Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies

Réunion du 22 juillet 2020 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Alain Milon

Nous poursuivrons nos travaux sur la gestion de la crise sanitaire par une réunion consacrée à la situation à Mayotte. Nous entendons Mme Catherine Barbezieux Betinas, directrice générale du centre hospitalier de Mayotte (CHM), Mme Dominique Voynet, directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) de Mayotte et Mme Joëlle Rastami, membre de France Assos Santé Mayotte.

Si la situation à Mayotte semble globalement s'améliorer, elle a représenté une source de préoccupation majeure dans un territoire où la situation sanitaire est, en temps ordinaire, déjà marquée par de nombreuses fragilités. La gestion de la crise à Mayotte nous offre une nouvelle occasion de nous interroger sur la différenciation de la réponse apportée entre les territoires selon le moment de leur entrée dans la crise.

Les expériences d'autres territoires ont-elles pu être mises à profit ? Le triptyque « tester, protéger, isoler » a-t-il pu être mis en place dans des conditions adaptées compte tenu de la situation sanitaire et sociale particulière de Mayotte et de son environnement régional ?

Qui a piloté la crise dans le département ? Les services de l'État ont-ils rencontré des difficultés de coordination comme dans d'autres régions ? La place singulière de l'hôpital dans le système de santé a-t-elle été un plus ou une difficulté ?

Enfin, même si cette question est sans doute encore prématurée, quels enseignements en avez-vous tirés ?

Telles sont notamment les questions que nous souhaitons vous poser.

Comme pour les auditions précédentes, nous avons souhaité que différents points de vue puissent s'exprimer et, le cas échéant, se répondre. C'est pourquoi j'ai accédé à la demande de France Assos Santé Mayotte, fédération d'associations de création récente à Mayotte, mais reconnue au niveau national, d'être entendue aujourd'hui.

Il existe à l'évidence d'autres acteurs associatifs et bien d'autres acteurs à Mayotte qui auraient pu légitimement s'exprimer. J'ai bien noté que la lettre ouverte de France Assos Santé du 11 juin avait reçu une réponse circonstanciée de l'ARS le 16 juin. Ces deux courriers ont été diffusés à l'ensemble des commissaires.

Je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Catherine Barbezieux Betinas, Dominique Voynet et Joëlle Rastami prêtent serment.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

J'ai prévu une petite intervention liminaire pour permettre à tous les membres de la commission de rafraîchir leurs connaissances sur la situation à Mayotte au-delà même de l'épidémie.

Je commencerai par donner quelques données épidémiologiques sur la situation aujourd'hui : nous avons eu 16 nouveaux cas de covid le 20 juillet, 15 nouveaux cas le 21 juillet. Nous avons un taux de positivité hebdomadaire qui tourne autour de 10 depuis plusieurs semaines ; nous étions à 9,4 en semaine 29, nous sommes un peu au-dessus depuis quelques jours.

L'incidence sur sept jours est également en train de remonter de toute façon assez modeste : nous étions en dessous de 30 cas pour 100 000 habitants par semaine en semaine 28 ; nous sommes repassés un tout petit peu au-dessus de 30 depuis quelques jours, ce qui veut dire que le virus circule beaucoup moins qu'à l'époque où nous avons été classés en zone rouge, mais que nous ne sommes pas encore totalement sortis d'affaire.

Nous avons connu des situations plus préoccupantes en mai et en juin. Il y a quelques semaines, nous avons eu un cluster très spectaculaire à la prison de Majicavo, où environ 500 détenus et personnels de l'administration pénitentiaire ont été contaminés. Environ 80 % des détenus ont été atteints par le covid. Ce pourcentage est inférieur au sein du personnel, mais réaliser le contact tracing de ces dizaines et dizaines de personnes nous a donné beaucoup de travail.

Depuis, nous n'avons pas réellement eu de cluster, même si nous constatons des cas groupés jusqu'à cette semaine, où près de 10 cas ont été constatés à la mairie de Mtsamboro, dans le Nord.

Si nous avons connu des milliers de cas de covid, souvent asymptomatiques ou paucisymptomatiques, nous avons été confrontés à peu de situations graves, sans doute en raison de l'âge moyen de la population, de la possibilité d'immunité croisée, peut-être en raison des caractéristiques génétiques, même si cette dernière hypothèse a du plomb dans l'aile depuis la flambée de la covid sur le continent africain ces dernières semaines.

Nous avons tout de même enregistré 403 hospitalisations, la plupart en médecine, en réanimation et en obstétrique - nous avons eu beaucoup de femmes enceintes positives au plus fort de l'épidémie -, et 38 décès dont trois lors d'évacuations sanitaires (évasan) à la Réunion.

Je ne vous infligerai pas par le menu la description de la situation démographique, sociale et sanitaire de Mayotte. J'évoquerai seulement les trois points qui ont possiblement interféré dans la gestion de crise.

Le premier concerne les caractéristiques de la population : une densité et une précarité très fortes, des difficultés d'accès à l'eau, de mauvaises conditions de logement, une tradition de cohabitation intergénérationnelle qui a pu contribuer à certains moments et dans certaines situations à la diffusion du virus.

Je tiens à souligner la jeunesse de la population : il n'y a que 4 % de personnes âgées de plus de 60 ans à Mayotte, mais un nombre important de personnes atteintes par des pathologies chroniques lourdes - les maladies qu'on trouve chez des personnes de 60 à 70 ans en métropole touchent souvent à Mayotte des personnes de 40 ou 50 ans.

Je voudrais aussi pointer la place de la religion musulmane à Mayotte, la confiance étant plus facilement accordée aux imams, qui ont d'ailleurs été mobilisés à nos côtés au cours de l'épidémie, qu'aux médecins. Le faible niveau d'éducation dans une partie importante de la population, la grande diversité linguistique, la grande confiance placée dans les réseaux sociaux et dans les rumeurs sont aussi des éléments importants.

Le deuxième point est l'offre de soins limitée, la faiblesse de la médecine libérale, la saturation tous les jours de l'année de l'unique établissement public de santé, qui assure, faute de médecine de ville et faute d'un système abouti de protection sociale, plus de 80 % des soins ambulatoires de premier recours. Avant même l'épidémie de coronavirus, nous étions confrontés à une épidémie de dengue dont les signes cliniques sont proches de ceux du coronavirus, avec un double impact, à la fois sur le nombre des arrêts de travail au CHM comme à l'ARS, et sur le nombre de patients dans les dispensaires et à l'hôpital, avec de nombreuses hospitalisations dans les mêmes services que ceux qui seront concernés par la covid. Nous avons eu la grippe, la leptospirose, et une compétition sur les tests PCR. Par ailleurs, nous avons dû faire face à la saturation saisonnière des capacités du CHM en obstétrique et néonatalogie.

La troisième caractéristique est la jeunesse du département : Mayotte n'est un département que depuis 2011, et cette jeunesse marque l'activité des collectivités, qu'il s'agisse du département qui s'est toutefois mobilisé aux côtés de l'État - je pense à la commande de masques -, ou des communes dont les outils ne sont qu'imparfaitement opérationnels - certaines communes ont des centres communaux d'action sociale (CCAS) qui ne se sont mis en place que très récemment.

L'ARS est également très jeune puisqu'elle a été créée au 1er janvier 2020. Elle ne disposait pas au début de la crise d'un plan de continuité de l'activité, plan qui sera construit en un week-end et adapté à plusieurs reprises, ni d'ailleurs d'un plan d'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan) et d'accueil massif de victimes non contaminées (Amavi).

Au début de l'épidémie, on ne sait rien ou presque. Quand je lis les articles rédigés en juin ou en juillet, je me dis qu'il est facile de juger a posteriori. Au début de l'épidémie, la définition de cas est simple - trop simple : on prend en compte les personnes qui ont voyagé en Chine ou dans un autre pays de circulation du virus - à Singapour, en Iran -, les personnes qui présentent de la fièvre, de la toux, des difficultés respiratoires. Le tableau clinique va s'enrichir au fil des semaines et des mois avec l'agueusie, l'anosmie et les signes digestifs.

Il en va de même pour les modalités de transmission du virus : au début de l'épidémie, on parle des gouttelettes et des mains. Le rôle des enfants est présenté comme privilégié dans la transmission, avant qu'on ne rende compte, quelques semaines ou quelques mois plus tard, que ce n'est pas forcément le cas. Au début de l'épidémie, on dit aussi qu'on est contagieux dans les heures qui précèdent l'apparition des signes cliniques, avant de se rendre compte que la plupart des gens ne présentent pas de signes cliniques.

J'en viens à la dynamique de l'épidémie à Mayotte. Le 24 janvier, on note les premiers cas métropolitains. On commence à tester à Mayotte, on commence à être très attentifs et à surveiller les vols qui arrivent de métropole, mais aussi des Comores, de Madagascar, d'Éthiopie, du Kenya, car les passagers qui transitent par les hubs de Nairobi et d'Addis-Abeba peuvent croiser des voyageurs qui reviennent de Chine.

Les premiers cas mahorais ne seront avérés que le 13 mars - le premier étant un professionnel de santé importé du cluster de l'Oise la veille du passage au stade 3 en métropole. Nous avons donc un décalage de sept semaines avec la métropole, si bien que nous avons eu l'espoir d'y échapper pendant plusieurs semaines. En effet, la suspension des vols de et vers la Chine se fait rapidement, les informations aux voyageurs sont largement diffusées à Mayotte et les premiers cas concernent pour l'essentiel des personnes qui reviennent de zones de cluster, qui ont respecté les consignes d'isolement et qui ont eu peu de cas contacts.

L'espoir sera déçu dès le cinquième cas. Plusieurs semaines après le début de la crise, nous serons dans l'incapacité de retrouver le contact contaminant d'un patient qui n'a pas voyagé et qui aura été très actif pendant la campagne électorale et le premier tour des municipales.

