Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 4 janvier 2022 à 14:5
Audition des conférences de présidents des commissions médicales d'établissement — Docteurs marie-paule chariot présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée thierry godeau président de la conférence des cme des centres hospitaliers laurence luquel présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif et professeur françois-rené pruvot président de la conférence des commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers universitaires

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, président :

Pouvez-vous préciser ?

Professeur François-René Pruvot. - S'il y a aujourd'hui incontestablement un haut niveau de conscience professionnelle chez les professionnels de santé, le travail est conçu comme un métier indépendant de la vie personnelle et familiale. Le décompte en temps de travail est très répandu dans la population des soignants. Je dirais aussi que l'empathie vers son prochain est paramétrée et concurrencée par des objectifs personnels plus nets qu'auparavant.

Il y a une forme d'abandon partiel de l'État, et en tout cas une difficulté à gérer la crise systémique du public.

Je débute par le sujet de la gouvernance. Il fallait faire évoluer la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoire » (HPST), qui a fortement infléchi l'équilibre décisionnel vers les métiers et les compétences administratives. Il y a été répondu par le pilier 3 du Ségur. Je pense que tout est contenu, désormais, dans le rapport de juin 2020 de la mission Claris et la circulaire d'application d'août 2021 qui devrait se trouver exprimée au travers d'une charte de gouvernance entre les directeurs d'hôpitaux et les médecins - en particulier les présidents de commission médicale d'établissement. L'enjeu sera de l'appliquer. Par exemple, la loi HPST de 2009 contenait déjà des éléments de délégation de prérogatives aux pôles, qui n'ont jamais été appliqués.

Cette gouvernance s'étend au retour de la notion de service, qui avait disparu réglementairement. Nous verrons comment cela sera appliqué. Il est toutefois certain que la plupart des soignants et non-soignants ont toujours su, malgré les changements de sémantique, ce qu'était une équipe, et ont pu identifier très clairement ce qu'était un service.

S'agissant des relations avec la tutelle, je vous renvoie à notre audition à l'Assemblée nationale le 12 avril 2021. Il y a une énorme hétérogénéité de relations des établissements publics avec les agences régionales de santé (ARS), avec la tutelle centrale. Je pense que la crise covid, en donnant l'impression d'une déconcentration de l'exercice de la gouvernance, est l'arbre qui cache la forêt, la réalité étant plutôt celle d'une forte centralisation. On devra en tirer les conséquences dans quelques mois.

En ce qui concerne la situation financière, je ne peux évoquer que les CHU. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes de 2018 et au pilier 2 du Ségur de la santé. Aussi bien les directeurs généraux que nous-mêmes avons contesté les conditions dans lesquelles était prise en compte l'activité de recours des CHU. Ceci reste un énorme problème. L'exemple en a encore été donné dans la mise en oeuvre de la garantie de financement lors de la crise covid. On a caractérisé de manière uniforme, homogène, et classé dans une même catégorie des actes pour des malades totalement différents, ce qui a pénalisé les CHU.

Sur le mode de financement, je ne veux pas empiéter sur l'énorme rapport préparé par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (HCAAM). On sait qu'on ne reviendra pas au budget global et qu'on n'ira pas dans le sens d'une tarification à l'activité excessive. C'est un portefeuille de modalités de financement qui est important. En tant que président du conseil scientifique des investissements en santé, je suis bien placé pour en parler. 12 milliards d'euros pour relancer la finance des hôpitaux constituent une chance qui s'est tendue à nous. L'enjeu essentiel est d'échapper à la doctrine Copermo (Comité interministériel de performance et de modernisation de l'offre de soins), axée sur la performance, et de mettre en avant les activités médicales, la cohérence des schémas architecturaux et de reconstruction et l'insertion territoriale des projets des établissements.

Le sujet du recrutement et de la fidélisation est traité par les piliers 1 et 3 du Ségur, c'est-à-dire à la fois le niveau de salaire et d'intéressement des soignants mais également leur mode de reconnaissance, de valorisation et leurs rapports à l'intérieur de l'hôpital. S'agissant du personnel hospitalo-universitaire, mis de côté de façon volontaire par le Ségur, le groupe de travail sur l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires a remarquablement rempli sa fonction, avec 24 propositions qui vont être égrenées de fin décembre 2021 à 2023. Nous verrons quels effets elles produiront.

