Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies

Réunion du 10 septembre 2020 à 10:5

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CNR
  • diagnostic
  • dépistage
  • froguel
  • laboratoire
  • lina
  • professeur
  • test
  • virus

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous poursuivons nos travaux avec cette audition consacrée à la politique de dépistage.

Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, président, retenu dans son département.

Nous entendons ce matin le docteur François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes médicaux, le professeur Bruno Lina, virologue au laboratoire des hospices civils de Lyon et membre du conseil scientifique et le professeur Philippe Froguel, endocrinologue et généticien, directeur de l'UMR Inserm 1283 et directeur de l'Institut européen de génomique du diabète (EGID).

Avec la question des masques, nous assistons avec les tests au deuxième grand fiasco de cette crise.

J'espère que notre audition de ce matin permettra de déterminer les raisons pour lesquelles notre pays s'est trouvé, et se trouve encore, dans l'incapacité de répondre à l'injonction de l'Organisation mondiale de la santé : « testez, testez, testez », alors que d'autres pays y sont parvenus.

Alors que le génome du virus a été connu très tôt dans la crise, la mise en place de procédures et le développement de capacités n'ont visiblement pas correctement suivi.

La doctrine semble avoir été très changeante, les organisations inadaptées, les capacités insuffisantes, la fiabilité discutable et les délais en tout état de cause beaucoup trop longs pour que les tests puissent jouer leur rôle dans la lutte contre l'épidémie.

Cette question des délais est cruciale : on peut sérieusement s'interroger sur l'intérêt de réaliser un million de tests par semaine si un prélèvement ne peut intervenir que plusieurs jours après les symptômes et si l'obtention du résultat intervient encore plusieurs jours après.

Constatant l'embolie du système, le Gouvernement envisage désormais des restrictions d'accès, à rebours de ses choix initiaux.

Cette situation appelle des correctifs urgents et nous souhaiterions savoir quelles sont les préconisations de nos invités à ce sujet.

Je demanderai à nos intervenants de présenter brièvement leur principal message, en cinq minutes chacun, afin de laisser le maximum de temps aux échanges, en répondant aux questions des rapporteurs et commissaires. Je demanderai à chacun, intervenants et commissaires, d'être concis dans les questions et les réponses.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Blanchecotte, Bruno Lina et Philippe Froguel prêtent serment.

Je cède la parole aux intervenants avant de passer aux questions des rapporteurs puis des autres membres de notre commission d'enquête.

Dr François Blanchecotte. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant cette commission d'enquête.

En ce qui concerne le secteur libéral que je représente, nous n'étions pas prêts techniquement à organiser massivement ces tests.

Dans un premier temps, la réalisation des tests a été centralisée dans les hôpitaux, puis les pouvoirs publics se sont adressés au secteur privé. Or, nous n'avons au départ reçu aucun masque, aucun équipement de protection. Les laboratoires privés sont engagés dans une démarche française d'accréditation à une norme mondiale : environ 120 plateaux techniques sont accrédités par le comité français d'accréditation (Cofrac) sur un total de 900 plateaux techniques français privés. Ce fut une contrainte. Certaines ARS ont refusé que des laboratoires privés non accrédités développent ces technologies, même s'ils avaient déposé les dossiers en amont.

Ensuite, nous avons fait face à un problème de goulet d'étranglement pour l'acquisition de réactifs et les commandes de machines, les achats par les laboratoires étant conditionnés aux décisions de remboursement des tests. La commission de hiérarchisation des actes décide après avis de la Haute Autorité de santé de la liste des réactifs que nous pouvons utiliser. Lors de la publication au Journal officiel le 8 mars de l'arrêté inscrivant les tests PCR à la nomenclature des actes de biologie médicale, la liste des fournisseurs était limitée à 6. Elle a ensuite évolué vers 14, 18 puis 34 fournisseurs. Imaginez acheter sur un marché mondial auprès de fournisseurs asiatiques que nous ne connaissions pas, sur la base d'une liste limitative de réactifs autorisés sur le sol français. La situation vécue au départ a été extrêmement compliquée. Nous avons tenté d'ajuster nos commandes malgré de nombreux déboires.

Je regrette qu'à la fin du confinement le port de masque n'ait pas été rendu obligatoire. Il a fallu beaucoup de temps pour que notre personnel, les secrétaires médicaux comme les techniciens de laboratoire, soit considéré comme devant être protégé. Nous avons acheté à nos frais tout le matériel de protection pour les personnels de nos laboratoires. Nous avons également pris au départ la sage décision de fermer de nombreux laboratoires et de mettre des techniciens au chômage partiel pour protéger les équipes, et certains sont encore dans cette situation aujourd'hui. D'autres personnels ont été placés en arrêt de travail.

Si le chiffre du million de test a été atteint la semaine dernière, ce n'est pas selon moi un objectif. Ce qui manque, ce sont les cibles, alors que les délais de prise en charge se sont allongés.

Les fournisseurs mondiaux ont établi des quotas par pays. Quand vous doublez la quantité de tests à produire, vous vous trouvez en file indienne sur le marché mondial pour acheter des réactifs ou autres produits. Les délais de commande s'allongent, ils sont de trois à quatre semaines. Un appareil n'est pas une machine à café. Il doit être validé, certifié et connecté, ce qui demande une bonne semaine pour être opérationnel.

Le Gouvernement, je le salue pour cela, a entièrement financé le système d'information national de dépistage du Covid-19 (SIDEP) qui a permis de connecter l'ensemble des laboratoires privés en quatre semaines pour la mise en ligne des résultats.

Aujourd'hui, nous n'avons pas encore suffisamment de matériel pour répondre à une demande soutenue. Par exemple, il m'a été demandé ce matin de dépister tous les personnels de l'aide à domicile en milieu rural (ADMR) de l'Indre-et-Loire. Je n'ai pas de solution technique pour dépister ces milliers de personnes. La préfète a évoqué la semaine dernière le dépistage de 35 000 étudiants de Tours. Ces décisions nous noient.

Il nous faut à présent être clair, comme je l'ai indiqué dans une récente déclaration. Veut-on prendre en charge les cas symptomatiques et les personnes contacts au sein de filières prioritaires en nous engageant sur un délai de prise en charge et de résultat ? Pour les autres, nous pouvons créer des centres ad hoc dans lesquels accueillir le plus grand nombre de personnes, sans la même contrainte de délai Les personnes doivent être rassurées sur le fait qu'elles pourront passer le test.

Les violences se multiplient aux accueils des laboratoires. Cette situation devient insupportable. Les personnes qui voyagent attendent le résultat du test PCR demandé par les compagnies aériennes pour pouvoir prendre l'avion. Cela devient insoutenable. Dans l'éducation nationale, lorsqu'un enfant éternue, certains ont déterminé que toute la classe devait être testée. Nous n'y arriverons pas. J'ai sollicité la Société française de pédiatrie. Si les écoles ferment parce que tous les enfants ne sont pas testés, je ne sais pas comment nous ferons.

Ce n'est plus un problème de préleveur. Nous avons environ 400 000 préleveurs potentiels en France. Faut-il aujourd'hui se recentrer sur le diagnostic de la maladie ? Comment évaluer les clusters ? Telles sont aujourd'hui les questions posées. Nous devons revenir à notre métier initial. 1 Français sur 4 vient au laboratoire pour se rassurer, certaines personnes passant le test plusieurs fois par semaine. Chacun a une bonne raison de venir. Il faut revenir sur l'essentiel, remettre les médecins au centre du jeu et nous permettre de faire correctement notre travail.

Le prélèvement salivaire simplifiera l'opération de prélèvement. Je n'ai pas de résultats scientifiques pour me prononcer sur le test antigénique.

Les biologistes sont motivés, même s'ils sont « à genoux ». Nous nous sommes engagés vis-à-vis des Français qui attendent et rouspètent de ne pas avoir les résultats des tests au bout de cinq jours.

C'est peut-être l'objet de cette commission : rappeler ce qui est essentiel dans ce pays pour traiter l'épidémie.

Pr Bruno Lina. - Je m'exprime ici en tant que virologue d'un laboratoire hospitalier et responsable du centre national de référence (CNR) pour les maladies respiratoires. Vous recevez prochainement Jean-François Delfraissy, qui interviendra quant à lui au titre du conseil scientifique.

Tout à fait.

Pr Bruno Lina. - Nous avons au CNR été au centre du déploiement d'un certain nombre d'outils et vu les difficultés qui apparaissaient au fil de l'eau. Les connaissances se sont accumulées progressivement. La stratégie de test est aujourd'hui inadaptée ou peut-être en difficulté, mais il n'existe aucun pathogène pour lequel nous organisons 1 million de tests par semaine.