Ce décalage de sept semaines va avoir un impact considérable sur la prise en charge de l'épidémie à Mayotte. Dans un premier temps, alors que le virus circule activement en métropole, Mayotte ne bénéficie pas d'un soutien particulier. Tous, y compris nous, admettent que respirateurs, masques, tests et curare doivent être fléchés en priorité vers les territoires les plus impactés. Ce sera très différent dans un deuxième temps, quand l'épidémie refluera en métropole et que Mayotte sera, de fait, le département le plus impacté de France. Nous recevrons alors - je tiens à le souligner - l'aide nécessaire.

Ce décalage a d'autres conséquences, positives et négatives.

J'aborderai d'abord les conséquences positives : nous avons pu tirer les enseignements de l'évolution de l'épidémie ailleurs ; nous avons pu préparer le plan blanc du CHM et l'équipement d'un lieu d'isolement ; nous n'avons jamais interrompu la recherche des cas contacts - nous étions en phase 2 quand la métropole était en phase 3, et au moment où nous sommes passés en phase 3, la métropole reprenait le contact tracing systématique et passait en phase 4 ; nous avons alors décidé de ne pas arrêter le contact tracing.

Ce décalage a également eu des conséquences négatives : une forte pression populaire, médiatique, politique, a conduit à l'adoption des mesures aux mêmes dates et aux mêmes conditions qu'en métropole, à savoir la fermeture des écoles le 16 mars et le confinement généralisé dès le 17 mars, ce qui contribuera à les rendre insupportables quelques semaines plus tard, au moment même où on en aurait le plus besoin. Comme le montre l'évolution du R0, qui passe de 3 à 1 dans cette période, le confinement sera bien, et même très bien respecté pendant trois semaines, ce qui doit être salué, compte tenu des conditions de vie très dures d'une partie de la population, mais il aura des conséquences très négatives sur le plan social et sanitaire.

Sur le plan social, la disparition de l'économie informelle et la fermeture des écoles, et donc des cantines, ont eu pour conséquence qu'une partie importante a connu la faim. La faim a été le premier sujet d'appel du numéro vert à Mayotte et la première demande adressée aux équipes de terrain de l'ARS qui assuraient la distribution des masques, du savon, l'éducation sanitaire, la détection des cas symptomatiques ou l'identification des cas contacts. Les distributions alimentaires donnent lieu à des affrontements. Bien des familles n'ont plus rien.

La deuxième difficulté d'ordre social est l'accès à l'eau. En temps ordinaire, un tiers des familles n'a pas accès à l'eau potable. En période de confinement, c'était plus grave encore, car l'approvisionnement était plus compliqué, si bien que certaines familles s'approvisionnaient dans des rivières polluées. L'ARS a été très présente : distribution de cartes donnant accès aux bornes-fontaines monétiques, installation de rampes d'eau, ouverture d'établissements accueillant du public, le tout sous surveillance d'associations de terrain, grandes comme la Croix-Rouge ou petites comme beaucoup d'associations de quartier.

Le confinement a aussi un impact sur le suivi des patients chroniques et âgés. Comme dans bien des régions métropolitaines, les difficultés d'accès aux services de santé, liées par exemple à la suppression des taxis et à l'absence de moyens de transport public, seront amplifiées par la peur et les rumeurs.

De fait, le confinement va se relâcher dès l'annonce du déconfinement en métropole, dès le discours du Président de la République le 13 avril, et plus vite encore dès le début du ramadan le 25 avril, malgré la décision prise par le Gouvernement, en accord avec la préfecture et l'ARS, de reporter à Mayotte la date du déconfinement au 18 mai, puis de le lever par étapes.

Au plan sanitaire, le déclenchement du plan blanc conçu pour des crises intenses et de courte durée, qui permet de se préparer à un afflux massif de patients, a conduit à fermer les dispensaires pour redéployer les effectifs dans les services plus intensifs, à alléger ou à déprogrammer des prises en charge de malades chroniques. Le plan blanc n'est pas réellement conçu pour une crise qui dure, en tout cas pas pour une situation d'incertitude qui dure.

Nous nous sommes d'emblée préoccupés de la modestie de nos moyens en réanimation, observant ce qui se passait en métropole, à savoir l'augmentation rapide des admissions en réanimation pour syndrome de détresse respiratoire aiguë avec des décès en quelques heures. Le CHM s'est préparé à accueillir des dizaines ou des centaines de patients lourds. On peut se demander, de façon rétrospective, s'il n'y a pas eu un emballement excessif. C'est facile de le dire maintenant, mais au même moment, l'épidémie faisait rage en Alsace où le service de santé des armées était déployé à Mulhouse, on triait les patients à Bergame et dans le Nord de l'Italie, et je n'ose pas penser à la virulence des critiques que nous aurions essuyées si on ne s'était pas préparé au pire.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? J'ai choisi, parce que c'est le principe d'une commission d'enquête, mais aussi parce que je ne désespère pas qu'on puisse faire mieux, de dire tout ce que je pense.

Les plus importantes de ces difficultés relèvent de décisions qui ont été prises de façon brutale et inexplicable, et qui ont contribué à rendre notre travail pénible et plus complexe. Je veux citer la décision de suspension immédiate et sans préavis de tous les vols le 20 mars, mettant en péril l'acheminement des personnels de renfort et de relève, et surtout, le fret sanitaire.

Je veux également souligner le flottement accompagnant la mise en place d'un pont aérien sous-dimensionné et complexe, avec une concurrence avec La Réunion sur le tronçon Paris Saint-Denis de la Réunion, avec deux vols seulement par semaine entre Saint-Denis et Dzaoudzi et zéro vol direct Paris-Mayotte. Il n'est pas exagéré de dire que cette situation, qui a généré la mise en place de lourdes cellules logistiques à la préfecture comme l'ARS ou au CHM, nous a bien plus pénalisés que la prise en charge des cas de covid.

Alors que la plupart des régions ont connu des tensions sur l'approvisionnement en masques, en surblouses, en tests, nous avons également connu une tension sur la plupart des biens de consommation courante, du papier toilette au riz, aliment de base à Mayotte, et sur des matériels médicaux - appareillage, pièces détachées, consommables, médicaments - en dépit de la spécificité insulaire qui nous impose d'avoir des stocks de trois à six mois.

C'est une fierté que d'avoir réussi à assurer dans la quasi-totalité des cas la continuité des approvisionnements. Nous sommes devenus très « pro » sur la chaîne de logistique civile et militaire, aérienne et maritime, sur le rôle des transitaires, les lettres de transport aérien (LTA), les procédures de dédouanement, les contraintes techniques - palettes ou conteneurs. Nous avons harcelé les cellules de crise des différents ministères, justifiant chaque demande, plus ou moins urgente, plus ou moins sensible. Nous nous sommes arraché les cheveux quand un colis urgent, suite aux caprices d'un pilote ou d'un gestionnaire d'entrepôt, n'était pas chargé.

Nous avons trouvé des solutions locales seuls. Je pense par exemple à l'acheminement de la citerne à oxygène : le pharmacien du CHM a trouvé la citerne supplémentaire, la Légion étrangère de Mayotte l'a transportée et l'industriel qui loue la citerne a accepté de payer la grue. Au moment où certains se défoulent sur les ARS, je tiens à dire solennellement que nous sommes sortis de notre zone de confort et que nous avons appris des métiers qui ne sont pas les nôtres.

L'une des conséquences les plus graves de la suppression des vols fut l'impossibilité, concrète et dramatique, de procéder aux évacuations sanitaires des patients dont le pronostic vital et fonctionnel s'évaluait parfois à quelques heures. Les évasan étaient plus faciles que d'habitude deux jours par semaine, c'est-à-dire les jours de pont aérien, et impossibles tous les autres jours de la semaine. Le CHM a mobilisé occasionnellement des avions basés à la Réunion à ou à Mayotte, avec des délais, des indisponibilités, des temps de vol très longs, des coûts extravagants - 25 000 euros pour un ATR 72 entre Dzaoudzi et Saint-Denis, soit le même coût qu'un Boeing 737 pour le même trajet.

Dans ces conditions, avec l'accord du ministère de la santé, nous avons affrété un avion sanitaire positionné à Mayotte. Le premier vol date du 25 mai ; 37 rotations ont été effectuées depuis, permettant le transport de centaines de patients. Un hélicoptère de transport sanitaire a également été mis en service le 12 mai, dans le respect des règles de marché de l'état d'urgence sanitaire, pour permettre les évasan sept jours sur sept et alléger les temps de travail des équipes du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR).

Les décisions brutales et imposées sans discussion par le ministère des outre-mer n'ont pas concerné que les vols. Je pense au rapatriement des Français de Madagascar ou des Comores, annoncé quelques heures à peine avant l'arrivée des voyageurs, alors qu'il fallait organiser l'accueil sanitaire, l'hébergement, le suivi des quatorzaines. D'une façon générale, nous avons eu l'impression d'une interférence permanente avec la décision sanitaire, d'une forme d'amateurisme, et même de caprice dans la prise de décision.

La deuxième difficulté est liée au rythme de production des instructions et à la lourdeur de l'interministériel. Nous avons eu des dizaines et des dizaines d'instructions, parfois redondantes, parfois contradictoires et inadaptées à notre territoire. La multiplicité des canaux de remontée des informations s'est avérée très consommatrice en temps à un moment où nous étions sous l'eau, de même que le rythme des visioconférences, parfois concrètes et productives, parfois bavardes et inutiles, convoquant trop souvent préfets, recteurs et directeurs généraux d'ARS comme autant de figurants.

Il faut pointer également les difficultés d'arbitrage interministériel. Je pense par exemple à l'arrivée tardive, reportée de jour en jour et de semaine en semaine, des instructions « tester, tracer, isoler », ou encore de décisions concernant les liaisons entre la métropole et les DOM. Le feuilleton des tests - obligatoires ou non - n'est encore que très provisoirement réglé.