La structuration territoriale est l'un des plus beaux enjeux, qui dépasse le domaine de la santé. Les maîtres-mots sont la gradation et la coordination des soins, ce qui va de pair avec la réforme des autorisations engagée par l'État en 2016. En CHU, nous y accordons beaucoup d'importance, car il faut définir ce qu'est la centralisation. La centralisation et l'organisation des soins sur un territoire reposent souvent sur la mise en avant de l'excellence, mais on oublie toujours que celui qui est excellent a, en proportion, autant de devoirs. Nous souhaitons que cette réforme de la gradation et des autorisations de soins, en vue d'une juste répartition cohérente des soins sur un territoire, s'adosse à ce que nous avions proposé dans le cadre de notre rapport sur « le CHU de demain », c'est-à-dire une segmentation en proximité / référence / recours / complexité, et qu'elle fasse la part belle aux paramètres de pertinence.

Docteur Laurence Luquel, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif. - Je représente mes collègues médecins des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), qui renvoient à un mode de fonctionnement peu visible par la population ou le corps médical, et peut-être par vous.

En effet, nous avons une mode de fonctionnement de droit privé avec des missions de service public. Même si nos établissements possèdent des services de réanimation, les services d'aide médicale urgente (Samu) nous ont placés en deuxième intention lors de la crise sanitaire. Nous souffrons de problèmes de visibilité au niveau de nos concitoyens. Les Espic regroupent les établissements relevant de la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap) et qui ont signé la convention collective de 1951, mais aussi les établissements de lutte contre le cancer, de l'assurance-maladie (Ugecam) et de la Croix-Rouge. Je représente plutôt les établissements du privé solidaire, dont 700 disposent d'une offre dans le champ du sanitaire - d'autres relèvent du champ du médico-social, des personnes en situation de handicap, des services à domicile, de la petite enfance, etc.

Nos modalités de fonctionnement sont différentes car nous sommes nommés par le directeur de l'hôpital, à l'inverse du public. Par ailleurs, bien que l'institution de la CME dans les établissements privés à but non lucratif ait été inscrite dans la loi de 2016, le décret d'application n'est jamais intervenu. Cela donne une certaine souplesse dans les modes de fonctionnement et une absence d'homogénéité dans l'organisation des CME de nos établissements.

Comme nos collègues du public et très certainement aussi du secteur lucratif, nous faisons face à une diminution des ressources médicales, avec un fort enjeu de recrutement. Une enquête dans les établissements relevant de la Fehap a montré que dans certaines spécialités médicales, on compte une proportion élevée de postes vacants : 55 % en médecine générale, 25 % en gériatrie et en médecine d'urgence, 30 % en psychiatrie.

Comme l'a rappelé le professeur Pruvot, la médecine évolue. Elle évolue en matière de reconnaissance sociétale car cela devient un bien de consommation. Il n'y a plus de confiance, à laquelle était associée notre fonction de sachant. Les jeunes ne se sentent pas aussi investis pour se lancer dans la médecine, en raison de transformations - qui ne sont pas à blâmer - associées à la d'une meilleure qualité de vie au travail. Nous sommes confrontés à des problématiques dans la permanence médicale, avec des médecins qui refusent de faire des gardes en raison de leur statut personnel. Cela ne touche pas que la population féminine, et cela n'est pas du tout dû à la féminisation de la profession médicale. On constate cet état de fait dans l'ensemble de la société.

Nous sommes, par ailleurs, confrontés aux enjeux du vieillissement démographique et de l'avancée des maladies chroniques, qui demanderont une prise en charge médicale au long cours. La crise sanitaire a montré qu'il était difficile d'y faire face en situation de tension hospitalière.

Dans un premier temps, nous n'avions pas été inclus dans les revalorisations des praticiens salariés prévues par le Ségur. Nos demandes ont été prises en compte, mais nous inquiétons de la pérennisation de ces mesures pour nos médecins salariés. J'attire votre attention sur ce point, en raison de la difficulté des recrutements médicaux à laquelle nous sommes tous confrontés.

