Intervention de Marc Noizet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 28 juillet 2020 à 14h30
Table ronde de praticiens

Marc Noizet, chef de pôle urgences et du SAMU à l'hôpital Muller de Mulhouse :

Je tiens à vous remercier de cette invitation et de l'occasion que vous donnez aux acteurs de terrain, confrontés en première ligne à la violence de cette crise, de venir témoigner devant vous.

Je suis le chef du service des urgences et du SAMU 68 à l'hôpital de Mulhouse. J'assume par ailleurs des missions de coordonnateur du Réseau et Observatoire des urgences Grand-Est, qui travaille quotidiennement pour les cinquante-deux services des urgences de la région, en lien avec l'ARS, pour en améliorer le fonctionnement global.

Mon établissement comprend 1 250 lits MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), dont 36 lits de réanimation. Il couvre un bassin de population de 400 000 habitants, ce qui en fait le deuxième centre hospitalier général en termes de taille et d'activité. Le SAMU 68 gère à peu près 200 000 dossiers médicaux de régulation par an. Nous accueillons près de 120 000 patients sur les différents sites des urgences de l'établissement.

Si, dès la fin de février, comme tous les établissements de France, nous nous apprêtions à accueillir des cas suspects de covid - situation aggravée par notre proximité avec l'Italie -, c'est le 1er mars que nous avons été confrontés brutalement à la réalité de cette crise, qui nous a submergés en quelques jours avec une cinétique excessivement violente, ne nous laissant, pendant près de six semaines, aucune capacité à anticiper. Je souhaite donc ici témoigner du contraste des situations entre les différents territoires nationaux, car mon département a vécu quelque chose d'exceptionnel.

La précocité de la crise par rapport au reste du territoire national et la suractivité que nous avons constatée ont été la conséquence directe d'un rassemblement cultuel qui s'est tenu dans l'agglomération de Mulhouse du 17 au 23 février. Ce rassemblement de 2 000 à 3 000 personnes a donné lieu à un foyer épidémique majeur et à une dispersion non contrôlée, à une période où on ne parlait que de « petite grippe » et où les gestes barrières et l'isolement n'étaient encore que des concepts.

Premier point, le Haut-Rhin a été un département sinistré de manière hors norme comparativement au reste du territoire. Mon établissement a accueilli plus de 2 000 patients covid, dont plus de 365 en réanimation. L'activité du centre 15 a été multipliée par quatre et nous avons transféré 330 patients de réanimation lourde dans d'autres départements pour permettre le maintien de nos capacités d'accueil et de prise en charge. Ces 330 patients représentent la moitié des patients transférés pour toute la France.

Deuxième point, nous avons vécu un décalage important dans la compréhension nationale de la gravité de la situation à laquelle nous étions confrontés. Cela a donné lieu à des recommandations qui étaient inapplicables sur notre territoire et à un retard dans l'envoi de renforts humains et de moyens pourtant nécessaires - je pense en particulier aux équipements de protection individuels. Début mars et pendant plus de quinze jours, nous nous sommes sentis réellement isolés.

Troisième point, nous avons été confrontés à une difficulté de pilotage de gestion de la crise au niveau régional, notamment en ce qui concerne la coordination de la disponibilité des lits de réanimation et les transferts inter-établissements, en raison, d'une part, d'outils numériques inadaptés, et, d'autre part, d'un manque d'expertise dans la gestion de crise de nos tutelles régionales.

Quatrième point, nous avons été confrontés à une difficulté dans les choix stratégiques, thérapeutiques et d'orientation liée à une méconnaissance de la maladie, à une gestion de crise avec des moyens saturés et contraints, à une incidence plus importante des formes graves chez les patients âgés et polypathologiques et à la sollicitation à un niveau hors norme de nos unités de réanimation.

Cinquième point, nous avons assisté à une collaboration inédite public-privé -preuve que tous les territoires n'ont pas vécu la même situation - et ville-hôpital, avec une flexibilité organisationnelle et des innovations qui nous ont permis d'éviter la saturation des structures hospitalières, qu'elles soient publiques ou privées. En très peu de temps, public et privé ont travaillé ensemble, y compris grâce à l'échange de professionnels. Nous avons par exemple accueilli des anesthésistes du privé dans nos services de réanimation.

Cette crise était probablement difficilement prévisible. Notre système de santé s'est transformé dans sa globalité et s'est adapté pour y faire face. Le retour d'expérience est nécessaire pour mutualiser nos apprentissages régionaux. Il est important de désenclaver nos fonctionnements, qui ont toujours tendance à s'organiser en silos. Si l'hôpital public, dans certains endroits, a défendu son propre périmètre, ce n'était pas pour ne pas travailler avec le privé, mais par méconnaissance et par crainte de l'inconnu. Il importe donc d'améliorer la coordination et la communication entre les acteurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion