Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 4 janvier 2022 à 14:5
Audition des conférences de présidents des commissions médicales d'établissement — Docteurs marie-paule chariot présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée thierry godeau président de la conférence des cme des centres hospitaliers laurence luquel présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif et professeur françois-rené pruvot président de la conférence des commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers universitaires

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, président :

Faut-il revoir ces règles de ratio, selon vous ?

Docteur Thierry Godeau. - Oui. Les patients plus légers sont moins nombreux, et donc les malades sont plus lourds. Mon vice-président exerce dans un gros établissement à Colmar, et on compte une infirmière pour 15 malades. À La Rochelle, nous sommes à 1 pour 10, et cela convient, mais 1 pour 15, ce n'est plus possible avec les patients d'aujourd'hui. Il faut revoir ça.

Il faut évidemment les financements qui vont avec. Ce ne sera pas non plus le grand soir, puisque l'on manque de personnels. Mais si vous fixez une cible, un objectif, cela donne des perspectives.

La question du statut et du contrat se pose aussi. Vous avez parlé de la gouvernance : des textes s'appliquent déjà sur ce sujet.

Je mets un bémol sur la gestion de la crise. Les soignants et médecins ont travaillé main dans la main, et aussi avec la direction, mais nous ne pensions qu'au covid en permanence. Or le monde hospitalier, le monde des soins, suppose aussi de ne pas pouvoir tout faire, de prioriser et d'avoir une stratégie et faire des arbitrages. À ce moment-là cela devient compliqué, des équilibres doivent être trouvés.

Cela dit, il faut redonner sa place au service. La loi permet aux établissements de choisir leur organisation en interne : si des établissements veulent supprimer des pôles, ils pourront le faire ; si d'autres souhaitent supprimer des services - dans un petit établissement par exemple - ils le peuvent.

La loi exige un projet de management et de gouvernance participatif. Cela signifie qu'il faut vraiment organiser une concertation dans les établissements et qu'une réflexion soit menée par le collectif de l'établissement sur l'articulation des services et des pôles, mais aussi sur les délégations de gestion. Je rappelle que la délégation de gestion est dans la loi depuis dix ans, mais elle n'a été mise en place quasiment nulle part. On cite toujours Valenciennes, mais c'est l'exception qui confirme la règle. Les délégations de gestion supposent toutefois aussi de la formation.

Dans l'hospitalisation privée, il n'y a pas de compensation du temps non passé aux soins, et dans l'hôpital public, qu'on soit en réunion ou pas, on a le même salaire - c'est une différence. Mais nous n'avons pas de temps reconnu. La conférence des présidents de CME, associée avec celle des CHU, avait remis à Agnès Buzyn une enquête montrant que les présidents de CME ne disposent, dans de très nombreux établissements, ni de temps dédié, ni de remplacement de temps médical dans leur unité, ni de moyens en termes de secrétariat et d'organisation. Il en va de même pour les chefs de pôle et les chefs de service. Il faut absolument mettre en place une formation managériale, portant sur la gestion des conflits, le pilotage des projets, le pilotage médico-économique et la qualité des soins.

Je cite toujours cet exemple : être chef de service à l'hôpital, c'est comme si l'on demandait à un infirmier de devenir cadre de santé lorsqu'il a terminé son temps de travail d'infirmier. C'est un souci, car les chefs de service ont de plus en plus de mal à s'investir, et on a de plus en plus de mal, dans les centres hospitaliers, à trouver des volontaires pour exercer cette mission.

Pour résumer, lorsqu'on pense à la gouvernance, il faut mener une réflexion sur la formation managériale, le temps dédié, ce qui concerne tous les échelons : chef de service, chef de pôle et président de CME.

On a besoin d'appartenir à un collectif. L'esprit d'équipe est très important. On soigne les patients ensemble et on a besoin d'être soudés, dans un esprit de cohérence.

La sur-administration est partout. Nous souffrons de demandes de rapports. La simplification administrative n'existe pas. Les ARS ne sont pas là où on les attend : davantage sur les demandes de tableaux de bords plutôt anticipatoires que sur la gradation des soins et la réorganisation de l'offre. Je pense qu'il faut faire confiance aux gens et venir, a posteriori, contrôler, en cas de dysfonctionnement, ce qui a été fait et ce qui n'a pas été fait. Aujourd'hui les choses se font plutôt a priori et nous en souffrons.