La troisième difficulté tient aux tensions sur les matériels. Je pense à la préemption, jamais expliquée, de respirateurs Hamilton commandés avant la crise par le CHM, et jamais livrés, la décision de réorienter ces respirateurs vers un autre client ayant été prise par l'entreprise ; à l'annonce de la livraison de respirateurs Monal T60, reportée de semaine en semaine ; ou à la livraison de respirateurs Osiris, arrivés après la bataille.

Je pense aussi aux équipements de protection individuelle (EPI). Nous n'avons jamais été en rupture de masques. Nous avons pu prendre la décision d'équiper les services en contact avec les patients du CHM dès le premier cas, et d'équiper assez vite de nombreux professionnels, qu'ils relèvent du secteur sanitaire, et donc du champ de responsabilité de l'ARS, ou non.

Ces tensions ont été moins importantes à Mayotte qu'en métropole grâce aux réserves importantes du CHM, grâce aux dons d'entreprises, de la gendarmerie, de masques périmés ou non, grâce aux stocks stratégiques de zone périmés, mais vérifiés et parfaitement utilisables, grâce à la fabrication locale de visières et de masques en tissu, puis grâce à la commande de masques en quantité à Madagascar, commande financée par la préfecture et le conseil départemental, et aussi à la commande de surblouses lavables par l'ARS distribuées au CHM comme aux libéraux. Tout cela a permis de faire la jonction avec la reprise, début mai, des approvisionnements du CHM par le national, puis avec le don, mi-mai, de 500 000 masques chirurgicaux et de 100 000 masques FFP2 par le conseil départemental dont nous avions équipé les agents de la protection maternelle et infantile (PMI) et du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) en début de crise.

Les procédures en référé auxquelles nous avons dû faire face, engagées par une entreprise de pompes funèbres, l'une devant le tribunal administratif de Mayotte, l'autre devant le Conseil d'État, pour forcer l'ARS à équiper ses agents, ont constitué une troisième difficulté. Cette procédure a été l'occasion de démontrer que l'ARS avait pu réaliser à Mayotte ce qui n'avait pas pu l'être ailleurs.

La quatrième difficulté tient aux faiblesses structurelles du territoire de Mayotte, notamment au déficit structurel en personnels de santé dans le champ de la médecine libérale, au turn-over habituel des personnels et à la modestie des équipes dans certaines spécialités en tension nationale - les néonatologistes, les anesthésistes-réanimateurs, les pédiatres, les urgentistes. Mais une équipe petite ne veut pas dire une équipe médiocre : je tiens à saluer la qualité exceptionnelle des services que je viens de citer, qui font des prouesses tous les jours de l'année, comme ils l'ont fait pendant le covid. Il reste qu'il y a deux fois moins de biologistes à Mayotte qu'à Saint-Denis de La Réunion pour le même volume d'activité, ce qui pose d'autant plus problème lorsqu'il faut mobiliser des personnels pour prélever ou pour convaincre chaque habitant de la nécessité de se faire tester.

Nous avons eu le renfort de la réserve sanitaire sur des métiers variés, et du service de santé des armées dans des modalités qui ont été débattues avec le ministère de la santé et le ministère des outre-mer comme avec les forces armées de la zone Sud de l'océan Indien.

Un autre déficit structurel est celui des lieux d'hébergements et d'isolement. Je tiens à saluer l'engagement du rectorat, qui a mis à notre disposition l'internat du lycée de Tsararano, et du régiment du service militaire adapté (RSMA) qui a été un partenaire précieux tout au long de la crise dans bien des domaines. La totalité des modestes capacités hôtelières de Mayotte étant utilisées par les renforts de gendarmerie et de police, par la réserve sanitaire et par le service de santé des armées, il est impossible d'isoler des personnes qui ne peuvent pas s'isoler à domicile.

J'ai évoqué tout à l'heure l'isolement et la misère d'une partie importante de la population. Je veux insister sur d'autres spécificités mahoraises, qui ne sont pas des difficultés, mais plutôt des singularités. Je pense par exemple à la nécessité de traiter la question de la fréquentation des mosquées, le Conseil français du culte musulman n'étant pas du tout influent à Mayotte. Je pense aussi à la préparation du ramadan et à la gestion de cette fête qui est à Mayotte une fête communautaire. Je pense au rituel d'accompagnement des mourants et à l'organisation des obsèques.

Je pense aux difficultés de communication avec une population qui privilégie une communication orale et visuelle et dans toutes les langues vernaculaires. C'est pourquoi nous avons privilégié tout au long de la crise des messages vocaux, des films et des affiches diffusés à la radio, à la télévision ou par les réseaux sociaux plutôt que des tracts. Les difficultés de communication avec la population la moins instruite expliquent une très forte réticence persistante à aller à l'hôpital, mais aussi à accepter de se faire tester quand on ne se sent pas malade et qu'on ne comprend pas les modalités de transmission du virus.

La dernière difficulté tient aux tensions diplomatiques avec les Comores suite à la mise en évidence par le CHM et la communication par l'ARS de premiers cas de covid-19 non admis par le gouvernement comorien, à la suspension des liaisons aériennes et maritimes. Si ces difficultés sont derrière nous, la reprise du trafic des kwassas se traduit par une arrivée de patients positifs au coronavirus. Ces derniers ne sont pas très nombreux, mais nous avons tout de même eu deux décès à l'arrivée d'un kwassa et un cluster au centre de rétention administrative.

D'une certaine façon, le coronavirus été aussi été une opportunité à Mayotte. Je tiens à saluer la mobilisation d'une partie des associations et de nombreux bénévoles qui ont permis, en lien avec les équipes mobiles de l'ARS, de développer un véritable réseau de santé communautaire espéré depuis longtemps. Je salue également la mobilisation des agents de l'ARS et des professionnels de santé, qui sont sortis de leur zone de confort, ainsi que celle des équipes mobiles de terrain. Je souhaite pointer la mise en place en quelques semaines de services inexistants à Mayotte, notamment d'hospitalisation à domicile, qui ont contribué à alléger la charge des services. Dans le secteur libéral, nous avons mis en place une garde ambulancière, une garde des pharmaciens, des services de télémédecine - sept sites mobiles et deux sites fixes, sans compter le site de télémédecine installé au centre pénitentiaire de Majicavo.

Je ne laisserai plus personne dire que les gestes barrières et le respect du confinement ont été médiocres à Mayotte. Compte tenu des conditions de vie des personnes, de la modestie de leurs moyens et des difficultés d'accès aux biens de consommation courante qui les frappaient, je suis pleine d'admiration pour cette population de Mayotte qui a affronté cette épidémie dans des conditions très dures avec beaucoup de courage et de sagesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Vous avez une liberté de langage qu'on ne rencontre pas souvent, et je vous en remercie.

Debut de section - Permalien
Catherine Barbezieux Betinas, directrice générale du centre hospitalier de Mayotte

Je donnerai des éléments complémentaires autour de quelques mots clés.

Le premier est l'inconnu : la crise a débuté au CHM le 13 mars avec la détection du premier cas de covid confirmé après plusieurs semaines d'attente pendant lesquelles nous ne savions pas si l'épidémie allait arriver ou pas.

Nous étions également dans l'inconnu parce qu'il s'agissait d'une première crise concernant l'infectiologie. Le centre hospitalier de Mayotte est très rompu à la gestion de crise - nous en avons quasiment tous les ans : barrages sur l'ensemble de l'île en 2018 pendant deux mois, mouvements sociaux en 2016... Nous avions donc l'impression d'être rompus à l'exercice. Cette nouvelle crise nous a montré que l'exercice devait être totalement différent.

Le deuxième mot clé est l'inquiétude, parce que nous étions face à l'inconnu quant au coronavirus et que nous avions conjointement une épidémie de dengue, de grippe, de bronchiolite. Or nous n'avions plus la maîtrise, car contrairement aux crises que nous avions déjà connues, la gestion de celle-ci a été nationale et régionale. Nous avions des interlocuteurs beaucoup plus diversifiés, même si l'ARS a joué le rôle d'intermédiaire avec les instances nationales et s'est occupée de l'ensemble de la communication, ce qui fut une très bonne chose.

L'inquiétude a touché le personnel, qui a eu un moment de désarroi - heureusement vite maîtrisé - causé par la peur d'être contaminé, et de ne pas être suffisamment protégé, mais aussi nos usagers.

Nous avons déclenché le plan blanc très rapidement, le 17 mars, et avons donc été dans l'obligation d'arrêter toute activité programmée. La nécessité de maintenir des capacités pour faire face à l'urgence et la peur des usagers de venir à l'hôpital ont entraîné des hospitalisations en urgence qui n'auraient pas eu lieu si ces usagers s'étaient présentés à l'hôpital. En effet, Mayotte connaît une prévalence de pathologies chroniques, comme le diabète ou l'hypertension artérielle, qui sont prises en charge au centre hospitalier de Mayotte.

Nous nous sommes sentis sur le fil du rasoir en permanence. Nous avions l'avantage, par rapport à la métropole, de disposer d'environ quatre à six mois de stock. En début de crise, nous avions environ 225 000 masques chirurgicaux et FFP2. En revanche, nous nous sommes très vite rendu compte - c'est une leçon à tirer pour d'éventuelles crises futures - qu'il fallait absolument mettre en place des mesures de sécurité. Environ 20 000 masques ont disparu la première semaine. Nous avons donc renforcé les services de sécurité de façon assez conséquente sur les différents sites, jusqu'à faire de la fouille de sacs. Dès le début de la crise, nous avons mis un point d'honneur à mettre à disposition de l'ensemble des professionnels de l'hôpital des équipements de protection - masques, surblouses - conformément aux protocoles qui ont été établis avec le service d'hygiène.

Nous avons également eu des inquiétudes sur les évasan et une charge de travail accrue lorsque le pont aérien a été mis en place brutalement un week-end, entraînant la fermeture du ciel aux vols commerciaux. Or un avion dans lequel nous avions affrété les professionnels qui rentraient de vacances de métropole et énormément de marchandises pour assurer nos stocks devait atterrir le samedi soir. L'annulation de ce vol a entraîné la création d'une cellule qui a été mobilisée sept jours sur sept en lien avec la préfecture, qui nous a beaucoup aidés.