Dans mon laboratoire de CHU, probablement l'un des plus importants de France, je fais plus de tests du coronavirus par semaine que de tests du VIH par an, soit 52 fois plus de tests du coronavirus que de tests du VIH.

Le volume d'activité du laboratoire a augmenté de 50 %. La production s'établissait à 50 millions d'actes de BHN-RIHN (actes de biologie hors nomenclature) contre 75 à 80 millions aujourd'hui. Nous avons été en capacité de répondre à la demande hospitalière qui reste très élevée actuellement. Nous sommes montés en puissance, en recrutant 24 personnes pour faire fonctionner la plate-forme 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Nous avons travaillé ainsi durant toute la période du confinement jusqu'à la fin du mois de juin. Nous avons eu un mois de juillet un peu plus calme avant de reprendre ce rythme en août. Nous avons un rendu des résultats à partir du prélèvement plus rapide que la moyenne observée, de 18 heures pour la plate-forme et 9 heures pour l'hôpital.

Le CNR est intervenu pour l'accompagnement des laboratoires hospitaliers.

Je suis d'accord avec le docteur François Blanchecotte : nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins avec une puissance analytique considérable qui doit être organisée. Nous devons prioriser les tests sur les patients et les cas contacts et nous adapter pour le dépistage qui répond à une autre philosophie, avec une vocation de santé publique alors que le diagnostic des cas contacts et des patients a une ambition médicale.

Pr Philippe Froguel. - Je vous remercie de l'honneur et de la confiance que vous me faites en m'invitant à cette commission d'enquête. Je suis à la fois professeur de médecine génomique à Londres, où je dirige un laboratoire et un master de génétique humaine, endocrinologue à Lille et directeur d'un des principaux centres génomiques français. L'extraction d'acides nucléiques par PCR constitue mon coeur de métier depuis trente ans, je la pratique à très haut débit, ce qui m'autorise à livrer un avis sur les tests covid-19.

Par ailleurs, je suis l'un des cinq médecins français les plus cités au monde. Je sais écrire, « reviewer » et comprendre un article scientifique, ce qui m'a permis d'être un lanceur d'alerte, en débusquant le premier en France l'imposture du papier du Lancet sur l'hydroxychloroquine. Vous vous en souvenez probablement.

Je me suis intéressé au diagnostic de la covid-19 dès le mois de février en lisant ce qui se passait en Corée. J'ai découvert que nous pouvions très bien faire les tests PCR dans un laboratoire de recherche. J'ai alerté ma hiérarchie hospitalo-universitaire au début du mois de mars à laquelle j'ai proposé nos services. Le directeur général du CHU de Lille, Frédéric Boiron, m'a répondu négativement en considérant que nous n'étions que des chercheurs et que nous n'avions pas à faire de diagnostic.

Heureusement, j'ai rencontré le directeur général de l'ARS des Hauts-de-France, Étienne Champion, qui a très bien compris la situation. Il a dit que nous étions entrés dans l'ère des pénuries et que le réglementaire ne pouvait perdurer comme avant. Je vous demande de bien réfléchir à cette phrase. Il a tenté en vain de sensibiliser la direction générale de la santé. J'ai dû organiser une campagne médiatique et sur les réseaux sociaux, envoyer une note à Édouard Philippe dont le cabinet a été très réceptif. Cette démarche a mené à l'arrêté du 5 avril qui a autorisé les équipes de recherche et vétérinaires à effectuer les tests PCR.

Hélas, rien n'a été simple après le 5 avril du fait de l'hostilité de la plupart des directions de CHU et des responsables de pôle de biologie médicale des hôpitaux. Les syndicats de biologistes hospitaliers redoutaient que l'on touche à leur monopole : ils ne voulaient pas que l'on fasse entrer le loup dans la bergerie. Sur les 50 laboratoires recensés par le Gouvernement dans le cadre de cet arrêté, seule une poignée est arrivée à une convention de partenariat, en réalité de sous-traitance. Notre action a été limitée dans l'arrêté pour ne pas froisser nos collègues biologistes médicaux, mais en réalité on nous a demandé de faire plus. Mon laboratoire était le premier à signer une telle convention en France, avec le groupe privé Synlab, et cette collaboration a été exemplaire.

C'est à ce moment-là, je crois, que nous avons perdu la bataille des tests PCR, situation que nous payons au prix fort alors que la deuxième vague de la pandémie arrive au galop. En effet, le Gouvernement a alors rejeté la proposition de la communauté de la recherche génomique académique française, malgré le soutien de Frédérique Vidal et de son cabinet, d'organiser de grandes plateformes régionales de diagnostic 7 jours sur 7 à très haut débit (au moins 10 000 tests par jour) avec nos partenaires de CHU et surtout les laboratoires privés, en particulier les grands groupes comme Synlab, Biogroup ou Cerballiance.

Seules ces plateformes seraient en mesure de faire face en quelques jours à des mégaclusters localisés nécessitant de tester dans une zone précise des dizaines de milliers de personnes, comme cela a été fait dans certains endroits en Chine et en Corée.

Au contraire, le Gouvernement a enchaîné selon moi les erreurs. Tout d'abord, il a vainement essayé d'augmenter la production de tests dans les laboratoires de virologie hospitaliers. Il a acheté des robots chinois mal distribués et souvent mal utilisés, qui n'ont changé la donne que de manière marginale. Le Gouvernement a ensuite tout misé sur les laboratoires privés, qui réalisent actuellement je crois 90 % des tests PCR. Sans vouloir les accabler, ces derniers ont montré leurs limites structurelles, ce qui était prévisible, en étant incapables de respecter l'engagement de rendu des résultats en moins de 48 heures.

Que faire ? Les collègues biologistes ou infectiologues demandent de revenir sur le principe de l'accès direct aux tests covid-19 de la population française. Ce droit est selon moi irréversible. Le Gouvernement ne parviendra pas à le remettre en question. Comme l'a dit hier un dirigeant d'un grand groupe de laboratoires privés, au lieu de restreindre de nouveau l'accès aux tests, il faut maintenir le dépistage de masse et faire en sorte que les laboratoires privés s'adaptent en augmentant leur capacité d'analyse, en diversifiant leurs fournisseurs, et non pas gérer la pénurie une nouvelle fois. Je partage pleinement cette opinion. Les laboratoires doivent travailler avec les experts de la génomique à très haut débit pour monter enfin les plateformes dont nous avons besoin.

En conclusion, mon message sera très simple : l'accès aux tests avec des résultats en 24 heures, qu'il s'agisse de prélèvements nasaux ou salivaires, de tests PCR ou protéiques, permettra seul d'isoler à temps les porteurs de virus et d'arrêter les contaminations en chaîne. Les masques réclamés depuis le printemps sont désormais portés par tous. Il n'y a aucun résultat magique sur l'épidémie, étant donné que ce ne sont que des retardateurs de contamination : comme pour les feux de forêt, les liquides versés par les canadairs sont des retardateurs, mais il faut aussi des pompiers sur place pour arrêter les feux.

Si on ne règle pas enfin la question des tests en France avec plus de tests, plus rapides et mieux faits et que l'on continue dans l'erreur qui perdure depuis février, on va progressivement remplir les services de réanimation comme à Marseille, et on confinera de nouveau, ce qui conduira à plus de casse sociale.

Errare humanum est, persevare diabolicum, je vous propose que votre commission en fasse sa devise.

Je vous remercie. Nous attendons de cette commission une confrontation confraternelle. Je suis certain que les questions des rapporteurs et commissaires vont vous passionner.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Merci pour ces propos liminaires. Il y aurait de nombreuses questions à vous poser. Hier, les représentants diplomatiques de la Corée du Sud ont expliqué leur stratégie de test, de traçage et d'isolement, ce que nous n'avons pas fait en France contrairement à l'Allemagne, et que nous payons.

Lorsque nous avons entendu le professeur Arnaud Fontanet au sujet du cluster de l'Oise, il a évoqué le fait que l'Institut Pasteur avait développé très tôt un test, mais que le retard était venu ensuite de l'incapacité française à produire ces tests. Comment l'expliquer ?

Le docteur Blanchecotte a évoqué les tensions internationales sur les commandes de matériel. Quelle est la raison de cette situation ? D'où vient le matériel ? Qui le produit ?

Pourquoi l'évaluation des tests et l'autorisation des laboratoires départementaux agréés ont été si longues à obtenir ?

Où en est-on des tests salivaires ?