La médecine générale doit être le pilier de notre système. Là où elle est très présente, cela dysfonctionne beaucoup moins, que dans les déserts médicaux où l'on rencontre un problème de permanence des soins. La médecine libérale ne fait pas, partout, de la permanence des soins, mais c'est aussi parfois un problème d'effectifs plus que de bonne ou mauvaise volonté.

Je pense qu'à court terme, il faut très rapidement mettre en oeuvre le service d'accès aux soins (SAS), qui est actuellement déployé à titre expérimental. Il faut le porter, aller plus vite et plus fort. Si on avait au moins une vraie prise en charge des soins non programmés la journée et la soirée, on aurait réglé beaucoup de difficultés, comme le problème des urgences et de la pédiatrie. Je souligne en effet ici que la pédiatrie est une spécialité qui souffre de plus en plus à l'hôpital public, en tout cas dans les centres hospitaliers généraux.

C'est un sujet d'importance. On recrute des pédiatres à l'hôpital pour se spécialiser en réanimation ou néo-natalogie, et ils se retrouvent de plus en plus à faire du soin non programmé de médecine générale ou de pédiatrie, ce qui entraîne de la pénibilité dans la réalisation de leur exercice professionnel.

L'organisation des soins au sein des Ehpad pose également fortement question : nous avons trop de patients dont la seule solution est l'hôpital le soir et la nuit. Il faut donc renforcer la médicalisation des Ehpad.

J'insiste sur l'importance du projet territorial de santé, mais aussi sur celle de l'hospitalisation à domicile. Il faut la « booster », y compris dans la possibilité d'inclure les patients dans le financement. C'est un levier pour soulager l'hôpital.

S'agissant des salaires, sans chercher à polémiquer, nos observations sur le bénéfice déclaré à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), qui est un chiffre objectif, témoignent d'écarts de rémunération dans certaines spécialités sont non négligeables.

Concernant les structures privées, leur activité dans les grandes villes ressemble globalement beaucoup celle de l'hôpital. En revanche, dans de nombreux départements, elles ne font que de la chirurgie. Nous l'avons vu lors de la crise sanitaire. C'est là où il y a une grande difficulté : malgré toute la bonne volonté du monde, ces structures ne peuvent pas aider l'hôpital. C'est la même chose pour la permanence des soins et les urgences. Cette métropolisation des structures pose souci.

Docteur Laurence Luquel. - Je partage le point de vue de mes collègues.

Pour les Espic, il y a certes des lits fermés, avec la grosse problématique de l'ouverture des lits liée à la période hivernale à laquelle nous ne pouvons pas procéder. Ce phénomène a été empiré dans le contexte de la crise covid. Rappelons que même à personnel constant, on compte moins lits disponibles en raison de l'impossibilité d'utiliser des chambres doubles.

J'attire votre attention sur la psychiatrie, dont on parle insuffisamment. L'accès aux soins en psychiatrie - en phase de crise et dans la prise en charge en continu - pose de grosses difficultés. Il faudra proposer des réponses.

Nous manquons aussi d'infirmières. Les études ont montré que la durée en poste d'une infirmière est globalement autour de trois à quatre ans, le plus souvent. Avant, elles commençaient leur carrière par être aides-soignantes, puis infirmières, puis continuaient leur carrière. Certaines devenaient cadres de santé, infirmières de bloc opératoire diplômée d'État (Ibode). Elles avaient des perspectives, comme la puériculture et le retour en crèche. Ces parcours sont désormais moins fréquents, ce qui crée de grandes disparités selon les établissements et les territoires.

Concernant les pôles, nos établissements sont peu concernés par cette organisation - même si de grands établissements en MCO sont structurés en pôles. La crise actuelle nous demande de réfléchir sur le cap que nous voulons nous fixer, et de redonner du sens. Il faut donner de la reconnaissance à chacun. Il faut arrêter les décisions qui partent du haut, mais faire confiance aux équipes. Ce sont elles qui auront les solutions. Le management doit être avant tout participatif. Je suis donc favorable au fait recréer des services, avec des objectifs propres, ce qui peut créer une émulation entre ces services. Ils sont tous indispensables : il faut arrêter de penser que la cardiologie interventionnelle est plus noble que la gériatrie. Demain, on aura au moins autant besoin de l'une que de l'autre. Tous nos concitoyens ont droit à avoir des soins de qualité quels que soient leur âge, leur pathologie et leur lieu de résidence.

