Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 10 septembre 2020 à 10:5
Table ronde sur la politique de dépistage

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Merci pour ces propos liminaires. Il y aurait de nombreuses questions à vous poser. Hier, les représentants diplomatiques de la Corée du Sud ont expliqué leur stratégie de test, de traçage et d'isolement, ce que nous n'avons pas fait en France contrairement à l'Allemagne, et que nous payons.

Lorsque nous avons entendu le professeur Arnaud Fontanet au sujet du cluster de l'Oise, il a évoqué le fait que l'Institut Pasteur avait développé très tôt un test, mais que le retard était venu ensuite de l'incapacité française à produire ces tests. Comment l'expliquer ?

Le docteur Blanchecotte a évoqué les tensions internationales sur les commandes de matériel. Quelle est la raison de cette situation ? D'où vient le matériel ? Qui le produit ?

Pourquoi l'évaluation des tests et l'autorisation des laboratoires départementaux agréés ont été si longues à obtenir ?

Où en est-on des tests salivaires ?

Qu'en est-il en outre de la fiabilité des tests ? Un médecin évoquait récemment le cas de 2 patients asymptomatiques dont le test était positif et de 2 patients symptomatiques dont le test était négatif. Cette situation est-elle liée au prélèvement ou aux manifestations de la maladie ?

Nous entendons aussi que le virus muterait. Avez-vous dû modifier le test pour tenir compte de cette situation ? Nous entendons des propos contradictoires qui ne rassurent pas la population.

Pr Bruno Lina. - Il n'y a pas de mutation du virus, celui-ci est stable. Lors de son déploiement à l'échelle planétaire, trois génogroupes sont apparus. Le génogroupe G n'entraîne aucune modification : c'est un marqueur génétique qui permet de suivre l'évolution du virus. Comme ce génogroupe est apparu en Europe, épicentre de la diffusion du virus en février-mars 2020, il s'est diffusé ensuite dans les autres zones contaminées, notamment l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud et le reste du monde.

Le système de surveillance de l'OMS permet de vérifier quotidiennement les quelque 90 000 séquences génétiques déposées par les laboratoires. Il n'y a aucune mutation entraînant intrinsèquement une mutation de virulence, de pathogénicité ou de transmissibilité. Une hypothèse veut que le génogroupe G apparu en février aurait, dans un tube à essai, un petit avantage réplicatif par rapport aux autres, mais ce n'est pas observé chez les individus. En conclusion, rien de documenté ne permet d'établir une mutation. Le sujet est observé en particulier dans les zones des amorces proposées par les différents centres de desease control chinois et américains. Une amorce connaît quelques modifications, mais elle n'est plus utilisée. Ces examens permettent de s'assurer de la stabilité de la possibilité d'effectuer un diagnostic dans de bonnes conditions.

L'analyse de la fiabilité des tests suppose d'étudier la qualité du prélèvement et la qualité de l'amplification. En ce qui concerne la qualité du prélèvement, je me suis battu pour le maintien du prélèvement naso-pharyngé, qui est le prélèvement de référence. Le virus se réplique essentiellement dans la zone naso-pharynx. Environ 20 dispositifs de tests existent aujourd'hui. Ils ont été en grande partie évalués par les laboratoires du CNR. Ils sont fiables et robustes, et livrent des réponses de qualité avec des nuances en termes de performance.

Ont été documentés dès les mois de mars-avril des cas asymptomatiques, en particulier chez les jeunes mais pas seulement. En parallèle, des personnes présentant des signes cliniques ont des affections liées à un rhinovirus. Aujourd'hui, on constate dans mon laboratoire dans le cadre de la surveillance communautaire trois fois plus de rhinovirus que de coronavirus qui donnent des infections des voies aériennes supérieures. Cette situation encourage le développement de diagnostics différentiels ou de détections dites multiplexes afin de mesurer plusieurs pathogènes dans un échantillon. Cela permet de comprendre que des personnes symptomatiques n'ont pas le coronavirus, mais un autre virus. Un cas symptomatique négatif peut aussi être lié à un diagnostic manqué.

S'agissant de la décision réglementaire de recours aux autres catégories de laboratoires, j'ai utilisé les ressources techniques de mon laboratoire de recherche en infectiologie pour pallier la difficulté rencontrée dans la réalisation des tests. Cette démarche suppose une logistique et une organisation. Il est compliqué de déporter des analyses. Cet aspect réglementaire pourrait être levé : dans un contexte d'urgence, il me semble que certaines règles qui freinent peuvent tomber. Certains laboratoires vétérinaires et de recherche ont été associés à la démarche, ce qui a permis d'augmenter la puissance de tir.

Les décisions prises aujourd'hui n'auront un impact sur la dynamique épidémique que dans quinze jours. Si je reprends ma casquette de membre du conseil scientifique, nous avons recommandé dans le dernier avis d'adopter une logique focalisée sur les méthodes de dépistage, les méthodes de diagnostic, l'isolement des patients et des cas contacts afin d'avoir une stratégie sur les tests de dépistage et de diagnostic, dans un contexte d'évolution technique.

En ce qui concerne le test salivaire, la première question est de savoir si la salive est un bon prélèvement pour établir un diagnostic. Une étude a été engagée par mon laboratoire, le laboratoire de Caen et des préleveurs en Guyane. Les résultats sont en cours d'évaluation et devraient être publiés d'ici une à deux semaines. Nous aurons alors une vision claire des atouts et limites du prélèvement salivaire par rapport au prélèvement naso-pharyngé. La plupart des publications a concerné des patients hospitalisés avec un prélèvement salivaire effectué le matin au réveil, ce qui ne raconte pas ce qui se passerait en vie réelle dans un système de dépistage massif. Pour la tuberculose, les crachats du matin étaient beaucoup plus informatifs que ceux prélevés le soir. L'opportunité de basculer vers des systèmes de prélèvements simples à haut débit représente un enjeu majeur.

Nous commençons l'évaluation des tests antigéniques à l'AP-HP, dans mon laboratoire et ailleurs. Nous ne croyons pas les fournisseurs qui nous vendent du rêve et promettent 100 % de sensibilité. Si nous ne faisions pas cette évaluation, vous nous le reprocheriez. Nous commençons à voir où se positionne la sensibilité des tests antigéniques par rapport à la référence de la PCR sur prélèvement naso-pharynghé, ce qui permettra de décliner leur utilisation et de réduire les délais d'attente, notamment dans le cadre du dépistage, qui est la demande la plus importante aujourd'hui. Il faut bien faire la différence entre dépistage et diagnostic.

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