Qu'en est-il en outre de la fiabilité des tests ? Un médecin évoquait récemment le cas de 2 patients asymptomatiques dont le test était positif et de 2 patients symptomatiques dont le test était négatif. Cette situation est-elle liée au prélèvement ou aux manifestations de la maladie ?

Nous entendons aussi que le virus muterait. Avez-vous dû modifier le test pour tenir compte de cette situation ? Nous entendons des propos contradictoires qui ne rassurent pas la population.

Pr Bruno Lina. - Il n'y a pas de mutation du virus, celui-ci est stable. Lors de son déploiement à l'échelle planétaire, trois génogroupes sont apparus. Le génogroupe G n'entraîne aucune modification : c'est un marqueur génétique qui permet de suivre l'évolution du virus. Comme ce génogroupe est apparu en Europe, épicentre de la diffusion du virus en février-mars 2020, il s'est diffusé ensuite dans les autres zones contaminées, notamment l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud et le reste du monde.

Le système de surveillance de l'OMS permet de vérifier quotidiennement les quelque 90 000 séquences génétiques déposées par les laboratoires. Il n'y a aucune mutation entraînant intrinsèquement une mutation de virulence, de pathogénicité ou de transmissibilité. Une hypothèse veut que le génogroupe G apparu en février aurait, dans un tube à essai, un petit avantage réplicatif par rapport aux autres, mais ce n'est pas observé chez les individus. En conclusion, rien de documenté ne permet d'établir une mutation. Le sujet est observé en particulier dans les zones des amorces proposées par les différents centres de desease control chinois et américains. Une amorce connaît quelques modifications, mais elle n'est plus utilisée. Ces examens permettent de s'assurer de la stabilité de la possibilité d'effectuer un diagnostic dans de bonnes conditions.

L'analyse de la fiabilité des tests suppose d'étudier la qualité du prélèvement et la qualité de l'amplification. En ce qui concerne la qualité du prélèvement, je me suis battu pour le maintien du prélèvement naso-pharyngé, qui est le prélèvement de référence. Le virus se réplique essentiellement dans la zone naso-pharynx. Environ 20 dispositifs de tests existent aujourd'hui. Ils ont été en grande partie évalués par les laboratoires du CNR. Ils sont fiables et robustes, et livrent des réponses de qualité avec des nuances en termes de performance.

Ont été documentés dès les mois de mars-avril des cas asymptomatiques, en particulier chez les jeunes mais pas seulement. En parallèle, des personnes présentant des signes cliniques ont des affections liées à un rhinovirus. Aujourd'hui, on constate dans mon laboratoire dans le cadre de la surveillance communautaire trois fois plus de rhinovirus que de coronavirus qui donnent des infections des voies aériennes supérieures. Cette situation encourage le développement de diagnostics différentiels ou de détections dites multiplexes afin de mesurer plusieurs pathogènes dans un échantillon. Cela permet de comprendre que des personnes symptomatiques n'ont pas le coronavirus, mais un autre virus. Un cas symptomatique négatif peut aussi être lié à un diagnostic manqué.

S'agissant de la décision réglementaire de recours aux autres catégories de laboratoires, j'ai utilisé les ressources techniques de mon laboratoire de recherche en infectiologie pour pallier la difficulté rencontrée dans la réalisation des tests. Cette démarche suppose une logistique et une organisation. Il est compliqué de déporter des analyses. Cet aspect réglementaire pourrait être levé : dans un contexte d'urgence, il me semble que certaines règles qui freinent peuvent tomber. Certains laboratoires vétérinaires et de recherche ont été associés à la démarche, ce qui a permis d'augmenter la puissance de tir.

Les décisions prises aujourd'hui n'auront un impact sur la dynamique épidémique que dans quinze jours. Si je reprends ma casquette de membre du conseil scientifique, nous avons recommandé dans le dernier avis d'adopter une logique focalisée sur les méthodes de dépistage, les méthodes de diagnostic, l'isolement des patients et des cas contacts afin d'avoir une stratégie sur les tests de dépistage et de diagnostic, dans un contexte d'évolution technique.

En ce qui concerne le test salivaire, la première question est de savoir si la salive est un bon prélèvement pour établir un diagnostic. Une étude a été engagée par mon laboratoire, le laboratoire de Caen et des préleveurs en Guyane. Les résultats sont en cours d'évaluation et devraient être publiés d'ici une à deux semaines. Nous aurons alors une vision claire des atouts et limites du prélèvement salivaire par rapport au prélèvement naso-pharyngé. La plupart des publications a concerné des patients hospitalisés avec un prélèvement salivaire effectué le matin au réveil, ce qui ne raconte pas ce qui se passerait en vie réelle dans un système de dépistage massif. Pour la tuberculose, les crachats du matin étaient beaucoup plus informatifs que ceux prélevés le soir. L'opportunité de basculer vers des systèmes de prélèvements simples à haut débit représente un enjeu majeur.

Nous commençons l'évaluation des tests antigéniques à l'AP-HP, dans mon laboratoire et ailleurs. Nous ne croyons pas les fournisseurs qui nous vendent du rêve et promettent 100 % de sensibilité. Si nous ne faisions pas cette évaluation, vous nous le reprocheriez. Nous commençons à voir où se positionne la sensibilité des tests antigéniques par rapport à la référence de la PCR sur prélèvement naso-pharynghé, ce qui permettra de décliner leur utilisation et de réduire les délais d'attente, notamment dans le cadre du dépistage, qui est la demande la plus importante aujourd'hui. Il faut bien faire la différence entre dépistage et diagnostic.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Que pensez-vous des tests antigéniques ? Est-ce de la biologie moléculaire ?

Pr Bruno Lina. - Non, c'est une détection par bandelette. Vous déposez l'échantillon dans une « savonnette ». Si la protéine du virus est présente, une bande s'éclaire, comme pour détecter l'angine à streptocoque.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Pouvez-vous intervenir sur le retard de développement des tests dont a parlé le professeur Arnaud Fontanet ?

Pr Bruno Lina. - Rappelons le calendrier des événements. Le virus est séquencé le 7 janvier 2020. Il est immédiatement partagé avec la communauté internationale, ce qui permet de fabriquer des cibles, des amorces et des sondes. Le laboratoire de l'hôpital de La Charité à Berlin propose un jeu d'amorces et de séquences que le CNR acquiert très rapidement. L'Institut Pasteur développe simultanément plusieurs jeux d'amorces progressivement optimisés. Le premier patient français est identifié le 23 janvier pour un diagnostic établi le 24 janvier. Nous utilisons les prélèvements sur les cinq premiers patients parisiens et le patient bordelais pour vérifier que nos dispositifs sont performants. Nous constatons que le test développé par l'Institut Pasteur présente une supériorité analytique, c'est-à-dire qu'il est plus sensible que celui développé par La Charité. C'est une bonne nouvelle même si cela se retourne maintenant contre nous puisqu'on nous dit que notre test est trop sensible.

Le 7 février apparaît le cluster des Contamines-Montjoie, géré par mon laboratoire. Nous avons établi un diagnostic rapide grâce aux outils de la Charité et de l'Institut Pasteur, avec un résultat rendu en fin de journée. Les échantillons ont voyagé en hélicoptère pour ne pas perdre de temps. Les patients ont été mis en isolement dans les services hospitaliers de Saint-Étienne, Grenoble et Lyon.

À cette occasion, nous avons constaté que la sonde fournie par la Charité était contaminée : nous avions des résultats faussement positifs. Le fournisseur avait mis dans la sonde des amorces qui entraînaient des résultats faussement positifs. Les laboratoires français auxquels nous avions fourni ce matériel se retrouvaient avec des résultats potentiellement contaminés. Le problème n'était pas franco-français mais lié à un fournisseur international. Mi-février 2020, la plupart des laboratoires en charge du diagnostic ont dû jeter leurs outils et demander une nouvelle synthèse.

La situation est devenue chaotique : il n'y avait pas de synthèse suffisante pour alimenter tous les laboratoires européens. Nous avons demandé des synthèses à deux fournisseurs différents. J'ai envoyé ce matériel à Philippe Brouqui à Marseille pour le dépistage des personnes rapatriées de Wuhan.

Ensuite, quand nous avons cherché à déployer les tests, nous avons rencontré une autre difficulté liée au fait que les laboratoires hospitaliers n'ont plus que des machines travaillant sur des systèmes fermés. Les fournisseurs donnent un dispositif « clé en main ». Par analogie, si vous avez un solex et que vous n'avez pas de solexine, vous ne pouvez le faire fonctionner. L'accréditation contraint à fonctionner ainsi. Seul le CNR peut être accrédité pour des techniques manuelles. Les laboratoires n'avaient plus la ressource technique simple, présente dans les laboratoires de recherche, pour faire de la PCR dite « manuelle ». 5 procédures d'extraction ont été évaluées par le CNR. Nous avons par ailleurs constaté que certaines machines d'extraction ne fonctionnaient pas. Cette situation explique une partie des retards à l'allumage.

