J'ai prévu une petite intervention liminaire pour permettre à tous les membres de la commission de rafraîchir leurs connaissances sur la situation à Mayotte au-delà même de l'épidémie.
Je commencerai par donner quelques données épidémiologiques sur la situation aujourd'hui : nous avons eu 16 nouveaux cas de covid le 20 juillet, 15 nouveaux cas le 21 juillet. Nous avons un taux de positivité hebdomadaire qui tourne autour de 10 depuis plusieurs semaines ; nous étions à 9,4 en semaine 29, nous sommes un peu au-dessus depuis quelques jours.
L'incidence sur sept jours est également en train de remonter de toute façon assez modeste : nous étions en dessous de 30 cas pour 100 000 habitants par semaine en semaine 28 ; nous sommes repassés un tout petit peu au-dessus de 30 depuis quelques jours, ce qui veut dire que le virus circule beaucoup moins qu'à l'époque où nous avons été classés en zone rouge, mais que nous ne sommes pas encore totalement sortis d'affaire.
Nous avons connu des situations plus préoccupantes en mai et en juin. Il y a quelques semaines, nous avons eu un cluster très spectaculaire à la prison de Majicavo, où environ 500 détenus et personnels de l'administration pénitentiaire ont été contaminés. Environ 80 % des détenus ont été atteints par le covid. Ce pourcentage est inférieur au sein du personnel, mais réaliser le contact tracing de ces dizaines et dizaines de personnes nous a donné beaucoup de travail.
Depuis, nous n'avons pas réellement eu de cluster, même si nous constatons des cas groupés jusqu'à cette semaine, où près de 10 cas ont été constatés à la mairie de Mtsamboro, dans le Nord.
Si nous avons connu des milliers de cas de covid, souvent asymptomatiques ou paucisymptomatiques, nous avons été confrontés à peu de situations graves, sans doute en raison de l'âge moyen de la population, de la possibilité d'immunité croisée, peut-être en raison des caractéristiques génétiques, même si cette dernière hypothèse a du plomb dans l'aile depuis la flambée de la covid sur le continent africain ces dernières semaines.
Nous avons tout de même enregistré 403 hospitalisations, la plupart en médecine, en réanimation et en obstétrique - nous avons eu beaucoup de femmes enceintes positives au plus fort de l'épidémie -, et 38 décès dont trois lors d'évacuations sanitaires (évasan) à la Réunion.
Je ne vous infligerai pas par le menu la description de la situation démographique, sociale et sanitaire de Mayotte. J'évoquerai seulement les trois points qui ont possiblement interféré dans la gestion de crise.
Le premier concerne les caractéristiques de la population : une densité et une précarité très fortes, des difficultés d'accès à l'eau, de mauvaises conditions de logement, une tradition de cohabitation intergénérationnelle qui a pu contribuer à certains moments et dans certaines situations à la diffusion du virus.
Je tiens à souligner la jeunesse de la population : il n'y a que 4 % de personnes âgées de plus de 60 ans à Mayotte, mais un nombre important de personnes atteintes par des pathologies chroniques lourdes - les maladies qu'on trouve chez des personnes de 60 à 70 ans en métropole touchent souvent à Mayotte des personnes de 40 ou 50 ans.
Je voudrais aussi pointer la place de la religion musulmane à Mayotte, la confiance étant plus facilement accordée aux imams, qui ont d'ailleurs été mobilisés à nos côtés au cours de l'épidémie, qu'aux médecins. Le faible niveau d'éducation dans une partie importante de la population, la grande diversité linguistique, la grande confiance placée dans les réseaux sociaux et dans les rumeurs sont aussi des éléments importants.
Le deuxième point est l'offre de soins limitée, la faiblesse de la médecine libérale, la saturation tous les jours de l'année de l'unique établissement public de santé, qui assure, faute de médecine de ville et faute d'un système abouti de protection sociale, plus de 80 % des soins ambulatoires de premier recours. Avant même l'épidémie de coronavirus, nous étions confrontés à une épidémie de dengue dont les signes cliniques sont proches de ceux du coronavirus, avec un double impact, à la fois sur le nombre des arrêts de travail au CHM comme à l'ARS, et sur le nombre de patients dans les dispensaires et à l'hôpital, avec de nombreuses hospitalisations dans les mêmes services que ceux qui seront concernés par la covid. Nous avons eu la grippe, la leptospirose, et une compétition sur les tests PCR. Par ailleurs, nous avons dû faire face à la saturation saisonnière des capacités du CHM en obstétrique et néonatalogie.
