Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies

Réunion du 24 septembre 2020 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de René-Paul Savary

Mes chers collègues, notre dernière audition de ce mois de septembre est celle de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, accompagné de Mme Margaux Bonneau, conseillère parlementaire, et de M. Grégory Emery, conseiller.

Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, retenu dans son département.

Monsieur le ministre, notre commission d'enquête a la particularité de mener ses travaux sur la préparation et la gestion d'une crise sanitaire qui est toujours en cours.

Nous avons tous en tête le triptyque défini par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe : « protéger, tester, isoler. » La pénurie d'équipements de protection a été abondamment commentée. Après une très lente montée en puissance, la France réalise désormais plus de 1,2 million de tests chaque semaine, dont certains sont de fait totalement inutiles du fait d'une restitution trop tardive des résultats. Concernant l'isolement, il semble que ce levier soit très peu mobilisé dans la gestion de la crise.

Je vous donnerai brièvement la parole, pour une dizaine de minutes, afin de laisser le maximum de temps aux échanges.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Véran prête serment.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Je souhaite rendre hommage à celles et ceux qui ont fait face à cette crise en première ligne, dans nos hôpitaux et dans nos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), aux médecins de ville, sans oublier évidemment les professionnels du domicile et toutes celles et tous ceux qui ont permis à la France de résister au choc et de tenir.

Dans le contexte actuel, j'associe tout particulièrement à cet hommage l'ensemble des acteurs économiques qui ont pu ou peuvent voir leur activité professionnelle impactée par la gestion de crise. Je sais combien un certain nombre de mesures peuvent être difficiles à appréhender pour des personnes qui font des efforts depuis des semaines, voire des mois parce qu'elles font l'objet de mesures de gestion visant à protéger la population. Je veux leur redire que l'État est là pour elles ; il l'a été depuis le premier jour, et il le sera jusqu'à la fin de cette gestion de crise.

Je veux aussi rendre hommage et dire toute ma gratitude sincère à l'ensemble des agents des administrations centrales, des agences régionales de santé (ARS) et de tous les services de l'État. J'y associe aussi les pompiers, la réserve civique, la réserve sanitaire, mais également les agents des forces de l'ordre. Depuis le premier jour, policiers et gendarmes sont mobilisés pour faire respecter les règles dans des conditions difficiles. Leur engagement a été exceptionnel ; ils ont chaque jour forcé mon admiration.

J'ai été nommé ministre le 16 février dernier. Le virus circulait depuis peu, mais des personnes étaient infectées et des foyers identifiés. La menace était réelle, et en franchissant les portes de mon ministère, je n'ignorais pas le risque d'une déferlante épidémique.

Nous allons parler ensemble des choix difficiles, lourds et - je le reconnais - parfois pénibles qui ont été faits. Je viens devant vous avec humilité, parce que l'humilité est un vaccin efficace contre les prophéties hasardeuses et les jugements à l'emporte-pièce. Je ne viens pas partager une opinion ; je viens décrypter avec vous le chemin que nous avons emprunté depuis le premier jour, dans un contexte d'incertitude jamais égalée dans notre histoire contemporaine, afin d'apporter des réponses à des problèmes qui se sont présentés chaque jour devant nous.

Je n'ai jamais été dans la posture de celui qui fait des paris, ni de celui qui dit tout haut et sans filtre tout ce que la crise pourrait lui inspirer. Je me suis efforcé d'écouter les avis nombreux qui se sont exprimés. Faire le tri entre le bon grain et l'ivraie a été en quelque sorte mon sacerdoce, tandis qu'au même moment les Français attendaient légitimement des réponses fermes.

Dans une épidémie comme celle que nous traversons, le temps est un allié. Les connaissances d'aujourd'hui ne sont pas celles d'hier, et s'il peut être tentant de lire les stratégies prises hier à l'aune des connaissances d'aujourd'hui, je vous demande de bien vouloir tenir compte du caractère évolutif de ces connaissances.