Pr Philippe Froguel. -Pour la PCR, si les mutations du virus ne portent pas sur l'endroit où se fixent les primers, il ne peut pas y avoir d'incidence sur le test. S'il y avait d'autres mutations, nous changerions de primers. Il faut séquencer le virus pour étudier si des mutations ne permettront pas aux primers de se fixer au bon endroit.

Entre février et mars, un travail a été accompli par le CNR, parfois contradictoire avec ce qui a été fait ailleurs. En ce qui concerne les TROD autorisés après évaluation par le CNR, j'ai livré à l'Élysée des résultats d'analyse prouvant que 80 % de ces TROD étaient de qualité médiocre. Ils ont pourtant été homologués par le CNR, ce qui m'a surpris.

Pr Bruno Lina. - Pour clarification, M. Froguel parle, s'agissant des TROD, de tests sérologiques et non de tests PCR.

Pr Philippe Froguel. - Dans les laboratoires de virologie où il n'y a pas de recherche et développement, j'ai remarqué que l'extraction d'ARN était plus compliquée qu'elle ne l'est dans les laboratoires de génomique. Leur fonctionnement est plus compliqué et plus lent. L'autorisation donnée aux laboratoires de génomique de fonctionner le 5 avril a nécessité une semaine pour acquérir un robot, vérifier qu'il extrayait avec la même qualité que notre partenaire Synlab et comparer des échantillons. Nous avons conçu une chaîne informatique. Les laboratoires de génomique emploient des informaticiens (qui n'existent plus dans les hôpitaux) et des ingénieurs de recherche. Ce qui a semblé compliqué à d'autres nous a été facile parce que c'est notre métier. Les robots chinois n'ont pas fonctionné dans certains CHU qui n'ont pas réussi à les faire fonctionner alors qu'ils ont fonctionné immédiatement dans d'autres.

Le CNR et les laboratoires de biologie médicale hospitalière se sont privés d'une expertise très forte. Des centres de génomique étaient capables de développer rapidement les extractions. Aux États-Unis, le Broad Institute, principal laboratoire de génomique au monde, a réalisé un million de tests. Je pense que nous avons perdu beaucoup de temps en respectant des procédures antédiluviennes qui se comprennent en cas de paix, et non en cas de guerre. Nous aurions pu augmenter plus rapidement le nombre de tests comme l'ont fait les Allemands. Très peu de personnes ont pu être testées en dehors des hôpitaux jusqu'à fin avril/début mai.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Merci. Docteur Blanchecotte, vous souhaitiez apporter des précisions.

Dr François Blanchecotte. -Nous n'allons pas compliquer la situation par des polémiques. Je n'ai jamais parlé d'interdiction de tests en masse.

La plupart des plateformes dont le professeur Froguel citait les noms peuvent atteindre 10 000 ou 20 000 tests par jour. Vous avez cité un groupe auquel j'appartiens.

Sur la question des achats, les laboratoires privés achètent les machines clé en main et les paient « cash » avant qu'elles n'arrivent, ce qui nécessite de la trésorerie. Les fournisseurs avec lesquels nous travaillons habituellement n'étaient pas prêts. En outre, les tests validés au départ en France n'étaient pas de bonne qualité.

Les machines achetées initialement étaient plutôt de la transposition manuelle. L'automatisation a été progressive. Hormis Roche qui fait du tout en un, les machines sont en séquence 2, avec une partie d'extraction et une partie d'amplification.

Nous sommes soumis à des règles qui nous limitent à un panel de machines validées par l'État. La plate-forme Duster mise en place par le Gouvernement ne correspond pas à nos besoins dans l'efficience et la rapidité de la commande. Nous sommes obligés d'avoir plusieurs fournisseurs différents, parfois 3, 4 ou 5. Le délai entre la commande et la livraison est multiplié par 2 ou 3.

Des machines à haut débit sont commandées sans être encore livrées. Il faut ensuite une semaine pour leur qualification.

Est-ce la même machine utilisée pour les tests salivaires ?

Dr François Blanchecotte. - Oui, mais nous attendons que les autorités scientifiques disent si nous pouvons utiliser un prélèvement salivaire sur nos machines.

Sur les diagnostics différentiels, je rappelle qu'en France aucun test multiplexe n'est inscrit à la nomenclature et remboursé dans les laboratoires privés. La nomenclature des actes de biologie est obsolète. Nous avons dans le privé en France peu de tests de biologie moléculaire par rapport à nos collègues allemands.

Pr Bruno Lina. - Les prélèvements salivaires seront utilisés sur une plate-forme RT PCR : seul le mode de prélèvement change. Il faut les distinguer des kits de tests salivaires « clés en main » qui sont des dispositifs complets, fonctionnant par amplification isotherme (LAMP). Ces dispositifs permettent d'obtenir des résultats rapides, quoiqu'avec une petite perte de sensibilité. Ils sont en cours d'évaluation pour étudier s'il est possible de les utiliser en routine. Ce qui est intéressant, c'est que les machines peuvent être déplacées sur site, par exemple dans les Ehpad.

Quand leur évaluation sera-t-elle disponible ?

Pr Bruno Lina. - C'est en cours. Il y a le temps médiatique, le temps politique, le temps biologique et le temps de la recherche. Nous travaillons sur ce sujet, conjointement avec l'AP-HP. Les résultats devraient être disponibles avant la fin du mois.

Aurons-nous le matériel ?

Pr Bruno Lina. - Oui. Je souhaite signaler que nous constatons des effets de bord. Un certain nombre de laboratoires ne reçoivent plus les réactifs d'autres pathogènes, notamment pour les immunodéprimés. Des producteurs de ces réactifs affirment que du fait qu'ils augmentent la production pour les réactifs liés au coronavirus, il y aura une pénurie de réactifs pour d'autres pathogènes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Cette situation peut avoir des conséquences.

Pr Bruno Lina. - Bien entendu.

Pr Philippe Froguel. - Je souhaite remarquer que la France n'est pas seule au monde et qu'il y a des pays en avance sur nous. En Angleterre, l'Imperial College a mis au point un test LAMP, une amplification isotherme à partir de salive. Le Gouvernement britannique a commandé il y a un mois 5 millions de tests pour 160 millions de livres sterling. Je m'étonne que le conseil scientifique n'en parle pas en France. En France, nous sommes un peu à la traîne, y compris sur les essais thérapeutiques comme Discovery. Des pays vont plus vite et il faudrait s'y intéresser.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Nous tâchons de comprendre pour quelle raison, alors que la stratégie au printemps était de tester, la montée en charge a été extrêmement lente. Fin avril, nous n'avions pas les capacités suffisantes pour tester les soignants. Il a fallu attendre le mois de mai pour atteindre un niveau plus satisfaisant.

Je remercie le professeur Lina pour ses explications scientifiques, mais elles ne m'éclairent pas sur le pourquoi. La communauté internationale a reçu la « carte d'identité » du virus permettant de commencer à fabriquer le test vers le 10 janvier. Pour quelle raison certains pays ont-ils lancé une production rapide et pour quelle raison cela a-t-il été très lent en France ?

Le professeur Froguel affirme que le CNR n'a pas si bien travaillé. Nous attendons des précisions concernant ces propos lourds de conséquences. Il y a sans doute d'autres facteurs que nous aimerions comprendre.

Docteur Blanchecotte, vous affirmez que « certaines » ARS refusaient que les laboratoires développent ces technologies. Il apparaît une hétérogénéité sur le territoire national.

Y avait-il une doctrine au niveau national ? Quelle était-elle ? Comment expliquez-vous aujourd'hui encore l'absence de doctrine claire ?

Professeur Lina, vous parlez d'une puissance analytique considérable que nous devons organiser. Comprenez que nous nous questionnons. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Pour quelle raison nous posons-nous encore aujourd'hui ce type de question ?

Le professeur Froguel, dans un écrit qu'il nous a adressé, indique, en évoquant le début de l'épidémie : « en ce qui me concerne, je pouvais réaliser 600 à 700 tests par jour, mais les prélèvements qui me parvenaient étaient inférieurs à mes capacités du fait de l'incapacité des pouvoirs publics à mettre en place ces prélèvements. J'ai dû protester à deux reprises pour que la situation s'améliore. » De quel moment parlez-vous ?

