Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 10 septembre 2020 à 10:5
Table ronde sur la politique de dépistage

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Pouvez-vous intervenir sur le retard de développement des tests dont a parlé le professeur Arnaud Fontanet ?

Pr Bruno Lina. - Rappelons le calendrier des événements. Le virus est séquencé le 7 janvier 2020. Il est immédiatement partagé avec la communauté internationale, ce qui permet de fabriquer des cibles, des amorces et des sondes. Le laboratoire de l'hôpital de La Charité à Berlin propose un jeu d'amorces et de séquences que le CNR acquiert très rapidement. L'Institut Pasteur développe simultanément plusieurs jeux d'amorces progressivement optimisés. Le premier patient français est identifié le 23 janvier pour un diagnostic établi le 24 janvier. Nous utilisons les prélèvements sur les cinq premiers patients parisiens et le patient bordelais pour vérifier que nos dispositifs sont performants. Nous constatons que le test développé par l'Institut Pasteur présente une supériorité analytique, c'est-à-dire qu'il est plus sensible que celui développé par La Charité. C'est une bonne nouvelle même si cela se retourne maintenant contre nous puisqu'on nous dit que notre test est trop sensible.

Le 7 février apparaît le cluster des Contamines-Montjoie, géré par mon laboratoire. Nous avons établi un diagnostic rapide grâce aux outils de la Charité et de l'Institut Pasteur, avec un résultat rendu en fin de journée. Les échantillons ont voyagé en hélicoptère pour ne pas perdre de temps. Les patients ont été mis en isolement dans les services hospitaliers de Saint-Étienne, Grenoble et Lyon.

À cette occasion, nous avons constaté que la sonde fournie par la Charité était contaminée : nous avions des résultats faussement positifs. Le fournisseur avait mis dans la sonde des amorces qui entraînaient des résultats faussement positifs. Les laboratoires français auxquels nous avions fourni ce matériel se retrouvaient avec des résultats potentiellement contaminés. Le problème n'était pas franco-français mais lié à un fournisseur international. Mi-février 2020, la plupart des laboratoires en charge du diagnostic ont dû jeter leurs outils et demander une nouvelle synthèse.

La situation est devenue chaotique : il n'y avait pas de synthèse suffisante pour alimenter tous les laboratoires européens. Nous avons demandé des synthèses à deux fournisseurs différents. J'ai envoyé ce matériel à Philippe Brouqui à Marseille pour le dépistage des personnes rapatriées de Wuhan.

Ensuite, quand nous avons cherché à déployer les tests, nous avons rencontré une autre difficulté liée au fait que les laboratoires hospitaliers n'ont plus que des machines travaillant sur des systèmes fermés. Les fournisseurs donnent un dispositif « clé en main ». Par analogie, si vous avez un solex et que vous n'avez pas de solexine, vous ne pouvez le faire fonctionner. L'accréditation contraint à fonctionner ainsi. Seul le CNR peut être accrédité pour des techniques manuelles. Les laboratoires n'avaient plus la ressource technique simple, présente dans les laboratoires de recherche, pour faire de la PCR dite « manuelle ». 5 procédures d'extraction ont été évaluées par le CNR. Nous avons par ailleurs constaté que certaines machines d'extraction ne fonctionnaient pas. Cette situation explique une partie des retards à l'allumage.

Pr Philippe Froguel. -Pour la PCR, si les mutations du virus ne portent pas sur l'endroit où se fixent les primers, il ne peut pas y avoir d'incidence sur le test. S'il y avait d'autres mutations, nous changerions de primers. Il faut séquencer le virus pour étudier si des mutations ne permettront pas aux primers de se fixer au bon endroit.

Entre février et mars, un travail a été accompli par le CNR, parfois contradictoire avec ce qui a été fait ailleurs. En ce qui concerne les TROD autorisés après évaluation par le CNR, j'ai livré à l'Élysée des résultats d'analyse prouvant que 80 % de ces TROD étaient de qualité médiocre. Ils ont pourtant été homologués par le CNR, ce qui m'a surpris.

Pr Bruno Lina. - Pour clarification, M. Froguel parle, s'agissant des TROD, de tests sérologiques et non de tests PCR.

Pr Philippe Froguel. - Dans les laboratoires de virologie où il n'y a pas de recherche et développement, j'ai remarqué que l'extraction d'ARN était plus compliquée qu'elle ne l'est dans les laboratoires de génomique. Leur fonctionnement est plus compliqué et plus lent. L'autorisation donnée aux laboratoires de génomique de fonctionner le 5 avril a nécessité une semaine pour acquérir un robot, vérifier qu'il extrayait avec la même qualité que notre partenaire Synlab et comparer des échantillons. Nous avons conçu une chaîne informatique. Les laboratoires de génomique emploient des informaticiens (qui n'existent plus dans les hôpitaux) et des ingénieurs de recherche. Ce qui a semblé compliqué à d'autres nous a été facile parce que c'est notre métier. Les robots chinois n'ont pas fonctionné dans certains CHU qui n'ont pas réussi à les faire fonctionner alors qu'ils ont fonctionné immédiatement dans d'autres.

Le CNR et les laboratoires de biologie médicale hospitalière se sont privés d'une expertise très forte. Des centres de génomique étaient capables de développer rapidement les extractions. Aux États-Unis, le Broad Institute, principal laboratoire de génomique au monde, a réalisé un million de tests. Je pense que nous avons perdu beaucoup de temps en respectant des procédures antédiluviennes qui se comprennent en cas de paix, et non en cas de guerre. Nous aurions pu augmenter plus rapidement le nombre de tests comme l'ont fait les Allemands. Très peu de personnes ont pu être testées en dehors des hôpitaux jusqu'à fin avril/début mai.

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