Intervention de René-Paul Savary

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 10 septembre 2020 à 10:5
Table ronde sur la politique de dépistage

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, président :

Nous poursuivons nos travaux avec cette audition consacrée à la politique de dépistage.

Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, président, retenu dans son département.

Nous entendons ce matin le docteur François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes médicaux, le professeur Bruno Lina, virologue au laboratoire des hospices civils de Lyon et membre du conseil scientifique et le professeur Philippe Froguel, endocrinologue et généticien, directeur de l'UMR Inserm 1283 et directeur de l'Institut européen de génomique du diabète (EGID).

Avec la question des masques, nous assistons avec les tests au deuxième grand fiasco de cette crise.

J'espère que notre audition de ce matin permettra de déterminer les raisons pour lesquelles notre pays s'est trouvé, et se trouve encore, dans l'incapacité de répondre à l'injonction de l'Organisation mondiale de la santé : « testez, testez, testez », alors que d'autres pays y sont parvenus.

Alors que le génome du virus a été connu très tôt dans la crise, la mise en place de procédures et le développement de capacités n'ont visiblement pas correctement suivi.

La doctrine semble avoir été très changeante, les organisations inadaptées, les capacités insuffisantes, la fiabilité discutable et les délais en tout état de cause beaucoup trop longs pour que les tests puissent jouer leur rôle dans la lutte contre l'épidémie.

Cette question des délais est cruciale : on peut sérieusement s'interroger sur l'intérêt de réaliser un million de tests par semaine si un prélèvement ne peut intervenir que plusieurs jours après les symptômes et si l'obtention du résultat intervient encore plusieurs jours après.

Constatant l'embolie du système, le Gouvernement envisage désormais des restrictions d'accès, à rebours de ses choix initiaux.

Cette situation appelle des correctifs urgents et nous souhaiterions savoir quelles sont les préconisations de nos invités à ce sujet.

Je demanderai à nos intervenants de présenter brièvement leur principal message, en cinq minutes chacun, afin de laisser le maximum de temps aux échanges, en répondant aux questions des rapporteurs et commissaires. Je demanderai à chacun, intervenants et commissaires, d'être concis dans les questions et les réponses.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Blanchecotte, Bruno Lina et Philippe Froguel prêtent serment.

Je cède la parole aux intervenants avant de passer aux questions des rapporteurs puis des autres membres de notre commission d'enquête.

Dr François Blanchecotte. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant cette commission d'enquête.

En ce qui concerne le secteur libéral que je représente, nous n'étions pas prêts techniquement à organiser massivement ces tests.

Dans un premier temps, la réalisation des tests a été centralisée dans les hôpitaux, puis les pouvoirs publics se sont adressés au secteur privé. Or, nous n'avons au départ reçu aucun masque, aucun équipement de protection. Les laboratoires privés sont engagés dans une démarche française d'accréditation à une norme mondiale : environ 120 plateaux techniques sont accrédités par le comité français d'accréditation (Cofrac) sur un total de 900 plateaux techniques français privés. Ce fut une contrainte. Certaines ARS ont refusé que des laboratoires privés non accrédités développent ces technologies, même s'ils avaient déposé les dossiers en amont.

Ensuite, nous avons fait face à un problème de goulet d'étranglement pour l'acquisition de réactifs et les commandes de machines, les achats par les laboratoires étant conditionnés aux décisions de remboursement des tests. La commission de hiérarchisation des actes décide après avis de la Haute Autorité de santé de la liste des réactifs que nous pouvons utiliser. Lors de la publication au Journal officiel le 8 mars de l'arrêté inscrivant les tests PCR à la nomenclature des actes de biologie médicale, la liste des fournisseurs était limitée à 6. Elle a ensuite évolué vers 14, 18 puis 34 fournisseurs. Imaginez acheter sur un marché mondial auprès de fournisseurs asiatiques que nous ne connaissions pas, sur la base d'une liste limitative de réactifs autorisés sur le sol français. La situation vécue au départ a été extrêmement compliquée. Nous avons tenté d'ajuster nos commandes malgré de nombreux déboires.