Pr Philippe Froguel. - Je parle de la mi-avril 2020.

Pourriez-vous être plus précis sur les raisons de cette situation ? La réglementation n'était selon vous pas adaptée. Or, l'agilité est essentielle pour gérer une épidémie. La réglementation était-elle effectivement inadaptée ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le 5 avril pour qu'elle change ? Est-elle alors devenue adaptée pour permettre une prise en charge suffisamment rapide?

Pr Bruno Lina. - La doctrine consiste depuis le début à tester, tracer, isoler. En mars ou avril, nous ne savions ni tester, ni tracer, ni isoler. Pour tracer, il y a eu le développement de Stop covid et la décision d'utiliser le personnel des CPAM pour réaliser des investigations de cas contact. En ce qui concerne les tests, nous avons travaillé à augmenter la puissance analytique. Certains laboratoires vétérinaires ou de recherche ont participé à l'effort. Isoler, on en reparlera.

Aujourd'hui, la capacité de tester a atteint un bon niveau. Mais nous sommes montés en puissance sans structurer. Avant l'été, nous ne réalisions que du dépistage parce qu'il n'y avait pas de malades. La situation a évolué en devenant plus complexe, avec des malades à diagnostiquer, des cas contacts à investiguer et du dépistage à conduire.

Demain, si le président d'une université souhaite que 50 000 étudiants soient testés, comment ferons-nous ? Une autre université pourrait formuler la même demande. Tous les quinze jours, le nombre de cas de coronavirus double. S'il faut réaliser des tests chaque semaine pour tous les étudiants, comment fait-on ?

Nous attendons vos réponses !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Quelle serait la capacité de test nécessaire ?

Pr Bruno Lina. - Les tests PCR ne suffisent pas. De fait, il faudrait passer aux tests LAMP ou antigéniques pour répondre à cette demande. Certes, le dépistage est important mais le plus important est de ne pas passer à côté du diagnostic des cas. Si vous ne les testez pas en temps réel, l'épidémie se diffuse. Il faut prioriser les patients pour que les malades soient diagnostiqués. Cette décision doit s'accompagner de mesures d'isolement des personnes en incubation ou malades. Nous avons beaucoup appris au fil du temps. Pouvons-nous décliner d'autres stratégies de prélèvement ? Oui, bien entendu. Mais cela doit se construire.

Vous confirmez donc qu'il n'y a pas de doctrine.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

J'en conclus également qu'il n'y a toujours pas de doctrine. Je vous ai posé une question sur l'organisation de la puissance analytique et vous répondez qu'il faut organiser la puissance analytique. Pouvez-vous être plus précis ?

Pr Bruno Lina. - Le dépistage doit être effectué différemment du diagnostic. Il doit y avoir des filières de diagnostic dédiées. Le diagnostic est un acte médical qui doit se dérouler en lien avec le médecin ou le service hospitalier du patient, en mobilisant prioritairement les laboratoires médicaux.

Le dépistage doit s'appuyer sur un inventaire de la puissance analytique disponible. Il ne faut pas décider de tester les étudiants de toutes les universités si nous savons que nous ne pouvons pas le faire.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Pour quelle raison cela n'a-t-il pas été fait ?

Pr Bruno Lina. - C'est une décision qui appartient à l'exécutif.

Pr Philippe Froguel. - Je suis en désaccord avec ces propos sur plusieurs points. À Liège, à quelques kilomètres de Lille, tous les étudiants sont testés chaque mois. Cette pratique est aussi en oeuvre à Stanford. À Lille, aux Arts et Métiers, nous avons organisé le test de tous les étudiants de manière intelligente. Nous réalisons des sondages par groupe de résidence universitaire et par colocation. Nous testons 50 étudiants par semaine choisis judicieusement parmi les potentiels futurs clusters. Nous avons proposé de tester aléatoirement un étudiant de chaque sous-groupe pour obtenir un échantillon représentatif. Ce dispositif m'a paru très intéressant.

Je suis d'accord avec les propos relatifs aux personnes symptomatiques qui doivent être accueillies avec une ordonnance dans les hôpitaux ou les laboratoires de ville. Quant aux autres, le dépistage ne veut pas dire grand-chose. Il y a des personnes inquiètes, ce qu'on appelle des hypocondriaques. Et il y a les habitants des quartiers nord de Marseille, où la prévalence est très élevée. Il s'agit alors de tester une population entière dans un territoire précis. Là, les grandes plateformes régionales pourraient prélever 30 000 personnes, comme cela a été fait en Chine, à Taïwan ou en Nouvelle-Zélande. J'aimerais que les scientifiques travaillent avec des méthodes différenciées. Il y a dépistage et dépistage.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Professeur Froguel, pouvez-vous répondre aux réponses précises sur la réglementation et sur votre affirmation concernant une capacité de tests non utilisée de manière délibérée ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous allons revenir sur ce point. Au sujet des ARS, nous aimerions entendre le docteur Blanchecotte.

Dr François Blanchecotte. - Les ARS ont une certaine autonomie de décision, même si la direction générale de la santé leur donne des directives. Certaines ARS ont estimé au départ que des laboratoires ayant déposé des dossiers auprès du Cofrac pour faire de la biologie moléculaire, sans que ces dossiers ne soient encore validés par cet organisme, n'avaient pas capacité ou qualité pour effectuer de la biologie moléculaire.

Précisément, 117 plateaux techniques étaient autorisés dans le privé à faire de la biologie moléculaire au mois de février. Nous avons environ 4 000 sites et 900 plateaux techniques en France, dont des laboratoires de nuit et d'urgence. Il y a 402 sociétés d'exercice libéral (SEL), un système qui n'existe qu'en France.

S'agissant de la doctrine, les pouvoirs publics nous ont demandé de tester. Le 29 mars, 25 réactifs étaient autorisés. Je rappelle que durant le confinement, la plupart des laboratoires a fermé. Nous n'avons pas vu de patients, alors que nous en voyions en moyenne 500 000 par jour. Le chiffre d'affaires des laboratoires a chuté de 45 % en avril.

Le premier jour du déconfinement, le ministre nous a demandé d'être en capacité de faire jusqu'à 700 000 tests. En juin, l'objectif affiché par Olivier Véran était un million de tests par semaine. Je me suis plaint alors dans les médias d'avoir des stocks de tests en surcapacité dans nos frigidaires. Certains grands groupes ont cherché à revendre sur le marché mondial des tests en stock. Les laboratoires privés ont investi des millions d'euros sur des dispositifs qui devaient être jetés.

La déclaration du Président de la République le 14 juillet autorisant les personnes à se présenter au laboratoire sans ordonnance nous a cependant surpris.

Aujourd'hui, nous avons la capacité à réaliser un million de tests. Des laboratoires travaillent avec les laboratoires vétérinaires ou de recherche pour la phase analytique. Comme l'ont dit mes collègues, il faut absolument prioriser, diversifier les tests employés et surtout fixer des objectifs pour ne pas dépister pour dépister.

Vous rapprochez-vous des propositions du professeur Lina ?

Dr François Blanchecotte. - Tout à fait.

Quelles sont vos propositions au sujet d'une réglementation qui paraîtrait lourde et inadaptée à la situation ?

Dr François Blanchecotte. - En temps de crise, les décisions doivent être prises rapidement et de manière concentrée. Le temps que la DGS reçoive l'autorisation de la Cnam et que les ARS s'en mêlent, les pouvoirs publics nous demandaient tellement d'informations par divers canaux que nous ne parvenions plus à travailler. Je salue le travail remarquable réalisé sur l'outil SIDEP qui a institué un seul tuyau pour faire remonter les informations. Nous avons pour la première fois en France réussi à connecter 400 sociétés en quatre semaines, grâce au travail de plus de 150 ingénieurs de Capgemini.

L'utilisation de tests plus rapides posera la question de la dégradation du traçage des personnes testées de cette manière.

Il faut l'organiser simultanément.

Dr François Blanchecotte. - Les tâches administratives pesant sur les laboratoires sont très lourdes. On demande de nombreuses informations aux patients, ce qui alimente les études réalisées par Santé Publique France. Nous avons donné notre accord pour le faire, mais il faudra étudier la possibilité et le besoin de réaliser la même chose dans le cadre d'un dépistage, selon les objectifs fixés.

Pr Philippe Froguel. - Permettez-moi de livrer une petite anecdote. Début avril, dans les Hauts-de-France, une légende courait sur internet, disant que l'ARS interdisait les tests, ce qui était faux. La rumeur a été levée en quelques jours. Il peut apparaître des malentendus entre ARS et laboratoires.

