une offre dans le champ du sanitaire - d'autres relèvent du champ du médico-social, des personnes en situation de handicap, des services à domicile, de la petite enfance, etc.
Nos modalités de fonctionnement sont différentes car nous sommes nommés par le directeur de l'hôpital, à l'inverse du public. Par ailleurs, bien que l'institution de la CME dans les établissements privés à but non lucratif ait été inscrite dans la loi de 2016, le décret d'application n'est jamais intervenu. Cela donne une certaine souplesse dans les modes de fonctionnement et une absence d'homogénéité dans l'organisation des CME de nos établissements.
Comme nos collègues du public et très certainement aussi du secteur lucratif, nous faisons face à une diminution des ressources médicales, avec un fort enjeu de recrutement. Une enquête dans les établissements relevant de la Fehap a montré que dans certaines spécialités médicales, on compte une proportion élevée de postes vacants : 55 % en médecine générale, 25 % en gériatrie et en médecine d'urgence, 30 % en psychiatrie.
Comme l'a rappelé le professeur Pruvot, la médecine évolue. Elle évolue en matière de reconnaissance sociétale car cela devient un bien de consommation. Il n'y a plus de confiance, à laquelle était associée notre fonction de sachant. Les jeunes ne se sentent pas aussi investis pour se lancer dans la médecine, en raison de transformations - qui ne sont pas à blâmer - associées à la d'une meilleure qualité de vie au travail. Nous sommes confrontés à des problématiques dans la permanence médicale, avec des médecins qui refusent de faire des gardes en raison de leur statut personnel. Cela ne touche pas que la population féminine, et cela n'est pas du tout dû à la féminisation de la profession médicale. On constate cet état de fait dans l'ensemble de la société.
Nous sommes, par ailleurs, confrontés aux enjeux du vieillissement démographique et de l'avancée des maladies chroniques, qui demanderont une prise en charge médicale au long cours. La crise sanitaire a montré qu'il était difficile d'y faire face en situation de tension hospitalière.
Dans un premier temps, nous n'avions pas été inclus dans les revalorisations des praticiens salariés prévues par le Ségur. Nos demandes ont été prises en compte, mais nous inquiétons de la pérennisation de ces mesures pour nos médecins salariés. J'attire votre attention sur ce point, en raison de la difficulté des recrutements médicaux à laquelle nous sommes tous confrontés.
Lors de la crise sanitaire, nos établissements ont été présents, tant au niveau des soins critiques que des filières d'aval. Mais nous n'avons pas anticipé qu'il s'agirait d'une crise de longue durée. On constate une forte lassitude des personnels médicaux face à une organisation où il faut faire coexister des soins liés ou non au covid.
Nous sommes aussi confrontés à la problématique des soins non programmés - notamment hors covid - et du recours aux urgences. Cette question conduit forcément à une désorganisation et à des déprogrammations plus ou moins longues et anticipées. C'est très difficile à vivre car, lorsque nous allons à l'hôpital, nous ne savons jamais ce que nous allons trouver le jour-même. En dépit de l'organisation prévue par les tutelles, le cloisonnement entre le privé lucratif, les Espic, les hôpitaux publics est une réalité : nous ne nous connaissons pas forcément et nous ne travaillons pas nécessairement ensemble. La crise a permis d'améliorer les liens, mais le cloisonnement perdure. Nous avons pourtant besoin de confiance les uns dans les autres, notre objectif commun en tant que médecin étant le service rendu au patient. Tout le monde a sa place dans le système hospitalier actuel.
Que nous a-t-il manqué ? Que nous manque-t-il ? En dehors du fait que, sur un territoire, nous puissions travailler ensemble, aussi bien à l'hôpital que pour les soins primaires et les structures médico-sociales, et même si les ARS ont joué leur rôle dans la crise, peut-être aurait-il fallu instaurer une instance régionale, voire départementale, pour mieux faire travailler ensemble les personnes avec un objectif commun. Avec la prolongation de la crise, nous devrions penser à le développer.
On doit toutefois mettre en avant deux points positifs, au cours de cette crise. Même si nous commençons à être essoufflés, nous avons tous répondu présents. Des expériences ont montré leur utilité, comme l'astreinte gériatrique auprès des Ehpad, déployée sur tout le territoire et qui a permis d'éviter des passages inappropriés aux urgences. Cela a servi car au départ la crise touchait beaucoup les populations vulnérables. La médicalisation de la décision a été renforcée : avec les directeurs, nous avons participé à l'organisation au sein de l'hôpital et sur l'aval. Nous avons pu copiloter les déprogrammations.
La crise devient progressivement de plus en plus administrative. La problématique de la gouvernance et du copilotage par les directeurs et les présidents de CME, est très dépendante de l'humain et de la taille des structures. Cela peut aller de trois médecins à plus de 400 selon les établissements. Ce point mérite d'être souligné d'autant que les médecins considèrent qu'ils ne sont plus entendus. La relation médecin-malade n'occupe plus la majeure partie de leur temps de travail en raison de toutes les contraintes administratives, liées à la tarification à l'activité en particulier, et au fait que l'hôpital évolue comme une entreprise et doit avoir des objectifs. Ce n'est pas une critique, mais un constat. Il faut accompagner les médecins face à cette réalité mais aussi les écouter et entendre leur malaise, si l'on qu'ils soient un jour remplacés par de jeunes médecins. La situation est en effet préoccupante en raison de la pyramide des âges de l'activité médicale quel que soit le contexte d'exercice.
Docteur Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers. - Je vais essayer, dans ces propos liminaires, de faire le constat que porte notre conférence non seulement sur l'hôpital mais aussi sur le système de santé, car je pense que les deux sont liés. L'hôpital est en crise, mais la vraie crise sanitaire actuelle n'est pas celle du covid ; c'est la crise structurelle de l'hôpital, et à travers lui, probablement, la crise de l'ensemble de l'organisation de notre système de santé. La pandémie n'a été qu'un accélérateur de cette crise hospitalière, et personne ne peut nier ce sur quoi tous les professionnels de santé ont alerté depuis plusieurs années.
La conférence que je représente, qui n'a peut-être pas un rôle médiatique important parce que le rôle des présidents de CME est assez mal connu dans le grand public, a dénoncé depuis longtemps cette situation. Certes, l'hôpital public, qui a pris en charge 80 % des patients covid, a tenu le coup, et il tient toujours le coup. Oui, mais à quel prix : des déprogrammations massives régulières depuis deux ans, des retards de prise en charge dans de nombreuses pathologies, des lits fermés maintenant faute de soignants, qui ont aujourd'hui le sentiment que l'après-covid risque d'être, au sein de nos établissements, pire que l'avant.
On sait que l'on n'a pas suffisamment formé de professionnels, et pas que des médecins, depuis de nombreuses années. Ce nombre reste toujours insuffisant, et il y a des facteurs d'inquiétudes, notamment sur les infirmières, les sorties de formation n'étant pas en rapport avec l'augmentation du nombre de places en école.
La contrainte financière est très ancienne. La tarification à l'activité (T2A) a été un peu pervertie par le « travaillez plus pour gagner moins ». Des fermetures de lits ont été imposées, le personnel étant la principale dépense de l'hôpital, et donc la variable d'ajustement. Tout cela a conduit à des hôpitaux engorgés de manière quasi permanente, une perte de sens des professionnels. Et concernant plus particulièrement les personnels médicaux, le sujet des écarts de contraintes et de rémunération ne peut plus être éludé.
La problématique de la permanence des soins est également devenue un sujet majeur de départ des praticiens, ce d'autant plus que la charge ne relève pas toujours d'une prise en charge spécifiquement hospitalière. Ce sujet ne pourra pas être réglé que par de nouvelles rémunérations, qui sont certes nécessaires, mais il nécessitera une reconnaissance réelle de la pénibilité, et un partage de cette contrainte dans de nombreux secteurs.
L'hôpital est un lieu d'exercice formidable. On y vient pour y travailler en équipe, faire de l'enseignement, de la recherche, de l'innovation et développer de nouvelles techniques. Mais quand le quotidien ne correspond plus à vos attentes, comment pouvez-vous espérer y attirer et garder un praticien hospitalier, sachant que sa rémunération est assez souvent de deux à trois fois supérieure en libéral, qu'il ne serait pour la plupart du temps pas soumis à une obligation de garde, qu'à l'hôpital on lui parle beaucoup de déficit, de réduction de moyens, de déprogrammation, qu'il a vu son service, ou plutôt son équipe, se déliter, qu'il n'a aucune, ou très peu d'emprise sur les décisions, et que son temps, sa charge de travail et tout simplement son travail et sa pénibilité sont mal reconnus. Qu'il joue sans cesse à « Tétris » pour trouver des places et des solutions pour des situations sociales parfois insolubles, et que l'avenir qu'on lui propose actuellement est de plus en plus souvent de se transformer en médecin « sac à dos » pour aller combler les trous dans les autres hôpitaux publics ?
On peut saluer les efforts financiers du Ségur de la santé, mais il n'a été qu'un rattrapage partiel de tout ce qui n'avait pas été fait antérieurement. Je voudrais insister sur les praticiens de milieu de carrière, souvent très courtisés par le milieu libéral, dont l'augmentation n'aura été actuellement que de trois cent euros par mois, c'est-à-dire moins que de très nombreux soignants. Il est donc indispensable de les fidéliser notamment par l'application des nouvelles grilles indiciaires à tous les praticiens hospitaliers et non seulement aux nouveaux nommés. D'une manière générale, et malgré le Ségur, les médecins hospitaliers ont perdu en salaire de base en moyenne l'équivalent d'un Smic par mois en vingt ans.
Un mot sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ne refaisons pas entre les GHT et les établissements de santé ce qui a été fait entre les pôles et les services. Oui les GHT sont un levier pour les hôpitaux publics, mais pour ce qu'ils partagent, pour leur stratégie commune, la gradation des soins. Le principe de subsidiarité doit rester la règle. Par exemple, les relations ville-hôpital, qui sont primordiales, relèvent avant tout des établissements.
Alors oui l'hôpital tient encore le coup. Il tient le coup parce que ses professionnels sont formidables, impliqués, qu'ils aiment leur métier et leurs patients ; mais les troupes s'épuisent, se démoralisent et ne voient guère de perspectives positives dans un avenir de court terme. Alors, jusqu'à quand va-t-il tenir ?
Mais la crise de l'hôpital est aussi un symptôme d'un système qui dysfonctionne de plus en plus. En effet, les besoins de santé ont profondément évolué. Nous sommes passés d'une médecine des soins aigus à une médecine des maladies chroniques, d'une prise en charge hospitalière ponctuelle pour un problème de santé épisodique, à la nécessité d'une prise en charge le plus souvent coordonnée et pluri-professionnelle, et où l'hôpital se situe, tout comme d'autres secteurs, dans un continuum de prises en charge. Notre système de santé n'est plus adapté à cette coordination des soins. Il est cloisonné entre deux mondes : les établissements de santé qui, déjà ont du mal à travailler ensemble, et la ville. Il l'est aussi dans sa gouvernance entre les agences régionales de santé (ARS) et la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), dans son organisation, dans son financement, avec un objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) consacré aux soins de ville et un autre à l'hôpital. Ce système doit être repensé, car malheureusement aujourd'hui rien n'incite vraiment les acteurs à travailler ensemble. Les nouveaux besoins de santé et les carences démographiques imposent de se donner les moyens, que les acteurs de santé travaillent véritablement ensemble au quotidien, de façon coordonnée, complémentaire, mais autant entre équipes de soins qu'entre la ville et l'hôpital. Le rôle et la place du médecin dans les prises en charge doivent être revisités. Mais attention à ne pas céder à tous les corporatismes par de nouveaux accès aux soins non-régulés, qui pourraient aggraver le manque de coordination tant préjudiciable au patient.