Lors de la crise sanitaire, nos établissements ont été présents, tant au niveau des soins critiques que des filières d'aval. Mais nous n'avons pas anticipé qu'il s'agirait d'une crise de longue durée. On constate une forte lassitude des personnels médicaux face à une organisation où il faut faire coexister des soins liés ou non au covid.

Nous sommes aussi confrontés à la problématique des soins non programmés - notamment hors covid - et du recours aux urgences. Cette question conduit forcément à une désorganisation et à des déprogrammations plus ou moins longues et anticipées. C'est très difficile à vivre car, lorsque nous allons à l'hôpital, nous ne savons jamais ce que nous allons trouver le jour-même. En dépit de l'organisation prévue par les tutelles, le cloisonnement entre le privé lucratif, les Espic, les hôpitaux publics est une réalité : nous ne nous connaissons pas forcément et nous ne travaillons pas nécessairement ensemble. La crise a permis d'améliorer les liens, mais le cloisonnement perdure. Nous avons pourtant besoin de confiance les uns dans les autres, notre objectif commun en tant que médecin étant le service rendu au patient. Tout le monde a sa place dans le système hospitalier actuel.

Que nous a-t-il manqué ? Que nous manque-t-il ? En dehors du fait que, sur un territoire, nous puissions travailler ensemble, aussi bien à l'hôpital que pour les soins primaires et les structures médico-sociales, et même si les ARS ont joué leur rôle dans la crise, peut-être aurait-il fallu instaurer une instance régionale, voire départementale, pour mieux faire travailler ensemble les personnes avec un objectif commun. Avec la prolongation de la crise, nous devrions penser à le développer.

On doit toutefois mettre en avant deux points positifs, au cours de cette crise. Même si nous commençons à être essoufflés, nous avons tous répondu présents. Des expériences ont montré leur utilité, comme l'astreinte gériatrique auprès des Ehpad, déployée sur tout le territoire et qui a permis d'éviter des passages inappropriés aux urgences. Cela a servi car au départ la crise touchait beaucoup les populations vulnérables. La médicalisation de la décision a été renforcée : avec les directeurs, nous avons participé à l'organisation au sein de l'hôpital et sur l'aval. Nous avons pu copiloter les déprogrammations.

La crise devient progressivement de plus en plus administrative. La problématique de la gouvernance et du copilotage par les directeurs et les présidents de CME, est très dépendante de l'humain et de la taille des structures. Cela peut aller de trois médecins à plus de 400 selon les établissements. Ce point mérite d'être souligné d'autant que les médecins considèrent qu'ils ne sont plus entendus. La relation médecin-malade n'occupe plus la majeure partie de leur temps de travail en raison de toutes les contraintes administratives, liées à la tarification à l'activité en particulier, et au fait que l'hôpital évolue comme une entreprise et doit avoir des objectifs. Ce n'est pas une critique, mais un constat. Il faut accompagner les médecins face à cette réalité mais aussi les écouter et entendre leur malaise, si l'on qu'ils soient un jour remplacés par de jeunes médecins. La situation est en effet préoccupante en raison de la pyramide des âges de l'activité médicale quel que soit le contexte d'exercice.

Docteur Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers. - Je vais essayer, dans ces propos liminaires, de faire le constat que porte notre conférence non seulement sur l'hôpital mais aussi sur le système de santé, car je pense que les deux sont liés. L'hôpital est en crise, mais la vraie crise sanitaire actuelle n'est pas celle du covid ; c'est la crise structurelle de l'hôpital, et à travers lui, probablement, la crise de l'ensemble de l'organisation de notre système de santé. La pandémie n'a été qu'un accélérateur de cette crise hospitalière, et personne ne peut nier ce sur quoi tous les professionnels de santé ont alerté depuis plusieurs années.

La conférence que je représente, qui n'a peut-être pas un rôle médiatique important parce que le rôle des présidents de CME est assez mal connu dans le grand public, a dénoncé depuis longtemps cette situation. Certes, l'hôpital public, qui a pris en charge 80 % des patients covid, a tenu le coup, et il tient toujours le coup. Oui, mais à quel prix : des déprogrammations massives régulières depuis deux ans, des retards de prise en charge dans de nombreuses pathologies, des lits fermés maintenant faute de soignants, qui ont aujourd'hui le sentiment que l'après-covid risque d'être, au sein de nos établissements, pire que l'avant.