En avril, il m'a été demandé d'intervenir uniquement pour les Ehpad. Les autres laboratoires n'étaient pas en mesure de le faire. Nous avons diagnostiqué 500 résidents d'Ehpad positifs, ce qui a contribué à ralentir la progression de l'épidémie dans le nord de la France. J'étais toutefois étonné de n'avoir les premiers jours que 100 ou 200 prélèvements à analyser, ce qui était lié au fait que notre laboratoire partenaire Synlab n'avait pas le droit de démarcher certains Ehpad. J'ai écrit au Préfet et au directeur général de l'ARS, et nous avons pu étendre les tests à des résidents d'autres Ehpad. À mon grand étonnement, il n'y avait eu aucune organisation du prélèvement dans les Ehpad par les autorités compétentes.

Ce qui a beaucoup manqué, ce sont des réunions associant les différents acteurs publics et privés, et les autres laboratoires. Nous n'avons jamais su qu'elle était la production de tests par le CHU de Lille, ce qui ne permettait pas d'évaluer les besoins en termes de développement de capacités supplémentaires.

Quelles sont vos propositions pour améliorer la réglementation actuelle ?

Pr Philippe Froguel. - Lors de la publication du décret le 5 avril, la vice-présidente d'un des syndicats de biologistes hospitaliers a twitté : « on bafoue la profession de biologiste médical ». Un autre biologiste a soutenu que « bientôt les tests seront vendus chez les buralistes ». Ces propos sont étonnants. Le monopole du diagnostic médical par les biologistes médicaux est positif dans 95 % des cas, mais s'avère bloquant dans d'autres situations.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Professeur Froguel, vous soutenez qu'il faut plus de tests, plus rapides, mieux faits et regrettez que très peu de personnes aient été testées en dehors des hôpitaux jusqu'à la fin du mois d'avril. Pendant plusieurs mois, des milliers de personnes symptomatiques n'ont pas pu être testées.

Aujourd'hui, des milliers de gens tentent de vérifier s'ils ont eu le coronavirus ou non. Ils utilisent des tests sérologiques. Sont-ils fiables ? Les mêmes personnes peuvent avoir un test sérologique négatif puis positif quinze jours plus tard : comment cela s'explique-t-il ? Qu'en est-il de l'immunité ? Quels sont les risques de rechute ?

Enfin, quel est votre avis sur les perspectives de vaccin ?

Pr Philippe Froguel. - Au début du mois d'avril, j'ai découvert que pour le professeur Delfraissy, la solution viendrait des tests sérologiques et non des tests PCR. J'ai l'impression qu'en France à ce moment, certaines personnes n'ont pas considéré que le standard des tests était la PCR.

Je vous ai dit que j'étais très surpris de l'homologation des tests sérologiques par le CNR alors que les laboratoires privés considéraient que 80 % de ces tests ne devaient pas être utilisés. Le Sénat, par exemple, a utilisé des tests sérologiques de très mauvaise qualité.

Les anticorps développés par les personnes qui ont été malades sont-ils protecteurs ? Je n'en sais strictement rien. Des publications évoquent la possibilité d'une réinfection, mais peut-être de façon beaucoup moins grave en raison de l'immunité cellulaire.

Pr Bruno Lina. - Les tests sérologiques sont toujours extrêmement complexes pour les virus respiratoires, quels qu'ils soient. On ne sait pas bien quelle est la bonne cible à identifier. À part dans des activités de CNR, personne ne fait de sérologie pour des virus respiratoires. Le développement des tests sérologiques est néanmoins indispensable pour évaluer une immunité collective dans le cadre d'une évolution du virus vers une dynamique saisonnière comme cela a été le cas pour d'autres coronavirus au XIXe siècle. C'est sans doute le message qu'a voulu faire passer le professeur Delfraissy. Ces tests performants, nous ne les avons pas. Les tests sérologiques évalués par le CNR sont souvent défaillants.

Le cahier des charges que nous avions pour l'évaluation des tests sérologiques portait uniquement sur des patients hospitalisés, dont les réponses en anticorps sont beaucoup plus élevées que les patients non hospitalisés ou les personnes asymptomatiques qui ont souvent des anticorps à peine détectables ou détectables de façon transitoire. Cette situation signifie-t-elle que ces personnes sont protégées vis-à-vis d'une autre infection ? Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question.

Des réinfections sont documentées par deux articles scientifiques dans deux situations extrêmement différentes. Une première situation évoque une personne asymptomatique, tandis que la seconde concerne un patient qui avait connu l'ensemble des manifestations cliniques « classiques » du coronavirus. Quatre à cinq mois après une première infection, certaines personnes peuvent faire une réinfection. Nul ne sait si cette situation peut constituer une généralité. Quoi qu'il en soit, l'immunité d'une personne infectée est de courte durée pour les coronavirus saisonniers. Pour le SARS-COV 1, l'immunité était beaucoup plus longue, de deux à sept ans. La fourchette s'étend donc de cinq mois à sept ans.

À quoi sert un vaccin ? À développer une immunité protectrice. Or, nul ne sait ce qu'est une immunité protectrice. Il faut être extrêmement prudent. Des vaccins seront disponibles à un moment donné. Les effets indésirables qui surviennent au moment du développement des vaccins, c'est assez classique. Il est très probable que l'essai qui vient d'être placé en pause reprendra lorsqu'il sera prouvé que l'effet indésirable grave n'est pas lié au vaccin mais à un autre événement intercurrent.

Faire des effets d'annonce sur la vaccination alors que nous sommes encore en phase d'évaluation, c'est extrêmement risqué et irresponsable. Je ne peux pas vous promettre un vaccin disponible à court terme : il faudra attendre plusieurs mois voire plusieurs années pour avoir un vaccin utilisable. Ces vaccins peuvent avoir deux rôles, d'une part empêcher l'infection, comme le vaccin contre la diphtérie, d'autre part empêcher la forme grave de l'infection, comme les vaccins contre la tuberculose ou contre la grippe.

Dr François Blanchecotte. - Nous avons semble-t-il 13 millions de doses de vaccination contre la grippe, alors que la cible potentielle s'élève en France à 20 millions de personnes. Santé publique France en aurait deux millions supplémentaires. J'ai une inquiétude. Des personnes symptomatiques se présenteront avec les mêmes symptômes pour la grippe que pour la covid-19.

Pr Philippe Froguel. - Un certain nombre d'entreprises développent des tests croisés grippe et covid-19. Il est très important que les biologistes puissent réaliser ces tests qui seront un élément de discrimination entre la grippe et la covid-19.

Pr Bruno Lina. - Cette évaluation est en cours au CNR.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Quand aurons-nous les résultats ?

Pr Bruno Lina. - Nous pouvons évaluer les kits quand ils nous sont envoyés par les fournisseurs. Pour le moment, je n'en ai que deux qui sont évalués, contre 8 à 10 qui sont annoncés. L'évaluation demande trois à quatre jours.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Le professeur Lina déclarait au Progrès de Lyon il y a quinze jours qu'une douzaine de vaccins étaient prêts pour la phase 3 des essais cliniques, mais qu'il fallait surtout trouver de nouveaux médicaments. Pouvez-vous faire le point sur les traitements comme le remdesivir et l'immunothérapie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Ma première question s'adresse au docteur Blanchecotte. La grève qui a conduit les laboratoires à fermer en fin d'année 2019, à l'appel des syndicats de biologistes, leur a-t-elle permis d'être écoutés par le Gouvernement ?

De nombreuses mesures annoncées seraient considérées comme non-conformes en dehors d'une situation d'urgence. Quel est votre avis sur ce point ?

Il apparaît une méconnaissance du fonctionnement des laboratoires, notamment dans leur capacité à travailler avec des laboratoires vétérinaires. Concernant les dispositifs médicaux, vous avez évoqué les problèmes et surcoûts liés aux équipements fermés, du fait des certificats d'exclusivité limitant les consommables et réactifs utilisés. Il y a quelques jours, nous avons entendu la directrice générale de l'offre de soins. J'ai soutenu que les laboratoires étaient invisibles et inaudibles. Nous n'avons pas suffisamment pris la mesure de l'importance des laboratoires dans notre système de soin. Ils n'ont pas été suffisamment associés pour étudier les possibilités de les impliquer davantage.

Enfin, connaissez-vous le laboratoire Easy 2 de Montpellier qui développe un test salivaire utilisé à l'étranger et pas encore en France ? Êtes-vous informés de cette situation ? La responsable européenne interrogée hier par la commission d'enquête n'était pas informée.