De la même manière, le temps politique n'est pas le temps scientifique, et cette donnée ne doit pas échapper aux échanges que nous aurons. Nous nous attelons aujourd'hui à rechercher la vérité à la lumière des faits : je ne doute pas que cet exercice servira autant la justesse du regard que nous portons sur le passé récent que l'efficacité de l'action que nous menons aujourd'hui encore contre l'épidémie. En somme, ma mission est de gérer la crise aujourd'hui, elle sera de la gérer demain, mais devant vous, aujourd'hui, elle est aussi de la gérer hier.

Nous avons tous en tête les images de nos services de réanimation, des transferts sanitaires, d'un système de santé mis en tension comme jamais. Ces images ne sont pas de lointains souvenirs, et nous faisons aujourd'hui tout notre possible pour que de telles situations ne se reproduisent pas. L'épidémie n'est pas derrière nous, et je souhaite que nous gardions tous à l'esprit pendant cette audition que l'événement n'est pas passé, que des Français meurent toujours aujourd'hui du coronavirus. Comme je le répète tous les jours, la vigilance n'est pas une option. Faire la lumière sur les événements récents ne doit pas nous conduire à nous aveugler sur la prégnance et la persistance du risque.

Je suis les travaux de la commission d'enquête sénatoriale. J'ai lu un certain nombre de résumés d'auditions, mes journées étant hélas ! déjà bien trop remplies pour me permettre de les suivre en intégralité. Je tiens à vous remercier pour la qualité de vos interventions et de vos prises de position.

Ma situation est singulière, puisque je suis arrivé au moment où un point de non-retour avait déjà été atteint. Ce point de non-retour était celui de la circulation du virus, de la constitution de foyers épidémiques qui allaient devenir peu contrôlables et que nous n'étions pas alors en capacité de connaître. Rassurez-vous, je ne suis pas là pour me défausser sur qui que ce soit, je ne suis pas là pour vous dire que, somme toute, nous avons fait ce que nous avons pu avec les moyens du bord. Je suis là parce que nous devons toutes et tous apprendre d'une crise qui a placé la santé publique au coeur de nos préoccupations. Je suis devant vous parce que le Parlement doit être et est une force motrice dans les politiques de protection et de prévention. Je suis là parce que je suis le ministre des solidarités et de la santé. Depuis le premier jour à mon poste, j'ai toujours agi et parlé avec responsabilité et en toute transparence. Je ne choisirai évidemment pas une autre ligne aujourd'hui devant vous.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quelle situation avez-vous trouvée à votre arrivée ? Avez-vous noté des lenteurs ou des retards dans la mise en marche de l'appareil d'État ?

Pourquoi a-t-on dès le départ orienté les patients symptomatiques vers le SAMU, au détriment de la médecine de ville ? Certes, le problème des protections pour tous les professionnels de santé de ville se posait, mais cela a eu pour conséquence un engorgement des hôpitaux. Quelle place entendez-vous donner à la médecine de ville dans la suite de la gestion de la crise, notamment pour les tests ?

Sur quelles données scientifiques vous appuyez-vous ? Vous avez beaucoup cité les avis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont la gestion de la crise va également faire l'objet d'un audit. Quelle est votre position sur cette question ?

Quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter qu'il y ait de nouveau des renoncements aux soins, y compris pour des pathologies sérieuses ? Donnez-vous des préconisations aux médecins de ville, mais aussi aux hôpitaux qui ne sont pas à la pointe de la prise en charge des personnes atteintes du covid pour éviter des tâtonnements futurs ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

À mon arrivée, le pays se prépare à la possibilité d'une épidémie d'un virus inconnu en provenance de Chine, alors même que l'épidémie n'a encore atteint ni la France ni l'Europe. Plusieurs semaines avant mon arrivée, les premiers bulletins d'information à l'attention de l'ensemble des structures sanitaires et aux agences régionales de santé avaient été publiés. La ministre Agnès Buzyn avait déjà fait plusieurs interventions publiques pour parler du virus et indiquer qu'il y avait des possibilités que ce virus puisse rentrer, même s'il n'y avait pas de certitudes à l'époque.