On sait que l'on n'a pas suffisamment formé de professionnels, et pas que des médecins, depuis de nombreuses années. Ce nombre reste toujours insuffisant, et il y a des facteurs d'inquiétudes, notamment sur les infirmières, les sorties de formation n'étant pas en rapport avec l'augmentation du nombre de places en école.

La contrainte financière est très ancienne. La tarification à l'activité (T2A) a été un peu pervertie par le « travaillez plus pour gagner moins ». Des fermetures de lits ont été imposées, le personnel étant la principale dépense de l'hôpital, et donc la variable d'ajustement. Tout cela a conduit à des hôpitaux engorgés de manière quasi permanente, une perte de sens des professionnels. Et concernant plus particulièrement les personnels médicaux, le sujet des écarts de contraintes et de rémunération ne peut plus être éludé.

La problématique de la permanence des soins est également devenue un sujet majeur de départ des praticiens, ce d'autant plus que la charge ne relève pas toujours d'une prise en charge spécifiquement hospitalière. Ce sujet ne pourra pas être réglé que par de nouvelles rémunérations, qui sont certes nécessaires, mais il nécessitera une reconnaissance réelle de la pénibilité, et un partage de cette contrainte dans de nombreux secteurs.

L'hôpital est un lieu d'exercice formidable. On y vient pour y travailler en équipe, faire de l'enseignement, de la recherche, de l'innovation et développer de nouvelles techniques. Mais quand le quotidien ne correspond plus à vos attentes, comment pouvez-vous espérer y attirer et garder un praticien hospitalier, sachant que sa rémunération est assez souvent de deux à trois fois supérieure en libéral, qu'il ne serait pour la plupart du temps pas soumis à une obligation de garde, qu'à l'hôpital on lui parle beaucoup de déficit, de réduction de moyens, de déprogrammation, qu'il a vu son service, ou plutôt son équipe, se déliter, qu'il n'a aucune, ou très peu d'emprise sur les décisions, et que son temps, sa charge de travail et tout simplement son travail et sa pénibilité sont mal reconnus. Qu'il joue sans cesse à « Tétris » pour trouver des places et des solutions pour des situations sociales parfois insolubles, et que l'avenir qu'on lui propose actuellement est de plus en plus souvent de se transformer en médecin « sac à dos » pour aller combler les trous dans les autres hôpitaux publics ?

On peut saluer les efforts financiers du Ségur de la santé, mais il n'a été qu'un rattrapage partiel de tout ce qui n'avait pas été fait antérieurement. Je voudrais insister sur les praticiens de milieu de carrière, souvent très courtisés par le milieu libéral, dont l'augmentation n'aura été actuellement que de trois cent euros par mois, c'est-à-dire moins que de très nombreux soignants. Il est donc indispensable de les fidéliser notamment par l'application des nouvelles grilles indiciaires à tous les praticiens hospitaliers et non seulement aux nouveaux nommés. D'une manière générale, et malgré le Ségur, les médecins hospitaliers ont perdu en salaire de base en moyenne l'équivalent d'un Smic par mois en vingt ans.

Un mot sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ne refaisons pas entre les GHT et les établissements de santé ce qui a été fait entre les pôles et les services. Oui les GHT sont un levier pour les hôpitaux publics, mais pour ce qu'ils partagent, pour leur stratégie commune, la gradation des soins. Le principe de subsidiarité doit rester la règle. Par exemple, les relations ville-hôpital, qui sont primordiales, relèvent avant tout des établissements.

Alors oui l'hôpital tient encore le coup. Il tient le coup parce que ses professionnels sont formidables, impliqués, qu'ils aiment leur métier et leurs patients ; mais les troupes s'épuisent, se démoralisent et ne voient guère de perspectives positives dans un avenir de court terme. Alors, jusqu'à quand va-t-il tenir ?