Des masters forment des bioinformaticiens dans le domaine de la génomique. Les jeunes ainsi formés ne trouvent pas de travail en France, leur travail n'étant pas valorisé.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Nous avons pu mesurer lors de précédentes auditions des pertes de chance de patients. Je m'interroge sur le risque lié au fait qu'un certain nombre de malades chroniques ne se présentent pas dans les laboratoires pour leurs examens réguliers. En effet, devant les laboratoires, nous voyons des files d'attente qui peuvent décourager les personnes inquiètes du risque de contamination. Une nouvelle perte de chance due à une insuffisance de diagnostic ne s'annonce-t-elle pas ?

Vous soutenez, professeur Lina, que des épisodes de coronavirus auraient eu lieu au XIXe siècle. Pourriez-vous être plus précis ?

J'ai entendu que les masques ne sont que des retardateurs de l'épidémie alors que le dépistage, le traçage et l'isolement sont des moyens d'action plus radicaux. Sur quels éléments vous appuyez-vous pour cette affirmation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Boulay-Espéronnier

Sur les tests sérologiques, peut-il y avoir des faux négatifs mais aussi des faux positifs ?

Pr Bruno Lina. - Oui.

Les cas de réinfections cités ont-ils eu lieu en France ou dans le monde ? Le virus reste-t-il aussi dangereux qu'avant l'été ?

Pr Bruno Lina. - La réponse est oui sur ce dernier point.

Il circule de nombreuses fausses informations sur internet sur ce sujet.

Peut-on reprendre des anti-inflammatoires que l'on nous interdisait ?

Le Président de la République a dit cinq ou six fois dans son discours que nous étions en « guerre ». Sommes-nous encore en « guerre » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Professeur Froguel, vous préconisez un accès rapide aux tests et un résultat en 24 heures. Comment faire de manière concrète et pragmatique ? Vous recommandez la mise en place de plateformes régionales. Pour quelle raison ne sont-elles pas mises en place ? Que faudrait-il pour que ces plateformes soient rapidement mises en place ? Enfin, des experts en génomique paraissent avoir été mis à l'écart. Quelle en est la raison ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Ces questions précises appellent des réponses précises.

Dr François Blanchecotte. - La grève des laboratoires de 2019 a alerté les pouvoirs publics après dix années consécutives de baisse des tarifs. La signature d'un accord conventionnel devait permettre d'introduire de nouveaux actes et de moderniser la nomenclature. Cela n'a pas été le cas. Le volume d'actes de biologie augmente de 3 % par an. En acceptant que l'enveloppe de biologie médicale n'augmente que de 0,1 % par an, la valeur des actes ne peut que diminuer.

Fin 2019, nous étions en discussion avec le directeur général de la Cnam sur le troisième renouvellement de cet accord. Celui-ci a prévu une augmentation des tarifs mais des coûts supplémentaires ont dû être absorbés sans compensation. Aujourd'hui, des grèves se profilent dans nos laboratoires, en raison du sentiment qu'ont nos personnels d'avoir été oubliés pendant cette crise. Une lettre signée par l'ensemble des syndicats publics et privés demandant l'allègement des procédures devant le Cofrac a été adressée au ministère de la santé.

Le travail avec les laboratoires vétérinaires pour la phase analytique posait un problème de transmission de données. Alors que le RGPD impose de sécuriser les flux de données, des résultats ont dû être envoyés et transmis sur fichier Excel. Des hackers font des ransomwares, ce qui impose de surprotéger nos systèmes informatiques.

Les surcoûts liés à l'achat d'équipements ont été très lourds. Nous sommes encore confrontés à une forte tension sur les gants. Les approvisionnements sont difficiles sur un marché mondialisé. Le prix du test en France est inférieur à celui pratiqué en Europe. Certains pays se livrent à de la surenchère.

Nos laboratoires et leur organisation territoriale sont désormais mieux connus des ARS. Dans toutes les régions, des réunions sont organisées presque chaque semaine entre préfectures, ARS, laboratoires privés et publics, sapeurs-pompiers, sécurité civile voire CPTS. Nous tâchons aujourd'hui d'être au plus près des besoins dans tous les départements. La relation entre les laboratoires et l'ARS Occitanie, par exemple, se déroule extrêmement bien.

A propos de la dégradation de la prise en charge des maladies chroniques, l'ensemble des professionnels de santé confirment que la santé de la population s'est dégradée durant le confinement. Les patients venant pour les soins de biologie courante doivent avoir un accès dédié et sécurisé. Certains laboratoires consacrent ainsi le matin à la biologie courante, puis l'après-midi au dépistage de la covid-19. Nous rendons les résultats à J+1 pour la majorité de nos examens. Il faut absolument que les laboratoires privés assument leur rôle premier.

La sérologie est essentiellement un test de rattrapage. Au mois de juin, 3 millions de tests PCR et 144 000 sérologies ont été effectués en France, essentiellement pour des professionnels de santé s'agissant de ces dernières.

Pr Bruno Lina. - En ce qui concerne les aspects thérapeutiques, l'équipe de l'essai Discovery échange en permanence avec ses homologues de l'essai britannique Recovery, qui est complémentaire et n'a pas de bras remdesivir. Le bras hydroxychloroquine a été abandonné. Il reste à analyser le bras remdesivir et l'immunothérapie. L'essai Discovery se poursuit. 25 inclusions ont eu lieu la semaine dernière.

Cet essai est-il international ou français ?

Pr Bruno Lina. - Discovery est un essai international.

Il y a quelques semaines, il y avait seulement un patient Luxembourgeois.

Pr Bruno Lina. - Le « noyau dur » de Discovery est situé en France et en particulier en Guyane. Mais des centres vont ouvrir en Belgique ou ont déjà ouvert au Luxembourg, au Portugal et en Autriche. Nous entrons dans une nouvelle dynamique d'inclusion, avec environ 900 patients.

Combien y-a-t-il de Français sur les 900 patients ?

Pr Bruno Lina. - Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Les patients non-Français sont aujourd'hui marginaux, mais ils ne le seront plus à l'avenir. Telle est la finalité. Le bras remdesivir sera analysé et des données scientifiques seront publiées. Une réunion est prévue lundi 14 septembre pour évoquer ce sujet. Les premiers articles vont être envoyés pour revue en septembre.

Les équipements fermés des laboratoires sont un vrai problème. Un certain nombre de machines fermées disposent cependant d'un canal ouvert : on peut y adapter du « fait maison ». Cette situation a soulevé de nombreuses réflexions concernant la logique d'équipement de nombreux laboratoires hospitaliers et probablement privés.

La première version d'EasyCov ne peut être utilisée en laboratoire si vous êtes rigoureux étant donné que nous devons ouvrir le tube post-amplification pour mettre le réactif de détection de l'amplification. Nous attendons la version 2 en cours de développement. Malgré cet écueil de fonctionnement, un certain nombre de dispositifs EasyCov ont été commercialisés, notamment dans des aéroports. Il n'y aura a priori aucun frein à l'utilisation de la version 2 d'EasyCov.

Le problème est-il lié au risque de contamination ?

Pr Bruno Lina. - Oui, avec la version actuelle. L'ouverture du tube risque de contaminer l'environnement et d'avoir des résultats faussement positifs.

Cette situation ne gêne-t-elle pas les étrangers qui l'utilisent ?

Pr Bruno Lina. - C'est leur problème. Nous préférons attendre la version 2 qui ne présentera plus cet écueil. Cela lèvera les freins à la diffusion de cette technique.

Nous constatons également en milieu hospitalier un problème pour l'accès aux actes de biologie des patients atteints de maladies chroniques. L'organisation des files d'attente des laboratoires et de l'accès au dépistage devrait permettre de retrouver une situation normale.

La première pandémie influenza a été décrite par Hippocrate. Au XIXe siècle, nous avons à deux reprises la trace de l'introduction d'un coronavirus entraînant un phénomène pandémique. L'horloge moléculaire montre que ces virus sont apparus dans la population humaine au milieu du XIXe siècle. Il s'agissait déjà de zoonoses c'est-à-dire de virus transmis par les animaux. L'histoire ne fait que se répéter. J'espère que nous serons mieux préparés la prochaine fois.

Nous n'étions donc pas bien préparés.

Pr Bruno Lina. - Nous le sommes de mieux en mieux. J'ai connu le SRAS en 2003, la pandémie H1N1 en 2009 et la pandémie actuelle de 2020. La situation est-elle parfaite ? Non, mais le chemin accompli depuis 17 ans est considérable. J'ai aussi connu la grippe aviaire en 1997. Rien n'était prêt à l'époque.

