Si je n'ai pas évoqué de façon très détaillée la place du préfet, c'est parce que je savais que la question viendrait, mais c'est aussi parce que la relation avec le préfet n'a pas été réellement une difficulté pour nous, dans l'écrasante majorité des cas. Nous sommes beaucoup parlé et nous avons signé ensemble plusieurs courriers au Premier ministre pour demander des adaptations de la stratégie nationale à la situation particulière de Mayotte. Nous n'avons eu des divergences d'appréciation que lorsqu'il a dû mettre en oeuvre des injonctions formelles du ministère des outre-mer qu'il lui était difficile d'appliquer. Je pense que ce n'est pas aller trop loin de préciser que, dans ces situations, la tendance est forte de partager la pression avec l'ARS.
Un centre opérationnel départemental (COD) a été mis en place dès que la situation a commencé à se dégrader en métropole. Il s'est réuni tous les jours pendant plusieurs semaines, d'abord sous l'autorité du préfet, puis sous l'autorité d'un sous-préfet. Un COD plénier élargi était de surcroît réuni toutes les semaines. Même si j'étais un peu agacée de voir tout cet aréopage, je dois reconnaître que ce mode de réunion a facilité la circulation de l'information.
Concernant les relations avec la médecine de ville, compte tenu du fait que nous avons peu de médecins, nous avons réorganisé beaucoup de réunions avec les infirmiers, dès avant le premier cas apparu à Mayotte, pour essayer de transmettre un maximum d'informations sur les précautions à prendre dans la pratique professionnelle. Par ailleurs, nous avons mis en place une lettre d'information quotidienne diffusée à tous les professionnels de santé de Mayotte. J'organise également une réunion téléphonique hebdomadaire avec les médecins sur des sujets très variés, comme la façon de suivre les malades chroniques, d'équiper les professionnels ou de gérer les obsèques. Cela a permis aussi aux médecins de faire remonter des propositions.
Concernant les vols, vous avez parfaitement raison, madame la rapporteure, de dire que le contrôle strict des arrivées humaines sur le territoire était de nature à nous aider à contrôler la diffusion de l'épidémie, et nous avons été soulagés des décisions prises en la matière, mais cela ne supposait pas l'arrêt des vols. Il fallait se limiter à encadrer la libre circulation des personnes, car nous avions besoin de faire venir du matériel et des renforts. Autre exemple : nous avions besoin de faire partie régulièrement les tests qui permettent de diagnostiquer la mucoviscidose chez les enfants ou les tests prévenant les risques de trisomie 21. En plus, je ne suis pas sûre que l'on y ait gagné sur le plan financier, car le pont aérien mis en place sur la base d'une délégation de service public avec Air Austral, avec une garantie de ressources, a été très coûteux. Ainsi, la compagnie a une enveloppe de 25 000 euros pour chaque vol entre Dzaoudzi et La Réunion. Je trouve extrêmement dommageable ce qui s'est passé, alors que nous avions les pires difficultés à faire venir notre fret.
J'y suis allée un peu fort en parlant d'amateurisme au sujet de la gestion du ministère des outre-mer. C'est plutôt l'impression d'une difficulté à arrêter une position interministérielle robuste fondée sur les seules considérations sanitaires. J'ai eu l'impression que, finalement, le ministère voulait marquer de son empreinte l'évolution de la crise, parfois de façon redondante avec le ministère de la santé, parfois de façon imparfaitement cohérente.
Je me suis réjouie que la gestion de la crise ait été confiée au début au ministère de la santé, avec la création d'une cellule de crise sanitaire. Ensuite, j'ai trouvé juste la création d'une cellule interministérielle de crise (CIC), au moment où l'on comprend que la crise va durer plusieurs semaines, plusieurs mois, voire plusieurs années. Cette structure a vocation à traiter non seulement les questions sanitaires, mais également les questions économiques et sociales. Dans une troisième phase, et parce que le CIC ne fonctionnait pas bien, il a été décidé de faire en sorte que le ministère le plus directement concerné, c'est-à-dire le ministère de la santé, soit représenté fortement au CIC. Cela m'a semblé juste aussi. On aurait pu imaginer raccourcir les séquences, mais je n'ai pas beaucoup d'éléments pour voir comment les choses se sont passées réellement au niveau national. Cependant, je pense que ces trois séquences étaient à peu près inévitables.
Lorsqu'il y a une crise courte - tremblement de terre ou cyclone -, le préfet est naturellement le coordonnateur général. En l'espèce, le préfet a veillé, au niveau du COD, à prendre en compte de façon prioritaire les préoccupations sanitaires, et je l'en remercie. Je lui ai renvoyé la pareille quand j'ai eu l'impression que les difficultés sociales, sécuritaires, économiques du département l'emportaient sur la gravité de l'épidémie. On a alors travaillé ensemble à assouplir les modalités du confinement et à faciliter la vie des Mahorais.