Lors de mon premier contact avec l'épidémie, je n'étais pas ministre, mais député de Grenoble. Un monsieur anglais ainsi que ses enfants, tous issus du cluster de Contamines-Montjoie, étaient alors hospitalisés au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble. En mes qualités de député et de médecin, j'ai accompagné la ministre Agnès Buzyn à la rencontre des équipes du service de maladies infectieuses qui avaient mis en place l'isolement hospitalier des personnes malades et des cas contacts. En l'occurrence, les symptômes de ces personnes s'apparentaient à ceux d'un rhume.

J'ai pu constater la grande réactivité des équipes qui ont travaillé sur ce cluster : isolement des cas contacts, fermeture des structures qui nécessitaient d'être fermées, test des personnes contacts. Sans la vigilance des médecins de cette station de ski, la préparation de l'agence régionale de santé et des équipes hospitalières pour accueillir des patients en isolement, ce cluster aurait pu être le début d'une épidémie précoce, avant l'Italie. C'est la marque d'un pays qui avait su se préparer.

Le stade 1 du plan Orsan - organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles - a été déclenché le 14 février, le jour où le premier décès était enregistré. J'ai déclenché le stade 2 deux semaines plus tard. Il consistait à renforcer les mesures de confinement pour les foyers de propagation, notamment dans l'Oise où nous avons dû fermer des écoles et interdire des rassemblements, mais aussi au niveau national puisque nous avons interdit les manifestations de plus de 5 000 personnes en milieu fermé.

Je rends hommage à l'action qui a été conduite par ma prédécesseur, car la préparation du système de santé était réelle. Mme Buzyn a indiqué que notre pays était le mieux préparé des pays environnants. Quelques jours après ma nomination, je me suis rendu à Rome pour rencontrer le ministre de la santé, puis, deux semaines après, à Bruxelles pour discuter avec l'ensemble de mes homologues européens, dont une majorité se demandait pourquoi on réunissait en urgence les ministres du Conseil de l'Europe étant donné qu'il n'y avait pas d'épidémie en Europe. Je peux confirmer que le niveau d'alerte était bien plus élevé en France que chez beaucoup de nos voisins.

J'en viens à l'orientation des malades vers le SAMU. La doctrine initiale était d'isoler les malades potentiels afin de casser toute chaîne de contamination avant même qu'elle ne se développe. Le passage par le SAMU permettait d'isoler les personnes en milieu hospitalier, comme cela a été fait à Contamines-Montjoie ou au travers du rapatriement des expatriés de Wuhan. Adresser ces patients aux médecins de ville nous aurait fait prendre le risque qu'ils contaminent d'autres patients, et même le médecin. Par ailleurs, les outils de mesure à la disposition des médecins de ville n'étaient pas aussi pointus qu'à l'hôpital.

Pour autant, il n'a jamais été question d'écarter les médecins de ville du dispositif. Il était d'ailleurs prévu que si l'épidémie commençait à diffuser, on passerait à un diagnostic clinique des cas symptomatiques réalisé par des médecins de ville.

Lorsque nous sommes passés à un stade ultérieur de diffusion du virus, nous n'avons plus hospitalisé que les cas sévères, les autres cas étant en isolement chez eux ou en structure hôtelière lorsqu'ils n'étaient pas en capacité de s'isoler correctement chez eux. Dès lors, comme cela se pratique depuis des dizaines d'années, nous avons appliqué le diagnostic clinique syndromique grâce à des réseaux de médecins sentinelles qui font remonter les données. Tout cas symptomatique évoquant un covid a été considéré comme positif jusqu'à preuve du contraire, et donc, isolé le temps nécessaire.

La médecine de ville a un déjà rôle central, et ce rôle va devenir encore plus important quand les rhumes, les rhino-pharyngites, les angines et la grippe vont arriver dans notre pays et qu'il faudra faire la part des choses entre le covid et tout autre virus. Je travaille d'ailleurs avec les syndicats et l'ordre professionnel pour anticiper le rôle des médecins de ville, notamment en matière de diagnostic. J'ai saisi la Haute Autorité de santé (HAS) de ce sujet et je ne manquerai pas de vous communiquer sa réponse.