Le troisième mot clé, c'est la réactivité, puisqu'il y a eu une mobilisation sans précédent de la part des professionnels de l'hôpital. Juste avant la crise, nous avions l'exemple de la métropole et nous étions très inquiets. Nous ne disposions que de 16 lits de réanimation en tout et pour tout sur le territoire. Nous n'avions pas vraiment la possibilité d'être aidés par un hôpital voisin, puisque La Réunion est à deux heures de vol. En quelques jours, nous nous sommes réorganisés pour pouvoir offrir une quarantaine de lits de réanimation. Nous avons créé des unités spécifiques covid pour éviter les infections nosocomiales d'autres patients. Nous avons créé une deuxième unité d'urgence pour accueillir les enfants au plus fort de la crise et nous avons créé l'unité post-urgence, qui n'existait pas.

Bref, c'est assez bluffant, car ce qui a été fait en à peine trois semaines aurait pris plusieurs semaines, voire plusieurs mois en temps normal.

Le quatrième mot clé, c'est la solidarité, notamment avec le CHU de La Réunion, qui est notre établissement de recours. Grâce au travail qui s'est engagé entre les différentes ARS, nous avons pu bénéficier d'assistance en matériel (respirateurs, masques) et nous avons pu réaliser des évasan, puisque La Réunion n'avait pas de cas identifiés hospitalisés à ce moment-là.

L'aide de la réserve sanitaire a été également essentielle, car nous avons eu jusqu'à 15 % d'absentéisme dans des services à certaines périodes, de nombreux agents ayant été contaminés. De même, le service de santé des armées, qui est venu installer une unité de réanimation supplémentaire, a été déterminant au plus fort de la crise. Enfin, je dirai que tous les professionnels de santé ont été à la hauteur.

Le cinquième mot clé, c'est l'innovation. Nous avons créé en quelques semaines avec l'ARS une hospitalisation à domicile, avec une particularité par rapport à beaucoup d'autres services de style en métropole, qui est la coordination entre le personnel de l'hôpital et les professionnels libéraux. C'est très nouveau à Mayotte, où, malgré quelques rapprochements, on ne pouvait pas dire qu'il y avait une collaboration fluide entre le public et le secteur libéral. La crise nous a permis de nous rencontrer, de nous parler et de nous rendre compte des potentialités d'une telle collaboration. Nous sommes aujourd'hui à 21 patients suivis, et cela fonctionne très bien. Nous avons mené quelques expériences en télémédecine, qui se sont parfaitement passées, malgré la faiblesse de nos moyens. Nous avons également monté des équipes mobiles de prélèvement en collaboration avec les biologistes.

Cette crise nous a demandé beaucoup d'énergie. Elle a révélé certaines de nos faiblesses, mais elle nous a aussi permis de développer des dispositifs novateurs pour faire face à une situation, qui, à un moment donné, était très inquiétante.

Nous n'avons eu qu'une seule admission en réanimation depuis trois semaines, et très peu en médecine. Nous avons fermé nos unités spécifiques covid médecine et gynécologie-obstétrique et nous sommes revenus à notre capacité de réanimation habituelle. Le Plan blanc a été suspendu depuis lundi, mais nous restons en alerte. De toute façon, il nous est apparu que le Plan blanc était inadapté pour des périodes aussi longues, du fait notamment de l'arrêt d'un certain nombre d'activités programmées, ce qui se révèle assez lourd pour les usagers.

Debut de section - Permalien
Joëlle Rastami, membre de France Assos Santé Mayotte

Au nom de tous les usagers du système de santé, je souhaite remercier la commission d'enquête du Sénat de cette invitation à nous exprimer. Je salue également la mobilisation et l'implication quotidienne de l'ensemble des professionnels de santé publics et libéraux, ainsi que de toutes les associations.

Je représente ici France Assos pour Mayotte et non de Mayotte, le maillage territorial de l'association étant en voie de réorganisation. Nous avons vocation à défendre les intérêts des usagers du système de santé. Notre volonté est de permettre que s'exprime la vision des usagers sur les problématiques de santé.

La présentation que je vais vous faire s'appuie sur les données connues des usagers. Bien entendu, nous ne maîtrisons pas tout, et j'ai encore appris des choses aujourd'hui en entendant les oratrices précédentes.

Je me permettrai de vous rappeler que le Conseil pour l'engagement des usagers de la Haute Autorité de santé a émis cinq recommandations. La première est de mobiliser les processus de démocratie en recourant notamment au numérique. Les principes de la démocratie en santé impliquent la participation des représentants des usagers aux décisions de santé. Le numérique permet de recenser les témoignages et les retours d'expérience, d'en tirer les enseignements, d'une part, et de s'assurer de l'adhésion de l'opinion aux solutions proposées, d'autre part. Or depuis le début de la crise sanitaire sur notre territoire de Mayotte les représentants des usagers n'ont pu exprimer leurs droits collectifs auprès de l'ARS, et de façon réduite uniquement auprès du centre hospitalier de Mayotte, par conférence téléphonique. Nous avons également participé à une réunion du comité d'éthique par voie numérique.

Notre délégation sur Mayotte, comme l'ensemble des délégations de notre association, réclame une plus grande implication dans la politique de gestion de crise. Il faut permettre l'expression d'une parole collective, celle des populations qui subissent les effets de l'épidémie, ainsi que ses conséquences psychologiques et sociales. C'est pour cela que nous avons fait un premier courrier, le 11 mai, à Mme la directrice de l'ARS, que nous allons rencontrer le 29 juillet. En aucun cas, j'y insiste, les représentants des usagers n'ont dénigré le travail réalisé par l'ARS et les autres services.

Quelle leçon tirer de cette crise ? Quelle stratégie devons-nous adopter pour faire face à une nouvelle ou comment le système de santé de Mayotte doit-il évoluer ? Quelle place pour la démocratie en santé ? Telles sont les questions qui doivent nous mobiliser.

D'abord, nous pensons que la communication institutionnelle a produit des effets très limités sur le comportement des populations. À Mayotte, les usagers ne sont pas homogènes en ce qui concerne la représentation de la maladie, de la santé, les origines linguistiques, le mode de vie, les rites culturels, notamment au moment des décès - obsèques, lavages mortuaires - et des mariages. Certaines de ces spécificités ont pu contribuer à la dynamique de l'épidémie.

Les messages sont parfois peu suivis d'effet. Les distributions d'aide alimentaire ont certes répondu aux situations d'urgence sociale, mais elles ont provoqué des cohues favorisant la propagation du virus. Les messages en alphabet latin n'ont pu en effet être compris des populations, souvent analphabètes, ou bien ont été mal traduits en alphabet arabe. Notre proposition serait d'organiser une communication grand public claire et adaptée aux populations de Mayotte sur les épidémies, en s'appuyant sur les ressources locales et les spécialistes en linguistique.

Nous souhaitons ensuite aborder la stratégie de dépistage. Les annonces faites par l'ARS sur le manque de réactifs et le refus de beaucoup de se faire dépister ont contribué à la propagation des rumeurs les plus folles sur les réseaux sociaux. Je suis convaincue que l'absence d'annonces claires a entraîné bien des interrogations quant à la capacité des autorités sanitaires locales à gérer efficacement cette crise sanitaire.

Nous avons bien entendu le message du ministre de la santé pour tendre vers un dépistage massif, mais, à l'heure où nous sommes, seuls 14 100 tests ont été réalisés par les deux uniques laboratoires hospitaliers privés de Mayotte. Depuis le 14 mars, date du premier cas déclaré, on compte une moyenne de 688 tests par semaine, soit 90 tests par jour, loin des 1 000 tests annoncés à l'Assemblée nationale par la ministre des outre-mer le 2 juillet.

Santé Publique France a communiqué au mois de juin sur une probable sous-estimation de l'épidémie à Mayotte, une recrudescence ayant été constatée à la suite de l'Aïd et de la réouverture des commerces. La directrice de l'ARS n'a cessé d'alerter sur le manque de moyens pour tester, mais les ressources supplémentaires annoncées par la ministre le 19 mai n'étaient toujours pas arrivées à l'hôpital le 18 juin. Nous restons toujours en grande difficulté pour effectuer un nombre de dépistages suffisant.

La stratégie des pouvoirs publics est restée incomprise des usagers. Nous avons recueilli nombre de témoignages de personnes qui se sont vu opposer un refus de dépistage, voire dont les résultats n'ont pas été communiqués, ou alors seulement 4 ou 5 jours après.

Au niveau des matériels de protection, nous avons une autre version que celle des professionnels de santé. Pour les masques grand public, c'est la débrouille qui prévaut. Il faut savoir que 50 % de la population vit avec moins de 250 euros par mois, et ne peut se permettre de s'acheter une boîte de masques à 60 euros. Il est de surcroît difficile de laver les masques en tissu quand on a un accès à l'eau limité.

Pour conclure, je dirai que cette crise a été révélatrice des problèmes récurrents de notre système de santé. Pour nous, la place de la démocratie en santé reste à valoriser.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Madame Voynet, nous pouvions craindre que vous vous exprimiez comme les autres directeurs d'ARS, pour qui tout a bien fonctionné, mais je dois saluer votre franchise in fine.

Dans les autres départements, la place du préfet était clairement définie. Ce commandement bicéphale a d'ailleurs souvent été vécu comme un problème. Là, nous n'en avons pas entendu parler. Comment la collaboration s'est-elle passée ? De même, quelles ont été les coordinations avec la médecine de ville ?

Sans la suspension des vols, étiez-vous en mesure de contrôler ceux qui entraient et ceux qui sortaient ? Quelle solution auriez-vous retenu ?