La troisième caractéristique est la jeunesse du département : Mayotte n'est un département que depuis 2011, et cette jeunesse marque l'activité des collectivités, qu'il s'agisse du département qui s'est toutefois mobilisé aux côtés de l'État - je pense à la commande de masques -, ou des communes dont les outils ne sont qu'imparfaitement opérationnels - certaines communes ont des centres communaux d'action sociale (CCAS) qui ne se sont mis en place que très récemment.
L'ARS est également très jeune puisqu'elle a été créée au 1er janvier 2020. Elle ne disposait pas au début de la crise d'un plan de continuité de l'activité, plan qui sera construit en un week-end et adapté à plusieurs reprises, ni d'ailleurs d'un plan d'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan) et d'accueil massif de victimes non contaminées (Amavi).
Au début de l'épidémie, on ne sait rien ou presque. Quand je lis les articles rédigés en juin ou en juillet, je me dis qu'il est facile de juger a posteriori. Au début de l'épidémie, la définition de cas est simple - trop simple : on prend en compte les personnes qui ont voyagé en Chine ou dans un autre pays de circulation du virus - à Singapour, en Iran -, les personnes qui présentent de la fièvre, de la toux, des difficultés respiratoires. Le tableau clinique va s'enrichir au fil des semaines et des mois avec l'agueusie, l'anosmie et les signes digestifs.
Il en va de même pour les modalités de transmission du virus : au début de l'épidémie, on parle des gouttelettes et des mains. Le rôle des enfants est présenté comme privilégié dans la transmission, avant qu'on ne rende compte, quelques semaines ou quelques mois plus tard, que ce n'est pas forcément le cas. Au début de l'épidémie, on dit aussi qu'on est contagieux dans les heures qui précèdent l'apparition des signes cliniques, avant de se rendre compte que la plupart des gens ne présentent pas de signes cliniques.
J'en viens à la dynamique de l'épidémie à Mayotte. Le 24 janvier, on note les premiers cas métropolitains. On commence à tester à Mayotte, on commence à être très attentifs et à surveiller les vols qui arrivent de métropole, mais aussi des Comores, de Madagascar, d'Éthiopie, du Kenya, car les passagers qui transitent par les hubs de Nairobi et d'Addis-Abeba peuvent croiser des voyageurs qui reviennent de Chine.
Les premiers cas mahorais ne seront avérés que le 13 mars - le premier étant un professionnel de santé importé du cluster de l'Oise la veille du passage au stade 3 en métropole. Nous avons donc un décalage de sept semaines avec la métropole, si bien que nous avons eu l'espoir d'y échapper pendant plusieurs semaines. En effet, la suspension des vols de et vers la Chine se fait rapidement, les informations aux voyageurs sont largement diffusées à Mayotte et les premiers cas concernent pour l'essentiel des personnes qui reviennent de zones de cluster, qui ont respecté les consignes d'isolement et qui ont eu peu de cas contacts.
L'espoir sera déçu dès le cinquième cas. Plusieurs semaines après le début de la crise, nous serons dans l'incapacité de retrouver le contact contaminant d'un patient qui n'a pas voyagé et qui aura été très actif pendant la campagne électorale et le premier tour des municipales.
Ce décalage de sept semaines va avoir un impact considérable sur la prise en charge de l'épidémie à Mayotte. Dans un premier temps, alors que le virus circule activement en métropole, Mayotte ne bénéficie pas d'un soutien particulier. Tous, y compris nous, admettent que respirateurs, masques, tests et curare doivent être fléchés en priorité vers les territoires les plus impactés. Ce sera très différent dans un deuxième temps, quand l'épidémie refluera en métropole et que Mayotte sera, de fait, le département le plus impacté de France. Nous recevrons alors - je tiens à le souligner - l'aide nécessaire.