Les coopérations public-privé sont nécessaires. Nous n'avons plus les moyens actuellement d'une concurrence souvent trop frontale, qui est liée aussi au financement à l'activité. Tout ceci ne sera qu'un voeu pieux sans une réforme du financement des établissements, et une réduction, justement, de ces écarts de rémunération et de contraintes, notamment sur la permanence des soins.
Le projet territorial de santé devrait être un levier, pour nous, obligatoire. Ce n'est pas aux seuls acteurs d'un GHT, mais à tous les acteurs d'un territoire de se coordonner et de répondre ensemble aux besoins de santé d'un territoire sous la forme d'une responsabilité populationnelle partagée. Les modalités de réponse pourront varier selon les ressources disponibles de chaque secteur. Ce projet territorial doit définir un projet de santé avec de réelles priorités, adapté aux besoins du territoire et contractualisé financièrement avec les ARS.
Concernant la démographie, il faut s'interroger sur le fait que les spécialités dont actuellement nous avons peut-être le plus besoin, à savoir la médecine générale, la pédiatrie, la gériatrie, la santé mentale, mais aussi la médecine polyvalente et la médecine interne à l'hôpital, sont parmi les moins attractives et les moins rémunératrices. Ce sont aussi des spécialités pour lesquelles la relation humaine est capitale. Or cette relation n'est pas financée à sa juste valeur. Il est capital de revaloriser l'acte intellectuel. C'est urgent car la médecine est en train de perdre ce qui en fait l'une de ses noblesses, c'est à dire la relation médecin-malade, qui est son humanité.
Ces carences ont inéluctablement un impact sur le fonctionnement de nombreux hôpitaux. Le manque de coordination des professionnels est probablement l'une des principales causes de gabegie financière et de mauvaise qualité des soins, avec des redondances d'examens, des hospitalisations évitables mais également prolongées, ce qui souligne également le retard colossal que la santé a pris dans le domaine du numérique, retard préjudiciable aussi pour la coordination des acteurs.
Concernant les hospitalisations : si tous les patients sortaient le jour où le médecin le décide, nous aurions beaucoup moins de problèmes de lits à l'hôpital public, qui est souvent engorgé par des problèmes de sortie. Et c'est là qu'il faut vraiment un plan d'action pour le secteur médico-social, la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et la permanence de soins, qui est aussi un élément crucial dont l'amélioration limiterait de nombreux recours, évitables, à l'hôpital.
Toute réforme systémique est longue à mettre en place, mais nous n'avons plus le temps d'attendre. Les professionnels de santé savent que la route sera longue et qu'il n'y aura pas de grand soir. Ils ont besoin de perspectives, d'espoirs et de projets. Il est urgent au sein de l'hôpital de redonner du sens au travail et aux équipes. La notion de charge de travail, de reconnaissance du temps médical dans toutes ses composantes, mais aussi de sa pénibilité, est un impératif. La démographie des professionnels ne peut faire passer toujours au second plan la qualité de vie au travail. Ce sont des attentes fortes de nos jeunes professionnels et c'est aussi pour cela que, lorsqu'elle est dégradée, ils quittent l'hôpital. Il est urgent de prendre enfin soin de ceux qui prennent soin.
Le nouveau texte sur la gouvernance et la liberté d'organisation des hôpitaux s'applique au premier janvier. Il sera capital d'en vérifier l'application réelle sur le terrain. De trop nombreuses fois, les lois ne sont pas appliquées sur le terrain. Il faudra vérifier que cela est bien mis en place, que nous aurons véritablement un projet de management et de gouvernance qui sera participatif, que toutes les équipes auront contribué à sa réalisation. La remédicalisation effective de la gouvernance de l'établissement mais aussi la rénovation de celle de proximité, celles des services, sont des enjeux majeurs. Redonnons plus d'autonomie et de souplesse aux équipes, qui ont besoin d'identité et d'appartenir à un collectif. Les équipes veulent reprendre la main sur de nombreuses décisions du quotidien.
Il faut remettre le projet au coeur des préoccupations, se donner des objectifs précis, adaptés aux besoins et assumés, quitte à reconnaître, vu les difficultés à prioriser l'essentiel, que l'on ne peut pas tout faire dans le contexte démographique actuel. Mettons enfin en place la simplification administrative. Simplifions le nombre de reporting, de benchmark, de tableaux d'Excel, d'interlocuteurs et qu'on laisse respirer les acteurs qui doivent retrouver de l'initiative. Hélas, tout cela sera peine perdue si les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des missions que l'on exigera de l'hôpital. Interrogeons-nous plus globalement sur ce que doit être aussi la performance en santé, qui aujourd'hui n'est portée que par la vision réductrice des économies de santé. La santé est aussi créatrice de richesse et de sérénité au sein de la population. Portons un vrai projet de santé publique, grande carence de notre système.
Enfin actuellement, tous les secteurs sont en difficulté. Tous les professionnels, quels que soient leur mode d'exercice, expriment une grande souffrance. Certes, les professionnels ne sont pas responsables de tous les maux actuels, et je pense - je fais un appel pour cela - que nous ne devons plus nous retrancher sans cesse derrière ce fait, mais que nous devons sortir de nos corporatismes pour essayer ensemble de proposer des solutions coordonnées. Il en va aussi de notre responsabilité. L'hôpital est mal en point, le mal est systémique, et l'hôpital ne se sauvera probablement pas tout seul. La crise a démontré que l'hôpital public restait le pilier du système de santé. En de très nombreux endroits, personne ne peut se substituer à l'hôpital. Et si dans ces territoires l'hôpital s'écroule, alors tout s'écroulera. Ce serait à mon sens, et le professeur Pruvot en a parlé, une erreur grave sur le plan politique de ne pas mettre la santé au coeur des priorités du débat présidentiel. Et il se pourrait que le statut quo soit le chaos.
Je vous remercie.
Docteur Marie-Paule Chariot, présidente de la conférence des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée. - Je vous remercie de prendre le temps de nous écouter. Vous entendez maintenant certainement la seule bénévole de toute la salle. Un médecin libéral, et je crois que le président de la commission ne l'ignore pas, est payé à l'acte. Donc quand il travaille il gagne sa vie, et quand il ne travaille pas il ne gagne rien. Les présidents de CME ce sont des médecins élus par leurs confrères dans un établissement de santé, qui ont un rôle d'organisation des soins et un rôle d'apaisement des conflits. Dans le secteur privé, ils ne disposent d'aucun moyen, pas même pour un président des présidents de CME. Donc vous entendez là la seule bénévole. La puissante fédération de l'hospitalisation privée et les directeurs d'établissements gèrent tout.
Le mot gouvernance, dans un établissement de santé privé, n'existe pas. Si j'ai entendu mes confrères parler de la souffrance au travail, et de la gouvernance, je ne retiens moi, dans le privé, que le mot de souffrance. Il n'y a pas de gouvernance chez nous puisqu'il n'y a aucun moyen. Quand il y a des réunions il faut arrêter d'exercer, faire attendre les patients, ou annuler ses consultations, ou annuler ses actes opératoires pour pouvoir s'occuper de la collectivité. Je souhaiterais donc qu'il puisse y avoir un peu d'équité pour le secteur privé et une rémunération qui permette au moins une demi-journée par semaine, voire une journée par mois, de pouvoir s'occuper des autres sans le faire aux dépens de son activité professionnelle. Donc ça, c'est ma demande.
Mais dans le privé, qui représente à peu près la moitié de la chirurgie et un quart de la médecine en France, nous avons la chance de faire des journées de douze heures et treize heures. Même si aujourd'hui les jeunes vous semblent quitter l'hôpital, ils ne viennent pas forcément chez nous. Parmi mes confrères anesthésistes - puisque je suis anesthésiste - il y en a un aujourd'hui qui élève des moutons et un autre qui est gardien de château. C'est récent : cela date de moins d'un an. La souffrance des professionnels, des médecins en secteur libéral, est importante. Parce qu'il n'y a pas cette aide que vous avez avec la médecine du travail dans les hôpitaux et cette écoute. Bien sûr l'ordre des médecins a créé des associations : l'association Mots pour parler de la souffrance des médecins ; mais c'est assez difficile de décrocher un téléphone et de dire qu'au quotidien « je souffre ».
Je voudrais dire aussi que si nous avons des difficultés organisationnelles, nous avons la chance d'avoir les usagers au quotidien avec nous. Et je pense qu'il est indispensable de laisser aux usagers du système de santé un choix. Je regrette qu'on définisse mon établissement ou mes établissements comme privés à but lucratif. Le but lucratif ne saurait pas pour moi parler avec la santé. La santé n'a pas de but lucratif ; la santé à un but de santé. La maladie doit être combattue et la santé doit gagner. Je regrette très sincèrement cette formulation, et si on pouvait définir les établissements de santé autrement que par leurs moyens de financement, je trouverais ça très bien. Ma priorité c'est de soigner, ce n'est pas de savoir si mon directeur va gagner de l'argent. Et tous les jours je me bats contre ça.
Je voudrais vous dire aussi que nous sommes dans un système très normé ; c'est-à-dire que nous avons des autorisations d'activités définies par les ARS pour les hôpitaux et les cliniques. L'ARS, donc l'administration, définit ce que nous pouvons faire ou ce que nous ne pouvons pas faire. C'est certainement très bien pour la sécurité des soins. Ça laisse des pans entiers de patients à la porte de nos cabinets médicaux qui ne peuvent pas être soignés. Aujourd'hui avec le covid c'est un petit peu plus parlant, mais j'ai vu malheureusement dans mon activité professionnelle, des cancers arriver généralisés parce qu'il n'y avait pas eu d'imagerie. Les gens ayant peur du covid sont restés à la porte et les gens qui ne peuvent pas avoir d'imagerie, qui ne peuvent pas avoir de soins, ne savent pas si ils doivent insister ou ne pas insister, n'osent pas aller déranger leur médecin. Ils ont tous conscience de la difficulté et c'est vrai qu'il y a une crise sanitaire importante ; une crise de défaut de soins que les gens vont payer parce que ce n'est pas à eux de savoir choisir, mais à nous de pouvoir les guider.