Mais la crise de l'hôpital est aussi un symptôme d'un système qui dysfonctionne de plus en plus. En effet, les besoins de santé ont profondément évolué. Nous sommes passés d'une médecine des soins aigus à une médecine des maladies chroniques, d'une prise en charge hospitalière ponctuelle pour un problème de santé épisodique, à la nécessité d'une prise en charge le plus souvent coordonnée et pluri-professionnelle, et où l'hôpital se situe, tout comme d'autres secteurs, dans un continuum de prises en charge. Notre système de santé n'est plus adapté à cette coordination des soins. Il est cloisonné entre deux mondes : les établissements de santé qui, déjà ont du mal à travailler ensemble, et la ville. Il l'est aussi dans sa gouvernance entre les agences régionales de santé (ARS) et la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), dans son organisation, dans son financement, avec un objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) consacré aux soins de ville et un autre à l'hôpital. Ce système doit être repensé, car malheureusement aujourd'hui rien n'incite vraiment les acteurs à travailler ensemble. Les nouveaux besoins de santé et les carences démographiques imposent de se donner les moyens, que les acteurs de santé travaillent véritablement ensemble au quotidien, de façon coordonnée, complémentaire, mais autant entre équipes de soins qu'entre la ville et l'hôpital. Le rôle et la place du médecin dans les prises en charge doivent être revisités. Mais attention à ne pas céder à tous les corporatismes par de nouveaux accès aux soins non-régulés, qui pourraient aggraver le manque de coordination tant préjudiciable au patient.

Les coopérations public-privé sont nécessaires. Nous n'avons plus les moyens actuellement d'une concurrence souvent trop frontale, qui est liée aussi au financement à l'activité. Tout ceci ne sera qu'un voeu pieux sans une réforme du financement des établissements, et une réduction, justement, de ces écarts de rémunération et de contraintes, notamment sur la permanence des soins.

Le projet territorial de santé devrait être un levier, pour nous, obligatoire. Ce n'est pas aux seuls acteurs d'un GHT, mais à tous les acteurs d'un territoire de se coordonner et de répondre ensemble aux besoins de santé d'un territoire sous la forme d'une responsabilité populationnelle partagée. Les modalités de réponse pourront varier selon les ressources disponibles de chaque secteur. Ce projet territorial doit définir un projet de santé avec de réelles priorités, adapté aux besoins du territoire et contractualisé financièrement avec les ARS.

Concernant la démographie, il faut s'interroger sur le fait que les spécialités dont actuellement nous avons peut-être le plus besoin, à savoir la médecine générale, la pédiatrie, la gériatrie, la santé mentale, mais aussi la médecine polyvalente et la médecine interne à l'hôpital, sont parmi les moins attractives et les moins rémunératrices. Ce sont aussi des spécialités pour lesquelles la relation humaine est capitale. Or cette relation n'est pas financée à sa juste valeur. Il est capital de revaloriser l'acte intellectuel. C'est urgent car la médecine est en train de perdre ce qui en fait l'une de ses noblesses, c'est à dire la relation médecin-malade, qui est son humanité.

Ces carences ont inéluctablement un impact sur le fonctionnement de nombreux hôpitaux. Le manque de coordination des professionnels est probablement l'une des principales causes de gabegie financière et de mauvaise qualité des soins, avec des redondances d'examens, des hospitalisations évitables mais également prolongées, ce qui souligne également le retard colossal que la santé a pris dans le domaine du numérique, retard préjudiciable aussi pour la coordination des acteurs.

Concernant les hospitalisations : si tous les patients sortaient le jour où le médecin le décide, nous aurions beaucoup moins de problèmes de lits à l'hôpital public, qui est souvent engorgé par des problèmes de sortie. Et c'est là qu'il faut vraiment un plan d'action pour le secteur médico-social, la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et la permanence de soins, qui est aussi un élément crucial dont l'amélioration limiterait de nombreux recours, évitables, à l'hôpital.

Toute réforme systémique est longue à mettre en place, mais nous n'avons plus le temps d'attendre. Les professionnels de santé savent que la route sera longue et qu'il n'y aura pas de grand soir. Ils ont besoin de perspectives, d'espoirs et de projets. Il est urgent au sein de l'hôpital de redonner du sens au travail et aux équipes. La notion de charge de travail, de reconnaissance du temps médical dans toutes ses composantes, mais aussi de sa pénibilité, est un impératif. La démographie des professionnels ne peut faire passer toujours au second plan la qualité de vie au travail. Ce sont des attentes fortes de nos jeunes professionnels et c'est aussi pour cela que, lorsqu'elle est dégradée, ils quittent l'hôpital. Il est urgent de prendre enfin soin de ceux qui prennent soin.

