Oui ! J'évoquerai la réanimation des patients les plus graves. Il y a eu des progrès thérapeutiques. Comme vous le savez, de très nombreux essais ont été menés. Une controverse très vive a eu lieu autour de l'hydroxychloroquine, dont, pour l'instant, la communauté internationale n'est pas convaincue de l'efficacité. En revanche, une étude anglaise intitulée Recovery, dont le compte rendu a été publié la semaine dernière dans The New England Journal of medicine, montre qu'une courte cure de corticostéroïdes, avec un médicament qui ne coûte presque rien, la déxaméthasone, permet de réduire la mortalité des patients qui ont besoin d'une oxygénothérapie ou qui doivent être placés sous ventilation artificielle.
On a aussi fait des progrès dans l'identification des signes précoces de gravité : une des particularités des patients atteints de la covid-19, qui est un syndrome de détresse respiratoire aiguë, est qu'ils présentent une hypoxémie heureuse, c'est-à-dire des taux d'oxygène dans le sang très bas sans sensation d'essoufflement important. C'était trompeur pour nous, au début.
En matière d'offre de soins, il y a aussi eu des progrès : l'augmentation de l'offre de soins de réanimation développée lors de la première phase est désormais en réserve. Je coordonne l'offre de soins pour les Pays de la Loire : en Mayenne, département de 300 000 habitants, la situation est tendue, avec l'apparition de plusieurs clusters et une circulation du virus inquiétante - essentiellement parmi une population jeune, notamment des travailleurs immigrés qui travaillent dans les abattoirs, vivent dans des foyers et sont peu enclins à développer des formes graves. L'hôpital de Laval comptait, avant la crise, 8 lits de réanimation, soit moins de 3 lits pour 100 000 habitants, contre 7,5 en moyenne en France. Désormais, cet hôpital peut compter, en plus de son service de réanimation qui a été étendu, car l'unité de surveillance continue a été transformée en unité de réanimation, sur 15 lits d'une unité désaffectée, qui devait être transformée en service de cardiologie. Ces lits sont susceptibles d'être transformés en vingt-quatre heures en lits de réanimation. Le système est donc mieux préparé que lors de la première phase.
En ce qui concerne l'articulation entre l'hôpital et le système de santé, la doctrine était que les personnes, en cas de toux, devaient appeler le 15, chargé d'orienter les personnes suspectées d'être atteintes de la covid vers les hôpitaux de première ligne, qui étaient des hôpitaux publics. On a tout misé là-dessus, en sous-estimant l'ampleur de la crise. Il aurait probablement fallu activer plus tôt l'ensemble du système de santé, notamment les médecins généralistes, mais il aurait fallu alors pouvoir leur fournir des masques : on voit comment la disponibilité des moyens a eu un impact sur les décisions.
De même, le 26 février, dans la région Pays de la Loire, seul le laboratoire de virologie du CHU de Nantes avait l'agrément pour réaliser des tests PCR en vue de détecter les cas de covid. J'ai envoyé un courriel à M. Salomon, qui m'a répondu aussitôt qu'il activait d'autres centres. Le système était le suivant : la direction générale de la santé indiquait au centre national de référence (CNR) des coronavirus de l'Institut Pasteur les laboratoires prioritaires pour faire des diagnostics. Le CNR prenait ensuite contact avec ces laboratoires, leur communiquait la technique à utiliser, validait la mise en oeuvre de la technique par le biais de prélèvements tests et homologuait finalement les laboratoires. Cette stratégie a restreint le nombre de laboratoires agréés, et donc notre capacité de diagnostic. On l'a adaptée à une disponibilité des moyens de diagnostic assez limitée au départ, et ce n'est qu'ensuite qu'il est apparu qu'il fallait diffuser la technique à l'ensemble des laboratoires. En Mayenne, un laboratoire vétérinaire a ainsi reçu l'agrément et participe actuellement à la campagne de dépistage.