J'ai fait le choix de développer la télémédecine de manière inédite dans notre pays. Je crois que nous réalisions quelques dizaines de milliers d'actes de télémédecine par an dans notre pays ; nous sommes passés à un 1 million par semaine. Nous avons décidé de prendre en charge à 100 % les consultations de télémédecine, et de les simplifier par tous les moyens, y compris le recours à Skype, à WhatsApp ou aux consultations téléphoniques. Nous avons également autorisé la téléconsultation pour les infirmières et les kinésithérapeutes. Cela a permis aux médecins de participer grandement à la prise en charge des malades à la phase épidémique sans s'exposer et sans exposer les autres malades.

Cette dynamique se poursuit. J'ai fait le choix de maintenir les mesures d'exception pour qu'elle ne s'effondre pas. En avril, 11 % des consultations se sont faites en télémédecine, et jusqu'à 55 % pour les endocrinologues ou 48 % pour les pneumologues.

Vous m'avez interrogé sur les données scientifiques. Il y a eu un certain consensus entre l'OMS, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), le conseil des ministres de la santé européen, le conseil scientifique, la Direction générale de la santé (DGS), les autorités de santé centralisées et décentralisées telles que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), la Haute Autorité de santé (HAS), les agences régionales de santé, les organismes de recherche comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou l'Institut Pasteur. Tous ces acteurs ont éclairé les décisions et les doctrines, mais ils les ont aussi fait évoluer au fur et à mesure que les connaissances scientifiques s'affinaient, à l'instar de l'Académie de médecine. Cela me semble assez sain.

Par ailleurs, nous disposons d'une batterie d'indicateurs très importante ; j'en ai présenté un certain nombre hier : l'incidence, l'incidence des personnes âgées, le taux de positivité des tests, la saturation des réanimations, etc.

Je ne regrette nullement d'avoir anticipé l'activation du plan blanc généralisée à l'échelle du pays. Je me souviens que les premiers jours, certains établissements de santé publics ou privés se plaignaient qu'on les empêche d'opérer des malades alors qu'ils n'avaient pas de patients atteints du covid. La particularité d'une épidémie avec un virus aussi contagieux et aussi invasif que le coronavirus est que tout va très vite.

Si nous prenons aujourd'hui des mesures importantes à Marseille et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), c'est parce que les services de réanimation sont à plus de 30 % de taux de saturation par des patients covid. Or si les réanimations sont occupées par de la chirurgie programmée, cela peut mettre en danger des centaines, voire des milliers de vies. Nous avons sauvé des centaines et des milliers de vies en activant le plan blanc de manière anticipée et en vidant les réanimations en amont. Nous n'aurions pas pu le faire si la vague nous avait pris de court. Sur tous les territoires, l'ensemble des établissements ont augmenté le nombre de lits en réanimation pour faire face à la vague, et les services de réanimation ont tenu.

Aujourd'hui, la situation est différente, car nous avons des indicateurs plus fins et une meilleure connaissance du virus. Nous nous inspirons des modélisations, notamment de l'Institut Pasteur, qui permettent d'appréhender semaine après semaine l'évolution du nombre de patients en réanimation. Nous avons mis en place des indicateurs par territoire, voire par hôpital pour doter chacun de ses propres outils de gestion. Lorsque cela devient nécessaire, tel ou tel hôpital se voit contraint d'annuler des opérations afin de transformer des blocs opératoires en salle de réanimation. Du personnel a été formé, des expériences ont été partagées pour pouvoir faire face à cette crise épidémique.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Vous ne m'avez pas répondu sur le retour d'expérience pour les médecins de ville, mais aussi pour les hôpitaux qui ne sont pas forcément à la pointe en termes de prise en charge des patients covid. Des préconisations ont-elles été données, et si oui, par qui ? Quel est le degré d'information de l'ensemble de ces personnels soignants ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous n'avez pas répondu non plus sur la qualité des données de l'OMS.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Le DGS-urgent est un bulletin d'information extrêmement complet - on a pu nous dire qu'il l'était trop, ce qui nous a parfois conduits à le rendre plus synthétique pour nous assurer que chacun appréhendait le bon niveau d'information. Il compte 800 000 abonnés, parmi lesquels les médecins hospitaliers et libéraux. Ces bulletins ont été envoyés de manière extrêmement régulière. Par ailleurs, il y a eu et il y a toujours de nombreux échanges avec les syndicats, les sociétés savantes et les ordres professionnels.

