Intervention de Marie-Christine Lepetit

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 14 juin 2018 à 16h30
Audition de Mme Marie-Christine Lepetit chef du service de l'inspection générale des finances

Marie-Christine Lepetit, cheffe du service de l'Inspection générale des finances :

Plutôt que de conflit d'intérêts, je préfère parler de conflit d'influences. La question est importante. Il s'agit d'apprécier le degré de liberté que l'on a pour décider lorsque l'on intervient dans différents univers. Je répondrai de manière indirecte. Ce que l'on recherche et cultive à l'IGF, c'est l'indépendance d'esprit. Pour l'obtenir - car il n'est pas toujours facile de se détacher de son milieu social d'origine, de son appartenance à l' association des anciens élèves de telle ou telle son école, de son ancien patron parfois, etc. -, on demande aux jeunes inspecteurs de commencer par faire des vérifications, qui consistent à arriver à l'impromptu dans un service pour en auditer tous les rouages. Cela contraint à s'en remettre aux faits, sans a priori, sans fioritures. Les inspecteurs doivent savoir appréhender le réel et le restituer dans des présentations robustes, de manière contradictoire. Nous leur apprenons aussi à se comporter, à l'égard de leurs interlocuteurs et des personnes auditées, de manière neutre, attentive, respectueuse et en même temps rigoureuse et scrupuleuse. Les conclusions doivent résister à la contradiction, être objectives, solides. Tout cela concourt à forger l'indépendance d'esprit. Ainsi, contrairement à ce que l'on entend souvent dans les médias, la pensée unique, à l'IGF, cela n'existe pas ! D'ailleurs, il y a des querelles vives entre inspecteurs des finances. On le voit par exemple dans le monde des affaires, par exemple lors d'OPA, ou sous la forme d'échanges d'éditoriaux dans la presse !

Ensuite on trouve des inspecteurs des finances des deux côtés, aussi bien dans les banques que chez le régulateur, qui s'efforcent de trouver les meilleures solutions de manière argumentée et indépendante. Je connais les interprétations que les sociologues ou les journalistes peuvent faire de cette situation. Pour ma part, en tant que directrice de l'Inspection, je vois des individus qui ont chacun leurs particularités, leur personnalité, et qui tous jouent leur partition individuelle, chacun dans son registre.

Il est vrai aussi que le risque de conflits d'influences existe. Il convient à cet égard de trouver le bon équilibre. Deux écueils sont à éviter : celui lié à l'incompétence technique, l'ignorance, la méconnaissance d'informations essentielles à la prise de la décision, qui naîtrait de l'érection de murailles de Chine étanches entre les secteurs - et qui n'existent d'ailleurs nulle part dans le monde ; et inversement, celui lié à un laxisme excessif dans le processus de décision, qui rendrait possibles des décisions biaisées en raison des intérêts ou des relations des décisionnaires. Il est bon que le législateur se soit emparé du sujet, édictant des règles qui permettent de continuer de dialoguer, d'échanger, de préserver la symétrie d'information entre le régulateur public et le secteur régulé, tout en veillant à ce que l'intérêt privé ne l'emporte pas sur l'intérêt général et qu'aucune influence extérieure n'interfère avec le processus de décision. C'est l'objet des règles de déport, de transparence, des déclarations d'intérêts, des procédures de décision collectives, etc. Nous avions un peu de retard en la matière par rapport aux anglo-saxons. Ces matières sont plus difficiles à traiter que la corruption. En tout cas, tout est affaire d'équilibre entre l'exigence de connaissance du secteur sur lequel on intervient et l'exigence d'équité et d'indépendance. Lorsque j'étais à la tête de la direction de la législation fiscale à Bercy, le pouvoir politique a envisagé de taxer le trading à haute fréquence. C'était très difficile. Personne n'était capable ou désireux de nous montrer comment les choses fonctionnaient... Évitons ces situations ! De ce point de vue il est judicieux d'organiser le dialogue entre le privé et le public, de donner la possibilité aux uns et aux autres de se parler et de se comprendre. C'est ainsi que l'on peut trouver les meilleurs équilibres possibles pour tous.

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