Intervention de Marc Noizet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 28 juillet 2020 à 14h30
Table ronde de praticiens

Marc Noizet, chef de pôle urgences et du SAMU à l'hôpital Muller de Mulhouse :

J'ai parlé en effet, dans mon propos liminaire, d'un décalage de compréhension et de perception entre ce que nous vivions et une vision nationale qui appréhendait le territoire d'une manière globale, sans tenir compte de la gravité de ce qui se passait localement. Début mars, nous évoquions la gravité des difficultés que nous rencontrions dans nos échanges quotidiens par téléphone ou visioconférence avec l'ARS et la préfecture. Je ne doute pas que le directeur de l'ARS ou le préfet aient fait remonter ces informations. Pourtant, nul n'a pris la mesure de l'ampleur des problèmes locaux et des besoins de réorganisation du système ; nos ressources pour faire face à la crise étaient saturées. Si nous avions bénéficié du renfort de ressources extérieures, l'organisation aurait pu être différente.

Illustration de ce décalage de perception, les recommandations nationales étaient déjà inapplicables chez nous. Chaque jour, le directeur général de la santé parlait, dans son point de presse quotidien, de la réalisation de tests, promettant que tout patient symptomatique bénéficierait d'un test ; mais nous n'avions déjà plus les moyens de tester ces patients, faute d'un nombre de tests suffisant, tandis que notre dispositif de prélèvement était déjà saturé : en Alsace, seul le laboratoire du CHU de Strasbourg pouvait traiter les tests et nous ne pouvions en réaliser davantage. La population ne comprenait pas. De même, on demandait aux gens d'appeler le 15 pour tout symptôme. Le 6 mars, j'ai demandé à ce que l'on sollicite le centre 15 pour des cas nécessitant une prise en charge, et non uniquement comme centre de renseignement. Il y avait donc un décalage entre les discours publics nationaux et la réalité que nous vivions.

Dans mon établissement, le stock de masques chirurgicaux s'élève à 30 000 par mois. Or, début mars, nous en consommions 30 000 en deux jours ! L'État avait mobilisé l'ensemble des stocks du territoire, mais il a fallu attendre assez longtemps pour recevoir une première aide - je n'ai plus la date en tête. La première livraison a été de 32 000 masques : nous devions tenir une semaine avec, et nous devions aussi fournir les professionnels de santé du territoire... Cela illustre l'incompréhension, le décalage entre l'ampleur de nos besoins et une vision nationale très lointaine, soucieuse que la règle soit la même sur tout le territoire.

Vous m'avez aussi interrogé sur les outils numériques. La gestion de crise est aussi une gestion de l'information et de la communication. Il convient donc de pouvoir disposer de chiffres exploitables ou susceptibles d'être aisément centralisés ; or nos systèmes d'information produisaient une multitude de chiffres divers, mais sans aucune coordination. Les différentes administrations envoyaient nombre de fichiers Excel sur la distribution des moyens de protection, l'état des stocks, les besoins, les activités, les lits de réanimation, etc. Les fichiers se multipliaient dans tous les sens, alors qu'il aurait été facile d'utiliser des outils numériques intégrés, simples à mettre en place, pour peu que l'on veuille bien homogénéiser les standards de communication.

La gestion des lits de réanimation a été révélatrice à cet égard. Dans le Grand-Est, l'enjeu a été la gestion des malades graves. Nous disposions, comme toutes les régions, du répertoire opérationnel des ressources, qui est une sorte de catalogue de l'offre de soins, permettant d'indiquer la disponibilité des lits. Cet outil est insuffisamment connu ou utilisé, ce qui renvoie à une problématique d'appropriation tant par les utilisateurs que par les instances régionales qui le pilotent ; de ce fait, il était inopérant et, au début de la crise, chaque établissement devait passer de multiples coups de téléphone aux autres établissements pour trouver des lits disponibles. Que de temps perdu ! Très vite toutefois, grâce à la mise en place d'un petit outil développé par des ingénieurs de Polytechnique, nous avons pu partager cette information presque en temps réel. Cela a changé notre vie ! Il est étonnant qu'en 2020 on ne puisse pas transférer des informations importantes en période de crise autrement que via des fichiers Excel...

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