Vous avez dit que la gestion par le ministère des outre-mer était frappée du sceau de l'amateurisme. Quel aurait été, selon vous, le ministère le plus à même de gérer la crise à Mayotte ? Serait-ce le ministère de l'intérieur, comme l'ont suggéré certains acteurs de la crise en métropole ?

Qu'en est-il de la reprise des soins ? Que vous manque-t-il actuellement ?

Selon vous, pourquoi y a-t-il eu cette différence de propagation entre Mayotte et La Réunion ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

Si je n'ai pas évoqué de façon très détaillée la place du préfet, c'est parce que je savais que la question viendrait, mais c'est aussi parce que la relation avec le préfet n'a pas été réellement une difficulté pour nous, dans l'écrasante majorité des cas. Nous sommes beaucoup parlé et nous avons signé ensemble plusieurs courriers au Premier ministre pour demander des adaptations de la stratégie nationale à la situation particulière de Mayotte. Nous n'avons eu des divergences d'appréciation que lorsqu'il a dû mettre en oeuvre des injonctions formelles du ministère des outre-mer qu'il lui était difficile d'appliquer. Je pense que ce n'est pas aller trop loin de préciser que, dans ces situations, la tendance est forte de partager la pression avec l'ARS.

Un centre opérationnel départemental (COD) a été mis en place dès que la situation a commencé à se dégrader en métropole. Il s'est réuni tous les jours pendant plusieurs semaines, d'abord sous l'autorité du préfet, puis sous l'autorité d'un sous-préfet. Un COD plénier élargi était de surcroît réuni toutes les semaines. Même si j'étais un peu agacée de voir tout cet aréopage, je dois reconnaître que ce mode de réunion a facilité la circulation de l'information.

Concernant les relations avec la médecine de ville, compte tenu du fait que nous avons peu de médecins, nous avons réorganisé beaucoup de réunions avec les infirmiers, dès avant le premier cas apparu à Mayotte, pour essayer de transmettre un maximum d'informations sur les précautions à prendre dans la pratique professionnelle. Par ailleurs, nous avons mis en place une lettre d'information quotidienne diffusée à tous les professionnels de santé de Mayotte. J'organise également une réunion téléphonique hebdomadaire avec les médecins sur des sujets très variés, comme la façon de suivre les malades chroniques, d'équiper les professionnels ou de gérer les obsèques. Cela a permis aussi aux médecins de faire remonter des propositions.

Concernant les vols, vous avez parfaitement raison, madame la rapporteure, de dire que le contrôle strict des arrivées humaines sur le territoire était de nature à nous aider à contrôler la diffusion de l'épidémie, et nous avons été soulagés des décisions prises en la matière, mais cela ne supposait pas l'arrêt des vols. Il fallait se limiter à encadrer la libre circulation des personnes, car nous avions besoin de faire venir du matériel et des renforts. Autre exemple : nous avions besoin de faire partie régulièrement les tests qui permettent de diagnostiquer la mucoviscidose chez les enfants ou les tests prévenant les risques de trisomie 21. En plus, je ne suis pas sûre que l'on y ait gagné sur le plan financier, car le pont aérien mis en place sur la base d'une délégation de service public avec Air Austral, avec une garantie de ressources, a été très coûteux. Ainsi, la compagnie a une enveloppe de 25 000 euros pour chaque vol entre Dzaoudzi et La Réunion. Je trouve extrêmement dommageable ce qui s'est passé, alors que nous avions les pires difficultés à faire venir notre fret.

J'y suis allée un peu fort en parlant d'amateurisme au sujet de la gestion du ministère des outre-mer. C'est plutôt l'impression d'une difficulté à arrêter une position interministérielle robuste fondée sur les seules considérations sanitaires. J'ai eu l'impression que, finalement, le ministère voulait marquer de son empreinte l'évolution de la crise, parfois de façon redondante avec le ministère de la santé, parfois de façon imparfaitement cohérente.

Je me suis réjouie que la gestion de la crise ait été confiée au début au ministère de la santé, avec la création d'une cellule de crise sanitaire. Ensuite, j'ai trouvé juste la création d'une cellule interministérielle de crise (CIC), au moment où l'on comprend que la crise va durer plusieurs semaines, plusieurs mois, voire plusieurs années. Cette structure a vocation à traiter non seulement les questions sanitaires, mais également les questions économiques et sociales. Dans une troisième phase, et parce que le CIC ne fonctionnait pas bien, il a été décidé de faire en sorte que le ministère le plus directement concerné, c'est-à-dire le ministère de la santé, soit représenté fortement au CIC. Cela m'a semblé juste aussi. On aurait pu imaginer raccourcir les séquences, mais je n'ai pas beaucoup d'éléments pour voir comment les choses se sont passées réellement au niveau national. Cependant, je pense que ces trois séquences étaient à peu près inévitables.

Lorsqu'il y a une crise courte - tremblement de terre ou cyclone -, le préfet est naturellement le coordonnateur général. En l'espèce, le préfet a veillé, au niveau du COD, à prendre en compte de façon prioritaire les préoccupations sanitaires, et je l'en remercie. Je lui ai renvoyé la pareille quand j'ai eu l'impression que les difficultés sociales, sécuritaires, économiques du département l'emportaient sur la gravité de l'épidémie. On a alors travaillé ensemble à assouplir les modalités du confinement et à faciliter la vie des Mahorais.

Debut de section - Permalien
Catherine Barbezieux Betinas, directrice générale du centre hospitalier de Mayotte

La reprise d'activité s'est faite de façon progressive depuis à peu près un mois.

Le CHM est organisé ainsi : un plateau technique à Mamoudzou est spécialisé dans la chirurgie et la médecine ; cinq centres de référence sont répartis sur le territoire dans lesquels il y a des maternités ou des consultations de médecine, qui n'ont jamais fermé pendant la crise. Durant celle-ci, nous avions mis en place des unités spécifiques de prélèvement et des circuits spécifiques à l'attention de la population. Il y a aussi treize dispensaires.

Actuellement, nous avons repris une activité normale sur la quasi-totalité de l'établissement, à l'exception de certains dispensaires, dont certains sont en train de rouvrir progressivement. Nous retrouvons une activité de médecine et de pansements, réalisés par des infirmiers diplômés d'État (IDE). Actuellement, il nous manque, pour tout rouvrir, des moyens en personnel, car nous avons dû redéployer au plus fort de la crise le personnel qui travaillait dans ces petites structures de proximité. Les équipes ont été fortement sollicitées pendant deux mois. Elles ont fait beaucoup d'heures supplémentaires et il y a beaucoup d'absentéisme. Nous avons un gros turn over, avec des professionnels qui restent en moyenne un an. Autant il y a eu de la solidarité, du personnel s'est porté volontaire pour venir nous aider, autant nous avons beaucoup moins de propositions de remplacement pour la période d'été, jusqu'à septembre-octobre, par rapport à l'année précédente. L'activité a repris à plus de 90 %, à l'exception de quelques dispensaires.

Pour les cas résiduels, nous avons eu une admission en réanimation depuis le dernier mois pour cause de covid-19. En médecine, il y avait entre 28 et 30 patients hospitalisés chaque jour, nous en sommes à 3 ou 4 actuellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Je remercie les trois intervenantes. Les questions posées visent à comprendre comment la crise pourrait être mieux gérée la prochaine fois. Elles ne visent, en aucun cas, à mettre en cause votre travail.

Mme Voynet a été très franche dans son exposé sur la question institutionnelle. J'ai compris que localement, cela a plutôt bien fonctionné avec le préfet, mais que cela avait été plus compliqué dans la verticalité...

En réponse à France Assos Santé, vous avez écrit que « l'ARS ne saurait être tenue responsable du désordre général par des initiatives mal préparées, mal conduites, maintenues en dépit de ses conseils et dont elle s'est désolidarisée, initiées par d'autres acteurs institutionnels auxquels je vous demande de vous adresser directement. » Quels sont ces acteurs institutionnels qui mettent en place des actions aussi chaotiques ? C'est pour que nous puissions mieux comprendre les liens entre les acteurs locaux.

Quels sont les liens avec les autres acteurs régionaux ? Nous avons un peu parlé de La Réunion, vous nous avez cité les autres États autour, Mme Voynet nous a parlé des Comores, mais pour dire qu'il y avait eu un incident diplomatique et que cela n'avait pas fonctionné. Avez-vous des idées pour une meilleure insertion de Mayotte dans le bassin de l'océan Indien, compte tenu des difficultés de la verticalité des relations avec une métropole qui est loin ?

Dans l'échange de courriers entre France Assos Santé et la directrice générale de l'ARS, on comprend bien que vous prônez une approche de santé communautaire - et Mme Voynet a prononcé ce mot dans son exposé introductif. Cette approche n'est pas celle qui a été faite en métropole dans les premiers temps de la crise ; elle est maintenant développée par le ministre de la santé, avec des approches ciblées selon les populations, les territoires, avec des opérations de dépistage, à mesure qu'on a appris à connaître un peu la répartition de l'épidémie. Estimez-vous avoir été appuyés dans cette approche en santé communautaire, ou vous sentez-vous gênés par ce que la directrice de l'ARS a appelé les « multiples instructions », reçues a priori depuis Paris ?

Vous avez parlé d'évasan qui ont été empêchés. Des vies ont-elles été mises en danger par l'absence d'évasan ?

Madame la directrice du CHM, vos capacités de réanimation ont-elles atteint, à un moment ou à un autre, la saturation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

La crise a duré longtemps, et elle n'est pas réellement terminée puisque nous continuons à avoir toutes les semaines une réunion du COD. Certes, elle s'est allégée, mais elle a duré quatre mois.

Si les choses se sont bien passées localement, cela ne veut pas dire que nous avons toujours été d'accord sur tout avec le préfet. Nous avions parfois des préoccupations différentes que lui, ainsi qu'avec le recteur qui aurait aimé rouvrir les écoles beaucoup plus tôt - avec des arguments que je comprends tout à fait, lorsqu'il insiste sur le risque de décrochage scolaire d'enfants vivant dans des quartiers où l'école est vraiment la chance de s'en sortir. C'est aussi le lieu où l'on fournit parfois le seul repas de la journée. Dire que nous nous sommes entendus sur 90 % des sujets ne veut pas dire que nous n'ayons pas eu de discussions sur d'autres. Je trouve cela normal, et cela s'est toujours réglé avec respect.

