Intervention de Didier Houssin

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 24 mars 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Didier Houssin directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Didier Houssin :

A titre liminaire, M. Didier Houssin a rappelé qu'il avait été nommé directeur général de la santé le 31 mars 2005. Le 31 août 2005, en pleine flambée épizootique mondiale liée au virus grippal H5N1, il a aussi été nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. Outre la menace de pandémie grippale liée à ce virus, il a affronté, dès 2005, l'épidémie liée au virus chikungunya à La Réunion et l'état d'hyper-endémie lié au méningocoque dans la zone de Dieppe. Il a donc été très tôt sensibilisé aux menaces épidémiques.

a également précisé qu'il était médecin et n'avait aucun lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.

Il a souhaité répondre à la question du rôle de l'industrie pharmaceutique dans la gestion par le Gouvernement de la pandémie liée au virus A (H1N1)v 2009.

En premier lieu, a-t-il affirmé, le Gouvernement a effectivement géré la pandémie A (H1N1)v.

Cette gestion a été suivie par le Président de la République ; des arbitrages importants ont été rendus par le Premier ministre, en particulier sur l'application du plan national « pandémie grippale », la mise en place du Centre interministériel de crise (CIC), l'acquisition des vaccins, la gratuité et le caractère non obligatoire de la vaccination ou par son cabinet.

La ministre de la santé et des sports a été naturellement en première ligne sur de nombreux sujets relevant de sa compétence : appréciation de la situation et de son évolution, préconisation ou prise de mesures de gestion, mobilisation du système de santé, information du public et des professionnels de santé, ou dans le cadre du CIC.

La Direction générale de la santé (DGS) s'est efforcée d'appuyer son action en faveur de la protection de la santé des français, soit en lui proposant des décisions, soit en mettant en oeuvre les décisions qu'elle avait prises.

La gestion gouvernementale de la pandémie a mobilisé de nombreux acteurs :

- la population

- de très nombreux professionnels, dans le secteur de la santé - y compris l'industrie pharmaceutique - mais aussi au niveau des autres ministères, de l'administration déconcentrée, des collectivités territoriales, du système scolaire, du secteur médico-social, des médias, etc.

L'industrie pharmaceutique, a-t-il souligné, a contribué à cette gestion en exerçant son rôle de fournisseur de produits de santé, dans les règles usuelles d'évaluation de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité de ceux-ci.

La DGS s'est efforcée de préserver la continuité de ce rôle, avant la pandémie, c'est-à-dire entre 2006 et 2009, puis dans le cours de celle-ci, durant le printemps et l'été 2009, en appelant l'attention de ces entreprises sur l'importance :

- de la préparation de leurs plans de continuité d'activité. Un exercice « pandémie » du secteur pharmaceutique était d'ailleurs prévu en septembre 2009. Compte tenu de la volonté du secteur pharmaceutique de s'y engager, il pouvait être aussi un exemple pour la préparation d'autres secteurs économiques à une pandémie grippale ;

- de la mise en place d'un dispositif assurant la continuité d'approvisionnement de nombreux médicaments et dispositifs médicaux en situation de pandémie ;

- de la vérification des mesures prises concernant les antibiotiques et les antipyrétiques, afin d'éviter tout risque de rupture d'approvisionnement.

En deuxième lieu, M. Didier Houssin a souligné qu'il ne pensait pas que l'industrie pharmaceutique ait tenté, comme l'énonce la conclusion de la résolution créant la commission d'enquête, de manipuler, voire d'instrumentaliser la gestion du Gouvernement, que ce soit au niveau national, européen ou mondial.

Selon la résolution, cette manipulation aurait conduit l'industrie pharmaceutique, pour vendre des produits de santé :

- à influencer les décisions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) relatives à la qualification de l'urgence sanitaire signalée par le Mexique comme une urgence de portée internationale, et à la déclaration de l'état de pandémie, pour créer une pandémie qui n'existait pas ;

- à orienter les avis d'experts susceptibles de peser sur les décisions d'acquisition ou d'utilisation, notamment de vaccins ou d'antiviraux, aux niveaux national, européen ou international.

Certes, il est toujours difficile de démontrer qu'une chose n'existe pas, surtout quand elle est présentée comme une action occulte, comme un complot.

On peut cependant avancer des arguments qui semblent plaider contre l'hypothèse d'une manipulation fomentée par l'industrie pharmaceutique.

Le premier, a indiqué M. Didier Houssin, est un argument de faisabilité : l'identification, le signalement, l'analyse des faits épidémiologiques sont hors de portée de l'industrie pharmaceutique.

Les choses se passent en effet de la façon suivante : des médecins ou des hôpitaux observent, puis signalent aux autorités sanitaires d'un pays, que des personnes sont malades, que leur maladie présente des caractères inhabituels, qu'il y a des décès. L'analyse de ces signalements au niveau national, puis international, relève alors d'une expertise qui porte sur la qualification de la situation : que se passe t-il ? Que peut-il se passer ensuite ? Cette expertise, déterminante car elle dimensionne ce que l'on peut redouter et conditionne la définition de ce qu'il faudrait pouvoir faire, est celle des épidémiologistes.

Sauf à imaginer des liens occultes, les épidémiologistes des organismes concernés (InVS en France, ECDC en Europe, CDC Atlanta aux Etats-Unis...) sont sans lien avec les industries pharmaceutiques. L'industrie pharmaceutique ne pouvait donc pas préparer l'étape initiale, essentielle, d'une telle manipulation.

Les deux autres arguments sont de cohérence. D'abord, si l'industrie pharmaceutique au niveau mondial avait vraiment tenté une semblable manipulation, le travail de préparation des trente-cinq firmes pharmaceutiques productrices de vaccins dans le monde aurait été considérable en termes d'anticipation et de concertation, dans un domaine par ailleurs très concurrentiel. Comment admettre, dès lors, que l'industrie pharmaceutique, qui se serait si bien préparée, ait eu tant de mal à produire ces vaccins en grande quantité ? Comment aurait-elle pu ne pas anticiper la préparation, somme toute techniquement simple, de la présentation des vaccins en monodoses, ce qui aurait beaucoup simplifié l'organisation de la vaccination dans nombre de pays ? Mais l'on constate au contraire que l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins.

Ensuite, si l'industrie pharmaceutique tenait dans sa main, en France et en Europe, les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), du comité de lutte contre la grippe, du comité technique des vaccinations et de la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de santé publique, de l'Agence européenne du médicament, comment aurait-elle pu les laisser dire, à l'automne 2009, que les résultats des essais cliniques montraient que, dans beaucoup de cas, une seule dose de vaccin suffisait à protéger contre le virus.

En conclusion, M. Didier Houssin a insisté sur le fait que, jusqu'à la fin du mois de septembre 2009, la crainte des autorités et des instances compétentes était que la pandémie liée au virus A (H1N1)v 2009 se traduise par une hécatombe.

Elles ont donc tout fait pour éviter cela et protéger au mieux la santé des Français. Elles se sont efforcées d'adapter les actions à l'évolution des connaissances, dans un contexte longtemps marqué par de grandes incertitudes. Cette hécatombe n'a pas eu lieu. Est-ce en raison d'une chance inespérée, d'une erreur d'appréciation, d'une action efficace, ou de deux ou trois de ces raisons ? La commission d'enquête pourra en juger.

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