Ce décalage a d'autres conséquences, positives et négatives.
J'aborderai d'abord les conséquences positives : nous avons pu tirer les enseignements de l'évolution de l'épidémie ailleurs ; nous avons pu préparer le plan blanc du CHM et l'équipement d'un lieu d'isolement ; nous n'avons jamais interrompu la recherche des cas contacts - nous étions en phase 2 quand la métropole était en phase 3, et au moment où nous sommes passés en phase 3, la métropole reprenait le contact tracing systématique et passait en phase 4 ; nous avons alors décidé de ne pas arrêter le contact tracing.
Ce décalage a également eu des conséquences négatives : une forte pression populaire, médiatique, politique, a conduit à l'adoption des mesures aux mêmes dates et aux mêmes conditions qu'en métropole, à savoir la fermeture des écoles le 16 mars et le confinement généralisé dès le 17 mars, ce qui contribuera à les rendre insupportables quelques semaines plus tard, au moment même où on en aurait le plus besoin. Comme le montre l'évolution du R0, qui passe de 3 à 1 dans cette période, le confinement sera bien, et même très bien respecté pendant trois semaines, ce qui doit être salué, compte tenu des conditions de vie très dures d'une partie de la population, mais il aura des conséquences très négatives sur le plan social et sanitaire.
Sur le plan social, la disparition de l'économie informelle et la fermeture des écoles, et donc des cantines, ont eu pour conséquence qu'une partie importante a connu la faim. La faim a été le premier sujet d'appel du numéro vert à Mayotte et la première demande adressée aux équipes de terrain de l'ARS qui assuraient la distribution des masques, du savon, l'éducation sanitaire, la détection des cas symptomatiques ou l'identification des cas contacts. Les distributions alimentaires donnent lieu à des affrontements. Bien des familles n'ont plus rien.
La deuxième difficulté d'ordre social est l'accès à l'eau. En temps ordinaire, un tiers des familles n'a pas accès à l'eau potable. En période de confinement, c'était plus grave encore, car l'approvisionnement était plus compliqué, si bien que certaines familles s'approvisionnaient dans des rivières polluées. L'ARS a été très présente : distribution de cartes donnant accès aux bornes-fontaines monétiques, installation de rampes d'eau, ouverture d'établissements accueillant du public, le tout sous surveillance d'associations de terrain, grandes comme la Croix-Rouge ou petites comme beaucoup d'associations de quartier.
Le confinement a aussi un impact sur le suivi des patients chroniques et âgés. Comme dans bien des régions métropolitaines, les difficultés d'accès aux services de santé, liées par exemple à la suppression des taxis et à l'absence de moyens de transport public, seront amplifiées par la peur et les rumeurs.
De fait, le confinement va se relâcher dès l'annonce du déconfinement en métropole, dès le discours du Président de la République le 13 avril, et plus vite encore dès le début du ramadan le 25 avril, malgré la décision prise par le Gouvernement, en accord avec la préfecture et l'ARS, de reporter à Mayotte la date du déconfinement au 18 mai, puis de le lever par étapes.
Au plan sanitaire, le déclenchement du plan blanc conçu pour des crises intenses et de courte durée, qui permet de se préparer à un afflux massif de patients, a conduit à fermer les dispensaires pour redéployer les effectifs dans les services plus intensifs, à alléger ou à déprogrammer des prises en charge de malades chroniques. Le plan blanc n'est pas réellement conçu pour une crise qui dure, en tout cas pas pour une situation d'incertitude qui dure.
Nous nous sommes d'emblée préoccupés de la modestie de nos moyens en réanimation, observant ce qui se passait en métropole, à savoir l'augmentation rapide des admissions en réanimation pour syndrome de détresse respiratoire aiguë avec des décès en quelques heures. Le CHM s'est préparé à accueillir des dizaines ou des centaines de patients lourds. On peut se demander, de façon rétrospective, s'il n'y a pas eu un emballement excessif. C'est facile de le dire maintenant, mais au même moment, l'épidémie faisait rage en Alsace où le service de santé des armées était déployé à Mulhouse, on triait les patients à Bergame et dans le Nord de l'Italie, et je n'ose pas penser à la virulence des critiques que nous aurions essuyées si on ne s'était pas préparé au pire.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? J'ai choisi, parce que c'est le principe d'une commission d'enquête, mais aussi parce que je ne désespère pas qu'on puisse faire mieux, de dire tout ce que je pense.
