Intervention de Dominique Voynet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 juillet 2020 à 16h35
Audition de mmes catherine barbezieux betinas directrice générale du centre hospitalier de mayotte dominique voynet directrice générale de l'ars de mayotte et joëlle rastami membre de france assos santé mayotte

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet, directrice générale de l'ARS de Mayotte :

La crise a duré longtemps, et elle n'est pas réellement terminée puisque nous continuons à avoir toutes les semaines une réunion du COD. Certes, elle s'est allégée, mais elle a duré quatre mois.

Si les choses se sont bien passées localement, cela ne veut pas dire que nous avons toujours été d'accord sur tout avec le préfet. Nous avions parfois des préoccupations différentes que lui, ainsi qu'avec le recteur qui aurait aimé rouvrir les écoles beaucoup plus tôt - avec des arguments que je comprends tout à fait, lorsqu'il insiste sur le risque de décrochage scolaire d'enfants vivant dans des quartiers où l'école est vraiment la chance de s'en sortir. C'est aussi le lieu où l'on fournit parfois le seul repas de la journée. Dire que nous nous sommes entendus sur 90 % des sujets ne veut pas dire que nous n'ayons pas eu de discussions sur d'autres. Je trouve cela normal, et cela s'est toujours réglé avec respect.

Lorsque j'évoquais des « actions chaotiques », je faisais directement allusion à un point évoqué par la représentante des associations qui concernait les distributions alimentaires, souhaitées par le rectorat, portées par la préfecture, à la demande de communes qui auraient aimé pouvoir distribuer effectivement aux populations les plus déshéritées des aliments. L'ARS n'a pas soutenu cette hypothèse, même si nous avons accepté d'en financer certaines. Nous avons été soulagés quand nous avons appris que les différents partenaires renonçaient à cette façon de distribuer l'aide alimentaire et privilégiaient désormais la distribution de bons, permettant aux personnes d'aller s'approvisionner au Douka Bé local. Pour moi, c'était important. Voilà un exemple des situations dans lesquelles nous n'avons pas été d'accord. Mais je comprends aussi le préfet : les gens avaient faim, c'était urgent et les communes étaient demandeuses. C'est facile après coup de réécrire l'histoire. La réalité, c'est qu'on n'arrive pas toujours à éviter les attroupements. Je pense notamment aux attroupements auprès des centres de santé. La directrice du CHM fait de son mieux pour imposer le port du masque et le lavage des mains. On a fermé la rue pendant des semaines, mis en place un lavage des mains systématique avant l'accès aux centres de santé. Mais la réalité, c'est que les personnes s'agglutinent devant le centre de santé depuis trois heures du matin. En dépit des mesures de sécurité, on n'évite pas toujours ces attroupements qui ne permettent pas de respecter les gestes barrières.

Avec La Réunion, la situation est assez singulière. Le CHM est le seul établissement hospitalier français à ne pas être membre d'un groupement hospitalier de territoire (GHT), tout simplement parce qu'avec 1 800 kilomètres qui séparent La Réunion de Mayotte, les situations n'ont rien à voir. Personne n'aurait eu l'idée de faire un GHT entre le centre hospitalier de Lille et la Corse ; nous n'avons pas trouvé fonctionnel de mettre en place un GHT entre Mayotte et La Réunion. Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas ensemble. La séparation entre l'ARS de La Réunion et l'ARS de Mayotte n'a pas été très simple. Elle a été douloureuse pour les agents de La Réunion, mais elle a été accueillie avec enthousiasme à Mayotte. La crise, tant pour les relations entre les établissements hospitaliers que pour les relations entre les ARS, a été l'occasion de vérifier que nous étions capables de bien travailler ensemble. Je dois remercier ma collègue de La Réunion, qui, au moment où nous avons réfléchi à la façon de se partager le stock stratégique de masques, a attribué la plus grande partie de ce stock à Mayotte parce que nous en avions besoin, dans des conditions tout à fait amicales. Je dois aussi remercier le CHU qui, à plusieurs reprises, a avancé des écouvillons et des curares, des kits réactifs, etc., pour nous permettre de faire la jonction. Nous avons conclu un protocole de coopération pour les évasan avec l'hôpital de La Réunion, dans un contexte assez compliqué parce que l'opinion publique à la Réunion était extrêmement sensible à la présence mahoraise. Les plus prudents sont juste attentifs à ne pas laisser réintroduire la covid, mais certains vont jusqu'à des jugements racistes extrêmement pénibles envers les Mahorais. Ce protocole illustre magnifiquement l'engagement des professionnels pour une solidarité active avec Mayotte. Vous allez me dire que c'est bien normal, car le CHU est notre établissement de recours et il est financé pour cela.