Je regrette qu'à la fin du confinement le port de masque n'ait pas été rendu obligatoire. Il a fallu beaucoup de temps pour que notre personnel, les secrétaires médicaux comme les techniciens de laboratoire, soit considéré comme devant être protégé. Nous avons acheté à nos frais tout le matériel de protection pour les personnels de nos laboratoires. Nous avons également pris au départ la sage décision de fermer de nombreux laboratoires et de mettre des techniciens au chômage partiel pour protéger les équipes, et certains sont encore dans cette situation aujourd'hui. D'autres personnels ont été placés en arrêt de travail.

Si le chiffre du million de test a été atteint la semaine dernière, ce n'est pas selon moi un objectif. Ce qui manque, ce sont les cibles, alors que les délais de prise en charge se sont allongés.

Les fournisseurs mondiaux ont établi des quotas par pays. Quand vous doublez la quantité de tests à produire, vous vous trouvez en file indienne sur le marché mondial pour acheter des réactifs ou autres produits. Les délais de commande s'allongent, ils sont de trois à quatre semaines. Un appareil n'est pas une machine à café. Il doit être validé, certifié et connecté, ce qui demande une bonne semaine pour être opérationnel.

Le Gouvernement, je le salue pour cela, a entièrement financé le système d'information national de dépistage du Covid-19 (SIDEP) qui a permis de connecter l'ensemble des laboratoires privés en quatre semaines pour la mise en ligne des résultats.

Aujourd'hui, nous n'avons pas encore suffisamment de matériel pour répondre à une demande soutenue. Par exemple, il m'a été demandé ce matin de dépister tous les personnels de l'aide à domicile en milieu rural (ADMR) de l'Indre-et-Loire. Je n'ai pas de solution technique pour dépister ces milliers de personnes. La préfète a évoqué la semaine dernière le dépistage de 35 000 étudiants de Tours. Ces décisions nous noient.

Il nous faut à présent être clair, comme je l'ai indiqué dans une récente déclaration. Veut-on prendre en charge les cas symptomatiques et les personnes contacts au sein de filières prioritaires en nous engageant sur un délai de prise en charge et de résultat ? Pour les autres, nous pouvons créer des centres ad hoc dans lesquels accueillir le plus grand nombre de personnes, sans la même contrainte de délai Les personnes doivent être rassurées sur le fait qu'elles pourront passer le test.

Les violences se multiplient aux accueils des laboratoires. Cette situation devient insupportable. Les personnes qui voyagent attendent le résultat du test PCR demandé par les compagnies aériennes pour pouvoir prendre l'avion. Cela devient insoutenable. Dans l'éducation nationale, lorsqu'un enfant éternue, certains ont déterminé que toute la classe devait être testée. Nous n'y arriverons pas. J'ai sollicité la Société française de pédiatrie. Si les écoles ferment parce que tous les enfants ne sont pas testés, je ne sais pas comment nous ferons.

Ce n'est plus un problème de préleveur. Nous avons environ 400 000 préleveurs potentiels en France. Faut-il aujourd'hui se recentrer sur le diagnostic de la maladie ? Comment évaluer les clusters ? Telles sont aujourd'hui les questions posées. Nous devons revenir à notre métier initial. 1 Français sur 4 vient au laboratoire pour se rassurer, certaines personnes passant le test plusieurs fois par semaine. Chacun a une bonne raison de venir. Il faut revenir sur l'essentiel, remettre les médecins au centre du jeu et nous permettre de faire correctement notre travail.

Le prélèvement salivaire simplifiera l'opération de prélèvement. Je n'ai pas de résultats scientifiques pour me prononcer sur le test antigénique.

Les biologistes sont motivés, même s'ils sont « à genoux ». Nous nous sommes engagés vis-à-vis des Français qui attendent et rouspètent de ne pas avoir les résultats des tests au bout de cinq jours.

C'est peut-être l'objet de cette commission : rappeler ce qui est essentiel dans ce pays pour traiter l'épidémie.