Au-delà de ça, j'ai entendu le Ségur. Bon, je vous remercie, le Ségur est très loin pour moi. Le Ségur, en médecine libérale, c'est les informations. C'est ce que j'ai entendu. Rien d'autre. Dans mes équipes, les infirmières sont aussi parties. 20 % des infirmières sont parties. Les infirmières sont parties parce que « ras-le-bol » : le burn out, l'épuisement professionnel, on le partage dans tous les secteurs. Le mot rivalité ne vient pas à ma bouche parce qu'il n'a pas lieu d'être. C'est tellement ridicule que je ne veux pas l'aborder. Je voudrais vous remercier d'avoir pris conscience de la difficulté qu'on a tous à exercer. Faute de collaborateurs, on ne peut pas soigner. On ne fait pas une appendicite s'il n'y a pas une aide opératoire. Avec les difficultés que l'on a de trouver du personnel, l'appendicite attend. Et elle devient une péritonite. Puisqu'on n'a pas d'infirmière pour opérer, on n'opère pas et donc on n'a pas de rémunération, ce qui cause une souffrance financière en plus de l'incompréhension des directions, car les directions d'établissements ont des garanties de financement et qu'avec cette garantie de financement, en ayant moins de personnel et un chiffre d'affaires garanti, ils sont sûrs de faire des bénéfices. Cela s'ajoute à l'épuisement et au détournement des personnels qui ne veulent plus être taillables et corvéables à merci tous les jours. Cela concerne les médecins, les aides-soignants, qui je vous le rappelle sont payés au Smic pour un weekend sur deux de garde.
Dans notre société actuelle, il y a plus de profit que de service. On explique aux gens ce que la société doit leur donner, mais on ne leur explique pas forcément ce qu'ils doivent donner à la société. Et dans les jeunes que l'on voit aujourd'hui, ils attendent tous quelque chose, mais ils ne sont pas tous prêts à offrir. Nous avons perdus à peu près 20 % d'infirmières. Nous avons perdus à peu près autant d'aides-soignants et de médecins épuisés qui ne voient pas la fin de la crise. Les astreintes et les gardes s'enchaînent. Moi, entre 2017 et 2021, j'ai été de garde tous les jours. J'étais la seule à pratiquer la chirurgie thoracique ; donc l'astreinte c'était tous les jours. Cela signifie : pas de cinéma ou de théâtre, puisqu'il faut couper les téléphones. Tous les jours d'astreinte. La direction l'a accepté ; elle a trouvé ça normal. Mes confrères l'ont accepté ; ils ont trouvé ça normal. Ça n'a choqué que moi. Ne pensez donc pas que dans le privé ce soit simple.
Pourquoi les médecins vont dans le privé ? Les médecins vont dans le privé pour garder la maîtrise, car ils ne dépendent pas d'une administration. Il y a des quotas qui ont été établis : il y a une infirmière pour deux lits de réa, une infirmière pour trois lits de surveillance continue. Mais il n'y en a pas pour les administratifs. Donc on peut avoir une inflation administrative, avec des personnes qui reçoivent d'avantage d'ordres de tout le monde. Tout le monde leur demande quelque chose. Et les soignants à la fin sont épuisés, baissent les épaules et n'en peuvent plus. Ce qu'on voudrait c'est des soignants ; pas des administratifs. Je suis désolé de vous le dire.
Cela, c'est la souffrance des médecins du privé. Elle est au moins aussi importante que celle de mes confrères des hôpitaux. Elle est parallèle. Sauf qu'en plus les médecins ne représentent qu'une petite communauté médicale, et les organisations n'ont aucun moyen pour les défendre, n'ayant pas de personnalité morale. Je vous rappelle que dans le privé, la CME c'est la conférence médicale d'établissement, et non la commission, comme dans le public. L'acronyme est le même, mais ce ne sont pas les mêmes choses, ni les mêmes règles.
Je vous remercie de nous défendre, tous. Je vous remercie de nous aider, de prendre conscience de notre souffrance. Mais la personne importante, c'est l'usager, c'est le malade qui va être en face de moi, c'est lui qui a besoin de soins. D'où les douze heures ou treize heures de travail régulier tous les jours parce que quand il est à la porte et qu'il a besoin de soins, on ne va pas le laisser là. Il est notre priorité, il est notre coeur de métier, c'est ce que nous avons voulu faire.
Je suis au conseil d'administration de la société française d'anesthésie et réanimation. Nous avons adopté un texte intitulé « Soigner sans discriminer ». Je ne vais pas passer sous silence les non-vaccinés ; nous en pensons probablement tous la même chose. Néanmoins ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi, et notre rôle c'est de les soigner, quoi qu'on en pense. Donc on met un mouchoir dessus et on va soigner ; on va soigner en prenant des risques. Quand on a accueilli les premiers patients covid, on avait une visière, j'avais une paire de lunette, deux tenues chirurgicales, deux paires de gants et on mettait une housse sur l'échographie. Pour mettre une voie veineuse sous échographie, pour repérer la veine, je mettais trois quarts d'heure au lieu de quelques minutes. N'oubliez pas qu'en mars 2020, nous avions tous très peur, même si la peur est aujourd'hui retombée. Donc nous sommes tous partis au front.
Merci pour vos explications à tous les quatre. Je vais passer la parole à notre rapporteur, Catherine Deroche, qui va vous questionner
L'enquête « flash » du professeur Delfraissy annonçant 20 % de lits fermés de fait, faute de personnels, avait beaucoup fait réagir. La conférence des CME de CHU avait d'ailleurs publié un communiqué qui relativisait ces chiffres. La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) a présenté avant Noël les résultats de son enquête menée sur les fermetures de lits et les départs de personnels. En moyenne, le nombre de lits disponibles ne serait inférieur que de 2 % à celui constaté il y a deux ans à la même époque et l'absentéisme serait un peu plus élevé (+ 1 %). Le déficit des recrutements par rapport aux départs concernerait surtout les infirmiers et les sages-femmes. Est-ce ce que vous constatez dans vos domaines respectifs ?
Dans la tension exceptionnelle provoquée par la crise sanitaire, qui a peut-être expliqué les difficultés à pourvoir les postes, on sent une désaffection durable vis-à-vis de l'hôpital. Vous nous dîtes que ces départs ne se font pas tous en direction du secteur privé, même si nous avons eu dans une audition précédente des éclairages sur les écarts de rémunération constituant parfois un « appel d'air », d'où la demande de revalorisation des métiers. Quelles sont selon vous les pistes ? Il y a les mesures du Ségur, en cours, sur les rémunérations. Cela va prendre du temps. En termes de statut, de liberté des équipes soignantes - qui s'est accrue lors de la crise sanitaire avec un esprit d'équipe et de service public - que doit-on pérenniser lorsque la crise sera terminée ? Et quelles sont les solutions immédiates pour faire rester les personnels ou faire revenir des personnels ceux qui auraient quitté la profession ?
En tant que présidents de commissions médicales, je souhaite que vous nous donniez votre sentiment sur la gouvernance de l'hôpital aujourd'hui. On entend beaucoup de critiques sur les pôles, par rapport à ce qu'étaient les services. Partagez-vous ces critiques ? Souhaitez-vous le retour de ces services, et un accroissement de leur autonomie ? Certains sont allés jusqu'à proposer une forme d'autonomie budgétaire. Que pensez-vous de cette solution ?
Enfin, en ce qui concerne la place des hôpitaux dans le système de santé, comment faire en sorte qu'ils ne soient pas le réceptacle de tous les patients ? Comment travailler l'organisation territoriale des soins, sachant que chaque territoire est différent et qu'il faut de la souplesse ? Comment faire en sorte que l'hôpital ne soit qu'un échelon strictement nécessaire du parcours de soins, dans un équilibre avec les soins en ville ou à domicile ?
Docteur Marie-Paule Chariot. - La médecine de ville est, pour moi, capitale. C'est le premier filtre. Les médecins traitants voient les patients, et orientent de manière adaptée les patients en fonction des niveaux de gravité. Bien sûr, le CHU est un recours. Les établissements que je représente sont là pour l'appendicite et le CHU est là pour la greffe de foie, ce qui est différent. Le CHU a donc une fonction de recours que je reconnais volontiers, mais aussi de formation et de recherche : nous sommes tous sortis du CHU.
Il faut donc hiérarchiser.
Nous avons des équipes de médecins généralistes, de médecins traitants, remarquables. Ils ont des connaissances très étendues - même si elles sont évidemment moins approfondies que celles des spécialistes - qui permettent des fonctions de tri et de soin. C'est une organisation à trois niveaux qu'il faut favoriser : premièrement, le médecin de ville ou le médecin traitant qui est le pilier des soins, deuxièmement, les hôpitaux et les cliniques, et enfin les CHU qui sont un recours, celui de la science.
En ce qui concerne la rémunération, les médecins libéraux assurent eux-mêmes le paiement de leurs collaborateurs dans établissements privés. Quand on regarde le chiffre d'affaires d'un cabinet médical, il faut retirer le salaire des collaborateurs : celui des infirmiers anesthésistes ou des aides opératoires pour les chirurgiens, celui des secrétaires ou des manipulateurs radio. Le rapport entre chiffre d'affaires et les bénéfices est de 1 à 6. La rémunération d'un médecin libéral est certes plus élevée que celle d'un médecin salarié mais pas plus que d'un facteur 1,5 à 2, sauf dépassement d'honoraire que, à titre personnel, je ne cautionne pas.
Docteur Thierry Godeau. - Concernant l'étude de la DGOS sur les lits fermés, dans les contacts que nous avons avec les établissements de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), il apparaît qu'ils ont globalement tous un peu de lits fermés. Je suis à La Rochelle. Jusqu'à maintenant, l'hôpital ne rencontrait pas de problème d'attractivité - il y a très peu de postes médicaux vacants - mais pour la première fois on a des problèmes d'infirmières, de soignants, et on a quelques lits de médecine fermés, ce que nous n'avions jamais eu jusqu'alors. Il ne faut pas oublier non plus qu'en hiver, comme nous avons plus de patients, nous ouvrons des unités hivernales temporaires. Cette année, dans la plupart des établissements, nous ne pouvons pas le faire. C'est un gros point de vigilance.
Concernant les infirmiers et infirmières, il y a plusieurs sujets. On a trop fait de contrats à durée déterminée. Elles restent trop longtemps en attente de statut plus stable et stable, et si vous voulez acheter une maison c'est plus compliqué. On note aussi un problème de ratio de personnel dans les unités de soins : combien de lits sont affectés à un infirmier ou une infirmière ? Du fait du virage ambulatoire, les patients en hospitalisation ont changé.
Faut-il revoir ces règles de ratio, selon vous ?
Docteur Thierry Godeau. - Oui. Les patients plus légers sont moins nombreux, et donc les malades sont plus lourds. Mon vice-président exerce dans un gros établissement à Colmar, et on compte une infirmière pour 15 malades. À La Rochelle, nous sommes à 1 pour 10, et cela convient, mais 1 pour 15, ce n'est plus possible avec les patients d'aujourd'hui. Il faut revoir ça.
Il faut évidemment les financements qui vont avec. Ce ne sera pas non plus le grand soir, puisque l'on manque de personnels. Mais si vous fixez une cible, un objectif, cela donne des perspectives.
La question du statut et du contrat se pose aussi. Vous avez parlé de la gouvernance : des textes s'appliquent déjà sur ce sujet.
Je mets un bémol sur la gestion de la crise. Les soignants et médecins ont travaillé main dans la main, et aussi avec la direction, mais nous ne pensions qu'au covid en permanence. Or le monde hospitalier, le monde des soins, suppose aussi de ne pas pouvoir tout faire, de prioriser et d'avoir une stratégie et faire des arbitrages. À ce moment-là cela devient compliqué, des équilibres doivent être trouvés.
