Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 4 janvier 2022 à 14:5
Audition de médecins — Docteur gérald kierzek médecin urgentiste directeur médical de doctissimo ; professeurs michaël peyromaure chef du service d'urologie à l'hôpital cochin paris et stéphane velut neurochirurgien au chu de tours

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Merci de votre regard et de vos propositions.

Vous mettez tous en cause un fonctionnement hospitalier insuffisamment tourné vers les soins. Disposez-vous de comparaisons internationales ? Sommes-nous suradministrés par rapport aux pays voisins ? Accumulez-vous des tâches administratives, au détriment du soin ?

Parlementaires, nous avons aussi une responsabilité : nous demandons des certificats de qualité, des données pour justifier la qualité des soins ou leur efficience... Peut-on revenir sur ces tendances normatives et qualitatives du soin à l'hôpital ? Quelles sont les solutions ? Souvent, nous voulons le risque zéro et nous avons tendance à tout codifier...

Depuis des mois, nous entendons unanimement qu'il faut remédicaliser le pouvoir de décision à l'hôpital. On nous dit aussi qu'auparavant, il y avait un sentiment d'appartenance au sein d'un service. Peut-on supprimer les pôles, ou comment mettre en adéquation les pôles et les services pour donner plus de souplesse et de sens au travail réalisé ?

Vous avez évoqué la gradation et la proximité. D'après les premières auditions, il semble que nous devons trouver un système souple et laissant suffisamment de liberté aux soignants à l'intérieur d'un territoire pour s'organiser, en faisant tomber les barrières entre secteurs public et privé, entre types d'établissements, et en incluant l'hospitalisation à domicile... Est-il possible d'envisager une telle gestion, assez souple, avec des organisations différentes selon les territoires ? Nous avons tendance, en France, à établir des règles uniques. Les services d'urgence ont des difficultés à organiser les soins : on ne peut pas comparer l'hôpital Cochin à celui de Clamecy. Il faut redonner du sens au travail, donner plus d'importance au soin, et de l'autonomie de gestion aux soignants. Avez-vous des pistes en ce sens à nous proposer ?

Docteur Gérald Kierzek. - Il faut vraiment régionaliser la santé, plutôt qu'elle n'émane des ARS technocratiques qui dépendent du ministère. Il faudrait quasiment un parlement sanitaire. Chaque Land allemand dispose d'un véritable ministre régional de la santé : après avoir fermé une maternité, il est soit sanctionné, soit plébiscité lors des élections suivantes. Il faut repolitiser la santé et avoir une vraie vision territoriale. Les choix doivent être réalisés en fonction des territoires, qui ne font pas face aux mêmes problèmes. Il faut des gens de terrain qui ont à la fois les mains dans le cambouis et qui décident, que ce soit en ville ou à l'hôpital.

Le sujet de l'évolution des carrières est capital. Il faut pouvoir travailler en ville et à l'hôpital. La réforme de 1958 qui a créé les CHU était une bonne idée au départ, mais soixante ans après, nous avons de nouveau les mêmes problèmes : nous n'arrivons plus à recruter, et certains font des carrières à vie. Certains collègues sont plus du côté de l'administration que du côté des soins. Il faut réfléchir à des évolutions de carrière intéressantes, éventuellement à des contrats d'objectifs et de moyens, mais sur des critères médicaux, et évalués par les pairs.

Avec les pôles, nous sommes arrivés à une situation abracadabrantesque. Or un malade qui a un problème d'urologie doit pouvoir être reçu par une infirmière du service d'urologie, qui le renvoie vers l'urologue chef de service. Revenons à des choses basiques.

Professeur Michaël Peyromaure. - La réforme la plus efficace serait de créer des services autonomes comme dans certains pays européens et anglo-saxons, où le chef de service, secondé par un cadre administratif, disposerait d'un budget propre. Actuellement, l'administration gère seule tous les budgets, en toute opacité. Pour responsabiliser les équipes soignantes, avoir un budget propre - comme c'est le cas à l'hôpital de Valenciennes - permettrait à un service de recruter et de s'équiper, en autonomie. Ce ne serait pas signer un chèque en blanc : tous les ans ou tous les deux ans, le chef de service présenterait son bilan, ses objectifs et ses résultats devant la CME.

Actuellement, il y a trop de strates et de commissions, tandis que seul le directeur décide. Il faut restaurer de la transparence, y compris sur les budgets, et de la démocratie avec des services autonomes, qui auraient une autonomie de budget et de fonctionnement. En contrepartie, les chefs de service mauvais gestionnaires se verraient retirer leur budget ou seraient démis de leur chefferie. Cette solution, qui existe dans certains pays, règlerait de nombreux problèmes.

Professeur Stéphane Velut. - Pour moi, deux réformes sont nécessaires.

Il faut effectivement une autonomie des services, au plan budgétaire, à condition que le chef de service soit secondé par des personnes spécialisées dans la gestion budgétaire, mais surtout en termes de soins. Voici un bon exemple. Un de mes élèves, excellent chirurgien de 38 ans, en fin d'internat, qui a une thèse d'État, excellent chercheur et enseignant et qui pouvait être agrégé dans deux ans, a décidé de partir pour une clinique privée du sud de la France. Ce n'est pas pour le climat, un peu pour l'argent, mais surtout, car il n'en peut plus. Son seul regret, m'a-t-il dit, ce sera la bonne ambiance du service, l'esprit de « famille ». Je suis très affecté par ce départ.

Chaque mois, on voit partir de très bons praticiens hospitaliers dans tous les CHU. Il est important que vous le sachiez : entre secteur public et secteur privé, les émoluments et la souplesse de fonctionnement n'ont rien à voir.

Nous formons un chirurgien en quinze ans, dans un CHU payé par le contribuable, puis ensuite il s'en ira, il gagnera deux à quatre fois plus que moi en exerçant en libéral grâce à des dépassements d'honoraires - même si je n'ai rien contre le secteur libéral. Le système public est en train d'alimenter le système libéral, qui tue, in fine, sa matrice de formation. Ce jeune praticien devait me succéder. Je n'ai plus de successeur. Qui formera mes étudiants dans trois ans ?

En 1958, Robert Debré avait eu une idée de génie : créer des CHU regroupant toutes les spécialités, des services autonomes, des centres de recherche et l'université. Cet esprit de la faculté de médecine est en train de disparaître. Ce n'est pas nous, mais nos petits-enfants qui en verront les conséquences pour leur formation. Tant qu'il y aura autant de différences et qu'on alimentera la concurrence entre public et privé, on n'y arrivera pas. Le problème se pose non pas sur le plan hospitalier, mais sur le plan académique.

Bien sûr, les instituts privés sont prêts à former des internes. Mais un CHU peut comprendre 45 services et 20 laboratoires de recherche ; c'est différent d'un institut de la hanche près de Lyon ou d'une clinique du coeur près de Bordeaux, que ce soit en termes académiques ou d'état d'esprit. Nous devons être inquiets pour les générations futures.

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