Intervention de Dominique Voynet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 juillet 2020 à 16h35
Audition de mmes catherine barbezieux betinas directrice générale du centre hospitalier de mayotte dominique voynet directrice générale de l'ars de mayotte et joëlle rastami membre de france assos santé mayotte

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet, directrice générale de l'ARS de Mayotte :

Madame Jasmin, j'ai pointé les limites non pas de la coopération régionale, mais de l'intérêt d'un GHT. Les coopérations existent : nous recevons à Mayotte très régulièrement des missions de médecins, de chirurgiens, d'intervenants divers qui nous aident à prendre en charge des patients de Mayotte. Nous coopérons dans la gestion des matériels et des équipements. La crise a permis de mettre en évidence la bonne volonté partagée de renforcer des coopérations.

La situation des maires n'était pas simple : au soir du premier tour des municipales, ils étaient suspendus à la décision des électeurs, comme cela a été le cas dans plusieurs milliers de communes métropolitaines. Les communes étant jeunes à Mayotte, elles disposent souvent de moyens très limités. Je dois souligner la bonne qualité des relations avec les maires, dans plusieurs communes, confrontés à la covid. Cela nous a permis de déployer, avec leurs services et avec eux, des actions de terrain tout à fait utiles, et de former leurs agents. Je souligne le travail fait à la mairie de Mamoudzou, ville où il y a beaucoup de bidonvilles et d'habitats précaires. L'accord donné pour installer rapidement des rampes d'eau et faire des distributions alimentaires, de masques, former des agents, a été intéressant. Il en a été de même à Chirongui, Mtsamboro, Sada, où les maires se sont fortement mobilisés.

Concernant les relations avec les associations, l'ARS est très jeune ! Comme l'a dit la représentante des usagers, France Assos Santé existait à l'échelle de l'Océan Indien, vous étiez vice-présidente. Nous n'avons pas eu le temps de nouer des relations approfondies. Nous nous sommes vues deux ou trois fois, dans des occasions variées, mais ces relations ne sont pas stabilisées.

Je n'ai pas évoqué de difficultés avec le ministère de la santé. Mais il est parfois difficile de recevoir des instructions traitant de sujets extrêmement importants au niveau métropolitain, mais qui s'adaptent mal à la situation de Mayotte - ce n'est pas la même chose. Lorsqu'on reçoit des instructions sur les modalités de suivi des personnes dans les Ehpad - nous n'avons pas d'Ehpad à Mayotte - ou nous enjoignant de mettre en bière systématiquement chaque personne décédée alors que la tradition mahoraise consiste à laver les corps, utiliser des linceuls et procéder très vite à l'ensevelissement, c'est difficile.

Les relations avec la protection civile et le SDIS ont été fluides. Le préfet, grand ensemblier de ces questions, vous aurait décrit cela par le menu. Mes relations avec eux ont été essentiellement fonctionnelles et pratiques, puisque nous avons équipé les pompiers du SDIS très tôt dans la crise, alors même que les textes ne nous l'imposaient pas.

Pour les masques, nous avons pu équiper dès le 17 mars les professionnels de santé du CHM, avec un nombre limité de masques par jour au début, car nous étions prudents et ne savions pas si et quand nous aurions du réassort... Nous sommes passés de deux à trois masques par jour à quatre ou cinq. Je vous le confirmerai - je suis sous serment. Au départ, j'ai équipé les infirmiers libéraux, les pompiers, les ambulanciers etc., avec un nombre limité de masques par jour (deux masques par jour), dans le respect des normes nationales. Lorsque nous avons réalisé que nous avions des dons, parfois de masques périmés, mais testés avant de les distribuer, nous avons augmenté le nombre de masques distribués.

C'est avec des masques en tissu que nous avons équipé tout le monde. Nous sommes passés de la distribution de masques chirurgicaux ou FFP2 aux professionnels de santé et aux cas positifs et cas contacts à une distribution populationnelle de masques en tissus, fabriqués en partie à Mayotte. J'en ai commandé des milliers et des milliers. Mais ensuite nous avons commandé 450 000 masques à Madagascar, tout simplement, car on ne trouvait plus de tissu, et surtout plus d'élastique, à Mayotte. Puis nous avons commandé 800 000 masques. La deuxième salve de masques n'est pas encore totalement distribuée. Mon directeur de cabinet est en lien étroit avec la préfecture pour organiser la fin de cette distribution.