En Île-de-France, en matière d'accès aux soins, la situation est très différente entre la petite et la grande couronne. En Essonne, où je travaille, on constate une désertification médicale. Il n'y aura bientôt plus de médecins. Il va donc falloir essayer de réimplanter la gradation des soins, séduisante sur le papier, mais dont nous sommes éloignés en pratique, ce qu'a exacerbé la crise.

Pourquoi en sommes-nous éloignés ? C'est essentiellement en raison du cloisonnement. Nous ne nous connaissons pas et nous n'avons pas le temps d'échanger. Pendant longtemps la France a considéré la médecine générale comme le parent pauvre de la médecine : tout était centré sur l'hôpital, et a fortiori l'hôpital public, même si la majorité des médecins qui exercent en Espic viennent du public et sont d'anciens praticiens hospitaliers.

Je n'ai pas de solution.

On vient de créer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui doivent s'organiser pour répondre à la problématique des médecins traitants et de la permanence des soins. Il est trop tôt pour savoir si ce nouveau dispositif a eu les effets escomptés. J'ai une petite crainte qu'il soit très concurrentiel avec l'hôpital. Il va en tout cas falloir apprendre à travailler ensemble.

Dans la prise en charge des maladies chroniques, chaque acteur de santé a son propre dossier sur le patient. Nous avons évoqué le sujet d'avenir du déploiement des outils numériques, mais nous n'avons aucun dossier médical partagé à ce jour ! En plus du Ségur du numérique, les ARS ont mis en place dans toutes les régions un outil numérique de coordination et de partage d'information entre les médecins traitants, les hôpitaux et éventuellement le médico-social, mais on voit que ce pilotage demande un fort investissement humain pour embarquer les équipes. Il faut que nous sachions, ensemble, quelles sont les informations pertinentes à transmettre entre nous. Lorsque le patient change de secteur, on recommence souvent tout à zéro, ce qui est insupportable. Cela représente une gabegie, y compris pour le patient.

Concernant les Ehpad, je suis plus optimiste que le Dr Godeau car une réflexion a été engagée sur la médicalisation des Ehpad. À ce jour, il est question que tous les Ehpad soient couverts par une équipe mobile extra-hospitalière. Ce n'est encore que sur le papier, mais c'est un progrès. Des choses ont été faites, une grande réflexion de la communauté gériatrique a été menée et portée par les ARS sur les objectifs « zéro brancard » aux urgences, d'admission directe à l'hôpital, et de favorisation des sorties.

Je suis davantage préoccupée pour les personnes en situation de handicap et en suivi psychiatrique. Mes collègues psychiatres - en tout cas dans les Espic - tirent la sonnette d'alarme concernant l'accès aux soins de cette population.

En ce qui concerne l'accompagnement, le vieillissement démographique et les maladies chroniques, il faut que notre système de santé s'adapte et trouve des zones de transition entre les différents segments, parce qu'on sait à quel point ces zones de rupture peuvent être sources de décompensation. Je ne sais pas comment faire pour désengorger les services d'accueil des urgences. Mais nous sommes vigilants et nous faisons tout pour faire des liens avec la ville et favoriser les hospitalisations directes sans passage par les urgences quand cela est possible.

Professeur François-René Pruvot. - J'attire votre attention sur l'utilisation des chiffres de manière désordonnée, notamment depuis deux ans. On a parlé de 25 % de lits fermés, mais en réalité, c'était au plus 19 %, et encore dans seulement certains hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

D'autres chiffres m'intéressent plus. Aujourd'hui, 50 % des départs du personnel médical ne sont pas faits pour aller ailleurs, mais pour arrêter le métier de soin.

Le second point est la différence entre les infirmières, qui s'en vont, et les aides-soignantes, qui tendent à rester - alors que leur situation a été problématique en début de crise. Elles ont peut-être un plus grand problème de polyvalence. Cela relance la question de la formation en polyvalence partielle de nos métiers de soins.