Pr Bruno Lina. - Je m'exprime ici en tant que virologue d'un laboratoire hospitalier et responsable du centre national de référence (CNR) pour les maladies respiratoires. Vous recevez prochainement Jean-François Delfraissy, qui interviendra quant à lui au titre du conseil scientifique.

Tout à fait.

Pr Bruno Lina. - Nous avons au CNR été au centre du déploiement d'un certain nombre d'outils et vu les difficultés qui apparaissaient au fil de l'eau. Les connaissances se sont accumulées progressivement. La stratégie de test est aujourd'hui inadaptée ou peut-être en difficulté, mais il n'existe aucun pathogène pour lequel nous organisons 1 million de tests par semaine.

Dans mon laboratoire de CHU, probablement l'un des plus importants de France, je fais plus de tests du coronavirus par semaine que de tests du VIH par an, soit 52 fois plus de tests du coronavirus que de tests du VIH.

Le volume d'activité du laboratoire a augmenté de 50 %. La production s'établissait à 50 millions d'actes de BHN-RIHN (actes de biologie hors nomenclature) contre 75 à 80 millions aujourd'hui. Nous avons été en capacité de répondre à la demande hospitalière qui reste très élevée actuellement. Nous sommes montés en puissance, en recrutant 24 personnes pour faire fonctionner la plate-forme 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Nous avons travaillé ainsi durant toute la période du confinement jusqu'à la fin du mois de juin. Nous avons eu un mois de juillet un peu plus calme avant de reprendre ce rythme en août. Nous avons un rendu des résultats à partir du prélèvement plus rapide que la moyenne observée, de 18 heures pour la plate-forme et 9 heures pour l'hôpital.

Le CNR est intervenu pour l'accompagnement des laboratoires hospitaliers.

Je suis d'accord avec le docteur François Blanchecotte : nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins avec une puissance analytique considérable qui doit être organisée. Nous devons prioriser les tests sur les patients et les cas contacts et nous adapter pour le dépistage qui répond à une autre philosophie, avec une vocation de santé publique alors que le diagnostic des cas contacts et des patients a une ambition médicale.

Pr Philippe Froguel. - Je vous remercie de l'honneur et de la confiance que vous me faites en m'invitant à cette commission d'enquête. Je suis à la fois professeur de médecine génomique à Londres, où je dirige un laboratoire et un master de génétique humaine, endocrinologue à Lille et directeur d'un des principaux centres génomiques français. L'extraction d'acides nucléiques par PCR constitue mon coeur de métier depuis trente ans, je la pratique à très haut débit, ce qui m'autorise à livrer un avis sur les tests covid-19.

Par ailleurs, je suis l'un des cinq médecins français les plus cités au monde. Je sais écrire, « reviewer » et comprendre un article scientifique, ce qui m'a permis d'être un lanceur d'alerte, en débusquant le premier en France l'imposture du papier du Lancet sur l'hydroxychloroquine. Vous vous en souvenez probablement.

Je me suis intéressé au diagnostic de la covid-19 dès le mois de février en lisant ce qui se passait en Corée. J'ai découvert que nous pouvions très bien faire les tests PCR dans un laboratoire de recherche. J'ai alerté ma hiérarchie hospitalo-universitaire au début du mois de mars à laquelle j'ai proposé nos services. Le directeur général du CHU de Lille, Frédéric Boiron, m'a répondu négativement en considérant que nous n'étions que des chercheurs et que nous n'avions pas à faire de diagnostic.

Heureusement, j'ai rencontré le directeur général de l'ARS des Hauts-de-France, Étienne Champion, qui a très bien compris la situation. Il a dit que nous étions entrés dans l'ère des pénuries et que le réglementaire ne pouvait perdurer comme avant. Je vous demande de bien réfléchir à cette phrase. Il a tenté en vain de sensibiliser la direction générale de la santé. J'ai dû organiser une campagne médiatique et sur les réseaux sociaux, envoyer une note à Édouard Philippe dont le cabinet a été très réceptif. Cette démarche a mené à l'arrêté du 5 avril qui a autorisé les équipes de recherche et vétérinaires à effectuer les tests PCR.

