Vous avez dit être soumis à un Ondam plus comptable que sanitaire. L'AP-HP représente peu ou prou 10 % de l'hôpital public en France. Êtes-vous à un moment partie prenante de la constitution de cet Ondam ?
Professeur Rémi Salomon. - Monsieur Jomier, la réponse à votre question est non. Il faudrait que les soignants et les usagers participent au débat démocratique qui a lieu chaque année au Parlement sur l'Ondam.
Il faut rappeler comment se déroule ce débat. L'Ondam est préparé et les parlementaires n'en prennent connaissance que quelques jours avant que le débat ait lieu.
Professeur Rémi Salomon. - Certes, le débat démocratique a ses limites, si j'entends votre remarque. Quoi qu'il en soit, il faudrait que les soignants et les usagers soient associés pour exprimer les besoins qu'il y a dans les territoires.
L'annonce par Jean-François Delfraissy de la fermeture de 20 % de lits a fait le buzz. Elle était sans doute légèrement surestimée. Olivier Véran a très rapidement dit qu'il fallait mener une enquête sur le sujet, ce qui n'était pas forcément la meilleure manière de réagir. La fermeture de lits pose inévitablement des difficultés quand on n'a déjà pas la faculté d'accueillir tous les patients à l'hôpital, d'autant que les capacités avaient déjà été réduites auparavant.
Certains services sont plus concernés que d'autres, notamment le neurovasculaire, qui représente quatre services en région parisienne. En cas d'accident vasculaire cérébral, si l'on intervient rapidement, avec une équipe multidisciplinaire, le pronostic cérébral est préservé, ce qui signifie que l'on peut sauver une vie ou éviter une paralysie définitive. Or 30 % de lits ont fermé en neurovasculaire à Paris. Certains services ont plus de 50 % de leurs lits fermés. Chaque minute qui passe est pourtant une perte de chances pour la personne victime d'accident. Plus que le pourcentage de lits fermés, c'est la question du fonctionnement des services qui se pose.
Certes, à l'AP-HP, on a sans doute plus souffert de la fermeture des lits que dans d'autres CHU. Toutefois, certains services ont été très touchés aussi ailleurs, notamment les urgences en province qui doivent parfois fermer la nuit ou le week-end. Il n'y a pas si longtemps, les urgences pédiatriques du centre hospitalier Sud Francilien ont dû fermer le dimanche ; à Longjumeau, elles sont fermées le samedi. Or le service d'urgence de l'hôpital Antoine-Béclère qui dépend de l'AP-HP n'a pas la capacité de prendre le relais.
Comment mobiliser les soignants et leur redonner confiance ? C'est la question que nous nous posons tous. L'esprit d'équipe existe toujours, selon moi. Quand on vient travailler à l'hôpital public, c'est que l'on a envie de travailler en équipe. Même en libéral, les jeunes sont intéressés par le travail en équipe.
Les conditions de travail, les difficultés de transport, l'insuffisance des effectifs sont autant de facteurs à prendre en compte. Prévoir plus de logements aux abords des hôpitaux irait dans le bon sens. La direction de l'AP-HP et l'administration y travaillent d'arrache-pied.
Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il y aurait trop d'administration. Nous avons besoin d'une administration solide, car les soignants ne sont pas des gestionnaires. En revanche, la complexité de certaines procédures peut poser problème. Les cadres de soins qui encadrent les paramédicaux sont parfois pris dans des procédures administratives dont on ne voit pas forcément l'utilité. Ils jouent pourtant un rôle important auprès de leur équipe - j'avais d'ailleurs déploré, à l'époque du Ségur de la santé, qu'on n'ait pas revalorisé leur salaire, ce qui a été corrigé dans un second temps. Leur position est difficile, car la direction leur enjoint de faire avec moins de masse salariale, alors qu'ils constatent que cela ne correspond pas aux besoins sur le terrain.
Pour redonner confiance aux soignants, il faudrait rétablir un dialogue de gestion fondé sur l'idée que ceux qui font le travail en ont la meilleure connaissance. Le cadre de soins et le chef de service pourraient oeuvrer en binôme pour définir les besoins. Le gestionnaire pourra ensuite faire des arbitrages. L'essentiel est d'instaurer un dialogue qui s'exercera tant au niveau national pour le financement qu'au niveau local pour la gestion des ressources et des besoins. Aujourd'hui, bien souvent, il n'y a même plus de dialogue et les décisions sont trop souvent prises par des personnes qui ne connaissent pas bien les besoins.
Il faut aussi réévaluer les rémunérations, notamment pour les gardes de nuit. Aujourd'hui, un infirmier qui travaille la nuit ne gagne qu'un euro de plus, soit 10 euros pour une nuit de dix heures, ce qui est dérisoire. Il faut aussi mieux payer le week-end, car le dimanche n'est payé que 45 euros.
Enfin, il faut fixer les ratios. La CME se bat depuis longtemps sur ce sujet. Pour bien travailler, il faut être en nombre suffisant. Les conséquences peuvent être sévères quand on n'a pas le temps de bien faire.
Nous devons fixer un cap, car les effets prendront du temps à se concrétiser. Toutefois, beaucoup de soignants ont quitté l'hôpital la mort dans l'âme, car ils avaient le sentiment d'exercer un beau métier. Je suis convaincu qu'ils reviendront dès lors que nous nous serons donné l'objectif de leur offrir de meilleures conditions de travail.
Les hôpitaux de l'AP-HP comptent beaucoup de services très spécialisés de « recours », avec des patients qui dépassent le périmètre de la capitale et même de la région. Ils remplissent aussi une mission de proximité avec des services d'urgence.
La crise du covid nous a donné l'espoir de pouvoir travailler en meilleure coordination avec la médecine de ville. C'est un point qui mériterait d'être pris en compte dans le cadre d'une grande réforme de notre système de santé. Nous pourrions développer des partenariats et des exercices mixtes, à condition de ne pas déshabiller l'hôpital et d'y conserver des équipes stables. Les professionnels peuvent être intéressés par une pratique diversifiée entre la ville et l'hôpital. Le parcours du patient doit être précisé. Nous gagnerions à développer un travail collaboratif entre les différents acteurs. Certes, chacun veut défendre sa chapelle, mais la situation est telle que nous n'avons plus le choix : les médecins hospitaliers et les médecins de ville doivent réussir à s'entendre.