Lorsque j'évoquais des « actions chaotiques », je faisais directement allusion à un point évoqué par la représentante des associations qui concernait les distributions alimentaires, souhaitées par le rectorat, portées par la préfecture, à la demande de communes qui auraient aimé pouvoir distribuer effectivement aux populations les plus déshéritées des aliments. L'ARS n'a pas soutenu cette hypothèse, même si nous avons accepté d'en financer certaines. Nous avons été soulagés quand nous avons appris que les différents partenaires renonçaient à cette façon de distribuer l'aide alimentaire et privilégiaient désormais la distribution de bons, permettant aux personnes d'aller s'approvisionner au Douka Bé local. Pour moi, c'était important. Voilà un exemple des situations dans lesquelles nous n'avons pas été d'accord. Mais je comprends aussi le préfet : les gens avaient faim, c'était urgent et les communes étaient demandeuses. C'est facile après coup de réécrire l'histoire. La réalité, c'est qu'on n'arrive pas toujours à éviter les attroupements. Je pense notamment aux attroupements auprès des centres de santé. La directrice du CHM fait de son mieux pour imposer le port du masque et le lavage des mains. On a fermé la rue pendant des semaines, mis en place un lavage des mains systématique avant l'accès aux centres de santé. Mais la réalité, c'est que les personnes s'agglutinent devant le centre de santé depuis trois heures du matin. En dépit des mesures de sécurité, on n'évite pas toujours ces attroupements qui ne permettent pas de respecter les gestes barrières.

Avec La Réunion, la situation est assez singulière. Le CHM est le seul établissement hospitalier français à ne pas être membre d'un groupement hospitalier de territoire (GHT), tout simplement parce qu'avec 1 800 kilomètres qui séparent La Réunion de Mayotte, les situations n'ont rien à voir. Personne n'aurait eu l'idée de faire un GHT entre le centre hospitalier de Lille et la Corse ; nous n'avons pas trouvé fonctionnel de mettre en place un GHT entre Mayotte et La Réunion. Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas ensemble. La séparation entre l'ARS de La Réunion et l'ARS de Mayotte n'a pas été très simple. Elle a été douloureuse pour les agents de La Réunion, mais elle a été accueillie avec enthousiasme à Mayotte. La crise, tant pour les relations entre les établissements hospitaliers que pour les relations entre les ARS, a été l'occasion de vérifier que nous étions capables de bien travailler ensemble. Je dois remercier ma collègue de La Réunion, qui, au moment où nous avons réfléchi à la façon de se partager le stock stratégique de masques, a attribué la plus grande partie de ce stock à Mayotte parce que nous en avions besoin, dans des conditions tout à fait amicales. Je dois aussi remercier le CHU qui, à plusieurs reprises, a avancé des écouvillons et des curares, des kits réactifs, etc., pour nous permettre de faire la jonction. Nous avons conclu un protocole de coopération pour les évasan avec l'hôpital de La Réunion, dans un contexte assez compliqué parce que l'opinion publique à la Réunion était extrêmement sensible à la présence mahoraise. Les plus prudents sont juste attentifs à ne pas laisser réintroduire la covid, mais certains vont jusqu'à des jugements racistes extrêmement pénibles envers les Mahorais. Ce protocole illustre magnifiquement l'engagement des professionnels pour une solidarité active avec Mayotte. Vous allez me dire que c'est bien normal, car le CHU est notre établissement de recours et il est financé pour cela.

L'ancrage de Mayotte existe dans l'océan Indien, de fait, car la moitié de la population de Mayotte est d'origine comorienne. Les liens sont constants, tant avec les Comores que Madagascar. Nous avons deux difficultés importantes : la première, ce sont les distorsions de niveaux de développement et de vie. Mayotte, plus pauvre des départements français, apparaît comme un îlot de de richesses, de bien-être et de confort pour les autres États de l'océan Indien. Avant la survenue de la covid, j'étais engagée dans l'élaboration d'un programme de coopération sanitaire auquel participe activement le CHM, qui a lui-même un programme Interreg de coopération sanitaire avec les Comores. Je suis un peu perplexe quant au déploiement de ce programme dans le contexte actuel ; il me paraît évident que le gouvernement comorien est prêt à utiliser aussi la crise du coronavirus comme un instrument de pression sur le Gouvernement français. Par exemple, le Gouvernement comorien exige, pour reprendre des personnes reconduites aux Comores, la réalisation d'un test PCR. C'est un peu fort de café ! Nous accueillons à Mayotte les personnes qui arrivent et qui sont positives à la covid, et nous sommes censés faire un test négatif si l'on souhaite les renvoyer. Je précise que cette remarque, purement factuelle et technique, ne constitue pas une évaluation politique, stratégique ou tactique de la politique française en matière migratoire ou en matière de coopération avec ses voisins.

L'approche en matière de santé communautaire n'a été ni gênée ni appuyée au niveau national. Elle a été jugée absolument nécessaire, soutenue par le ministère de la Santé - pas encore de façon explicite - mais nous avons été autorisés à dépasser notre plafond d'emplois pour recruter des agents supplémentaires. Nous avons affiché très fortement l'idée qu'il s'agissait de mettre en place un réseau de santé communautaire et d'être plus présents sur le terrain. C'est une des faiblesses structurelles des ARS que d'être peu territorialisées. C'est moins vrai à Mayotte qu'ailleurs. Dans de très grandes régions comme l'Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine ou les Hauts-de-France, il y a peu d'agents de l'ARS présents sur le terrain, contrairement aux agents du ministère de l'agriculture, ou du ministère de l'équipement. Mais à Mayotte, le territoire est assez petit, les distances ne sont pas importantes, nous nous connaissons tous. C'est plus facile d'être présents sur le terrain. Ce sera le seul point sur lequel je souhaite répondre à la représentante des usagers, parce que nous avons beaucoup échangé avec les associations qui nous ont aidés sur le terrain. Elles ont été présentes sur les bornes-fontaines, dans les quartiers ; elles nous ont aidés à aller dans des endroits où il est difficile, pour des agents non mahorais, de se rendre. Elles nous ont fait remonter énormément de témoignages de terrain qui nous ont permis aussi d'adapter nos dispositifs à la réalité sociale et territoriale de Mayotte. Elles nous ont beaucoup aidés à transmettre les messages qu'appelait de ses voeux la responsable associative. Tous les messages, en plus des films, des messages radio et du travail sur les réseaux sociaux traitent de points très spécifiques de la vie mahoraise : « Comment je fais avant d'aller à la mosquée? » « Comment je porte mon masque? » « Comment je me comporte quand plusieurs générations cohabitent ? » « Qu'est-ce qu'un mètre de distance ? » On leur dit : c'est cela. (Mme Voynet écarte les bras pour en montrer la longueur). Je vous ferai passer ces plaquettes par internet. Le monde associatif nous a aidés, et il va nous aider à transmettre les bons messages en matière alimentaire, de diabète, de santé sexuelle et reproductive, de lutte contre le VIH, etc. Cela intéresse beaucoup le ministère et je souhaite pouvoir le développer, en utilisant tous nos agents qui se sont montrés très volontaires et très crédibles sur le terrain.

Oui, bien sûr, des vies ont été mises en danger par l'absence d'évasan. Oui, je ne devrais pas le dire de façon si virulente. C'est aussi pour cela que nous plaidons pour que l'avion sanitaire reste à Mayotte à l'issue de la crise. Parce que lorsqu'on doit faire l'évacuation sanitaire d'un patient qui a une compression médullaire ou qui a eu un problème de compression neurologique centrale, on a quatre heures pour qu'il rejoigne la Réunion. Lorsqu'on veut déboucher l'artère d'un patient qui a un infarctus du myocarde, on a entre quatre et six heures. Si l'on doit déjà faire venir l'avion de la Réunion, c'est terminé. Je ne veux pas que nous soyons soumis au rythme aléatoire de la disponibilité des avions d'Air Austral, qui fait son possible en général, mais qui est parfois confronté à une vraie saturation en période de vacances. Je plaide vraiment pour que nous ayons des moyens budgétaires et l'autorisation de garder cet avion à l'issue de la crise.

Debut de section - Permalien
Catherine Barbezieux Betinas, directrice générale du centre hospitalier de Mayotte

Nous avons seize lits de réanimation sur Mayotte. C'est très peu finalement, par rapport à la population. Au plus fort de la crise, nous sommes montés jusqu'à 22 patients en réanimation : il y avait non seulement les patients covid, mais aussi les autres patients qui avaient besoin d'être admis en réanimation.

Nous n'avons pas eu de saturation pour deux raisons : d'abord, le protocole avec le CHU de La Réunion nous a permis de procéder à des évacuations sanitaires des patients atteints du coronavirus, y compris en réanimation ; ensuite, nous avons eu l'aide du service de santé des armées, qui y a installé, de manière un peu différente de ce qu'il a fait dans le Grand Est, une unité de réanimation dans les murs de l'hôpital à proximité de notre service, et qui a permis d'aider ce service au plus fort de la crise. Il n'y a pas eu de saturation, mais vraiment grâce à ces aides. Cela montre qu'en situation vraiment exceptionnelle, les seize lits dont nous disposons aujourd'hui sont particulièrement insuffisants.

Debut de section - Permalien
Joëlle Rastami, membre de France Assos Santé Mayotte

Les associations ont participé, notamment les associations humanitaires, comme la Croix-Rouge, mais aussi l'Union départementale des associations familiales (UDAF), membre de France Assos Santé. Les représentants d'usagers sont nommés par le ministère de la santé, par les institutions, et nous avons été très étonnés de n'avoir à aucun moment été invités aux cellules de crise, comme cela a été fait dans le département voisin de La Réunion. Nos collègues de France Assos Santé Océan Indien faisaient partie de la cellule de crise et pouvaient faire remonter des informations.