Les plus importantes de ces difficultés relèvent de décisions qui ont été prises de façon brutale et inexplicable, et qui ont contribué à rendre notre travail pénible et plus complexe. Je veux citer la décision de suspension immédiate et sans préavis de tous les vols le 20 mars, mettant en péril l'acheminement des personnels de renfort et de relève, et surtout, le fret sanitaire.
Je veux également souligner le flottement accompagnant la mise en place d'un pont aérien sous-dimensionné et complexe, avec une concurrence avec La Réunion sur le tronçon Paris Saint-Denis de la Réunion, avec deux vols seulement par semaine entre Saint-Denis et Dzaoudzi et zéro vol direct Paris-Mayotte. Il n'est pas exagéré de dire que cette situation, qui a généré la mise en place de lourdes cellules logistiques à la préfecture comme l'ARS ou au CHM, nous a bien plus pénalisés que la prise en charge des cas de covid.
Alors que la plupart des régions ont connu des tensions sur l'approvisionnement en masques, en surblouses, en tests, nous avons également connu une tension sur la plupart des biens de consommation courante, du papier toilette au riz, aliment de base à Mayotte, et sur des matériels médicaux - appareillage, pièces détachées, consommables, médicaments - en dépit de la spécificité insulaire qui nous impose d'avoir des stocks de trois à six mois.
C'est une fierté que d'avoir réussi à assurer dans la quasi-totalité des cas la continuité des approvisionnements. Nous sommes devenus très « pro » sur la chaîne de logistique civile et militaire, aérienne et maritime, sur le rôle des transitaires, les lettres de transport aérien (LTA), les procédures de dédouanement, les contraintes techniques - palettes ou conteneurs. Nous avons harcelé les cellules de crise des différents ministères, justifiant chaque demande, plus ou moins urgente, plus ou moins sensible. Nous nous sommes arraché les cheveux quand un colis urgent, suite aux caprices d'un pilote ou d'un gestionnaire d'entrepôt, n'était pas chargé.
Nous avons trouvé des solutions locales seuls. Je pense par exemple à l'acheminement de la citerne à oxygène : le pharmacien du CHM a trouvé la citerne supplémentaire, la Légion étrangère de Mayotte l'a transportée et l'industriel qui loue la citerne a accepté de payer la grue. Au moment où certains se défoulent sur les ARS, je tiens à dire solennellement que nous sommes sortis de notre zone de confort et que nous avons appris des métiers qui ne sont pas les nôtres.
L'une des conséquences les plus graves de la suppression des vols fut l'impossibilité, concrète et dramatique, de procéder aux évacuations sanitaires des patients dont le pronostic vital et fonctionnel s'évaluait parfois à quelques heures. Les évasan étaient plus faciles que d'habitude deux jours par semaine, c'est-à-dire les jours de pont aérien, et impossibles tous les autres jours de la semaine. Le CHM a mobilisé occasionnellement des avions basés à la Réunion à ou à Mayotte, avec des délais, des indisponibilités, des temps de vol très longs, des coûts extravagants - 25 000 euros pour un ATR 72 entre Dzaoudzi et Saint-Denis, soit le même coût qu'un Boeing 737 pour le même trajet.
Dans ces conditions, avec l'accord du ministère de la santé, nous avons affrété un avion sanitaire positionné à Mayotte. Le premier vol date du 25 mai ; 37 rotations ont été effectuées depuis, permettant le transport de centaines de patients. Un hélicoptère de transport sanitaire a également été mis en service le 12 mai, dans le respect des règles de marché de l'état d'urgence sanitaire, pour permettre les évasan sept jours sur sept et alléger les temps de travail des équipes du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR).
