Intervention de René-Paul Savary

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 10 septembre 2020 à 10:5
Table ronde sur la politique de dépistage

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, président :

Ces questions précises appellent des réponses précises.

Dr François Blanchecotte. - La grève des laboratoires de 2019 a alerté les pouvoirs publics après dix années consécutives de baisse des tarifs. La signature d'un accord conventionnel devait permettre d'introduire de nouveaux actes et de moderniser la nomenclature. Cela n'a pas été le cas. Le volume d'actes de biologie augmente de 3 % par an. En acceptant que l'enveloppe de biologie médicale n'augmente que de 0,1 % par an, la valeur des actes ne peut que diminuer.

Fin 2019, nous étions en discussion avec le directeur général de la Cnam sur le troisième renouvellement de cet accord. Celui-ci a prévu une augmentation des tarifs mais des coûts supplémentaires ont dû être absorbés sans compensation. Aujourd'hui, des grèves se profilent dans nos laboratoires, en raison du sentiment qu'ont nos personnels d'avoir été oubliés pendant cette crise. Une lettre signée par l'ensemble des syndicats publics et privés demandant l'allègement des procédures devant le Cofrac a été adressée au ministère de la santé.

Le travail avec les laboratoires vétérinaires pour la phase analytique posait un problème de transmission de données. Alors que le RGPD impose de sécuriser les flux de données, des résultats ont dû être envoyés et transmis sur fichier Excel. Des hackers font des ransomwares, ce qui impose de surprotéger nos systèmes informatiques.

Les surcoûts liés à l'achat d'équipements ont été très lourds. Nous sommes encore confrontés à une forte tension sur les gants. Les approvisionnements sont difficiles sur un marché mondialisé. Le prix du test en France est inférieur à celui pratiqué en Europe. Certains pays se livrent à de la surenchère.

Nos laboratoires et leur organisation territoriale sont désormais mieux connus des ARS. Dans toutes les régions, des réunions sont organisées presque chaque semaine entre préfectures, ARS, laboratoires privés et publics, sapeurs-pompiers, sécurité civile voire CPTS. Nous tâchons aujourd'hui d'être au plus près des besoins dans tous les départements. La relation entre les laboratoires et l'ARS Occitanie, par exemple, se déroule extrêmement bien.

A propos de la dégradation de la prise en charge des maladies chroniques, l'ensemble des professionnels de santé confirment que la santé de la population s'est dégradée durant le confinement. Les patients venant pour les soins de biologie courante doivent avoir un accès dédié et sécurisé. Certains laboratoires consacrent ainsi le matin à la biologie courante, puis l'après-midi au dépistage de la covid-19. Nous rendons les résultats à J+1 pour la majorité de nos examens. Il faut absolument que les laboratoires privés assument leur rôle premier.

La sérologie est essentiellement un test de rattrapage. Au mois de juin, 3 millions de tests PCR et 144 000 sérologies ont été effectués en France, essentiellement pour des professionnels de santé s'agissant de ces dernières.

Pr Bruno Lina. - En ce qui concerne les aspects thérapeutiques, l'équipe de l'essai Discovery échange en permanence avec ses homologues de l'essai britannique Recovery, qui est complémentaire et n'a pas de bras remdesivir. Le bras hydroxychloroquine a été abandonné. Il reste à analyser le bras remdesivir et l'immunothérapie. L'essai Discovery se poursuit. 25 inclusions ont eu lieu la semaine dernière.

Cet essai est-il international ou français ?

Pr Bruno Lina. - Discovery est un essai international.

Il y a quelques semaines, il y avait seulement un patient Luxembourgeois.

Pr Bruno Lina. - Le « noyau dur » de Discovery est situé en France et en particulier en Guyane. Mais des centres vont ouvrir en Belgique ou ont déjà ouvert au Luxembourg, au Portugal et en Autriche. Nous entrons dans une nouvelle dynamique d'inclusion, avec environ 900 patients.

Combien y-a-t-il de Français sur les 900 patients ?

Pr Bruno Lina. - Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Les patients non-Français sont aujourd'hui marginaux, mais ils ne le seront plus à l'avenir. Telle est la finalité. Le bras remdesivir sera analysé et des données scientifiques seront publiées. Une réunion est prévue lundi 14 septembre pour évoquer ce sujet. Les premiers articles vont être envoyés pour revue en septembre.