Il manque encore beaucoup, pour les usagers, un accès aux masques. Les masques jetables n'ont plus de couleur, pour certains, les masques en tissu sont arrivés à épuisement de l'utilisation qui devrait en être faite. Il n'y a plus de distribution gratuite parce que compte tenu du contexte économique et social, il faut pouvoir redistribuer des masques gratuitement, les mettre à disposition des associations qui s'occupent du diabète comme Rediab Ylang, du VIH, de l'hépatite B, des centres communaux d'action sociale, en direct avec la population... Il faut continuer à pouvoir donner des masques pour faire effectivement barrage au coronavirus.

J'habite en Petite-Terre, et j'ai encore pris la barge tout à l'heure pour participer à une réunion sur le centre hospitalier de Mayotte. La distanciation n'est pas comprise de la population. Il y a des lieux stratégiques, qui nécessiteraient un accompagnement. Les agents de la société de transport maritime devraient pouvoir arriver à accompagner la population dans ces distanciations. Il en est de même dans les commerces, où la distanciation n'est pas respectée. Les masques ne sont pas mis non plus.

Nous souhaiterions avoir un accès au dépistage plus facile. Santé publique France l'écrivait le 9 juillet, « encore aujourd'hui, les personnes contacts de covid + ne sont pas dépistées. » Cela risque de laisser propager le virus.

Des associations ou les CCAS qui ont participé à cette distribution d'aliments ou de bons alimentaires nous font remonter leur demande d'avoir des dépistages. Mme Voynet l'a bien rappelé, notre population est jeune, avec beaucoup de cas asymptomatiques. Santé publique France insiste sur le fait qu'il y ait un dépistage à plus large spectre pour détecter les personnes qui seraient asymptomatiques et susceptibles de contaminer. D'autant qu'à Mayotte, nous rentrons dans la période des « Grands mariages ». Il est très difficile, pour la population, de pouvoir respecter les distances. En matière de santé communautaire, on pourrait s'appuyer sur les associations d'usagers. Nous connaissons des personnes ressources qui pourraient intervenir dans des manifestations traditionnelles, communiquer auprès de la population et essayer de les accompagner dans l'application de ces messages.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

Je ne sais pas s'il y a eu un autre département qui a pu équiper dès le 17 mars, sur l'ensemble du territoire, tous les professionnels de santé - tous les médecins libéraux, les infirmiers, les pharmaciens, les agents du service d'incendie et de secours, tous les ambulanciers, etc. Nous avons équipé les agents des CCAS, les agents des services d'aide à domicile, tout le secteur médico-social, et nous continuons à le faire. Nous disons entre nous que nous sommes « ARS Logistics », car certains agents ne font que cela : ils gèrent des cartons et livrent des masques, encore maintenant, toutes les semaines. Dès le début, nous avons pu équiper en masques tous les cas positifs et tous les cas contacts. Cela a été un travail absolument considérable que d'emmener ces masques à toutes les personnes dans les quartiers. Oui, il faut continuer à distribuer des masques - et ce n'est pas une critique pour l'ARS - parce que ce département a été le premier, et je crois le seul, à pouvoir équiper en masques en tissu toute sa population, grâce à la mobilisation du conseil départemental et de la préfecture : 450 000 masques ont été distribués dans une première commande, 800 000 sont en cours de distribution, ce n'est pas terminé. Parfois, il fallait aller dans certains quartiers déshérités distribuer les masques, un à un, de famille en famille, de maison en maison, parce que les gens n'ont pas d'adresse postale et qu'ils ont peu accès à l'information. Si Rediab Ylang demande des masques à la préfecture, je ne doute pas qu'ils en auront.

Pour le respect des règles de distanciation, chacun doit prendre ses responsabilités : la gestion de la barge relève du conseil départemental, celle des commerces, c'est la chambre de commerce et d'industrie et la chambre des métiers. Nous formons les formateurs : plus de mille personnes ont été formées par l'ARS en cette période : ce sont les formateurs des entreprises ou des milieux professionnels, qui vont permettre d'aller à la rencontre des usagers. Mais nous ne pouvons pas être les garants du fait que l'ARS est présente partout... J'ai appris, la semaine dernière, qu'en violation des règles, certaines boîtes de nuit ont repris leurs activités. Je l'ai tout de suite signalé au préfet, qui a mobilisé des moyens pour s'assurer que ces boîtes de nuit ne continuent pas leur activité. C'est une coopération quotidienne qui permet de respecter ces distances.

Quant à la phrase de Santé publique France que vous citiez, toutes les personnes contacts ne sont pas dépistées : en effet, de nombreuses personnes refusent de se faire dépister, disant qu'elles ne sont pas malades... Si jamais elles sont dépistées positives, elles devront s'isoler chez elles, mettre un masque, s'isoler de leur famille, et arrêter leur travail... Du coup, elles refusent. Dans les textes, rien ne nous permet d'imposer à une personne qui le refuse d'être dépistée.

Nous avons engagé beaucoup d'actions de dépistage systématique. C'est très étonnant. Parfois, avec une personne symptomatique, nous nous attendons à trouver beaucoup d'autres cas positifs. Dans une grosse association mahoraise, par exemple, on a trouvé zéro cas positif. À la Direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS), qui a beaucoup d'agents présents sur le terrain, il y avait aussi zéro cas positif. Et parfois, presque par hasard, dans les dépistages de voyageurs, on trouve des cas positifs qui affirment n'avoir aucun symptôme, et on trouve des cas positifs autour d'eux alors qu'on les cherchait à peine... Nous cherchons à déployer plus de tests et nous avons actuellement les moyens de le faire ; le facteur limitant, par contre, c'est le personnel, comme le disait Mme Barbezieux Betinas.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

La directrice de l'ARS a évoqué la coopération régionale sur le sanitaire. Avez-vous suffisamment avancé ? La Réunion était trop lointaine pour les actions que vous vouliez faire ensemble. Avec qui comptez-vous les faire ? Y a-t-il des possibilités de complémentarités dans le cadre des projets Interreg ? Sont-elles formalisées ou non ?

Vous avez évoqué le conseil départemental pour les déplacements, mais y a-t-il d'autres actions menées ensemble dans le cadre de la démocratie sanitaire ? Seule la représentante des usagers a évoqué les maires, qui sont présents, avec d'autres élus locaux et des représentants d'associations et des structures médico-sociales dans les conférences de la santé et de l'autonomie. Quelles relations avez-vous avec ces partenaires ? À Mayotte, il y a des problèmes sociaux et économiques. Gérer la situation, ce n'est pas facile pour vous. Vous avez évoqué les difficultés que vous pouviez avoir avec les ministères de la santé ou de l'outre-mer, mais vous n'avez pas cité certains représentants, comme ceux de la sécurité civile ou le SDIS. Qu'en est-il ?

Madame Rastami, l'ARS a évoqué les différentes distributions de masques pour protéger les populations mahoraises. Des associations pourraient-elles confectionner des masques en tissu de type Afnor, pour un usage quotidien ? Pourriez-vous les inciter à cela ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Vous indiquez avoir distribué beaucoup de masques à la population. Rapporteure pour avis, avec Dominique Estrosi-Sassone, sur le logement, nous avons constaté que de nombreux foyers d'hébergement n'avaient pas de masques. Cela a été un gros problème, notamment dans la métropole de Lyon, qui est pourtant riche.

Selon Mme Rastami, la moitié de la population touche moins de 250 euros par mois. On débat actuellement de la gratuité des masques et de l'accès de la population aux masques. Quelle est votre position sur ce sujet, même si vous avez agi bien avant les autres ?

Faut-il rendre les tests obligatoires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Pour le confinement généralisé, il y a eu un décalage de sept semaines avec la métropole. Vous avez souligné les difficultés importantes d'accès à l'eau et de faim. Selon vous, ce confinement n'était pas adapté. Dorénavant, s'il devait y avoir un reconfinement, avez-vous signalé que ce n'était pas adapté ? Quelles adaptations préconiseriez-vous pour Mayotte ?

Quelle proportion de la population a été touchée par la faim ? Combien de temps cela a-t-il duré ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Madame la directrice de l'ARS, vous avez été agacée devant « l'aréopage » de participants au comité de pilotage. Que voulez-vous dire ainsi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

J'ai été surpris d'entendre que dès le 17 mars, tous les professionnels de santé et toutes les personnes en ayant besoin avaient été fournis en masques. Dans mon département de l'Oise, ce n'était pas du tout le cas. Comment avez-vous pu faire ? Aviez-vous des stocks ? Si oui, aviez-vous anticipé, demandé ces masques ? Bravo, mais expliquez-nous !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je salue les trois intervenantes, avant de vous retrouver à Mayotte. Je ferai quatre observations. Le personnel soignant a fait de son mieux avec les moyens du bord. Certes, tout ne s'est pas bien passé, comme l'a rappelé Mme Rastami.

Déjà en temps normal, les moyens sont sous-dimensionnés par rapport à la population réelle. Je l'ai souvent dit devant le Sénat. À plus forte raison, durant cette double crise de la covid-19 et de la dengue, les moyens étaient amplement dépassés. Il faut mettre en exergue ce sous-dimensionnement des moyens.

Nous avons assisté, contrairement à d'autres zones de la métropole, à une montée voire à une flambée des violences, notamment dans les quartiers. Une caserne de pompiers à Kahani a été pillée, et un dispensaire attaqué. Cette montée de violences, peut-être pas si conséquente que cela, a été très mal ressentie par la population, et a motivé la venue en urgence de la ministre des outre-mer pour qu'elle « éteigne le feu ».

