Au nom de tous les usagers du système de santé, je souhaite remercier la commission d'enquête du Sénat de cette invitation à nous exprimer. Je salue également la mobilisation et l'implication quotidienne de l'ensemble des professionnels de santé publics et libéraux, ainsi que de toutes les associations.
Je représente ici France Assos pour Mayotte et non de Mayotte, le maillage territorial de l'association étant en voie de réorganisation. Nous avons vocation à défendre les intérêts des usagers du système de santé. Notre volonté est de permettre que s'exprime la vision des usagers sur les problématiques de santé.
La présentation que je vais vous faire s'appuie sur les données connues des usagers. Bien entendu, nous ne maîtrisons pas tout, et j'ai encore appris des choses aujourd'hui en entendant les oratrices précédentes.
Je me permettrai de vous rappeler que le Conseil pour l'engagement des usagers de la Haute Autorité de santé a émis cinq recommandations. La première est de mobiliser les processus de démocratie en recourant notamment au numérique. Les principes de la démocratie en santé impliquent la participation des représentants des usagers aux décisions de santé. Le numérique permet de recenser les témoignages et les retours d'expérience, d'en tirer les enseignements, d'une part, et de s'assurer de l'adhésion de l'opinion aux solutions proposées, d'autre part. Or depuis le début de la crise sanitaire sur notre territoire de Mayotte les représentants des usagers n'ont pu exprimer leurs droits collectifs auprès de l'ARS, et de façon réduite uniquement auprès du centre hospitalier de Mayotte, par conférence téléphonique. Nous avons également participé à une réunion du comité d'éthique par voie numérique.
Notre délégation sur Mayotte, comme l'ensemble des délégations de notre association, réclame une plus grande implication dans la politique de gestion de crise. Il faut permettre l'expression d'une parole collective, celle des populations qui subissent les effets de l'épidémie, ainsi que ses conséquences psychologiques et sociales. C'est pour cela que nous avons fait un premier courrier, le 11 mai, à Mme la directrice de l'ARS, que nous allons rencontrer le 29 juillet. En aucun cas, j'y insiste, les représentants des usagers n'ont dénigré le travail réalisé par l'ARS et les autres services.
Quelle leçon tirer de cette crise ? Quelle stratégie devons-nous adopter pour faire face à une nouvelle ou comment le système de santé de Mayotte doit-il évoluer ? Quelle place pour la démocratie en santé ? Telles sont les questions qui doivent nous mobiliser.
D'abord, nous pensons que la communication institutionnelle a produit des effets très limités sur le comportement des populations. À Mayotte, les usagers ne sont pas homogènes en ce qui concerne la représentation de la maladie, de la santé, les origines linguistiques, le mode de vie, les rites culturels, notamment au moment des décès - obsèques, lavages mortuaires - et des mariages. Certaines de ces spécificités ont pu contribuer à la dynamique de l'épidémie.
Les messages sont parfois peu suivis d'effet. Les distributions d'aide alimentaire ont certes répondu aux situations d'urgence sociale, mais elles ont provoqué des cohues favorisant la propagation du virus. Les messages en alphabet latin n'ont pu en effet être compris des populations, souvent analphabètes, ou bien ont été mal traduits en alphabet arabe. Notre proposition serait d'organiser une communication grand public claire et adaptée aux populations de Mayotte sur les épidémies, en s'appuyant sur les ressources locales et les spécialistes en linguistique.
Nous souhaitons ensuite aborder la stratégie de dépistage. Les annonces faites par l'ARS sur le manque de réactifs et le refus de beaucoup de se faire dépister ont contribué à la propagation des rumeurs les plus folles sur les réseaux sociaux. Je suis convaincue que l'absence d'annonces claires a entraîné bien des interrogations quant à la capacité des autorités sanitaires locales à gérer efficacement cette crise sanitaire.
Nous avons bien entendu le message du ministre de la santé pour tendre vers un dépistage massif, mais, à l'heure où nous sommes, seuls 14 100 tests ont été réalisés par les deux uniques laboratoires hospitaliers privés de Mayotte. Depuis le 14 mars, date du premier cas déclaré, on compte une moyenne de 688 tests par semaine, soit 90 tests par jour, loin des 1 000 tests annoncés à l'Assemblée nationale par la ministre des outre-mer le 2 juillet.
Santé Publique France a communiqué au mois de juin sur une probable sous-estimation de l'épidémie à Mayotte, une recrudescence ayant été constatée à la suite de l'Aïd et de la réouverture des commerces. La directrice de l'ARS n'a cessé d'alerter sur le manque de moyens pour tester, mais les ressources supplémentaires annoncées par la ministre le 19 mai n'étaient toujours pas arrivées à l'hôpital le 18 juin. Nous restons toujours en grande difficulté pour effectuer un nombre de dépistages suffisant.
La stratégie des pouvoirs publics est restée incomprise des usagers. Nous avons recueilli nombre de témoignages de personnes qui se sont vu opposer un refus de dépistage, voire dont les résultats n'ont pas été communiqués, ou alors seulement 4 ou 5 jours après.
Au niveau des matériels de protection, nous avons une autre version que celle des professionnels de santé. Pour les masques grand public, c'est la débrouille qui prévaut. Il faut savoir que 50 % de la population vit avec moins de 250 euros par mois, et ne peut se permettre de s'acheter une boîte de masques à 60 euros. Il est de surcroît difficile de laver les masques en tissu quand on a un accès à l'eau limité.
Pour conclure, je dirai que cette crise a été révélatrice des problèmes récurrents de notre système de santé. Pour nous, la place de la démocratie en santé reste à valoriser.