Les équipements fermés des laboratoires sont un vrai problème. Un certain nombre de machines fermées disposent cependant d'un canal ouvert : on peut y adapter du « fait maison ». Cette situation a soulevé de nombreuses réflexions concernant la logique d'équipement de nombreux laboratoires hospitaliers et probablement privés.

La première version d'EasyCov ne peut être utilisée en laboratoire si vous êtes rigoureux étant donné que nous devons ouvrir le tube post-amplification pour mettre le réactif de détection de l'amplification. Nous attendons la version 2 en cours de développement. Malgré cet écueil de fonctionnement, un certain nombre de dispositifs EasyCov ont été commercialisés, notamment dans des aéroports. Il n'y aura a priori aucun frein à l'utilisation de la version 2 d'EasyCov.

Le problème est-il lié au risque de contamination ?

Pr Bruno Lina. - Oui, avec la version actuelle. L'ouverture du tube risque de contaminer l'environnement et d'avoir des résultats faussement positifs.

Cette situation ne gêne-t-elle pas les étrangers qui l'utilisent ?

Pr Bruno Lina. - C'est leur problème. Nous préférons attendre la version 2 qui ne présentera plus cet écueil. Cela lèvera les freins à la diffusion de cette technique.

Nous constatons également en milieu hospitalier un problème pour l'accès aux actes de biologie des patients atteints de maladies chroniques. L'organisation des files d'attente des laboratoires et de l'accès au dépistage devrait permettre de retrouver une situation normale.

La première pandémie influenza a été décrite par Hippocrate. Au XIXe siècle, nous avons à deux reprises la trace de l'introduction d'un coronavirus entraînant un phénomène pandémique. L'horloge moléculaire montre que ces virus sont apparus dans la population humaine au milieu du XIXe siècle. Il s'agissait déjà de zoonoses c'est-à-dire de virus transmis par les animaux. L'histoire ne fait que se répéter. J'espère que nous serons mieux préparés la prochaine fois.

Nous n'étions donc pas bien préparés.

Pr Bruno Lina. - Nous le sommes de mieux en mieux. J'ai connu le SRAS en 2003, la pandémie H1N1 en 2009 et la pandémie actuelle de 2020. La situation est-elle parfaite ? Non, mais le chemin accompli depuis 17 ans est considérable. J'ai aussi connu la grippe aviaire en 1997. Rien n'était prêt à l'époque.

Il y a des faux positifs et des faux négatifs sur les tests sérologiques. Si on ne contextualise pas la réalisation de tests sérologiques, on s'expose à des erreurs d'interprétation majeures. Un exemple de leur bonne utilisation, par exemple dans un Ehpad qui a été atteint par le coronavirus, est de combiner tests PCR et tests sérologiques pour avoir un panorama complet des personnes immunisées ou non immunisées et des personnes infectées. Sans épidémie documentée, les risques de faux négatifs ou de faux positifs sont élevés. Imaginons que l'analyse ait lieu en Bretagne où la prévalence du virus a été relativement faible avec 2 % de personnes infectées. La spécificité d'un test sérologique s'établit à 98 %. C'est-à-dire que 2 % des tests seront faussement positifs. Si un test est positif, il y a dans ce contexte une chance sur deux que ce soit un faux positif.

Il existe des tests sérologiques de bonne qualité, performants. Quoi qu'il en soit, un certain nombre de personnes perdent leur immunité.

En ce qui concerne une éventuelle mutation, le virus n'est ni moins ni plus grave. 60 % des patients en réanimation sont âgés de plus de 60 ans, le même pourcentage que durant la première vague de circulation du virus. L'application des mesures barrières, notamment de distanciation physique, réduit le risque de transmission d'un virus respiratoire. C'est un effort collectif. La distanciation sociale par excellence est le confinement.

C'est la situation extrême.

Pr Bruno Lina. - Certes, mais nous pouvons grader la distanciation sociale. Parmi les éléments de réflexion, il existe la notion de « bulle sociale ». Deux pays ont réfléchi à cette stratégie, la Grande-Bretagne et le Danemark. La Grande-Bretagne considère que vous ne devez pas rencontrer plus de 6 personnes différentes de façon régulière dans des conditions présentant un risque de transmission. Pourquoi 6 personnes ? C'est aux Anglais qu'il faut poser la question. Le Danemark recommande une bulle sociale de 50 personnes.