Les décisions brutales et imposées sans discussion par le ministère des outre-mer n'ont pas concerné que les vols. Je pense au rapatriement des Français de Madagascar ou des Comores, annoncé quelques heures à peine avant l'arrivée des voyageurs, alors qu'il fallait organiser l'accueil sanitaire, l'hébergement, le suivi des quatorzaines. D'une façon générale, nous avons eu l'impression d'une interférence permanente avec la décision sanitaire, d'une forme d'amateurisme, et même de caprice dans la prise de décision.
La deuxième difficulté est liée au rythme de production des instructions et à la lourdeur de l'interministériel. Nous avons eu des dizaines et des dizaines d'instructions, parfois redondantes, parfois contradictoires et inadaptées à notre territoire. La multiplicité des canaux de remontée des informations s'est avérée très consommatrice en temps à un moment où nous étions sous l'eau, de même que le rythme des visioconférences, parfois concrètes et productives, parfois bavardes et inutiles, convoquant trop souvent préfets, recteurs et directeurs généraux d'ARS comme autant de figurants.
Il faut pointer également les difficultés d'arbitrage interministériel. Je pense par exemple à l'arrivée tardive, reportée de jour en jour et de semaine en semaine, des instructions « tester, tracer, isoler », ou encore de décisions concernant les liaisons entre la métropole et les DOM. Le feuilleton des tests - obligatoires ou non - n'est encore que très provisoirement réglé.
La troisième difficulté tient aux tensions sur les matériels. Je pense à la préemption, jamais expliquée, de respirateurs Hamilton commandés avant la crise par le CHM, et jamais livrés, la décision de réorienter ces respirateurs vers un autre client ayant été prise par l'entreprise ; à l'annonce de la livraison de respirateurs Monal T60, reportée de semaine en semaine ; ou à la livraison de respirateurs Osiris, arrivés après la bataille.
Je pense aussi aux équipements de protection individuelle (EPI). Nous n'avons jamais été en rupture de masques. Nous avons pu prendre la décision d'équiper les services en contact avec les patients du CHM dès le premier cas, et d'équiper assez vite de nombreux professionnels, qu'ils relèvent du secteur sanitaire, et donc du champ de responsabilité de l'ARS, ou non.
Ces tensions ont été moins importantes à Mayotte qu'en métropole grâce aux réserves importantes du CHM, grâce aux dons d'entreprises, de la gendarmerie, de masques périmés ou non, grâce aux stocks stratégiques de zone périmés, mais vérifiés et parfaitement utilisables, grâce à la fabrication locale de visières et de masques en tissu, puis grâce à la commande de masques en quantité à Madagascar, commande financée par la préfecture et le conseil départemental, et aussi à la commande de surblouses lavables par l'ARS distribuées au CHM comme aux libéraux. Tout cela a permis de faire la jonction avec la reprise, début mai, des approvisionnements du CHM par le national, puis avec le don, mi-mai, de 500 000 masques chirurgicaux et de 100 000 masques FFP2 par le conseil départemental dont nous avions équipé les agents de la protection maternelle et infantile (PMI) et du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) en début de crise.
Les procédures en référé auxquelles nous avons dû faire face, engagées par une entreprise de pompes funèbres, l'une devant le tribunal administratif de Mayotte, l'autre devant le Conseil d'État, pour forcer l'ARS à équiper ses agents, ont constitué une troisième difficulté. Cette procédure a été l'occasion de démontrer que l'ARS avait pu réaliser à Mayotte ce qui n'avait pas pu l'être ailleurs.
La quatrième difficulté tient aux faiblesses structurelles du territoire de Mayotte, notamment au déficit structurel en personnels de santé dans le champ de la médecine libérale, au turn-over habituel des personnels et à la modestie des équipes dans certaines spécialités en tension nationale - les néonatologistes, les anesthésistes-réanimateurs, les pédiatres, les urgentistes. Mais une équipe petite ne veut pas dire une équipe médiocre : je tiens à saluer la qualité exceptionnelle des services que je viens de citer, qui font des prouesses tous les jours de l'année, comme ils l'ont fait pendant le covid. Il reste qu'il y a deux fois moins de biologistes à Mayotte qu'à Saint-Denis de La Réunion pour le même volume d'activité, ce qui pose d'autant plus problème lorsqu'il faut mobiliser des personnels pour prélever ou pour convaincre chaque habitant de la nécessité de se faire tester.