Le nouveau texte sur la gouvernance et la liberté d'organisation des hôpitaux s'applique au premier janvier. Il sera capital d'en vérifier l'application réelle sur le terrain. De trop nombreuses fois, les lois ne sont pas appliquées sur le terrain. Il faudra vérifier que cela est bien mis en place, que nous aurons véritablement un projet de management et de gouvernance qui sera participatif, que toutes les équipes auront contribué à sa réalisation. La remédicalisation effective de la gouvernance de l'établissement mais aussi la rénovation de celle de proximité, celles des services, sont des enjeux majeurs. Redonnons plus d'autonomie et de souplesse aux équipes, qui ont besoin d'identité et d'appartenir à un collectif. Les équipes veulent reprendre la main sur de nombreuses décisions du quotidien.

Il faut remettre le projet au coeur des préoccupations, se donner des objectifs précis, adaptés aux besoins et assumés, quitte à reconnaître, vu les difficultés à prioriser l'essentiel, que l'on ne peut pas tout faire dans le contexte démographique actuel. Mettons enfin en place la simplification administrative. Simplifions le nombre de reporting, de benchmark, de tableaux d'Excel, d'interlocuteurs et qu'on laisse respirer les acteurs qui doivent retrouver de l'initiative. Hélas, tout cela sera peine perdue si les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des missions que l'on exigera de l'hôpital. Interrogeons-nous plus globalement sur ce que doit être aussi la performance en santé, qui aujourd'hui n'est portée que par la vision réductrice des économies de santé. La santé est aussi créatrice de richesse et de sérénité au sein de la population. Portons un vrai projet de santé publique, grande carence de notre système.

Enfin actuellement, tous les secteurs sont en difficulté. Tous les professionnels, quels que soient leur mode d'exercice, expriment une grande souffrance. Certes, les professionnels ne sont pas responsables de tous les maux actuels, et je pense - je fais un appel pour cela - que nous ne devons plus nous retrancher sans cesse derrière ce fait, mais que nous devons sortir de nos corporatismes pour essayer ensemble de proposer des solutions coordonnées. Il en va aussi de notre responsabilité. L'hôpital est mal en point, le mal est systémique, et l'hôpital ne se sauvera probablement pas tout seul. La crise a démontré que l'hôpital public restait le pilier du système de santé. En de très nombreux endroits, personne ne peut se substituer à l'hôpital. Et si dans ces territoires l'hôpital s'écroule, alors tout s'écroulera. Ce serait à mon sens, et le professeur Pruvot en a parlé, une erreur grave sur le plan politique de ne pas mettre la santé au coeur des priorités du débat présidentiel. Et il se pourrait que le statut quo soit le chaos.

Je vous remercie.

Docteur Marie-Paule Chariot, présidente de la conférence des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée. - Je vous remercie de prendre le temps de nous écouter. Vous entendez maintenant certainement la seule bénévole de toute la salle. Un médecin libéral, et je crois que le président de la commission ne l'ignore pas, est payé à l'acte. Donc quand il travaille il gagne sa vie, et quand il ne travaille pas il ne gagne rien. Les présidents de CME ce sont des médecins élus par leurs confrères dans un établissement de santé, qui ont un rôle d'organisation des soins et un rôle d'apaisement des conflits. Dans le secteur privé, ils ne disposent d'aucun moyen, pas même pour un président des présidents de CME. Donc vous entendez là la seule bénévole. La puissante fédération de l'hospitalisation privée et les directeurs d'établissements gèrent tout.

Le mot gouvernance, dans un établissement de santé privé, n'existe pas. Si j'ai entendu mes confrères parler de la souffrance au travail, et de la gouvernance, je ne retiens moi, dans le privé, que le mot de souffrance. Il n'y a pas de gouvernance chez nous puisqu'il n'y a aucun moyen. Quand il y a des réunions il faut arrêter d'exercer, faire attendre les patients, ou annuler ses consultations, ou annuler ses actes opératoires pour pouvoir s'occuper de la collectivité. Je souhaiterais donc qu'il puisse y avoir un peu d'équité pour le secteur privé et une rémunération qui permette au moins une demi-journée par semaine, voire une journée par mois, de pouvoir s'occuper des autres sans le faire aux dépens de son activité professionnelle. Donc ça, c'est ma demande.