Faut-il rendre obligatoires les tests ? Je suis très ennuyée car je prends au sérieux ce que l'on me dit : nous avons toutes les chances, si le test est négatif, de ne pas pouvoir rassurer la personne, qui peut être positive 48 heures plus tard, ou avoir été positive quatre jours avant et avoir contaminé largement autour d'elle des personnes qui déploieront ou non des signes cliniques. Un test ne renseigne que sur l'état virologique de la personne au moment où on le fait. C'est tout. Généraliser ou rendre obligatoire les tests est compliqué. Pour les vols vers la métropole, il est déraisonnable d'imposer des tests à tous les Mahorais, car nous avons une capacité de tests limités. Nous n'avons pas les matériels, les réactifs ou le personnel pour prélever et pour gérer ces dossiers. Imaginez une seconde : vous demanderez aux Mahorais de faire un test systématique avant de prendre l'avion pour la métropole, alors que le nombre de cas de covid à Mayotte n'est même pas le tiers du nombre de cas constatés dans la région Grand Est. À ma connaissance, on ne demande pas aux habitants de Strasbourg ou de Metz de faire un test avant de prendre le TGV pour Paris ou de partir en vacances en Bretagne... Je trouverai discriminatoire d'imposer cela aux Mahorais. Par contre, je comprends la demande des Réunionnais, car La Réunion est une île, qui souhaite se protéger et avoir des garanties sur la situation sanitaire et sur l'impact éventuel des afflux de passagers vers l'île. Mais d'un côté il y a trois îles - Guadeloupe, Martinique et la Réunion - touristiques avec un afflux important de personnes pouvant déstabiliser le système de santé, de l'autre, deux territoires plutôt fragiles - un continental, la Guyane, et un insulaire, Mayotte - avec des capacités limitées et qui ne constituent pas nécessairement un danger pour le territoire métropolitain.

Les sept semaines de confinement ont en partie aidé à limiter le pic épidémique, mais ont été très pénalisantes dans le temps. Je ne sais pas quel est le pourcentage des habitants qui ont eu faim. La faim n'est pas uniquement quantitative, avec la sensation de faim dans le ventre, c'est aussi qualitatif : certaines personnes ont mangé seulement du riz et des bananes pendant des semaines, sans rien d'autre. Cela a un impact sur la santé des enfants ou de personnes diabétiques...

Pour l'eau, la solution est dans le long terme. Il est inacceptable qu'un tiers de la population n'ait pas accès à l'eau potable. C'est un sujet très sensible politiquement : certains soulignent deux difficultés : c'est dans les quartiers informels, de développement rapide, totalement exorbitants des maires pour mettre en place des plans locaux d'urbanisme, que le besoin d'accès à l'eau est le plus aigu et le plus important quantitativement. Certains maires nous disent que s'ils veulent avoir une politique d'aménagement du territoire, ils ne peuvent pas valider, après coup, par l'installation de rampes d'eau, l'implantation non choisie de populations nouvelles. Par ailleurs, il sera nécessaire d'améliorer l'accès à l'eau, dans le contexte plus général de raréfaction de la ressource en eau à Mayotte. Nous nous attendons tous à devoir gérer une pénurie d'eau en novembre, avant l'arrivée de la saison des pluies. C'est un sujet de fond, et non uniquement de crise.

Pourquoi ai-je déploré le large aréopage de participants au COD ? Soit celui-ci est un lieu de diffusion d'informations, auquel cas ce n'est pas gênant qu'il y ait énormément de monde ; soit c'est un lieu où des sujets difficiles peuvent être abordés, où l'on peut argumenter, construire des positions et nouer des compromis, auquel cas le fait d'être si nombreux pénalise. On ne peut pas dire tout, devant tout le monde, tout le temps. C'est pourquoi, à côté de ce COD très large, nous avons pris l'habitude, avec le préfet, de nous réunir quasiment en tête-à-tête, chaque fois que c'était nécessaire, pour arrêter les décisions qui devaient l'être.

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