Nous avons eu le renfort de la réserve sanitaire sur des métiers variés, et du service de santé des armées dans des modalités qui ont été débattues avec le ministère de la santé et le ministère des outre-mer comme avec les forces armées de la zone Sud de l'océan Indien.
Un autre déficit structurel est celui des lieux d'hébergements et d'isolement. Je tiens à saluer l'engagement du rectorat, qui a mis à notre disposition l'internat du lycée de Tsararano, et du régiment du service militaire adapté (RSMA) qui a été un partenaire précieux tout au long de la crise dans bien des domaines. La totalité des modestes capacités hôtelières de Mayotte étant utilisées par les renforts de gendarmerie et de police, par la réserve sanitaire et par le service de santé des armées, il est impossible d'isoler des personnes qui ne peuvent pas s'isoler à domicile.
J'ai évoqué tout à l'heure l'isolement et la misère d'une partie importante de la population. Je veux insister sur d'autres spécificités mahoraises, qui ne sont pas des difficultés, mais plutôt des singularités. Je pense par exemple à la nécessité de traiter la question de la fréquentation des mosquées, le Conseil français du culte musulman n'étant pas du tout influent à Mayotte. Je pense aussi à la préparation du ramadan et à la gestion de cette fête qui est à Mayotte une fête communautaire. Je pense au rituel d'accompagnement des mourants et à l'organisation des obsèques.
Je pense aux difficultés de communication avec une population qui privilégie une communication orale et visuelle et dans toutes les langues vernaculaires. C'est pourquoi nous avons privilégié tout au long de la crise des messages vocaux, des films et des affiches diffusés à la radio, à la télévision ou par les réseaux sociaux plutôt que des tracts. Les difficultés de communication avec la population la moins instruite expliquent une très forte réticence persistante à aller à l'hôpital, mais aussi à accepter de se faire tester quand on ne se sent pas malade et qu'on ne comprend pas les modalités de transmission du virus.
La dernière difficulté tient aux tensions diplomatiques avec les Comores suite à la mise en évidence par le CHM et la communication par l'ARS de premiers cas de covid-19 non admis par le gouvernement comorien, à la suspension des liaisons aériennes et maritimes. Si ces difficultés sont derrière nous, la reprise du trafic des kwassas se traduit par une arrivée de patients positifs au coronavirus. Ces derniers ne sont pas très nombreux, mais nous avons tout de même eu deux décès à l'arrivée d'un kwassa et un cluster au centre de rétention administrative.
D'une certaine façon, le coronavirus été aussi été une opportunité à Mayotte. Je tiens à saluer la mobilisation d'une partie des associations et de nombreux bénévoles qui ont permis, en lien avec les équipes mobiles de l'ARS, de développer un véritable réseau de santé communautaire espéré depuis longtemps. Je salue également la mobilisation des agents de l'ARS et des professionnels de santé, qui sont sortis de leur zone de confort, ainsi que celle des équipes mobiles de terrain. Je souhaite pointer la mise en place en quelques semaines de services inexistants à Mayotte, notamment d'hospitalisation à domicile, qui ont contribué à alléger la charge des services. Dans le secteur libéral, nous avons mis en place une garde ambulancière, une garde des pharmaciens, des services de télémédecine - sept sites mobiles et deux sites fixes, sans compter le site de télémédecine installé au centre pénitentiaire de Majicavo.
Je ne laisserai plus personne dire que les gestes barrières et le respect du confinement ont été médiocres à Mayotte. Compte tenu des conditions de vie des personnes, de la modestie de leurs moyens et des difficultés d'accès aux biens de consommation courante qui les frappaient, je suis pleine d'admiration pour cette population de Mayotte qui a affronté cette épidémie dans des conditions très dures avec beaucoup de courage et de sagesse.