L'ancrage de Mayotte existe dans l'océan Indien, de fait, car la moitié de la population de Mayotte est d'origine comorienne. Les liens sont constants, tant avec les Comores que Madagascar. Nous avons deux difficultés importantes : la première, ce sont les distorsions de niveaux de développement et de vie. Mayotte, plus pauvre des départements français, apparaît comme un îlot de de richesses, de bien-être et de confort pour les autres États de l'océan Indien. Avant la survenue de la covid, j'étais engagée dans l'élaboration d'un programme de coopération sanitaire auquel participe activement le CHM, qui a lui-même un programme Interreg de coopération sanitaire avec les Comores. Je suis un peu perplexe quant au déploiement de ce programme dans le contexte actuel ; il me paraît évident que le gouvernement comorien est prêt à utiliser aussi la crise du coronavirus comme un instrument de pression sur le Gouvernement français. Par exemple, le Gouvernement comorien exige, pour reprendre des personnes reconduites aux Comores, la réalisation d'un test PCR. C'est un peu fort de café ! Nous accueillons à Mayotte les personnes qui arrivent et qui sont positives à la covid, et nous sommes censés faire un test négatif si l'on souhaite les renvoyer. Je précise que cette remarque, purement factuelle et technique, ne constitue pas une évaluation politique, stratégique ou tactique de la politique française en matière migratoire ou en matière de coopération avec ses voisins.

L'approche en matière de santé communautaire n'a été ni gênée ni appuyée au niveau national. Elle a été jugée absolument nécessaire, soutenue par le ministère de la Santé - pas encore de façon explicite - mais nous avons été autorisés à dépasser notre plafond d'emplois pour recruter des agents supplémentaires. Nous avons affiché très fortement l'idée qu'il s'agissait de mettre en place un réseau de santé communautaire et d'être plus présents sur le terrain. C'est une des faiblesses structurelles des ARS que d'être peu territorialisées. C'est moins vrai à Mayotte qu'ailleurs. Dans de très grandes régions comme l'Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine ou les Hauts-de-France, il y a peu d'agents de l'ARS présents sur le terrain, contrairement aux agents du ministère de l'agriculture, ou du ministère de l'équipement. Mais à Mayotte, le territoire est assez petit, les distances ne sont pas importantes, nous nous connaissons tous. C'est plus facile d'être présents sur le terrain. Ce sera le seul point sur lequel je souhaite répondre à la représentante des usagers, parce que nous avons beaucoup échangé avec les associations qui nous ont aidés sur le terrain. Elles ont été présentes sur les bornes-fontaines, dans les quartiers ; elles nous ont aidés à aller dans des endroits où il est difficile, pour des agents non mahorais, de se rendre. Elles nous ont fait remonter énormément de témoignages de terrain qui nous ont permis aussi d'adapter nos dispositifs à la réalité sociale et territoriale de Mayotte. Elles nous ont beaucoup aidés à transmettre les messages qu'appelait de ses voeux la responsable associative. Tous les messages, en plus des films, des messages radio et du travail sur les réseaux sociaux traitent de points très spécifiques de la vie mahoraise : « Comment je fais avant d'aller à la mosquée? » « Comment je porte mon masque? » « Comment je me comporte quand plusieurs générations cohabitent ? » « Qu'est-ce qu'un mètre de distance ? » On leur dit : c'est cela. (Mme Voynet écarte les bras pour en montrer la longueur). Je vous ferai passer ces plaquettes par internet. Le monde associatif nous a aidés, et il va nous aider à transmettre les bons messages en matière alimentaire, de diabète, de santé sexuelle et reproductive, de lutte contre le VIH, etc. Cela intéresse beaucoup le ministère et je souhaite pouvoir le développer, en utilisant tous nos agents qui se sont montrés très volontaires et très crédibles sur le terrain.

Oui, bien sûr, des vies ont été mises en danger par l'absence d'évasan. Oui, je ne devrais pas le dire de façon si virulente. C'est aussi pour cela que nous plaidons pour que l'avion sanitaire reste à Mayotte à l'issue de la crise. Parce que lorsqu'on doit faire l'évacuation sanitaire d'un patient qui a une compression médullaire ou qui a eu un problème de compression neurologique centrale, on a quatre heures pour qu'il rejoigne la Réunion. Lorsqu'on veut déboucher l'artère d'un patient qui a un infarctus du myocarde, on a entre quatre et six heures. Si l'on doit déjà faire venir l'avion de la Réunion, c'est terminé. Je ne veux pas que nous soyons soumis au rythme aléatoire de la disponibilité des avions d'Air Austral, qui fait son possible en général, mais qui est parfois confronté à une vraie saturation en période de vacances. Je plaide vraiment pour que nous ayons des moyens budgétaires et l'autorisation de garder cet avion à l'issue de la crise.

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