On a clairement considéré, pendant les premières semaines, que la crise constituait un défi pour l'hôpital, alors qu'elle constituait un défi pour l'ensemble du système de santé. On a probablement perdu du temps. On s'en est vite aperçu au sein de la cellule de crise du CHU d'Angers. On a contacté alors les médecins libéraux, et on a organisé treize centres Covid 49 - 49, comme le numéro du département. Il pouvait s'agir de maisons de santé pluridisciplinaires, de salles polyvalentes mises à disposition par les maires, etc. L'hôpital a fourni les gels hydroalcooliques fabriqués par la faculté de pharmacie, les masques, des étudiants en médecine pour assurer l'accueil du public, notre cellule d'hygiène a organisé les parcours pour éviter que les gens ne se croisent, puis on a laissé les médecins généralistes s'organiser pour assurer des permanences. Quand le SAMU recevait un appel d'une personne qui présentait des symptômes sans avoir développé une forme grave, il le redirigeait vers le centre le plus proche, où il était pris en charge par un médecin. Ce système a très bien fonctionné et nous sommes prêts à le réactiver.
J'en viens à la recherche. Il y a eu un très grand dynamisme en la matière, essentiellement du fait des CHU. L'essai Discovery a été mené par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui est un organisme de très haut niveau scientifique ; mais ce n'est pas l'Inserm qui soigne les malades, ce sont les hôpitaux ! La conduite de cet essai a été très difficile, et sa dimension européenne n'a pas simplifié les choses... Toutefois, les initiatives ont fleuri au sein des hôpitaux. Nous disposions d'un stock d'hydroxychloroquine et nous avons lancé un essai randomisé sur 250 malades. L'analyse de ce test est en cours et devrait être publiée dans les prochaines semaines. Les cliniciens et les chercheurs sont demandeurs d'une procédure simplifiée, rapide, adaptée au temps de crise, afin de pouvoir mener rapidement des travaux de recherche. Mais on note déjà des avancées. Il faut ainsi souligner le travail de la direction générale de la santé pour accélérer le processus d'évaluation des projets de recherche par les comités de protection des personnes.
Des transferts de patients ont été organisés. L'un des premiers a été un transfert de patients du Grand-Est vers les Pays de la Loire. L'idée est née au sein du groupe WhatsApp des réanimateurs du Grand Ouest. Nous constations que nous étions prêts, il ne manquait plus que les malades. Le chef du service de réanimation de l'hôpital de Mulhouse m'a expliqué qu'ils étaient submergés. Nous avons donc proposé d'accueillir des patients. Tout est allé ensuite assez vite. Lors d'une conférence téléphonique, j'ai fait cette proposition à l'ensemble de mes collègues réanimateurs des Pays de la Loire. Chacun était d'accord. J'ai soumis l'idée à ma directrice générale, qui est déléguée régionale de la Fédération hospitalière de France. Elle a contacté tous les directeurs des établissements concernés. Le 21 mars, j'ai proposé le dispositif au directeur général de l'ARS. Le 26 mars, le premier TGV en provenance de Strasbourg et de Mulhouse est arrivé : six patients ont été accueillis à Angers, quatre au Mans, six à Nantes et quatre à La Roche-sur-Yon. Les SAMU ont géré le transfert de manière remarquable. Les préfets ont veillé à garantir des conditions de sécurité optimales. L'opération a été une réussite ; les six patients soignés à Angers sont repartis chez eux.
Il semblait préférable d'organiser des transferts de patients plutôt que de médecins ou de moyens, car on ne pouvait pas prendre le risque de nous démunir et de réduire l'offre de santé sur notre territoire. C'est pourquoi nous avons formulé cette offre, qui a été transmise par le directeur général de l'ARS des Pays de la Loire, M. Coiplet, à la cellule de crise nationale. Celle-ci l'a ensuite communiquée à l'ARS du Grand-Est, et les transferts ont été organisés en cinq jours. Début avril, nous avons reçu 47 patients d'Île-de-France, avec des transferts par hélicoptère ou par avion ; il faut reconnaître que cela fut un petit peu plus compliqué et désordonné, même si aucun patient n'en a pâti - il est vrai que les collègues réanimateurs sélectionnaient des patients dans un état stable, capables de supporter les transferts. Les spécialistes du SAMU savent sécuriser un transfert, y compris prolongé - c'est leur métier -, et c'est une chance que n'ont pas tous les pays européens.