Cela dit, il faut redonner sa place au service. La loi permet aux établissements de choisir leur organisation en interne : si des établissements veulent supprimer des pôles, ils pourront le faire ; si d'autres souhaitent supprimer des services - dans un petit établissement par exemple - ils le peuvent.
La loi exige un projet de management et de gouvernance participatif. Cela signifie qu'il faut vraiment organiser une concertation dans les établissements et qu'une réflexion soit menée par le collectif de l'établissement sur l'articulation des services et des pôles, mais aussi sur les délégations de gestion. Je rappelle que la délégation de gestion est dans la loi depuis dix ans, mais elle n'a été mise en place quasiment nulle part. On cite toujours Valenciennes, mais c'est l'exception qui confirme la règle. Les délégations de gestion supposent toutefois aussi de la formation.
Dans l'hospitalisation privée, il n'y a pas de compensation du temps non passé aux soins, et dans l'hôpital public, qu'on soit en réunion ou pas, on a le même salaire - c'est une différence. Mais nous n'avons pas de temps reconnu. La conférence des présidents de CME, associée avec celle des CHU, avait remis à Agnès Buzyn une enquête montrant que les présidents de CME ne disposent, dans de très nombreux établissements, ni de temps dédié, ni de remplacement de temps médical dans leur unité, ni de moyens en termes de secrétariat et d'organisation. Il en va de même pour les chefs de pôle et les chefs de service. Il faut absolument mettre en place une formation managériale, portant sur la gestion des conflits, le pilotage des projets, le pilotage médico-économique et la qualité des soins.
Je cite toujours cet exemple : être chef de service à l'hôpital, c'est comme si l'on demandait à un infirmier de devenir cadre de santé lorsqu'il a terminé son temps de travail d'infirmier. C'est un souci, car les chefs de service ont de plus en plus de mal à s'investir, et on a de plus en plus de mal, dans les centres hospitaliers, à trouver des volontaires pour exercer cette mission.
Pour résumer, lorsqu'on pense à la gouvernance, il faut mener une réflexion sur la formation managériale, le temps dédié, ce qui concerne tous les échelons : chef de service, chef de pôle et président de CME.
On a besoin d'appartenir à un collectif. L'esprit d'équipe est très important. On soigne les patients ensemble et on a besoin d'être soudés, dans un esprit de cohérence.
La sur-administration est partout. Nous souffrons de demandes de rapports. La simplification administrative n'existe pas. Les ARS ne sont pas là où on les attend : davantage sur les demandes de tableaux de bords plutôt anticipatoires que sur la gradation des soins et la réorganisation de l'offre. Je pense qu'il faut faire confiance aux gens et venir, a posteriori, contrôler, en cas de dysfonctionnement, ce qui a été fait et ce qui n'a pas été fait. Aujourd'hui les choses se font plutôt a priori et nous en souffrons.
La médecine générale doit être le pilier de notre système. Là où elle est très présente, cela dysfonctionne beaucoup moins, que dans les déserts médicaux où l'on rencontre un problème de permanence des soins. La médecine libérale ne fait pas, partout, de la permanence des soins, mais c'est aussi parfois un problème d'effectifs plus que de bonne ou mauvaise volonté.
Je pense qu'à court terme, il faut très rapidement mettre en oeuvre le service d'accès aux soins (SAS), qui est actuellement déployé à titre expérimental. Il faut le porter, aller plus vite et plus fort. Si on avait au moins une vraie prise en charge des soins non programmés la journée et la soirée, on aurait réglé beaucoup de difficultés, comme le problème des urgences et de la pédiatrie. Je souligne en effet ici que la pédiatrie est une spécialité qui souffre de plus en plus à l'hôpital public, en tout cas dans les centres hospitaliers généraux.
C'est un sujet d'importance. On recrute des pédiatres à l'hôpital pour se spécialiser en réanimation ou néo-natalogie, et ils se retrouvent de plus en plus à faire du soin non programmé de médecine générale ou de pédiatrie, ce qui entraîne de la pénibilité dans la réalisation de leur exercice professionnel.
L'organisation des soins au sein des Ehpad pose également fortement question : nous avons trop de patients dont la seule solution est l'hôpital le soir et la nuit. Il faut donc renforcer la médicalisation des Ehpad.
J'insiste sur l'importance du projet territorial de santé, mais aussi sur celle de l'hospitalisation à domicile. Il faut la « booster », y compris dans la possibilité d'inclure les patients dans le financement. C'est un levier pour soulager l'hôpital.
S'agissant des salaires, sans chercher à polémiquer, nos observations sur le bénéfice déclaré à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), qui est un chiffre objectif, témoignent d'écarts de rémunération dans certaines spécialités sont non négligeables.
Concernant les structures privées, leur activité dans les grandes villes ressemble globalement beaucoup celle de l'hôpital. En revanche, dans de nombreux départements, elles ne font que de la chirurgie. Nous l'avons vu lors de la crise sanitaire. C'est là où il y a une grande difficulté : malgré toute la bonne volonté du monde, ces structures ne peuvent pas aider l'hôpital. C'est la même chose pour la permanence des soins et les urgences. Cette métropolisation des structures pose souci.
Docteur Laurence Luquel. - Je partage le point de vue de mes collègues.
Pour les Espic, il y a certes des lits fermés, avec la grosse problématique de l'ouverture des lits liée à la période hivernale à laquelle nous ne pouvons pas procéder. Ce phénomène a été empiré dans le contexte de la crise covid. Rappelons que même à personnel constant, on compte moins lits disponibles en raison de l'impossibilité d'utiliser des chambres doubles.
J'attire votre attention sur la psychiatrie, dont on parle insuffisamment. L'accès aux soins en psychiatrie - en phase de crise et dans la prise en charge en continu - pose de grosses difficultés. Il faudra proposer des réponses.
Nous manquons aussi d'infirmières. Les études ont montré que la durée en poste d'une infirmière est globalement autour de trois à quatre ans, le plus souvent. Avant, elles commençaient leur carrière par être aides-soignantes, puis infirmières, puis continuaient leur carrière. Certaines devenaient cadres de santé, infirmières de bloc opératoire diplômée d'État (Ibode). Elles avaient des perspectives, comme la puériculture et le retour en crèche. Ces parcours sont désormais moins fréquents, ce qui crée de grandes disparités selon les établissements et les territoires.
Concernant les pôles, nos établissements sont peu concernés par cette organisation - même si de grands établissements en MCO sont structurés en pôles. La crise actuelle nous demande de réfléchir sur le cap que nous voulons nous fixer, et de redonner du sens. Il faut donner de la reconnaissance à chacun. Il faut arrêter les décisions qui partent du haut, mais faire confiance aux équipes. Ce sont elles qui auront les solutions. Le management doit être avant tout participatif. Je suis donc favorable au fait recréer des services, avec des objectifs propres, ce qui peut créer une émulation entre ces services. Ils sont tous indispensables : il faut arrêter de penser que la cardiologie interventionnelle est plus noble que la gériatrie. Demain, on aura au moins autant besoin de l'une que de l'autre. Tous nos concitoyens ont droit à avoir des soins de qualité quels que soient leur âge, leur pathologie et leur lieu de résidence.
En Île-de-France, en matière d'accès aux soins, la situation est très différente entre la petite et la grande couronne. En Essonne, où je travaille, on constate une désertification médicale. Il n'y aura bientôt plus de médecins. Il va donc falloir essayer de réimplanter la gradation des soins, séduisante sur le papier, mais dont nous sommes éloignés en pratique, ce qu'a exacerbé la crise.
Pourquoi en sommes-nous éloignés ? C'est essentiellement en raison du cloisonnement. Nous ne nous connaissons pas et nous n'avons pas le temps d'échanger. Pendant longtemps la France a considéré la médecine générale comme le parent pauvre de la médecine : tout était centré sur l'hôpital, et a fortiori l'hôpital public, même si la majorité des médecins qui exercent en Espic viennent du public et sont d'anciens praticiens hospitaliers.
Je n'ai pas de solution.
On vient de créer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui doivent s'organiser pour répondre à la problématique des médecins traitants et de la permanence des soins. Il est trop tôt pour savoir si ce nouveau dispositif a eu les effets escomptés. J'ai une petite crainte qu'il soit très concurrentiel avec l'hôpital. Il va en tout cas falloir apprendre à travailler ensemble.
Dans la prise en charge des maladies chroniques, chaque acteur de santé a son propre dossier sur le patient. Nous avons évoqué le sujet d'avenir du déploiement des outils numériques, mais nous n'avons aucun dossier médical partagé à ce jour ! En plus du Ségur du numérique, les ARS ont mis en place dans toutes les régions un outil numérique de coordination et de partage d'information entre les médecins traitants, les hôpitaux et éventuellement le médico-social, mais on voit que ce pilotage demande un fort investissement humain pour embarquer les équipes. Il faut que nous sachions, ensemble, quelles sont les informations pertinentes à transmettre entre nous. Lorsque le patient change de secteur, on recommence souvent tout à zéro, ce qui est insupportable. Cela représente une gabegie, y compris pour le patient.
Concernant les Ehpad, je suis plus optimiste que le Dr Godeau car une réflexion a été engagée sur la médicalisation des Ehpad. À ce jour, il est question que tous les Ehpad soient couverts par une équipe mobile extra-hospitalière. Ce n'est encore que sur le papier, mais c'est un progrès. Des choses ont été faites, une grande réflexion de la communauté gériatrique a été menée et portée par les ARS sur les objectifs « zéro brancard » aux urgences, d'admission directe à l'hôpital, et de favorisation des sorties.
Je suis davantage préoccupée pour les personnes en situation de handicap et en suivi psychiatrique. Mes collègues psychiatres - en tout cas dans les Espic - tirent la sonnette d'alarme concernant l'accès aux soins de cette population.
En ce qui concerne l'accompagnement, le vieillissement démographique et les maladies chroniques, il faut que notre système de santé s'adapte et trouve des zones de transition entre les différents segments, parce qu'on sait à quel point ces zones de rupture peuvent être sources de décompensation. Je ne sais pas comment faire pour désengorger les services d'accueil des urgences. Mais nous sommes vigilants et nous faisons tout pour faire des liens avec la ville et favoriser les hospitalisations directes sans passage par les urgences quand cela est possible.
Professeur François-René Pruvot. - J'attire votre attention sur l'utilisation des chiffres de manière désordonnée, notamment depuis deux ans. On a parlé de 25 % de lits fermés, mais en réalité, c'était au plus 19 %, et encore dans seulement certains hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
D'autres chiffres m'intéressent plus. Aujourd'hui, 50 % des départs du personnel médical ne sont pas faits pour aller ailleurs, mais pour arrêter le métier de soin.
Le second point est la différence entre les infirmières, qui s'en vont, et les aides-soignantes, qui tendent à rester - alors que leur situation a été problématique en début de crise. Elles ont peut-être un plus grand problème de polyvalence. Cela relance la question de la formation en polyvalence partielle de nos métiers de soins.
