Intervention de Olivier Véran

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 24 septembre 2020 à 10h00
Audition de M. Olivier Véran ministre des solidarités et de la santé

Olivier Véran, ministre :

Je réponds sur l'acculturation scientifique des Français. Un sondage est sorti il y a quelques semaines ; la question était : « Pensez-vous que le traitement X soit efficace contre le coronavirus ? » On peut commencer par se demander ce qui passe par la tête d'un sondeur pour qu'il se dise que les Français ont un avis à propos d'un traitement sur lequel la communauté scientifique n'a pas tranché. Résultat : 40 % des Français considéraient que le traitement était efficace, 40 % d'entre eux considéraient qu'il ne l'était pas, et 20 % des Français ont répondu qu'ils ne savaient pas... Je ne vais pas vous faire le coup des « 60 millions d'épidémiologistes ». « La santé a remplacé le salut », disait Canguilhem : c'est devenu un dogme, un mythe, et un objet politique puissant. Les revendications d'un droit à la santé, d'une sécurité sociale et d'une sécurité sanitaire ont, très légitimement, d'ailleurs, émergé comme revendications politiques au moment où le patient se métamorphosait en usager de la santé, ce qui est très bien, depuis au moins la grande loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Cette transformation se trouve amplifiée par les réseaux sociaux et les chaînes d'information en continu : on voit se succéder, sur les plateaux de télévision ou sur Twitter, énormément de gens qui disent une chose et son contraire. Parfois, par chance, la personne qui dit une chose et celle qui dit son contraire sont bien deux personnes différentes ; parfois, quand la chance tourne, c'est la même personne, et il est rare qu'elle soit réinterrogée sur ses propos du passé. Tout cela crée beaucoup de confusion.

Cela ne veut pas dire que la science soit l'apanage des sachants et des scientifiques. Je suis médecin, comme vous, Monsieur Jomier. Je considère qu'une information doit être claire, loyale, appropriée, comprise. Il faut donc être transparent à propos des données dont nous disposons pour décider ; je l'ai été hier encore en montrant les courbes, les anticipations, les simulations, les modélisations, avec les réserves d'usage, car la science n'est pas imparable. Il faut prendre le temps d'expliquer et de réexpliquer le pourquoi des décisions.

Vous dites que nous avons parfois trop tardé à prendre certaines décisions. Notez que vous me dites en même temps - vous l'avez dit juste avant -que je décide sans prendre le temps d'organiser une consultation ou une concertation. Mais deux jours, parfois, c'est trop tard : ça peut faire la différence, lorsque la pression sanitaire monte ! Oui, il faut répondre en urgence. J'ai été neurologue dans une unité de soins intensifs neurovasculaires, où je traitais des AVC par thrombolyse. « Le temps, c'est du neurone », disait-on : on avait une heure trente pour thrombolyser un malade avant qu'il ne conserve un handicap à vie, qu'il s'agisse d'un handicap physique, moteur ou sensitif, ou d'une perte de langage. Prendre des décisions en urgence, les assumer, les expliquer, cela fait donc partie intégrante de ma formation professionnelle et de ma vocation de médecin.

Je ne dis pas que c'est simple : je dis que je dois parfois prendre des décisions rapidement. Je pourrais faire la liste des moments où j'ai eu à tenter, par tous les moyens légaux et raisonnables, d'accélérer les processus de décision. Et si vous me demandez si je suis satisfait de la façon dont tout a roulé, je vous réponds non, madame la sénatrice Deroche ! Évidemment non !

La presse s'en est d'ailleurs fait écho : j'ai souvent trouvé - je pense aux tests salivaires, ou aux tests antigéniques - que les recherches étaient trop longues. Un exemple : j'appelle les équipes médicales d'un grand CHU pour leur demander de reproduire une expérimentation sur un protocole de traitement très célèbre, en leur accordant un comité de protection des personnes et en finançant leur recherche ; on met plus de deux semaines à m'envoyer le résultat ; quand je finis par le recevoir, un jeudi soir, on me dit que le comité se réunira la semaine suivante pour statuer ; je m'y oppose, je fais en sorte qu'il se réunisse le samedi, des amendements sont déposés sur le protocole, etc. Vous finissez par prendre un mois dans la vue ! Il m'est évidemment arrivé d'enrager.

Une dernière anecdote : lorsque la France a manqué d'écouvillons - le premier producteur mondial est italien, et les frontières étaient fermées -, une femme formidable, Mme Lemoine, qui tient une entreprise familiale de cotons-tiges dans l'Orne, s'est proposée pour fabriquer des écouvillons. Elle a été très rapide pour transformer ses chaînes de production. Mais cela prend du temps ! Entre le moment où nous manquions des écouvillons nécessaires aux prélèvements et l'autorisation définitive des nouveaux écouvillons, il s'est écoulé des semaines. Il faut des processus de validation scientifique : nous faisons attention à tout ! Quand des masques arrivent de Chine, même si vous manquez de masques sur le territoire, vous ne pouvez pas les distribuer tant que la douane n'a pas vérifié qu'ils étaient conformes et efficaces ; et ça prend des jours ! Entre le moment où vous prenez une décision et le moment où elle est mise en oeuvre de façon opérationnelle, ça prend des jours.

Le système français est particulièrement normatif ; nous avons fait sauter, pendant la période, un paquet de normes qui étaient illusoires et dérisoires - j'ai signé des décrets et des arrêtés de simplification à tour de bras -, mais, que voulez-vous, certaines choses prennent du temps. Croyez-moi : je le regrette au moins autant que vous.

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