Intervention de Catherine Barbezieux Betinas

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 juillet 2020 à 16h35
Audition de mmes catherine barbezieux betinas directrice générale du centre hospitalier de mayotte dominique voynet directrice générale de l'ars de mayotte et joëlle rastami membre de france assos santé mayotte

Catherine Barbezieux Betinas, directrice générale du centre hospitalier de Mayotte :

Je donnerai des éléments complémentaires autour de quelques mots clés.

Le premier est l'inconnu : la crise a débuté au CHM le 13 mars avec la détection du premier cas de covid confirmé après plusieurs semaines d'attente pendant lesquelles nous ne savions pas si l'épidémie allait arriver ou pas.

Nous étions également dans l'inconnu parce qu'il s'agissait d'une première crise concernant l'infectiologie. Le centre hospitalier de Mayotte est très rompu à la gestion de crise - nous en avons quasiment tous les ans : barrages sur l'ensemble de l'île en 2018 pendant deux mois, mouvements sociaux en 2016... Nous avions donc l'impression d'être rompus à l'exercice. Cette nouvelle crise nous a montré que l'exercice devait être totalement différent.

Le deuxième mot clé est l'inquiétude, parce que nous étions face à l'inconnu quant au coronavirus et que nous avions conjointement une épidémie de dengue, de grippe, de bronchiolite. Or nous n'avions plus la maîtrise, car contrairement aux crises que nous avions déjà connues, la gestion de celle-ci a été nationale et régionale. Nous avions des interlocuteurs beaucoup plus diversifiés, même si l'ARS a joué le rôle d'intermédiaire avec les instances nationales et s'est occupée de l'ensemble de la communication, ce qui fut une très bonne chose.

L'inquiétude a touché le personnel, qui a eu un moment de désarroi - heureusement vite maîtrisé - causé par la peur d'être contaminé, et de ne pas être suffisamment protégé, mais aussi nos usagers.

Nous avons déclenché le plan blanc très rapidement, le 17 mars, et avons donc été dans l'obligation d'arrêter toute activité programmée. La nécessité de maintenir des capacités pour faire face à l'urgence et la peur des usagers de venir à l'hôpital ont entraîné des hospitalisations en urgence qui n'auraient pas eu lieu si ces usagers s'étaient présentés à l'hôpital. En effet, Mayotte connaît une prévalence de pathologies chroniques, comme le diabète ou l'hypertension artérielle, qui sont prises en charge au centre hospitalier de Mayotte.

Nous nous sommes sentis sur le fil du rasoir en permanence. Nous avions l'avantage, par rapport à la métropole, de disposer d'environ quatre à six mois de stock. En début de crise, nous avions environ 225 000 masques chirurgicaux et FFP2. En revanche, nous nous sommes très vite rendu compte - c'est une leçon à tirer pour d'éventuelles crises futures - qu'il fallait absolument mettre en place des mesures de sécurité. Environ 20 000 masques ont disparu la première semaine. Nous avons donc renforcé les services de sécurité de façon assez conséquente sur les différents sites, jusqu'à faire de la fouille de sacs. Dès le début de la crise, nous avons mis un point d'honneur à mettre à disposition de l'ensemble des professionnels de l'hôpital des équipements de protection - masques, surblouses - conformément aux protocoles qui ont été établis avec le service d'hygiène.

Nous avons également eu des inquiétudes sur les évasan et une charge de travail accrue lorsque le pont aérien a été mis en place brutalement un week-end, entraînant la fermeture du ciel aux vols commerciaux. Or un avion dans lequel nous avions affrété les professionnels qui rentraient de vacances de métropole et énormément de marchandises pour assurer nos stocks devait atterrir le samedi soir. L'annulation de ce vol a entraîné la création d'une cellule qui a été mobilisée sept jours sur sept en lien avec la préfecture, qui nous a beaucoup aidés.

Le troisième mot clé, c'est la réactivité, puisqu'il y a eu une mobilisation sans précédent de la part des professionnels de l'hôpital. Juste avant la crise, nous avions l'exemple de la métropole et nous étions très inquiets. Nous ne disposions que de 16 lits de réanimation en tout et pour tout sur le territoire. Nous n'avions pas vraiment la possibilité d'être aidés par un hôpital voisin, puisque La Réunion est à deux heures de vol. En quelques jours, nous nous sommes réorganisés pour pouvoir offrir une quarantaine de lits de réanimation. Nous avons créé des unités spécifiques covid pour éviter les infections nosocomiales d'autres patients. Nous avons créé une deuxième unité d'urgence pour accueillir les enfants au plus fort de la crise et nous avons créé l'unité post-urgence, qui n'existait pas.

Bref, c'est assez bluffant, car ce qui a été fait en à peine trois semaines aurait pris plusieurs semaines, voire plusieurs mois en temps normal.

Le quatrième mot clé, c'est la solidarité, notamment avec le CHU de La Réunion, qui est notre établissement de recours. Grâce au travail qui s'est engagé entre les différentes ARS, nous avons pu bénéficier d'assistance en matériel (respirateurs, masques) et nous avons pu réaliser des évasan, puisque La Réunion n'avait pas de cas identifiés hospitalisés à ce moment-là.

L'aide de la réserve sanitaire a été également essentielle, car nous avons eu jusqu'à 15 % d'absentéisme dans des services à certaines périodes, de nombreux agents ayant été contaminés. De même, le service de santé des armées, qui est venu installer une unité de réanimation supplémentaire, a été déterminant au plus fort de la crise. Enfin, je dirai que tous les professionnels de santé ont été à la hauteur.

Le cinquième mot clé, c'est l'innovation. Nous avons créé en quelques semaines avec l'ARS une hospitalisation à domicile, avec une particularité par rapport à beaucoup d'autres services de style en métropole, qui est la coordination entre le personnel de l'hôpital et les professionnels libéraux. C'est très nouveau à Mayotte, où, malgré quelques rapprochements, on ne pouvait pas dire qu'il y avait une collaboration fluide entre le public et le secteur libéral. La crise nous a permis de nous rencontrer, de nous parler et de nous rendre compte des potentialités d'une telle collaboration. Nous sommes aujourd'hui à 21 patients suivis, et cela fonctionne très bien. Nous avons mené quelques expériences en télémédecine, qui se sont parfaitement passées, malgré la faiblesse de nos moyens. Nous avons également monté des équipes mobiles de prélèvement en collaboration avec les biologistes.

Cette crise nous a demandé beaucoup d'énergie. Elle a révélé certaines de nos faiblesses, mais elle nous a aussi permis de développer des dispositifs novateurs pour faire face à une situation, qui, à un moment donné, était très inquiétante.

Nous n'avons eu qu'une seule admission en réanimation depuis trois semaines, et très peu en médecine. Nous avons fermé nos unités spécifiques covid médecine et gynécologie-obstétrique et nous sommes revenus à notre capacité de réanimation habituelle. Le Plan blanc a été suspendu depuis lundi, mais nous restons en alerte. De toute façon, il nous est apparu que le Plan blanc était inadapté pour des périodes aussi longues, du fait notamment de l'arrêt d'un certain nombre d'activités programmées, ce qui se révèle assez lourd pour les usagers.

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