La gestion des lits, c'est aussi la gestion de l'incertitude, c'est-à-dire l'adaptation à la saisonnalité, aux afflux d'activité, etc. Nous ne sommes peut-être pas assez souples pour nous adapter. Au travers du Conseil scientifique, nous avons commis un retour d'expérience sur le covid dont le but n'était pas tant de préparer la prochaine crise, mais surtout de savoir comment adapter non seulement les ressources, mais aussi les dimensionnements des secteurs d'hospitalisation et leur réversibilité face à un afflux de patients non anticipé.

Nous avons une commande sur les ratios. Nous avons demandé au ministère des solidarités et de la santé d'attendre, car c'est un dossier très lourd. L'agence nationale d'appui à la performance (ANAP) avait mis huit ans à créer des ratios. Il nous faudra probablement une bonne année pour parcourir ce point.

J'attire aussi votre attention sur la dénomination des lits, à laquelle il faut prendre garde, notamment sur les soins critiques.

Vous avez dit que l'hôpital ne devrait pas être un réceptacle. C'est pourquoi j'en appelais solennellement aux candidats à l'élection présidentielle pour redessiner les missions de l'hôpital. Il s'agit de redonner les moyens au service public, avec un service privé complémentaire, qui a ses charges, comme nous l'avons entendu, mais qui ne sont pas de même nature que celles du public.

Par exemple, pendant la crise sanitaire, l'ambulatoire de l'hôpital public a fait un bond en avant de 8 %. Il y a donc une adaptabilité.

Le dossier patient est bien sûr très important. Les outils sont en place, nous pouvons avoir le dossier partagé par tous : il faut maintenant l'appliquer.

Les territoires, depuis la décentralisation, constituent une notion protéiforme : on compte un territoire populationnel, un territoire géographique, un territoire d'exercice... En matière de planification sanitaire territoriale, c'est une notion très complexe. On s'y attaque aussi.

En matière de pôles, je faisais hier une visio-conférence avec quelques présidents de CME. Je pense que l'on partage l'opinion du Dr Godeau. Il faut un peu plus de prérogatives de gestion dans les mains des médecins, mais pas trop. C'est parfois un autre métier. Cela peut être un autre métier dans un hôpital thématique, qui a beaucoup moins de contraintes. Un centre de lutte contre le cancer, pour un médecin, est plus facile à gérer qu'un gros centre hospitalier comme la Rochelle ou qu'un CHU. Donc il faut plus de délégation de gestion, de pouvoir de nomination et d'organisation, mais cela doit être limité pour préserver l'action médicale.

Un des membres de la commission qui a créé le service d'accès aux soins (SAS), est Patrick Goldstein, notre directeur du Samu à Lille. J'ai vu dans quelles conditions il a été mis en place. Je suis tout à fait d'accord avec le Dr Godeau : il faut pousser en ce sens car c'est la véritable solution, une réponse aux questions démographiques et au lien entre la médecine de premier recours et les patients plus complexes.

Je ne suis pas pour les CHU d'hyper-recours. Partout en Europe, c'est un échec, que ce soit en Suède avec le Karolinska, en Suisse ou en Allemagne. Lorsqu'on a essayé de mettre en place des hôpitaux universitaires dits d'« hyper-recours », cela finit par poser des problèmes de recrutement, de patients et de financement. On a besoin d'une fonction de proximité dans les CHU situés dans les métropoles, car il y a aux portes de ces hôpitaux des gens qui en ont besoin.

Sur le sujet de la gériatrie, deux notions me frappent. D'une part, nous nous sommes adaptés au vieillissement de la population de manière capacitaire intrinsèque : il y a moins de malades d'âge moyen et plus de vieux, on s'y adapte. Mais, d'autre part, on ne s'adapte pas quand, dans un territoire ou une région, le vieillissement de la population est anormal par rapport au vieillissement général de la population nationale. C'est là que les structures de soin doivent chercher des manières de s'adapter particulières.

Au sujet des Ehpad, on commencera à parler dans les années à venir d'Ehpad à domicile. On ne va pas bâtir des milliers d'Ehpad alors qu'on reviendra à une prise en charge personnalisée et à domicile.

Je terminerai par la psychiatrie : en tant que défenseur des GHT, j'estime qu'une partie des problèmes de la psychiatrie seraient résolus si on avait abandonné la sectorisation. Par ailleurs, il y a un vrai déficit démographique, qui est relatif : les jeunes psychiatres - dont le nombre augmente d'année en année dans les promotions - veulent s'installer dans les métropoles et en secteur non public.

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