La gestion des lits, c'est aussi la gestion de l'incertitude, c'est-à-dire l'adaptation à la saisonnalité, aux afflux d'activité, etc. Nous ne sommes peut-être pas assez souples pour nous adapter. Au travers du Conseil scientifique, nous avons commis un retour d'expérience sur le covid dont le but n'était pas tant de préparer la prochaine crise, mais surtout de savoir comment adapter non seulement les ressources, mais aussi les dimensionnements des secteurs d'hospitalisation et leur réversibilité face à un afflux de patients non anticipé.
Nous avons une commande sur les ratios. Nous avons demandé au ministère des solidarités et de la santé d'attendre, car c'est un dossier très lourd. L'agence nationale d'appui à la performance (ANAP) avait mis huit ans à créer des ratios. Il nous faudra probablement une bonne année pour parcourir ce point.
J'attire aussi votre attention sur la dénomination des lits, à laquelle il faut prendre garde, notamment sur les soins critiques.
Vous avez dit que l'hôpital ne devrait pas être un réceptacle. C'est pourquoi j'en appelais solennellement aux candidats à l'élection présidentielle pour redessiner les missions de l'hôpital. Il s'agit de redonner les moyens au service public, avec un service privé complémentaire, qui a ses charges, comme nous l'avons entendu, mais qui ne sont pas de même nature que celles du public.
Par exemple, pendant la crise sanitaire, l'ambulatoire de l'hôpital public a fait un bond en avant de 8 %. Il y a donc une adaptabilité.
Le dossier patient est bien sûr très important. Les outils sont en place, nous pouvons avoir le dossier partagé par tous : il faut maintenant l'appliquer.
Les territoires, depuis la décentralisation, constituent une notion protéiforme : on compte un territoire populationnel, un territoire géographique, un territoire d'exercice... En matière de planification sanitaire territoriale, c'est une notion très complexe. On s'y attaque aussi.
En matière de pôles, je faisais hier une visio-conférence avec quelques présidents de CME. Je pense que l'on partage l'opinion du Dr Godeau. Il faut un peu plus de prérogatives de gestion dans les mains des médecins, mais pas trop. C'est parfois un autre métier. Cela peut être un autre métier dans un hôpital thématique, qui a beaucoup moins de contraintes. Un centre de lutte contre le cancer, pour un médecin, est plus facile à gérer qu'un gros centre hospitalier comme la Rochelle ou qu'un CHU. Donc il faut plus de délégation de gestion, de pouvoir de nomination et d'organisation, mais cela doit être limité pour préserver l'action médicale.
Un des membres de la commission qui a créé le service d'accès aux soins (SAS), est Patrick Goldstein, notre directeur du Samu à Lille. J'ai vu dans quelles conditions il a été mis en place. Je suis tout à fait d'accord avec le Dr Godeau : il faut pousser en ce sens car c'est la véritable solution, une réponse aux questions démographiques et au lien entre la médecine de premier recours et les patients plus complexes.
Je ne suis pas pour les CHU d'hyper-recours. Partout en Europe, c'est un échec, que ce soit en Suède avec le Karolinska, en Suisse ou en Allemagne. Lorsqu'on a essayé de mettre en place des hôpitaux universitaires dits d'« hyper-recours », cela finit par poser des problèmes de recrutement, de patients et de financement. On a besoin d'une fonction de proximité dans les CHU situés dans les métropoles, car il y a aux portes de ces hôpitaux des gens qui en ont besoin.
Sur le sujet de la gériatrie, deux notions me frappent. D'une part, nous nous sommes adaptés au vieillissement de la population de manière capacitaire intrinsèque : il y a moins de malades d'âge moyen et plus de vieux, on s'y adapte. Mais, d'autre part, on ne s'adapte pas quand, dans un territoire ou une région, le vieillissement de la population est anormal par rapport au vieillissement général de la population nationale. C'est là que les structures de soin doivent chercher des manières de s'adapter particulières.
Au sujet des Ehpad, on commencera à parler dans les années à venir d'Ehpad à domicile. On ne va pas bâtir des milliers d'Ehpad alors qu'on reviendra à une prise en charge personnalisée et à domicile.
Je terminerai par la psychiatrie : en tant que défenseur des GHT, j'estime qu'une partie des problèmes de la psychiatrie seraient résolus si on avait abandonné la sectorisation. Par ailleurs, il y a un vrai déficit démographique, qui est relatif : les jeunes psychiatres - dont le nombre augmente d'année en année dans les promotions - veulent s'installer dans les métropoles et en secteur non public.
On a évoqué très souvent le problème des diplômés qui n'exercent pas, que ce soit les médecins qui vont s'occuper des moutons ou les infirmiers. Pensez-vous, vous qui les fréquentez au quotidien, que « l'élastique » a définitivement cassé ? Ou bien y a-t-il une possibilité pour que ces gens retournent aux soins ? On s'intéresse au nombre de médecins et de soignants qu'on forme, mais moins à l'évolution de ce gisement de médecins et d'infirmiers qui n'exercent pas. Ce serait intéressant d'avoir des chiffres s'ils existent.
La question du DMP a l'air bien avancée, et j'en suis ravi. Il reste maintenant à le mettre en oeuvre effectivement, car cela fait des décennies que nous en parlons. Cela pourrait permettre une amélioration considérable.
Sur la question du virage ambulatoire : il me semble qu'il n'a pas atteint les objectifs qui lui ont été globalement assignés. Qu'en pensez-vous ? Doit-il être repensé ? Doit-il rester figé sur la chirurgie ou aller plus loin sur la médecine ?
Concernant ensuite les carences démographiques, notamment en matière médicale, ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin ? Sachant que même si des avancées ont été faites sur le numerus clausus, on sait très bien les médecins qui entrent aujourd'hui en formation n'exerceront pas avant 10 ou 12 ans. Ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin sur le recrutement de médecins étrangers, dont certains ont fait des études dans nos hôpitaux, et du moins y ont acquis des diplômes universitaires ?
Sur la formation des infirmiers : pensez-vous qu'elle est aujourd'hui adaptée au contexte ? Moi personnellement je ne le pense pas, notamment au niveau de la sélection par Parcoursup. Est-ce que le contenu de la formation aujourd'hui est vraiment adapté à ce que ce que vous attendez aujourd'hui, et ce qu'attendent les futurs infirmiers de leur travail au quotidien dans nos établissements de santé public mais aussi privé ?
J'ai cru entendre aussi qu'il y avait des améliorations attendues au niveau la gouvernance ARS/Cnam. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Merci.
Professeur François-René Pruvot. - Je vais m'en tirer par une pirouette pour la question des médecins qui s'en vont. J'ai été le président de dizaines de thèses, et depuis environ 20 ans je terminais toujours, quand je remettais le diplôme, par cette phrase : « à partir de cette seconde, tu es et tu resteras un médecin jusqu'à ta mort ». Je pense que si on a fait son parcours complet, si on a exercé un peu, on restera dans son âme médecin jusqu'à sa mort. Donc ces collègues-là sont récupérables.
Concernant l'ambulatoire, c'est difficile de vous répondre. Oui, on peut sûrement faire un plus grand effort en médecine. Oui, la chirurgie a bien progressé. Cela continue, et il y a encore des marges de progression. On a presque fait 10 % en une année à cause de la crise, donc on peut le faire.
Sur la formation des infirmiers, je ne suis pas compétent. Toutefois, je me pose la question des infirmiers en pratique avancée (IPA) et des surcompétences. Il y a le problème des infirmières en réanimation et celles de bloc opératoire. Je trouve qu'on est allé trop loin dans la volonté d'universitarisation. Il y a des infirmières aujourd'hui qui sont obligées de faire deux ans de « surformation ». Déjà les infirmières françaises ont l'une des plus belles formations qui soit. Donc on veut leur imposer, parce que l'on veut l'étiquette « diplôme universitaire », deux ans d'une formation qui traîne. Je pense qu'on peut contracter.
Pour les ARS, c'est extrêmement variable : c'est presque un mal nécessaire.
Docteur Laurence Luquel. - En ce qui concerne le DMP, nous attendons. La problématique n'est pas tant le DMP lui-même, qui sera mis en place à partir du 16 janvier avec l'espace numérique en santé, que de savoir comment on va embarquer les professionnels, qui sont un peu réticents à utiliser ce DMP. Il va falloir beaucoup compter sur les usagers. Le virage numérique ne pourra pas se faire sans les usagers.
En matière de virage ambulatoire, on peut faire mieux. Avec la T2A, fermer des lits, les transformer en « virage ambulatoire » ce n'est pas toujours, en termes d'activité et de financement, tout à fait bénéfique pour les établissements à ce jour.
Concernant les infirmières, outre la question de l'intérêt d'un diplôme universitaire se pose celle des effets de la loi de 1991, qui les a placées sous la responsabilité des directeurs de soins, et non plus des médecins. Cela a créé un travail en silo. Par ailleurs, l'empathie, l'humanité, sont nécessaires à des soins de qualité et avec les contraintes actuelles, les infirmières, et les soignants en général, se plaignent de manquer de temps pour les soins relationnels. La formation n'est peut-être pas très adaptée.
Les infirmières de pratique avancée ont des prérogatives que nous, les médecins, ne comprenons pas toujours pas très bien. Il nous faut vraiment des assistants, peut-être infirmiers, pas forcément des IPA, mais qui nous aident dans toutes les procédures administratives, dans les outils numériques. Pourquoi va-t-on passer du temps à relire des comptes rendus médicaux ? C'est du temps gâché par rapport au temps avec le patient. Donc plus que d'infirmières de pratique avancée, c'est ce besoin d'assistance que nous ressentons. Le métier de secrétaire médicale pourrait évoluer.
Les ARS sont compétentes pour l'organisation, l'assurance maladie pour la tarification et les remboursements. Chacun est à sa place.
Docteur Thierry Godeau. - Vous avez raison sur les attentes des jeunes professionnels. Ont-ils tort ? Je ne sais pas. J'ai deux filles qui ont fait médecine, qui sont actuellement à l'hôpital, et qui vont probablement quitter l'hôpital, en me disant « on ne veut pas vivre la vie que tu as eue ». Si les médecins se sentent un peu dépossédés de la gestion de la santé, qu'ils ne peuvent pas porter les projets et la politique de santé elle-même, je ne sais pas si on pourra faire revenir ceux qui sont partis. Il y a un problème de charge de travail et le fait que l'on ne gère que des « urgences », que du quotidien, etc.
Le DMP est un peu le serpent de mer. Attention à la façon dont il va être construit. Il ne faut pas qu'il soit une compilation de documents. Avec les outils actuels, il faudra que ce soit vraiment adapté, car les patients sont de plus en plus polypathologiques et pris en charge par de plus en plus de médecins. Il faut vraiment le penser de manière ergonomique.
Pour le virage ambulatoire, on a fait beaucoup de progrès en médecine pendant la crise ; par nécessité aussi. La garantie de financement dont ont bénéficié les établissements a joué un rôle également. C'est vrai que le financement T2A de l'ambulatoire, même si on a fait des progrès, n'est pas peut-être pas encore optimal, car il faut de la coordination, et il faut des liens avec les soins de ville. Il faut faire le bilan, et ce serait dommage de ne pas poursuivre ce virage ambulatoire. Il faudra le consolider.