Il y a des faux positifs et des faux négatifs sur les tests sérologiques. Si on ne contextualise pas la réalisation de tests sérologiques, on s'expose à des erreurs d'interprétation majeures. Un exemple de leur bonne utilisation, par exemple dans un Ehpad qui a été atteint par le coronavirus, est de combiner tests PCR et tests sérologiques pour avoir un panorama complet des personnes immunisées ou non immunisées et des personnes infectées. Sans épidémie documentée, les risques de faux négatifs ou de faux positifs sont élevés. Imaginons que l'analyse ait lieu en Bretagne où la prévalence du virus a été relativement faible avec 2 % de personnes infectées. La spécificité d'un test sérologique s'établit à 98 %. C'est-à-dire que 2 % des tests seront faussement positifs. Si un test est positif, il y a dans ce contexte une chance sur deux que ce soit un faux positif.

Il existe des tests sérologiques de bonne qualité, performants. Quoi qu'il en soit, un certain nombre de personnes perdent leur immunité.

En ce qui concerne une éventuelle mutation, le virus n'est ni moins ni plus grave. 60 % des patients en réanimation sont âgés de plus de 60 ans, le même pourcentage que durant la première vague de circulation du virus. L'application des mesures barrières, notamment de distanciation physique, réduit le risque de transmission d'un virus respiratoire. C'est un effort collectif. La distanciation sociale par excellence est le confinement.

C'est la situation extrême.

Pr Bruno Lina. - Certes, mais nous pouvons grader la distanciation sociale. Parmi les éléments de réflexion, il existe la notion de « bulle sociale ». Deux pays ont réfléchi à cette stratégie, la Grande-Bretagne et le Danemark. La Grande-Bretagne considère que vous ne devez pas rencontrer plus de 6 personnes différentes de façon régulière dans des conditions présentant un risque de transmission. Pourquoi 6 personnes ? C'est aux Anglais qu'il faut poser la question. Le Danemark recommande une bulle sociale de 50 personnes.

La création de plateformes régionales de dépistage est un objectif. Il a manqué un bras armé de Santé publique France en termes de puissance de diagnostic dans les territoires. C'est une leçon de cette pandémie. Il faut s'appuyer sur un inventaire de la puissance de diagnostic pour mettre en oeuvre une stratégie similaire à l'Allemagne. Je rappelle toutefois que les Allemands ne font pas aujourd'hui plus de diagnostics que nous et qu'ils sont confrontés à des délais de trois à quatre jours pour obtenir les résultats des tests. Nous ne sommes pas les seuls à rencontrer ces difficultés.

Ont-ils des plateformes territorialisées en Allemagne ?

Pr Bruno Lina. - Oui. Concernant les plateformes génomiques, j'ai discuté avec mes homologues de Lyon qui n'ont pas voulu faire les tests, mais leur personnel est venu aider à faire fonctionner nos plateformes.

Pr Philippe Froguel. - En Angleterre, la bulle sociale se compose de 6 personnes, alors qu'elle est de 20 personnes au Pays de Galle, 35 personnes en Irlande et 40 personnes en Écosse. La situation n'est pas si simple au Royaume-Uni. En Angleterre où je travaille, personne n'a compris ce que souhaite Boris Johnson.

Les masques ne sont pas la panacée : si c'était le cas, 8 000 personnes n'auraient pas été diagnostiquées positives en France hier. Je suis absolument favorable au port du masque, notamment en lieu clos. Les personnes sont souvent contaminées en famille ou au restaurant. Les masques sont utiles, mais personne ne les porte 24 heures sur 24. Certains prétendent en outre que l'inoculum est plus faible avec le masque. Je ne sais pas si cette affirmation est sérieuse.

Il aurait été positif de discuter du développement des plateformes régionales il y a six mois. Le ministère de la recherche y était favorable, mais s'est heurté à l'intransigeance du ministère de la santé.

À Lille, nous sécurisons l'achat d'une dizaine d'extracteurs, de machines PCR et de consommables. Nous avons demandé à la maire Martine Aubry la possibilité d'installer cette plateforme au Palais des Congrès. L'équipe de mon laboratoire a cessé d'analyser les prélèvements en juin étant donné qu'il n'y avait plus suffisamment de demande. Nous sommes prêts à reprendre, mais nous ne pouvons plus le faire dans nos laboratoires. En revanche, nous pouvons former du personnel et renforcer les équipes qui mèneront les tests dans cette plateforme régionale. Celle-ci devrait fonctionner à la fin du mois de septembre. Une telle plateforme aurait été utile par exemple à Rennes où il existe des équipes de génomique pour gérer le cluster de la Mayenne, alors qu'ils n'ont pas réussi à dépasser 3 000 tests par jour.

Quels sont les partenaires impliqués pour pouvoir atteindre 30 000 tests par jour ?

Pr Philippe Froguel. - À Lille, nous le ferons avec le seul secteur privé. Dans d'autres endroits, le système peut être plus oecuménique en impliquant les CHU. Les situations sont liées au contexte humain.

Est-ce l'ARS qui organise la plateforme régionale ?

Pr Philippe Froguel. - Non, nous l'organiserons avec le secteur privé. L'ARS donnera uniquement l'autorisation.

Pr Bruno Lina. - L'ARS donne le feu vert. Elle n'organise pas stricto sensu la plateforme régionale : les laboratoires s'organisent entre eux. Le CHU de Clermont-Ferrand a créé une plateforme de diagnostic en lien avec un laboratoire privé. Des collaborations existent dans ce domaine.

Souhaitez-vous que ce dispositif se généralise pour permettre le dépistage de masse ?

Pr Philippe Froguel. - Je ne vois pas le Gouvernement revenir en arrière sur l'accès direct aux tests. Il faudra se débrouiller. Nous manquons de personnel au CHU de Lille du fait que de nombreux agents sont confinés. Le CHU teste tout son personnel toutes les trois semaines, ce qui me paraît raisonnable. Les laboratoires privés ont quant à eux à gérer les patients symptomatiques et la meilleure méthode consisterait à ce qu'ils viennent avec une ordonnance. Pour les autres, les grandes plateformes seront utiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

En ce qui concerne les essais cliniques, vous affirmez qu'il reste un bras remdesivir à analyser. Y a-t-il un bras avec le plasma de patients infectés ? L'Agence européenne du médicament a délivré une autorisation de mise sur le marché conditionnelle du remdesivir à la fin du mois de juin. Comment expliquez-vous une telle autorisation alors que les essais cliniques ne sont pas terminés ? Qu'en est-il de l'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) du remdesivir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martin Lévrier

Je souhaiterais une précision. Les plateformes territoriales évoquées pourront-elles fonctionner compte tenu des problèmes de livraison de consommables ou de réactifs évoqués en début d'audition ? Enfin, ma collègue a posé une question sur les deux personnes ayant contracté à deux reprises le coronavirus : s'agit-il de deux personnes en France ou dans le monde ?

Pr Bruno Lina. - Je parle de deux cas publiés dans des revues scientifiques. En pratique, plusieurs dizaines de cas sont en cours d'investigation en France. C'est une réalité que nous devons analyser.

Nous sommes dans un contexte de pénurie de traitement. En fonction de la publication des articles notamment américains et chinois, il y a un signal d'efficacité qui est un résultat intermédiaire, ni positif ni négatif. Le fait de ne pouvoir montrer une efficacité est-il lié au nombre de patients inclus ou au fait que le remdesivir ne fonctionne pas très bien ? La fusion des bases de données de l'essai Discovery et de l'essai l'OMS permettra de générer un nombre de patients suffisamment important pour répondre à cette question, avant la fin du mois de septembre. C'est du fait de ce contexte que l'Agence européenne du médicament a donné une autorisation provisoire même en l'absence de données robustes d'efficacité, pour éviter les pertes de chances.

En ce qui concerne l'immunothérapie, la sérothérapie ne fait pas partie du panel. Le sérum de plasma convalescent est utilisé dans certaines circonstances particulières, en particulier pour les immunodéprimés.

Selon moi, les plateformes régionales doivent être déployées à court-moyen terme. Ce n'est pas une réponse immédiate. Pour le moment, nous devons structurer les forces en puissance dans les régions pour organiser la réponse à la demande. À terme, il sera intéressant d'élaborer ces plateformes et les maintenir dans la durée.

Pr Philippe Froguel. - Si l'on veut faire ces plateformes, la logique ou la prudence consiste à sécuriser l'achat de réactifs lorsque nous achetons les machines. Si nous ne le faisons pas dès le départ, les machines ne servent pas, comme cela a pu être le cas.