La création de plateformes régionales de dépistage est un objectif. Il a manqué un bras armé de Santé publique France en termes de puissance de diagnostic dans les territoires. C'est une leçon de cette pandémie. Il faut s'appuyer sur un inventaire de la puissance de diagnostic pour mettre en oeuvre une stratégie similaire à l'Allemagne. Je rappelle toutefois que les Allemands ne font pas aujourd'hui plus de diagnostics que nous et qu'ils sont confrontés à des délais de trois à quatre jours pour obtenir les résultats des tests. Nous ne sommes pas les seuls à rencontrer ces difficultés.

Ont-ils des plateformes territorialisées en Allemagne ?

Pr Bruno Lina. - Oui. Concernant les plateformes génomiques, j'ai discuté avec mes homologues de Lyon qui n'ont pas voulu faire les tests, mais leur personnel est venu aider à faire fonctionner nos plateformes.

Pr Philippe Froguel. - En Angleterre, la bulle sociale se compose de 6 personnes, alors qu'elle est de 20 personnes au Pays de Galle, 35 personnes en Irlande et 40 personnes en Écosse. La situation n'est pas si simple au Royaume-Uni. En Angleterre où je travaille, personne n'a compris ce que souhaite Boris Johnson.

Les masques ne sont pas la panacée : si c'était le cas, 8 000 personnes n'auraient pas été diagnostiquées positives en France hier. Je suis absolument favorable au port du masque, notamment en lieu clos. Les personnes sont souvent contaminées en famille ou au restaurant. Les masques sont utiles, mais personne ne les porte 24 heures sur 24. Certains prétendent en outre que l'inoculum est plus faible avec le masque. Je ne sais pas si cette affirmation est sérieuse.

Il aurait été positif de discuter du développement des plateformes régionales il y a six mois. Le ministère de la recherche y était favorable, mais s'est heurté à l'intransigeance du ministère de la santé.

À Lille, nous sécurisons l'achat d'une dizaine d'extracteurs, de machines PCR et de consommables. Nous avons demandé à la maire Martine Aubry la possibilité d'installer cette plateforme au Palais des Congrès. L'équipe de mon laboratoire a cessé d'analyser les prélèvements en juin étant donné qu'il n'y avait plus suffisamment de demande. Nous sommes prêts à reprendre, mais nous ne pouvons plus le faire dans nos laboratoires. En revanche, nous pouvons former du personnel et renforcer les équipes qui mèneront les tests dans cette plateforme régionale. Celle-ci devrait fonctionner à la fin du mois de septembre. Une telle plateforme aurait été utile par exemple à Rennes où il existe des équipes de génomique pour gérer le cluster de la Mayenne, alors qu'ils n'ont pas réussi à dépasser 3 000 tests par jour.

Quels sont les partenaires impliqués pour pouvoir atteindre 30 000 tests par jour ?

Pr Philippe Froguel. - À Lille, nous le ferons avec le seul secteur privé. Dans d'autres endroits, le système peut être plus oecuménique en impliquant les CHU. Les situations sont liées au contexte humain.

Est-ce l'ARS qui organise la plateforme régionale ?

Pr Philippe Froguel. - Non, nous l'organiserons avec le secteur privé. L'ARS donnera uniquement l'autorisation.

Pr Bruno Lina. - L'ARS donne le feu vert. Elle n'organise pas stricto sensu la plateforme régionale : les laboratoires s'organisent entre eux. Le CHU de Clermont-Ferrand a créé une plateforme de diagnostic en lien avec un laboratoire privé. Des collaborations existent dans ce domaine.

Souhaitez-vous que ce dispositif se généralise pour permettre le dépistage de masse ?

Pr Philippe Froguel. - Je ne vois pas le Gouvernement revenir en arrière sur l'accès direct aux tests. Il faudra se débrouiller. Nous manquons de personnel au CHU de Lille du fait que de nombreux agents sont confinés. Le CHU teste tout son personnel toutes les trois semaines, ce qui me paraît raisonnable. Les laboratoires privés ont quant à eux à gérer les patients symptomatiques et la meilleure méthode consisterait à ce qu'ils viennent avec une ordonnance. Pour les autres, les grandes plateformes seront utiles.

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