Je ne suis pas défavorable au recours aux médecins étrangers. Il faudra du temps pour poursuivre la formation médicale. On peut encore former plus de médecins, trouver des terrains de stage dans les centres hospitaliers, chez les médecins libéraux.
Diabétologue, j'ai au deux IPA dans mon service depuis de nombreuses années. Je suis d'accord avec le professeur Pruvot : on a mis en place, pour la formation, une « usine à gaz » qui n'est pas adaptée à nos besoins. Ces infirmières, en tout cas dans nos établissements de santé, sont déjà bien formées. Il suffirait d'une formation complémentaire. Ce sont en outre souvent des femmes avec des enfants jeunes, et lorsque l'on ne réside pas dans une ville universitaire, partir est un problème. C'est un frein à la formation, alors que la formule est une vraie réponse aux difficultés actuelles. Il faut revoir la validation des acquis.
Je partage aussi l'idée des assistants. Une étude est parue dans une revue médicale sur le burn out des médecins face à l'informatique. Le recours à des assistants pour remplir les dossiers a permis une très nette amélioration du ressenti des praticiens.
Malgré une augmentation du nombre d'entrées dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), les sorties ne sont pas supérieures. Est-ce lié au changement du mode de sélection avec Parcoursup ? Je ne sais pas.
Dans les centres hospitaliers se pose également une question de formation médicale. Nous avons des médecins peut-être un peu trop spécialisés, alors que nous avons besoin de médecine interne, de médecine polyvalente. Il y a formations spécialisées transversales complémentaires, mais la médecine polyvalente n'est pas concernée.
Si on veut préserver les hôpitaux de proximité, il faudra dé-généraliser la médecine de ville, mais aussi disposer, dans des établissements importants, de médecine polyvalente, avec des spécialistes soit de ville soit à l'hôpital.
Concernant les rôles respectifs des ARS et de l'assurance maladie, il me paraît de moins en moins pertinent, avec le parcours de soin, d'avoir des ONDAM complètement dissociés entre ville et hôpital. L'important est que dans les territoires, on soit soigné au juste coût, et s'il manque de la médecine générale ou des spécialiste en ville, peu importe si c'est l'hôpital qui « dépense ».
Pour en revenir à l'adaptabilité des établissements, elle se joue sur les moyens humains. Un médecin ne se trouve pas d'un coup de baguette magique pour venir trois mois à l'hôpital.
Un dernier mot sur la gouvernance : oui il y a des changements de gouvernance. Le président de CME maintenant est dans un rôle de co-décision avec le directeur. C'est un rôle de stratégie qui n'est pas le plus important à l'hôpital. Le plus important est la gouvernance de proximité. Il faut redonner la possibilité de porter des projets, d'avoir des initiatives, de la souplesse. Au niveau du « top management », il faut définir une ligne de conduite, une stratégie, savoir où l'on va ensemble, et après que l'on donne des objectifs assez simples, avec de la souplesse pour la réalisation de ces objectifs.
Docteur Marie-Paule Chariot. - 60 % des médecins qui ont fini leurs études soignent. Donc ne faisons pas de statistiques sur les médecins, faisons des statistiques sur les médecins qui soignent ; c'est leur rôle.
Le DMP est un truisme.
Sur le virage ambulatoire, je porte un grand coup de chapeau au chirurgien. En 20 ans, ou 15 ans, la chirurgie a fait des progrès colossaux.
La différence entre les médecins européens et les médecins non européens est que les premiers ont une formation commune. Ce serait trop long d'expliquer pourquoi par lettre recommandée on peut être qualifié quand on vient d'Espagne.
Sur les IPA, c'est une délégation de tâche. Ce ne sont pas des pratiques autonomes. Cela assure la sécurité. La sinistralité est de un sur dix puissance moins 6. Elle est quasiment celle du nucléaire ; pas tout à fait car la sinistralité du nucléaire est de un sur dix puissance moins 7 ; mais c'est une grande sécurité. Une délégation de tâches, mais pas une pratique autonome.
Je vous remercie tous les quatre pour la contribution à nos travaux. Je vous invite, si vous le souhaitez, à nous faire parvenir des documents écrits. Soyez assurés qu'ils seront étudiés avec beaucoup d'attention, et que ces écrits serviront à la rapporteure pour établir son rapport.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
Nous terminons notre cycle d'auditions par l'audition du professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir bien voulu vous adapter aux changements du calendrier d'examen du projet de loi sur le passe vaccinal par l'Assemblée nationale.
Avant de passer la parole à notre rapporteure, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Rémi Salomon prête serment.
Monsieur le professeur, merci de venir témoigner devant notre commission d'enquête.
L'AP-HP occupe une place de premier plan dans notre système hospitalier, non seulement pour ce qui est des activités de soins, de formation et de recherche, mais aussi en matière de personnel et de budget.
Parmi les très fortes tensions que connaît ce système, certaines sont particulièrement accentuées au sein de l'AP-HP. Je pense, bien entendu, à celles qui ont trait au personnel. Le rapport entre la rémunération et les contraintes liées au coût du logement et au transport joue défavorablement sur l'attractivité des carrières, notamment pour les soignants. Les difficultés de recrutement, le manque d'effectifs et les réductions de capacités qui en résultent semblent ainsi plus prononcés à l'AP-HP qu'ailleurs en France. Vous nous direz si ce sentiment est exact.
L'AP-HP obéit également à une organisation spécifique, puisqu'elle compte une trentaine d'établissements répartis en six groupes hospitalo-universitaires et des services regroupés au sein de départements hospitalo-universitaires, et non de pôles. Elle bénéficie, en outre, d'un régime du temps de travail qui a été aménagé il y a quelques années.
Pour l'AP-HP, les questions relatives à l'organisation et au fonctionnement de l'hôpital, à la centralisation des modes de décision et au rôle des équipes soignantes, ainsi qu'aux relations de l'hôpital avec son environnement, qu'il s'agisse des autres structures de soins ou de la médecine de ville, se posent en des termes particuliers.
Je vous propose tout d'abord d'effectuer un point de situation et de présenter vos principaux constats.
Professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. - Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de l'hôpital et de l'établissement particulier qu'est l'AP-HP.
On ne peut pas parler de l'hôpital sans faire référence au contexte actuel de la crise du covid. Au printemps 2020, l'Île-de-France et le Grand Est ont été les deux régions frappées de plein fouet et de manière extraordinaire par l'ampleur de la première vague de l'épidémie. Je tiens à saluer de nouveau les efforts considérables dont a su faire preuve l'ensemble des équipes de l'AP-HP pour s'adapter. Grâce à elles, nous avons pu faire face, alors que la deuxième quinzaine du mois de mars 2020 était redoutable et que nous étions menacés de débordement. L'aide des autres régions a également été essentielle.
Nous vivons actuellement une double vague due aux variants Delta et Omicron. Le Gouvernement tempère et se veut rassurant sur le variant Omicron. Si la maladie est effectivement moins grave, le nombre de patients qui arriveront dans les services d'urgence risque d'être considérable, ce qui exigera de dégager des moyens logistiques importants. Nous devrons de nouveau savoir faire preuve d'adaptation et nous mobiliser. Nous ne pourrons pas compter cette fois-ci sur le renfort des autres régions, car, après l'Île-de-France, toute la France risque à l'évidence d'être également frappée. Les renforts viendront donc de la région elle-même et tous les acteurs devront prendre leur part, qu'il s'agisse de la médecine de ville, déjà très mobilisée, ou des établissements hospitaliers publics et privés qui pourront accueillir des patients et mobiliser du personnel pour venir nous aider.
La pandémie a montré l'importance du rôle de l'hôpital, puisque le risque de son engorgement a déterminé toutes les mesures de restriction sociale, confinement ou couvre-feu, dont on connaît les conséquences sur la vie économique et sociale du pays. L'hôpital nous dit, en quelque sorte, si l'on peut tenir ou pas.
Je suis donc pour le moins étonné que trois mois avant l'élection présidentielle, la situation de l'hôpital ne constitue pas un sujet plus prégnant. Les propositions des différents candidats ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Certes, il y a eu le Ségur de la santé, mais les milliards d'euros qui ont été dégagés, de manière inédite depuis très longtemps, ne suffisent pas à régler tous les problèmes.
En effet, on ne peut pas isoler la situation de l'hôpital de celle du système de santé dans son intégralité. Il faut donc non seulement des moyens supplémentaires, mais aussi une réforme en profondeur de l'ensemble du système. Si l'hôpital s'effondre parce que nous n'arrivons pas à redresser la situation, si les équipes continuent de se fragiliser dans le paramédical, et aussi parmi les médecins, de sorte que nous finirons par ne plus être capables de soigner la population, cela aura forcément des conséquences économiques fortes.
Le covid a été l'amplificateur des dysfonctionnements de notre système de santé. Ceux-ci existaient déjà avant la crise, puisque plus de 1 000 chefs de service ont démissionné au mois de janvier 2020 pour dénoncer la situation à l'hôpital. En novembre 2019, on était obligé de transférer des nourrissons atteints de bronchiolite à plus de 200 kilomètres de Paris, faute de pouvoir les prendre en charge.
Les déterminants de cette crise sont nombreux. Au niveau économique, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) est déterminé de manière comptable plutôt qu'en fonction des besoins réels de la population. La ministre Agnès Buzyn avait pris à bras-le-corps le problème du mode de financement de l'hôpital, avant que la crise du covid ne vienne frapper, de sorte que l'on ne sait plus très bien actuellement où l'on en est de la réforme.
Le problème d'attractivité des carrières paramédicales et médicales se pose partout en France. Une des difficultés spécifiques à l'AP-HP tient à celle de se loger à Paris lorsque l'on touche 1 800 euros par mois. Pas moins de 30 % du personnel infirmier doit donc faire plus de deux heures de trajet pour venir travailler, alors que les horaires peuvent aller jusqu'à vingt et une heures. La prime spécifique à la région parisienne est dérisoire par rapport au coût de la vie. Le problème de recrutement existe depuis des années.
L'autre problème est la fidélisation. En effet, l'AP-HP, connue pour la qualité de son centre hospitalier universitaire (CHU), de ses équipes et de ses activités de recherche, attire les jeunes médecins et infirmiers, mais ceux-ci partent de plus en plus tôt. Il y a vingt ans, les infirmiers avaient facilement jusqu'à dix ou quinze ans d'ancienneté. Désormais, les équipes sont considérablement rajeunies. Dans certaines équipes dont la spécialisation très pointue nécessiterait des professionnels expérimentés, on trouve de jeunes infirmiers qui n'ont plus qu'un ou deux ans d'ancienneté. Les conséquences sont considérables sur la qualité et la sûreté des soins. En plus de ne plus avoir de temps pour exercer leur métier, les infirmiers ont aussi l'impression de ne plus pouvoir garantir la sécurité des patients, à cause d'une charge de travail trop importante.
Les horaires, les transports, les effectifs insuffisants, telles sont les conditions de travail qui rendent le recrutement difficile. À force de gérer la pénurie, nous sommes entrés dans une sorte de cercle vicieux qui nous conduit à traiter le même nombre de patients avec moins d'effectifs. Le ratio, c'est-à-dire le nombre de patients qu'un soignant a en charge, a tendance à augmenter, ce qui ne peut que nous inquiéter.
