Intervention de Daniel Benamouzig

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 10h30
Audition du professeur jean-françois delfraissy président du conseil scientifique

Daniel Benamouzig, sociologue, membre du conseil scientifique :

La question de la démocratie sanitaire, et plus généralement du lien entre les professionnels de santé et le reste des citoyens, est un point extrêmement important. Dans la situation d'urgence qu'on a connue au printemps, force est de constater que ce lien ne s'est pas fait selon les modalités prévues. Cette difficulté doit tous nous interroger, y compris sur la capacité de ces institutions à s'emparer d'un certain nombre de sujets. Elles sont supposées aussi avoir une capacité d'interpellation, de participation active au débat public, et cela peut appeler une réflexion à froid sur leur place et leur rôle dans le système de santé auprès des différentes institutions existantes.

Pour ce qui nous concerne, à l'échelle qui est la nôtre, on a constamment appelé dans nos avis au renforcement de ce dialogue. Il n'est pas trop tard. On entre dans une logique plus territoriale, qui a vocation aussi à impliquer des élus territoriaux dans l'ensemble des décisions qui sont prises. Il serait assez normal que, dans ce cadre-là, une parole citoyenne soit constituée. Nous y serions très favorables et nous nous sommes déjà prononcés en ce sens à plusieurs reprises. Il y a certainement des éléments qui sont améliorables. Il y a aussi des choses qui ont été faites. À titre personnel, je représente le conseil scientifique dans un comité de contrôle et de liaison qui a été créé pour contrôler en particulier les aspects numériques, présidé par un éminent collègue, par ailleurs président de la Conférence nationale de santé. C'est un premier pas, même si le mandat est à mon sens un peu restrictif sur une question importante qui mériterait sans doute une réflexion plus large.

Il a par ailleurs été mentionné très justement que différentes dimensions sociales au sens très large du terme, qui excèdent la dimension sanitaire, gagneraient à être prises en compte. Nous sommes deux spécialistes en sciences sociales, nous ne sommes pas économistes et nous travaillons en étroite liaison avec une collègue anthropologue, qui a également abordé un certain nombre de questions importantes.

Quel est notre rôle ? Par formation, nous regardons tous les phénomènes sociaux comme des phénomènes stratifiés socialement. Les citoyens ne sont pas égaux vis-à-vis de l'information, des services de santé, des risques que l'on subit. Nous examinons systématiquement cette dimension, et c'est pour cette raison aussi que nous pouvons être attentifs à certaines catégories particulièrement vulnérables de notre population, pour des raisons médicales ou sociales.

Ensuite, nous avons alerté très tôt sur des dimensions qui dépassent les aspects médicaux. Je ne pense pas seulement à la dimension économique, mais aussi aux risques psychiques, ou à ce qui se passe malheureusement une fois que la médecine a échoué et que le décès intervient. Sur différents sujets de ce type, nous avons consulté et alerté dans nos avis.

Enfin, la question a été posée de savoir si ce relatif degré d'impréparation qu'on a tous vécu venait de loin. Oui, je crois qu'il vient de loin, et même de très loin. Notre système de santé, pour des raisons historiques, compréhensibles, débattues à différents moments de notre histoire, est un système très curatif. Le président Delfraissy, devant l'Assemblée nationale, a insisté à très juste raison selon moi sur le déficit de capacités et de moyens en matière de santé publique. Il existe certains acteurs de santé publique, qui ont d'ailleurs vu leurs moyens réduits au fil des années par différentes lois de financement de la sécurité sociale, de manière relativement régulière. Mais, surtout, un certain nombre d'acteurs n'ont jamais été créés. La santé communautaire au niveau local est balbutiante. Quand on a réfléchi aux modalités de dépistage et de traçage, on a vu qu'il n'y avait pas beaucoup d'acteurs opérationnels. Nous avons aussi appelé à une action en ce sens dans nos différents avis.

Plus généralement, de mon point de vue personnel, la santé publique n'est pas à la hauteur des vulnérabilités auxquelles nos sociétés sont désormais exposées. L'épisode que nous traversons aujourd'hui est un épisode dramatique, mais nous pourrions en connaître d'autres au moins aussi dramatiques. Je ne suis pas sûr que le système de soins suffise à y faire face, en dépit de son excellence et du dévouement des professionnels.

La question de la santé publique, en tant que domaine de recherche, de formation et de recrutement d'un certain nombre de professionnels, mais aussi en termes d'organisation, y compris à l'échelle territoriale, excède de très loin la seule question des agences sanitaires et de leur rôle de surveillance, d'animation et d'expertise scientifique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion