Enfin, la commission d'enquête a entendu Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS.
a tout d'abord souligné l'ancienneté de l'immigration irrégulière.
Elle a rappelé qu'entre 1945 et 1974, les besoins de main-d'oeuvre des entreprises françaises étaient tels qu'elles recrutaient directement des salariés étrangers sans passer par l'intermédiaire, pourtant obligatoire, de l'Office national de l'immigration, devenu plus tard l'Office des migrations internationales, et obtenaient par la suite la régularisation de leur situation. A titre d'exemple, elle a relevé qu'en 1968, 18 % seulement des travailleurs étrangers avaient été recrutés par l'Office. Elle a également rappelé qu'à l'époque, déjà, les marchands de sommeil étaient dénoncés dans la presse.
Elle a indiqué qu'après le coup d'arrêt donné en 1972 à la procédure de régularisation par les circulaires « Marcellin-Fontanet », la décision avait été prise, en 1974, de suspendre l'immigration de travailleurs. Elle a observé qu'il avait également été envisagé de mettre fin au regroupement familial mais qu'une telle interdiction avait été jugée contraire à la Constitution par le Conseil d'Etat en 1976.
a estimé qu'à compter de 1974, la politique de l'immigration française s'était construite sur deux postulats erronés, selon lesquels la crise économique interdirait de faire appel à des travailleurs étrangers et de tels immigrés déjà installés en France souhaiteraient rentrer dans leur pays.
Elle a observé qu'en dépit de la suspension officielle de l'immigration de travailleurs, plusieurs secteurs de l'économie française avait continué à faire appel à de la main d'oeuvre étrangère, contribuant ainsi au développement de l'immigration irrégulière.
Elle a ajouté que les manifestations et les grèves de la faim d'étrangers en situation irrégulière sous le septennat de M. Valéry Giscard d'Estaing avaient révélé l'ampleur de ce phénomène et conduit aux régularisations de 1981 et 1982.
Elle a expliqué que l'analyse des 142.000 régularisations décidées en 1981 sur un total de 150.000 demandes avait montré que 33 % des étrangers en situation irrégulière étaient employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, 11 % dans celui de la restauration, 11 % dans celui des services domestiques et 11 % dans celui de l'hôtellerie. Elle a ajouté qu'un tiers des 90.000 étrangers ayant obtenu une régularisation de leur situation en 1997-1998 -sur un total de 150.000 demandes- étaient employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
a ensuite observé que les étrangers occupaient les emplois dont les Français ne voulaient pas en raison de leur pénibilité, de leur dangerosité et de leur malpropreté, et que la voie de l'immigration de travail étant fermée, ils venaient en France en utilisant les procédures du droit d'asile et du regroupement familial.
Après avoir souligné que de nombreux pays occidentaux étaient confrontés à la présence d'étrangers en situation irrégulière, leur nombre étant estimé entre 6 et 12 millions aux Etats Unis, elle a relevé que plusieurs Etats européens avaient fait le choix de prendre des mesures de régularisation. Elle a ainsi rappelé que la Grèce et le Portugal y avaient eu recours à plusieurs reprises au cours des dernières années, que l'Italie avait régularisé la situation de 650.000 étrangers en 2003 sur un total de 750.000 demandes, et que l'Espagne avait régularisé la situation de 700.000 personnes, après avoir enregistré un million de demandes, en 2004. Elle a estimé que ces décisions constituaient une forme d'aveu de l'échec des politiques de contrôle aux frontières et des dysfonctionnements du marché du travail.
Elle a souligné que l'Europe connaissait à la fois un fort taux de chômage et d'importants besoins de main-d'oeuvre et a expliqué cette situation par la très forte segmentation du marché du travail, les demandeurs d'emploi nationaux n'étant pas intéressés par les secteurs connaissant une pénurie de main-d'oeuvre.
Elle a précisé que les travailleurs étrangers n'occupaient pas exclusivement des emplois peu qualifiés, citant en exemple les emplois pourvus dans les hôpitaux, l'enseignement ou le secteur de l'informatique.
Elle a également souligné la diversité des profils des travailleurs étrangers en situation irrégulière : déboutés du droit d'asile ayant trouvé un emploi au cours de la période d'examen de leur demande, étrangers entrés irrégulièrement en France grâce à des réseaux de passeurs et réduits en esclavage pour rembourser le prix de leur voyage, étudiants n'ayant pu obtenir un permis de travail malgré parfois la promesse d'embauche d'une entreprise, personnes n'ayant pu bénéficier du regroupement familial en raison des lacunes de l'état civil de leur pays d'origine...
a dénoncé la crise de la politique de l'asile, regrettant que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), submergé de demandes, soit conduit à rejeter 80 % d'entre elles, alors qu'il y a quelques années, il en acceptait 80 %.
Elle a estimé que la politique de fermeture des frontières avait pour effet pervers d'alimenter une économie souterraine de l'immigration irrégulière conduisant les étrangers soit à l'esclavage, soit à la mort. A l'appui de ces propos, elle a rappelé les drames survenus à Ceuta et Melilla, à Lampedusa ou au large de la Grèce. Elle a par ailleurs relevé que des étrangers en situation irrégulière continuaient d'affluer à Sangatte dans l'espoir de se rendre au Royaume-Uni.
Elle a expliqué le hiatus entre la politique de fermeture des frontières des Etats européens et l'importance de l'immigration irrégulière par :
- l'aggravation de la situation des pays d'émigration résultant des politiques d'ajustement structurel imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ;
- le souhait des étrangers qualifiés de quitter leur pays en raison soit de l'absence d'emplois attractifs soit de la situation politique locale ;
- le caractère attractif des pays européens pour des populations urbaines et scolarisées découvrant la télévision, les produits de consommation et les transferts de fonds.
a estimé que la politique de fermeture des frontières était non seulement difficile à mettre en oeuvre, mais, de surcroît, injustifiée au regard de la situation démographique européenne, caractérisée par le vieillissement de la population et d'importants besoins de main-d'oeuvre à moyen terme.
Elle a dénoncé les conditions d'exercice des contrôles aux frontières, relevant que la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, et jugé inacceptable que l'Union européenne tolère la mort à ses portes, chaque mois, d'étrangers tentant de pénétrer sur son territoire.
Elle a souhaité que les Etats membres de l'Union envisagent :
- de rétablir une immigration de travail ;
- de mettre fin à la préférence communautaire pour l'attribution des emplois ;
- de conclure des accords multilatéraux ou bilatéraux avec certains pays d'émigration aux termes desquels ils accepteraient la venue de ressortissants de ces pays en contrepartie d'un contrôle plus étroit de leurs frontières ;
- enfin, de prévoir, à l'instar du Canada et, depuis le 1er janvier 2005, de l'Allemagne, des quotas de main-d'oeuvre étrangère.
A cet égard, elle a précisé que l'immigration dite « choisie » ne devait pas exclusivement concerner les étrangers les plus qualifiés.