En outre, la crise du covid oblige à déprogrammer certains soins, ce qui cause une perte de chances pour les patients, avec les problèmes éthiques que cela soulève pour les soignants. Nous prenons en charge sans rechigner les patients atteints de covid qui sont non vaccinés, conformément au serment d'Hippocrate. Cependant, cela a pour conséquence que d'autres patients ne peuvent pas bénéficier du dépistage du cancer dont ils auraient besoin, que certaines tumeurs ne sont pas opérées ou que certains infarctus du myocarde ou accidents vasculaires cérébraux prennent des formes plus graves que s'ils avaient pu être traités immédiatement. Cela pèse sur les soignants.
Par conséquent, un certain nombre d'entre eux quittent l'hôpital ou s'apprêtent à le faire si le plan blanc les en a jusque-là empêchés. De plus, cette année, les élèves infirmiers diplômés au mois de juillet sont très peu nombreux à avoir pris leur poste au mois de septembre dernier. Il s'agit là d'une marche descendante terrible qui nous a mis en difficulté et qui a causé des fermetures de lits importantes. Ces élèves infirmiers ont été appelés en renfort pour ouvrir des lits de réanimation supplémentaires. Leur formation a été brutalement arrêtée et ils se sont retrouvés dans des services où le travail était d'une violence extrême, avec beaucoup de gens qui mouraient et des équipes débordées. À l'issue de cette expérience, ils ont été nombreux à se dire qu'ils n'étaient sans doute pas faits pour travailler à l'hôpital.
Le coût de la vie représente aussi une difficulté pour les jeunes médecins ou chefs de clinique. En effet, comment faire un emprunt immobilier quand on commence sa carrière à 30 ou 32 ans avec une rémunération de 2 500 euros par mois ?
Il existe en France un problème de démographie médicale qui tient moins au numerus clausus - même si celui-ci a diminué - qu'au temps médical. La question est générationnelle. Les jeunes d'aujourd'hui privilégient la qualité de vie de sorte qu'ils ne sont pas prêts à travailler jusqu'à 70 ou 80 heures par semaine, comme on le faisait autrefois. Ils préfèrent se mettre à 80 %, voire à mi-temps. Or cela a pour effet de réduire considérablement le temps médical disponible. Comment faire tourner les équipes dans ces conditions ?
Certaines spécialités sont en tension, comme la gériatrie, la pédiatrie, la psychiatrie et la pédopsychiatrie. Des postes qui pourraient être financés restent vacants. Il faut réussir à attirer les jeunes vers ces spécialités. En gériatrie, la demande ne fait que croître avec des patients de plus en plus âgés et polypathologiques qui requièrent des prises en charge médico-sociales exigeantes, particulièrement en temps de covid.
La concurrence entre l'hôpital public et le privé est également un enjeu important, notamment dans le cadre de la mobilisation générale dont nous aurons besoin au cours des semaines à venir. De manière plus générale, les différentiels de salaires sont tels que nous peinons à garder nos professionnels talentueux, dès lors que les conditions de travail deviennent plus difficiles. Il faudrait que les agences régionales de santé (ARS) travaillent sur la régulation de l'offre de soins entre le public et le privé. Ce dernier secteur fait partie du service public dans la mesure où il est rémunéré par la sécurité sociale, mais ses missions ne sont pas les mêmes. Nous aurions intérêt à définir un meilleur partage des tâches, notamment pour ce qui est de la permanence de soins après dix-huit heures, pour l'instant presque exclusivement assurée par l'hôpital.
Cela vaut sans doute davantage dans d'autres régions de France que la région parisienne. Néanmoins, il y a aussi des déserts médicaux aux portes de Paris. La disparité de l'offre de soins est également importante au sein de la région d'Île-de-France. À l'intérieur de l'AP-HP, certains hôpitaux n'ont pas forcément les mêmes moyens que d'autres. Dans le projet médical que nous avons rédigé pour l'AP-HP, nous avons inscrit la question de la place du CHU dans le territoire. Le sujet mérite une réflexion prospective. L'attractivité est un enjeu qui concerne aussi l'université. Or celle-ci reste très centralisée.
Selon le professeur Delfraissy, 20 % de lits ont été fermés faute de personnel et cette annonce a suscité de nombreuses réactions. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) a présenté avant Noël les résultats de son enquête menée sur les fermetures de lits et les départs de personnel. L'AP-HP se retrouve-t-elle dans les chiffres qui ont été donnés ?
Vous avez évoqué le malaise profond du personnel hospitalier. Comment serait-il possible de mobiliser rapidement et durablement un nouveau vivier de soignants ? Les réformes de fond prendront du temps. Une fois la crise de covid passée, d'autres épidémies pourraient surgir. Il faudra également gérer tous les retards de programmation et les patients qui auront besoin de soins. Comment redonner confiance aux soignants pour qu'ils restent à l'hôpital ou qu'ils y reviennent ? Comment raviver l'esprit d'équipe qui existait autrefois ?
On parle beaucoup de débureaucratiser l'hôpital. L'opposition souvent décrite entre médecins et administratifs est-elle une réalité à l'AP-HP ? Comment arrivez-vous à faire exister la commission médicale vis-à-vis du directeur général et de l'agence régionale de santé ? Quelles sont les marges de manoeuvre pour fluidifier la gestion de l'hôpital, de manière que les médecins aient moins le sentiment d'être sous la coupe d'une direction purement gestionnaire ?
Enfin, pour les Parisiens et les Franciliens, l'hôpital est toujours un établissement « à proximité » sans être nécessairement un établissement « de proximité », alors que certains d'entre eux sont parfois des hôpitaux de pointe sur différentes spécialités. En outre, la densité médicale que connaît Paris ne conduit pas nécessairement à ce que l'accès à un médecin, notamment conventionné, soit toujours aisé.
Vous avez dit être soumis à un Ondam plus comptable que sanitaire. L'AP-HP représente peu ou prou 10 % de l'hôpital public en France. Êtes-vous à un moment partie prenante de la constitution de cet Ondam ?
Professeur Rémi Salomon. - Monsieur Jomier, la réponse à votre question est non. Il faudrait que les soignants et les usagers participent au débat démocratique qui a lieu chaque année au Parlement sur l'Ondam.
Il faut rappeler comment se déroule ce débat. L'Ondam est préparé et les parlementaires n'en prennent connaissance que quelques jours avant que le débat ait lieu.
Professeur Rémi Salomon. - Certes, le débat démocratique a ses limites, si j'entends votre remarque. Quoi qu'il en soit, il faudrait que les soignants et les usagers soient associés pour exprimer les besoins qu'il y a dans les territoires.
L'annonce par Jean-François Delfraissy de la fermeture de 20 % de lits a fait le buzz. Elle était sans doute légèrement surestimée. Olivier Véran a très rapidement dit qu'il fallait mener une enquête sur le sujet, ce qui n'était pas forcément la meilleure manière de réagir. La fermeture de lits pose inévitablement des difficultés quand on n'a déjà pas la faculté d'accueillir tous les patients à l'hôpital, d'autant que les capacités avaient déjà été réduites auparavant.
Certains services sont plus concernés que d'autres, notamment le neurovasculaire, qui représente quatre services en région parisienne. En cas d'accident vasculaire cérébral, si l'on intervient rapidement, avec une équipe multidisciplinaire, le pronostic cérébral est préservé, ce qui signifie que l'on peut sauver une vie ou éviter une paralysie définitive. Or 30 % de lits ont fermé en neurovasculaire à Paris. Certains services ont plus de 50 % de leurs lits fermés. Chaque minute qui passe est pourtant une perte de chances pour la personne victime d'accident. Plus que le pourcentage de lits fermés, c'est la question du fonctionnement des services qui se pose.
Certes, à l'AP-HP, on a sans doute plus souffert de la fermeture des lits que dans d'autres CHU. Toutefois, certains services ont été très touchés aussi ailleurs, notamment les urgences en province qui doivent parfois fermer la nuit ou le week-end. Il n'y a pas si longtemps, les urgences pédiatriques du centre hospitalier Sud Francilien ont dû fermer le dimanche ; à Longjumeau, elles sont fermées le samedi. Or le service d'urgence de l'hôpital Antoine-Béclère qui dépend de l'AP-HP n'a pas la capacité de prendre le relais.
Comment mobiliser les soignants et leur redonner confiance ? C'est la question que nous nous posons tous. L'esprit d'équipe existe toujours, selon moi. Quand on vient travailler à l'hôpital public, c'est que l'on a envie de travailler en équipe. Même en libéral, les jeunes sont intéressés par le travail en équipe.
Les conditions de travail, les difficultés de transport, l'insuffisance des effectifs sont autant de facteurs à prendre en compte. Prévoir plus de logements aux abords des hôpitaux irait dans le bon sens. La direction de l'AP-HP et l'administration y travaillent d'arrache-pied.
Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il y aurait trop d'administration. Nous avons besoin d'une administration solide, car les soignants ne sont pas des gestionnaires. En revanche, la complexité de certaines procédures peut poser problème. Les cadres de soins qui encadrent les paramédicaux sont parfois pris dans des procédures administratives dont on ne voit pas forcément l'utilité. Ils jouent pourtant un rôle important auprès de leur équipe - j'avais d'ailleurs déploré, à l'époque du Ségur de la santé, qu'on n'ait pas revalorisé leur salaire, ce qui a été corrigé dans un second temps. Leur position est difficile, car la direction leur enjoint de faire avec moins de masse salariale, alors qu'ils constatent que cela ne correspond pas aux besoins sur le terrain.
Pour redonner confiance aux soignants, il faudrait rétablir un dialogue de gestion fondé sur l'idée que ceux qui font le travail en ont la meilleure connaissance. Le cadre de soins et le chef de service pourraient oeuvrer en binôme pour définir les besoins. Le gestionnaire pourra ensuite faire des arbitrages. L'essentiel est d'instaurer un dialogue qui s'exercera tant au niveau national pour le financement qu'au niveau local pour la gestion des ressources et des besoins. Aujourd'hui, bien souvent, il n'y a même plus de dialogue et les décisions sont trop souvent prises par des personnes qui ne connaissent pas bien les besoins.
Il faut aussi réévaluer les rémunérations, notamment pour les gardes de nuit. Aujourd'hui, un infirmier qui travaille la nuit ne gagne qu'un euro de plus, soit 10 euros pour une nuit de dix heures, ce qui est dérisoire. Il faut aussi mieux payer le week-end, car le dimanche n'est payé que 45 euros.
Enfin, il faut fixer les ratios. La CME se bat depuis longtemps sur ce sujet. Pour bien travailler, il faut être en nombre suffisant. Les conséquences peuvent être sévères quand on n'a pas le temps de bien faire.
Nous devons fixer un cap, car les effets prendront du temps à se concrétiser. Toutefois, beaucoup de soignants ont quitté l'hôpital la mort dans l'âme, car ils avaient le sentiment d'exercer un beau métier. Je suis convaincu qu'ils reviendront dès lors que nous nous serons donné l'objectif de leur offrir de meilleures conditions de travail.
Les hôpitaux de l'AP-HP comptent beaucoup de services très spécialisés de « recours », avec des patients qui dépassent le périmètre de la capitale et même de la région. Ils remplissent aussi une mission de proximité avec des services d'urgence.