Hélas, rien n'a été simple après le 5 avril du fait de l'hostilité de la plupart des directions de CHU et des responsables de pôle de biologie médicale des hôpitaux. Les syndicats de biologistes hospitaliers redoutaient que l'on touche à leur monopole : ils ne voulaient pas que l'on fasse entrer le loup dans la bergerie. Sur les 50 laboratoires recensés par le Gouvernement dans le cadre de cet arrêté, seule une poignée est arrivée à une convention de partenariat, en réalité de sous-traitance. Notre action a été limitée dans l'arrêté pour ne pas froisser nos collègues biologistes médicaux, mais en réalité on nous a demandé de faire plus. Mon laboratoire était le premier à signer une telle convention en France, avec le groupe privé Synlab, et cette collaboration a été exemplaire.

C'est à ce moment-là, je crois, que nous avons perdu la bataille des tests PCR, situation que nous payons au prix fort alors que la deuxième vague de la pandémie arrive au galop. En effet, le Gouvernement a alors rejeté la proposition de la communauté de la recherche génomique académique française, malgré le soutien de Frédérique Vidal et de son cabinet, d'organiser de grandes plateformes régionales de diagnostic 7 jours sur 7 à très haut débit (au moins 10 000 tests par jour) avec nos partenaires de CHU et surtout les laboratoires privés, en particulier les grands groupes comme Synlab, Biogroup ou Cerballiance.

Seules ces plateformes seraient en mesure de faire face en quelques jours à des mégaclusters localisés nécessitant de tester dans une zone précise des dizaines de milliers de personnes, comme cela a été fait dans certains endroits en Chine et en Corée.

Au contraire, le Gouvernement a enchaîné selon moi les erreurs. Tout d'abord, il a vainement essayé d'augmenter la production de tests dans les laboratoires de virologie hospitaliers. Il a acheté des robots chinois mal distribués et souvent mal utilisés, qui n'ont changé la donne que de manière marginale. Le Gouvernement a ensuite tout misé sur les laboratoires privés, qui réalisent actuellement je crois 90 % des tests PCR. Sans vouloir les accabler, ces derniers ont montré leurs limites structurelles, ce qui était prévisible, en étant incapables de respecter l'engagement de rendu des résultats en moins de 48 heures.

Que faire ? Les collègues biologistes ou infectiologues demandent de revenir sur le principe de l'accès direct aux tests covid-19 de la population française. Ce droit est selon moi irréversible. Le Gouvernement ne parviendra pas à le remettre en question. Comme l'a dit hier un dirigeant d'un grand groupe de laboratoires privés, au lieu de restreindre de nouveau l'accès aux tests, il faut maintenir le dépistage de masse et faire en sorte que les laboratoires privés s'adaptent en augmentant leur capacité d'analyse, en diversifiant leurs fournisseurs, et non pas gérer la pénurie une nouvelle fois. Je partage pleinement cette opinion. Les laboratoires doivent travailler avec les experts de la génomique à très haut débit pour monter enfin les plateformes dont nous avons besoin.

En conclusion, mon message sera très simple : l'accès aux tests avec des résultats en 24 heures, qu'il s'agisse de prélèvements nasaux ou salivaires, de tests PCR ou protéiques, permettra seul d'isoler à temps les porteurs de virus et d'arrêter les contaminations en chaîne. Les masques réclamés depuis le printemps sont désormais portés par tous. Il n'y a aucun résultat magique sur l'épidémie, étant donné que ce ne sont que des retardateurs de contamination : comme pour les feux de forêt, les liquides versés par les canadairs sont des retardateurs, mais il faut aussi des pompiers sur place pour arrêter les feux.

Si on ne règle pas enfin la question des tests en France avec plus de tests, plus rapides et mieux faits et que l'on continue dans l'erreur qui perdure depuis février, on va progressivement remplir les services de réanimation comme à Marseille, et on confinera de nouveau, ce qui conduira à plus de casse sociale.

Errare humanum est, persevare diabolicum, je vous propose que votre commission en fasse sa devise.

Je vous remercie. Nous attendons de cette commission une confrontation confraternelle. Je suis certain que les questions des rapporteurs et commissaires vont vous passionner.

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