Il est dommage que le préfet et les exécutifs locaux, l'association des maires ne soient pas là. En cas de nouvelle vague, comment allons-nous nous organiser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

Madame Jasmin, j'ai pointé les limites non pas de la coopération régionale, mais de l'intérêt d'un GHT. Les coopérations existent : nous recevons à Mayotte très régulièrement des missions de médecins, de chirurgiens, d'intervenants divers qui nous aident à prendre en charge des patients de Mayotte. Nous coopérons dans la gestion des matériels et des équipements. La crise a permis de mettre en évidence la bonne volonté partagée de renforcer des coopérations.

La situation des maires n'était pas simple : au soir du premier tour des municipales, ils étaient suspendus à la décision des électeurs, comme cela a été le cas dans plusieurs milliers de communes métropolitaines. Les communes étant jeunes à Mayotte, elles disposent souvent de moyens très limités. Je dois souligner la bonne qualité des relations avec les maires, dans plusieurs communes, confrontés à la covid. Cela nous a permis de déployer, avec leurs services et avec eux, des actions de terrain tout à fait utiles, et de former leurs agents. Je souligne le travail fait à la mairie de Mamoudzou, ville où il y a beaucoup de bidonvilles et d'habitats précaires. L'accord donné pour installer rapidement des rampes d'eau et faire des distributions alimentaires, de masques, former des agents, a été intéressant. Il en a été de même à Chirongui, Mtsamboro, Sada, où les maires se sont fortement mobilisés.

Concernant les relations avec les associations, l'ARS est très jeune ! Comme l'a dit la représentante des usagers, France Assos Santé existait à l'échelle de l'Océan Indien, vous étiez vice-présidente. Nous n'avons pas eu le temps de nouer des relations approfondies. Nous nous sommes vues deux ou trois fois, dans des occasions variées, mais ces relations ne sont pas stabilisées.

Je n'ai pas évoqué de difficultés avec le ministère de la santé. Mais il est parfois difficile de recevoir des instructions traitant de sujets extrêmement importants au niveau métropolitain, mais qui s'adaptent mal à la situation de Mayotte - ce n'est pas la même chose. Lorsqu'on reçoit des instructions sur les modalités de suivi des personnes dans les Ehpad - nous n'avons pas d'Ehpad à Mayotte - ou nous enjoignant de mettre en bière systématiquement chaque personne décédée alors que la tradition mahoraise consiste à laver les corps, utiliser des linceuls et procéder très vite à l'ensevelissement, c'est difficile.

Les relations avec la protection civile et le SDIS ont été fluides. Le préfet, grand ensemblier de ces questions, vous aurait décrit cela par le menu. Mes relations avec eux ont été essentiellement fonctionnelles et pratiques, puisque nous avons équipé les pompiers du SDIS très tôt dans la crise, alors même que les textes ne nous l'imposaient pas.

Pour les masques, nous avons pu équiper dès le 17 mars les professionnels de santé du CHM, avec un nombre limité de masques par jour au début, car nous étions prudents et ne savions pas si et quand nous aurions du réassort... Nous sommes passés de deux à trois masques par jour à quatre ou cinq. Je vous le confirmerai - je suis sous serment. Au départ, j'ai équipé les infirmiers libéraux, les pompiers, les ambulanciers etc., avec un nombre limité de masques par jour (deux masques par jour), dans le respect des normes nationales. Lorsque nous avons réalisé que nous avions des dons, parfois de masques périmés, mais testés avant de les distribuer, nous avons augmenté le nombre de masques distribués.

C'est avec des masques en tissu que nous avons équipé tout le monde. Nous sommes passés de la distribution de masques chirurgicaux ou FFP2 aux professionnels de santé et aux cas positifs et cas contacts à une distribution populationnelle de masques en tissus, fabriqués en partie à Mayotte. J'en ai commandé des milliers et des milliers. Mais ensuite nous avons commandé 450 000 masques à Madagascar, tout simplement, car on ne trouvait plus de tissu, et surtout plus d'élastique, à Mayotte. Puis nous avons commandé 800 000 masques. La deuxième salve de masques n'est pas encore totalement distribuée. Mon directeur de cabinet est en lien étroit avec la préfecture pour organiser la fin de cette distribution.

Faut-il rendre obligatoires les tests ? Je suis très ennuyée car je prends au sérieux ce que l'on me dit : nous avons toutes les chances, si le test est négatif, de ne pas pouvoir rassurer la personne, qui peut être positive 48 heures plus tard, ou avoir été positive quatre jours avant et avoir contaminé largement autour d'elle des personnes qui déploieront ou non des signes cliniques. Un test ne renseigne que sur l'état virologique de la personne au moment où on le fait. C'est tout. Généraliser ou rendre obligatoire les tests est compliqué. Pour les vols vers la métropole, il est déraisonnable d'imposer des tests à tous les Mahorais, car nous avons une capacité de tests limités. Nous n'avons pas les matériels, les réactifs ou le personnel pour prélever et pour gérer ces dossiers. Imaginez une seconde : vous demanderez aux Mahorais de faire un test systématique avant de prendre l'avion pour la métropole, alors que le nombre de cas de covid à Mayotte n'est même pas le tiers du nombre de cas constatés dans la région Grand Est. À ma connaissance, on ne demande pas aux habitants de Strasbourg ou de Metz de faire un test avant de prendre le TGV pour Paris ou de partir en vacances en Bretagne... Je trouverai discriminatoire d'imposer cela aux Mahorais. Par contre, je comprends la demande des Réunionnais, car La Réunion est une île, qui souhaite se protéger et avoir des garanties sur la situation sanitaire et sur l'impact éventuel des afflux de passagers vers l'île. Mais d'un côté il y a trois îles - Guadeloupe, Martinique et la Réunion - touristiques avec un afflux important de personnes pouvant déstabiliser le système de santé, de l'autre, deux territoires plutôt fragiles - un continental, la Guyane, et un insulaire, Mayotte - avec des capacités limitées et qui ne constituent pas nécessairement un danger pour le territoire métropolitain.

Les sept semaines de confinement ont en partie aidé à limiter le pic épidémique, mais ont été très pénalisantes dans le temps. Je ne sais pas quel est le pourcentage des habitants qui ont eu faim. La faim n'est pas uniquement quantitative, avec la sensation de faim dans le ventre, c'est aussi qualitatif : certaines personnes ont mangé seulement du riz et des bananes pendant des semaines, sans rien d'autre. Cela a un impact sur la santé des enfants ou de personnes diabétiques...

Pour l'eau, la solution est dans le long terme. Il est inacceptable qu'un tiers de la population n'ait pas accès à l'eau potable. C'est un sujet très sensible politiquement : certains soulignent deux difficultés : c'est dans les quartiers informels, de développement rapide, totalement exorbitants des maires pour mettre en place des plans locaux d'urbanisme, que le besoin d'accès à l'eau est le plus aigu et le plus important quantitativement. Certains maires nous disent que s'ils veulent avoir une politique d'aménagement du territoire, ils ne peuvent pas valider, après coup, par l'installation de rampes d'eau, l'implantation non choisie de populations nouvelles. Par ailleurs, il sera nécessaire d'améliorer l'accès à l'eau, dans le contexte plus général de raréfaction de la ressource en eau à Mayotte. Nous nous attendons tous à devoir gérer une pénurie d'eau en novembre, avant l'arrivée de la saison des pluies. C'est un sujet de fond, et non uniquement de crise.

Pourquoi ai-je déploré le large aréopage de participants au COD ? Soit celui-ci est un lieu de diffusion d'informations, auquel cas ce n'est pas gênant qu'il y ait énormément de monde ; soit c'est un lieu où des sujets difficiles peuvent être abordés, où l'on peut argumenter, construire des positions et nouer des compromis, auquel cas le fait d'être si nombreux pénalise. On ne peut pas dire tout, devant tout le monde, tout le temps. C'est pourquoi, à côté de ce COD très large, nous avons pris l'habitude, avec le préfet, de nous réunir quasiment en tête-à-tête, chaque fois que c'était nécessaire, pour arrêter les décisions qui devaient l'être.

Debut de section - Permalien
Joëlle Rastami, membre de France Assos Santé Mayotte

Mme Voynet insiste beaucoup sur le travail réalisé avec les associations. Avec des outils visio, on aurait pu travailler ensemble et collaborer sur cette crise du coronavirus.

Lors d'une réunion avec les membres de la direction qualité et la direction générale de l'hôpital, on nous avait dit que 2 700 agents de l'hôpital avaient bénéficié de masques. Les services aigus ont été davantage pourvus, avec trois masques par jour, contre deux pour les autres. Après, il y a eu une montée en charge de la mise à disposition de masques. Je reviendrai aussi sur la qualité des masques. Certains masques en tissu étaient de vraies passoires. Le test de l'OMS, de la flamme, le prouvait. Cela a été publié sur Mayotte Première. Des masques jetables ont été distribués et ont été montrés du doigt par les professionnels de santé parce qu'ils n'avaient rien d'autre. Des reportages, dernièrement, montraient des équipes du SAMU de l'hôpital, une infirmière et un médecin, qui partaient voir un patient positif au covid qui n'allait pas bien. Ils n'étaient pas équipés d'un masque FFP2, mais d'un masque chirurgical...

Pour laver ces masques en tissu, il faut de l'eau et du savon. Comment distribuer des masques en tissu s'ils sont mis tous les jours, pendant six à dix jours, sans être lavés... Ils n'ont alors plus aucun effet !

Les représentants des usagers s'interrogent sur le suivi des cas positifs, et de ceux qui sont dits guéris. Sur quels critères sont-ils guéris ? En métropole, des centres spécialisés se mettent en place pour accompagner. Quels moyens seront donnés à l'hôpital pour accompagner tant psychologiquement - cela a fait beaucoup de dégâts - que physiquement ceux qui doivent récupérer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Merci d'avoir exposé tous les problèmes et solutions que vous avez trouvés pour vous en sortir au mieux. Nous vous recontacterons si nous avons besoin d'autre chose, mais n'oubliez pas de répondre aux questions écrites. Nous vous souhaitons bon courage pour la suite.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 40