Mais dans le privé, qui représente à peu près la moitié de la chirurgie et un quart de la médecine en France, nous avons la chance de faire des journées de douze heures et treize heures. Même si aujourd'hui les jeunes vous semblent quitter l'hôpital, ils ne viennent pas forcément chez nous. Parmi mes confrères anesthésistes - puisque je suis anesthésiste - il y en a un aujourd'hui qui élève des moutons et un autre qui est gardien de château. C'est récent : cela date de moins d'un an. La souffrance des professionnels, des médecins en secteur libéral, est importante. Parce qu'il n'y a pas cette aide que vous avez avec la médecine du travail dans les hôpitaux et cette écoute. Bien sûr l'ordre des médecins a créé des associations : l'association Mots pour parler de la souffrance des médecins ; mais c'est assez difficile de décrocher un téléphone et de dire qu'au quotidien « je souffre ».

Je voudrais dire aussi que si nous avons des difficultés organisationnelles, nous avons la chance d'avoir les usagers au quotidien avec nous. Et je pense qu'il est indispensable de laisser aux usagers du système de santé un choix. Je regrette qu'on définisse mon établissement ou mes établissements comme privés à but lucratif. Le but lucratif ne saurait pas pour moi parler avec la santé. La santé n'a pas de but lucratif ; la santé à un but de santé. La maladie doit être combattue et la santé doit gagner. Je regrette très sincèrement cette formulation, et si on pouvait définir les établissements de santé autrement que par leurs moyens de financement, je trouverais ça très bien. Ma priorité c'est de soigner, ce n'est pas de savoir si mon directeur va gagner de l'argent. Et tous les jours je me bats contre ça.

Je voudrais vous dire aussi que nous sommes dans un système très normé ; c'est-à-dire que nous avons des autorisations d'activités définies par les ARS pour les hôpitaux et les cliniques. L'ARS, donc l'administration, définit ce que nous pouvons faire ou ce que nous ne pouvons pas faire. C'est certainement très bien pour la sécurité des soins. Ça laisse des pans entiers de patients à la porte de nos cabinets médicaux qui ne peuvent pas être soignés. Aujourd'hui avec le covid c'est un petit peu plus parlant, mais j'ai vu malheureusement dans mon activité professionnelle, des cancers arriver généralisés parce qu'il n'y avait pas eu d'imagerie. Les gens ayant peur du covid sont restés à la porte et les gens qui ne peuvent pas avoir d'imagerie, qui ne peuvent pas avoir de soins, ne savent pas si ils doivent insister ou ne pas insister, n'osent pas aller déranger leur médecin. Ils ont tous conscience de la difficulté et c'est vrai qu'il y a une crise sanitaire importante ; une crise de défaut de soins que les gens vont payer parce que ce n'est pas à eux de savoir choisir, mais à nous de pouvoir les guider.

Au-delà de ça, j'ai entendu le Ségur. Bon, je vous remercie, le Ségur est très loin pour moi. Le Ségur, en médecine libérale, c'est les informations. C'est ce que j'ai entendu. Rien d'autre. Dans mes équipes, les infirmières sont aussi parties. 20 % des infirmières sont parties. Les infirmières sont parties parce que « ras-le-bol » : le burn out, l'épuisement professionnel, on le partage dans tous les secteurs. Le mot rivalité ne vient pas à ma bouche parce qu'il n'a pas lieu d'être. C'est tellement ridicule que je ne veux pas l'aborder. Je voudrais vous remercier d'avoir pris conscience de la difficulté qu'on a tous à exercer. Faute de collaborateurs, on ne peut pas soigner. On ne fait pas une appendicite s'il n'y a pas une aide opératoire. Avec les difficultés que l'on a de trouver du personnel, l'appendicite attend. Et elle devient une péritonite. Puisqu'on n'a pas d'infirmière pour opérer, on n'opère pas et donc on n'a pas de rémunération, ce qui cause une souffrance financière en plus de l'incompréhension des directions, car les directions d'établissements ont des garanties de financement et qu'avec cette garantie de financement, en ayant moins de personnel et un chiffre d'affaires garanti, ils sont sûrs de faire des bénéfices. Cela s'ajoute à l'épuisement et au détournement des personnels qui ne veulent plus être taillables et corvéables à merci tous les jours. Cela concerne les médecins, les aides-soignants, qui je vous le rappelle sont payés au Smic pour un weekend sur deux de garde.