La crise du covid nous a donné l'espoir de pouvoir travailler en meilleure coordination avec la médecine de ville. C'est un point qui mériterait d'être pris en compte dans le cadre d'une grande réforme de notre système de santé. Nous pourrions développer des partenariats et des exercices mixtes, à condition de ne pas déshabiller l'hôpital et d'y conserver des équipes stables. Les professionnels peuvent être intéressés par une pratique diversifiée entre la ville et l'hôpital. Le parcours du patient doit être précisé. Nous gagnerions à développer un travail collaboratif entre les différents acteurs. Certes, chacun veut défendre sa chapelle, mais la situation est telle que nous n'avons plus le choix : les médecins hospitaliers et les médecins de ville doivent réussir à s'entendre.
On a entendu depuis le début des auditions qu'il faudrait privilégier une gouvernance bicéphale avec un personnel médical assisté d'un administratif et pas l'inverse, ce qui revient à dénoncer la pression exercée par un pouvoir administratif gestionnaire sur le médical. Est-ce une solution possible ?
Vous avez signé une tribune dans le journal Le Monde qui appelait à la mise en oeuvre d'une autre politique de santé. Or vous êtes président de la CME de l'AP-HP et vous appliquez les choix de Martin Hirsch qui suivent les directives gouvernementales. Pendant longtemps, les personnels qui choisissaient l'AP-HP y voyaient l'avantage d'un tutorat qui compensait une rémunération moindre. Désormais, compte tenu de la pénurie de personnel, le tutorat n'existe plus, car ceux qui pourraient l'exercer n'ont plus le temps de le faire.
Une des solutions pourrait-elle être de mettre en oeuvre un plan massif d'embauches à l'AP-HP qui prévoirait des formations en interne plus solides et mieux accompagnées ?
La rapporteure a mentionné la question des hôpitaux de proximité. Vous avez parlé à juste titre des dysfonctionnements de l'hôpital avant la crise covid. Pourquoi s'obstiner dans les mêmes choix et continuer de procéder à des regroupements d'hôpitaux ? On envisage de fermer Bichat-Beaujon pour construire un hôpital Grand Paris-Nord alors que l'on sait pertinemment que le secteur a besoin d'hôpitaux de proximité. Pourquoi ne pas plutôt moderniser les établissements qui existent ?
Vous avez décrit le désespoir des soignants qui passent un temps fou à essayer de trouver des places pour accueillir les patients. On a même vu les images de camions de pompiers qui arrivaient puis repartaient sans avoir pu déposer les malades. Ma question est sans doute provocante, mais la crise covid a montré les capacités technologiques que nous avions pour produire des applications fournissant des données très précises. Comment se fait-il que la technique ne soit d'aucun secours pour les soignants qui passent leur journée au téléphone pour trouver des lits ? Est-ce une question de coût ?
Professeur Rémi Salomon. - J'aimerais citer une phrase de la tribune publiée dans le journal Le Monde : « Il faut remettre l'hôpital sur ses pieds. Les patients obligent les soignants et les soignants obligent les gestionnaires, et non l'inverse. »
Vous voulez dire que c'est l'inverse aujourd'hui ?
Professeur Rémi Salomon. - Oui, en quelque sorte, depuis dix ou vingt ans.
L'administration ne fait qu'appliquer une politique. C'est ce que fait Martin Hirsch, même s'il a quand même quelques marges de manoeuvre sur l'organisation des hôpitaux. Le regroupement des hôpitaux procède de décisions très structurantes. C'est un sujet dont je discute souvent avec Martin Hirsch. Je vous ai dit que le premier chapitre de notre projet médical était consacré au CHU dans la région. La répartition de l'offre de soins est effectivement très inégale et il y a des déserts médicaux dans le nord de Paris.
Je ne me prononcerai pas sur l'hôpital Paris-Nord, en particulier. Ce type de projet nécessite que l'on prenne en compte l'environnement dans lequel il s'inscrit. On nous dit qu'on peut diminuer de 30 % le capacitaire de l'hôpital Paris-Nord par rapport à celui de Bichat-Beaujon. C'est sans doute possible. En France, le nombre de lits d'hospitalisation est supérieur à celui que l'on constate en Hollande ou en Espagne. Cependant, l'organisation de la médecine de ville est différente de la nôtre dans ces deux pays. Par conséquent, si nous organisons mieux le parcours du patient en nous appuyant sur les cabinets de ville, peut-être pourrons-nous faire plus d'ambulatoire.
La question du tutorat et de la formation des infirmiers et des jeunes médecins me tient particulièrement à coeur. L'expérience de l'infirmier qui, ayant dix ans ou quinze ans d'ancienneté, disposait à la fois de savoir-faire et d'une capacité d'encadrement a été perdue dans beaucoup d'endroits. Et, dans des services hospitaliers de très haute technicité - dans le mien, on pratique des dialyses chez l'enfant -, il est désespérant pour un jeune infirmier de ne pas parvenir à pratiquer l'acte, alors que les professionnels plus expérimentés pouvaient autrefois montrer le geste technique à leurs jeunes collègues. Il en découle une perte de chance pour le patient et une perte de la qualité des soins.
Les jeunes infirmiers qui sont diplômés aujourd'hui sont moins bien formés qu'auparavant. Il faut se saisir à bras-le-corps du sujet, car tout se cumule : les jeunes, qui sont moins bien formés, se sentent moins prêts, la sélection, où il n'y a plus d'entretien, n'est pas adaptée, les stages en pédiatrie ont été supprimés et les stages pratiques sont problématiques.
Il y a aussi des problèmes d'encadrement dans certaines disciplines médicales. On manque par exemple de jeunes praticiens en pédopsychiatrie. Pour en attirer, il faut en former, ce qui suppose d'avoir des personnels qualifiés.
Offrons des perspectives aux jeunes infirmiers et médecins. Il peut s'agir de préciser lors du recrutement, dans la fiche du poste, le travail du futur praticien, mais également la formation dont il pourra bénéficier pour se forger une ou plusieurs expertises, ainsi que les missions et responsabilités qui seront les siennes au sein de l'équipe, avec à la clé une valorisation des compétences théoriques et pratiques acquises, voire une reconnaissance financière. Aujourd'hui, pour gagner plus d'argent, un infirmier doit changer de métier et devenir cadre, avec tous les inconvénients que cela implique.
On passe effectivement beaucoup de temps au téléphone aux urgences, ce qui est à la fois éprouvant et agaçant. Mais ce n'est pas vraiment un problème de technique. C'est simplement que nous n'avons pas suffisamment de place et de lits disponibles. Les métiers du soin sont des métiers de l'humain. Nous devons en permanence gérer des problématiques humaines, par exemple les cas de personnes qui continuent d'occuper des lits parce qu'elles ne peuvent pas aller ailleurs.
Nous avons aussi des applications, et la plupart des hôpitaux ont un dossier informatisé aujourd'hui. Même si je me méfie un peu de la technophilie - certains attendent sans doute trop de la technique -, je pense que l'on n'investit pas suffisamment dans le système d'information. L'attractivité passe aussi par l'investissement, que ce soit dans le bâtiment ou dans le matériel. Au cours de ces dernières années, les investissements dans les hôpitaux ont été insuffisants, et le taux de vétusté s'est accentué.
À l'AP-HP, l'investissement dans les systèmes d'information et le numérique représente 2 % à 2,5 % du budget, contre 6 % en Amérique du Nord ou dans certains pays d'Europe du Nord. Or le système d'information est un élément tout à fait important pour structurer le parcours de soins. Même si les évolutions technologiques récentes nous aident beaucoup, l'ensemble reste insuffisant. Il faut que les médecins et les soignants soient associés à la réflexion autour des techniques ; ils en sont les premiers utilisateurs.
Je vous entends sur la nécessité du tutorat. Mais cela implique de nouvelles embauches. Et qui dit nouvelles embauches dit aussi charges financières plus importantes. Selon vous, où y aurait-il des marges de manoeuvre budgétaires ?
Avez-vous une analyse simple sur ces patients qui embolisent des lits alors qu'ils pourraient être ailleurs ? Quelles sont les soupapes de respiration pour l'hôpital ?
Professeur Rémi Salomon. - Si la santé publique n'a pas de prix, elle a un coût, et nous devons effectivement être attentifs à la manière dont nous dépensons les deniers publics. Pendant la crise, nous avons très bien travaillé avec les administratifs, mais il est vrai qu'avec le « quoi qu'il en coûte », la pression budgétaire avait disparu. Cela étant, je crois possible de mieux travailler avec les administratifs même avec une pression budgétaire ou une régulation. À mon sens, plutôt que d'un seul « patron », l'hôpital a besoin d'une gouvernance reposant sur la coréflexion, la coconstruction et la confiance, à tous les niveaux, y compris celui du service où le rôle du cadre doit être moins administratif et plus orienté sur le soin, en liaison avec le chef de service.
Nous pouvons, me semble-t-il, réaliser des économies.
Le débat sur le coût de coexistence entre la sécurité sociale et les mutuelles montre qu'il pourrait y avoir plusieurs milliards d'euros à récupérer.
Ensuite, il faudrait travailler sur le médicament, dont la fixation du prix n'est pas toujours très transparente. Il y a des écarts de prix importants d'un pays à l'autre. Lors de la première vague, je m'étais beaucoup intéressé à la question de l'indépendance sanitaire ; nous avons failli manquer de médicaments. Je pense que nous ne pouvons pas rester aussi dépendants. Il faut relocaliser la production.
Enfin, le système d'information peut nous aider à faire des économies sur les prescriptions d'examens supplémentaires. Mme Buzyn avait parlé de 20 % d'examens inutiles.
Pour autant, les besoins augmentent. La population française vieillit, et est plus sujette aux polypathologies, ce qui nécessite des soins plus techniques, donc un peu plus coûteux.
L'horrible terme de bed blockers est utilisé pour qualifier les patients qui embolisent des lits alors qu'ils n'ont plus rien à faire à l'hôpital. Le phénomène est lié à l'insuffisance des capacités dans le secteur médico-social. Le métier d'assistant social est extrêmement important à l'hôpital pour mieux préparer les sorties. Nous en manquons, car la profession n'est pas assez attractive ; les assistantes sociales sont mal payées. Je pense même que l'on devrait faire un bilan systématique d'autonomie pour les personnes de soixante ans ou soixante-cinq ans, afin de savoir comment les choses pourraient se passer en cas de dégradation de la santé. Cela permettrait d'anticiper l'organisation en cas de perte d'autonomie.
En outre, il faut tenir compte du cas des patients en situation de précarité. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et l'Île-de-France sont les deux régions les plus concernées. Parmi ma patientèle, beaucoup de familles relèvent du 115. La prise en charge est tout de même plus compliquée pour ces publics.
Ce n'est pas un hasard si, dans ces deux régions, les groupes hospitaliers s'appellent l'Assistance publique.
Professeur Rémi Salomon. - Tout à fait.
Nous vous remercions de votre disponibilité et de vos réponses à nos questions. Si vous avez des documents ou des éléments à nous communiquer par écrit, notre commission d'enquête les recevra volontiers.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.
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