Dans notre société actuelle, il y a plus de profit que de service. On explique aux gens ce que la société doit leur donner, mais on ne leur explique pas forcément ce qu'ils doivent donner à la société. Et dans les jeunes que l'on voit aujourd'hui, ils attendent tous quelque chose, mais ils ne sont pas tous prêts à offrir. Nous avons perdus à peu près 20 % d'infirmières. Nous avons perdus à peu près autant d'aides-soignants et de médecins épuisés qui ne voient pas la fin de la crise. Les astreintes et les gardes s'enchaînent. Moi, entre 2017 et 2021, j'ai été de garde tous les jours. J'étais la seule à pratiquer la chirurgie thoracique ; donc l'astreinte c'était tous les jours. Cela signifie : pas de cinéma ou de théâtre, puisqu'il faut couper les téléphones. Tous les jours d'astreinte. La direction l'a accepté ; elle a trouvé ça normal. Mes confrères l'ont accepté ; ils ont trouvé ça normal. Ça n'a choqué que moi. Ne pensez donc pas que dans le privé ce soit simple.

Pourquoi les médecins vont dans le privé ? Les médecins vont dans le privé pour garder la maîtrise, car ils ne dépendent pas d'une administration. Il y a des quotas qui ont été établis : il y a une infirmière pour deux lits de réa, une infirmière pour trois lits de surveillance continue. Mais il n'y en a pas pour les administratifs. Donc on peut avoir une inflation administrative, avec des personnes qui reçoivent d'avantage d'ordres de tout le monde. Tout le monde leur demande quelque chose. Et les soignants à la fin sont épuisés, baissent les épaules et n'en peuvent plus. Ce qu'on voudrait c'est des soignants ; pas des administratifs. Je suis désolé de vous le dire.

Cela, c'est la souffrance des médecins du privé. Elle est au moins aussi importante que celle de mes confrères des hôpitaux. Elle est parallèle. Sauf qu'en plus les médecins ne représentent qu'une petite communauté médicale, et les organisations n'ont aucun moyen pour les défendre, n'ayant pas de personnalité morale. Je vous rappelle que dans le privé, la CME c'est la conférence médicale d'établissement, et non la commission, comme dans le public. L'acronyme est le même, mais ce ne sont pas les mêmes choses, ni les mêmes règles.

Je vous remercie de nous défendre, tous. Je vous remercie de nous aider, de prendre conscience de notre souffrance. Mais la personne importante, c'est l'usager, c'est le malade qui va être en face de moi, c'est lui qui a besoin de soins. D'où les douze heures ou treize heures de travail régulier tous les jours parce que quand il est à la porte et qu'il a besoin de soins, on ne va pas le laisser là. Il est notre priorité, il est notre coeur de métier, c'est ce que nous avons voulu faire.

Je suis au conseil d'administration de la société française d'anesthésie et réanimation. Nous avons adopté un texte intitulé « Soigner sans discriminer ». Je ne vais pas passer sous silence les non-vaccinés ; nous en pensons probablement tous la même chose. Néanmoins ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi, et notre rôle c'est de les soigner, quoi qu'on en pense. Donc on met un mouchoir dessus et on va soigner ; on va soigner en prenant des risques. Quand on a accueilli les premiers patients covid, on avait une visière, j'avais une paire de lunette, deux tenues chirurgicales, deux paires de gants et on mettait une housse sur l'échographie. Pour mettre une voie veineuse sous échographie, pour repérer la veine, je mettais trois quarts d'heure au lieu de quelques minutes. N'oubliez pas qu'en mars 2020, nous avions tous très peur, même si la peur est aujourd'hui retombée. Donc nous sommes tous partis au front.

Merci pour vos explications à tous les quatre. Je vais passer la parole à notre rapporteur, Catherine Deroche, qui va vous questionner

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