Tous les protocoles de prise en charge des patients ont été travaillés avec les sociétés savantes et le collège de la médecine générale. Des fiches pratiques ont été diffusées après chaque concertation. Les ordres professionnels et les syndicats ont eu des échanges hebdomadaires avec les services du ministère, avec mon cabinet et avec moi, car leurs représentants disposent de ma ligne directe. J'ai, par exemple, téléphoné au président du syndicat MG France samedi ou dimanche matin pour discuter avec lui des perspectives d'évolution de la place des généralistes dans le diagnostic, sachant qu'aujourd'hui, seulement 15 % du contact tracing est fait par les médecins généralistes. Nous avons évoqué ensemble l'idée de faire passer un nouveau message. J'ai donc rappelé hier à l'ensemble des Français qui sont testés positifs qu'ils doivent consulter leur médecin, par exemple en vidéo ou par téléphone, afin qu'il puisse les orienter, préparer leur mise à l'abri et assurer la surveillance.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Un médecin généraliste nous indiquait ce matin qu'il ne peut pas rentrer directement les cas contacts, car c'est la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) qui a la main.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Les médecins ont totalement accès à AmeliPro.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Oui, mais ils peuvent ne pas rentrer directement les cas contacts.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quand le test est positif et que le laboratoire rentre cette information dans l'application CPAM, le médecin généraliste ne peut plus rentrer de cas contacts.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Les médecins libéraux et les médecins hospitaliers sont chargés de ce qu'on appelle le tracing de niveau 1. Au début de l'été, ils assuraient 65 % du contact tracing, puis cette proportion a chuté pendant l'été. Les médecins ont donc accès à « Contact Covid » et peuvent y rentrer des données. En revanche, il est plus compliqué de modifier des données dans un dispositif qui a entériné le traçage des cas contacts, car c'est alors l'assurance maladie, qui assure le niveau 2 du contact tracing, qui prend le relais. L'agence régionale de santé assure le niveau 3, c'est-à-dire la gestion des clusters et les cas complexes. Je demanderai toutefois à mon cabinet de vérifier ce point.

J'en viens aux données de l'OMS. Une mission d'évaluation est en cours. Je me suis rendu au siège de l'OMS avec mon homologue allemand, Jens Spahn, pour rencontrer le docteur Tedros et apporter notre soutien à son organisation, car nous avons besoin d'une organisation comme l'OMS. Un retour d'expérience sur la façon dont les données ont été gérées et les recommandations apportées est toutefois nécessaire, et toute la lumière sera faite sur cette question, mais ce n'est pas le moment de jeter un discrédit sans fondement sur cette institution.

L'OMS a apporté une expertise, et elle avait un regard international plus aigu que le nôtre, notamment sur la situation chinoise les premières semaines. Elle nous a été utile. Il est vrai qu'elle a fait évoluer ses recommandations, mais la recherche avait progressé. Concernant les masques, par exemple, il aurait été tout à fait aussi possible que la recherche montre qu'il n'y avait pas de passage aérosol du coronavirus, et donc, que le port du masque ne s'imposait pas. Nous nous sommes inspirés, entre autres, de ses recommandations. Nous ne les avons pas toujours suivies, car nous avons anticipé un certain nombre de décisions, comme sur la question du port du masque.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Vous avez dit que nous étions là pour discuter les choix qui ont été faits. Je pense que nous sommes aussi là pour discuter des choix que vous pourriez faire vu l'expérience dont vous disposez aujourd'hui.

Quel regard portez-vous sur l'efficience - ou l'inefficience - de Santé publique France quant à la gestion des stocks stratégiques ?

Quelles garanties pouvez-vous nous donner aujourd'hui sur le niveau des stocks stratégiques de médicaments et d'équipements de protection individuelle ? Que pensez-vous des vaccins partiels qui devraient être disponibles au premier trimestre 2021 ? Comment vous assurez-vous que les Français pourront en disposer autant que de besoin ?

Portez-vous une attention particulière, depuis la reprise de l'épidémie, aux synergies entre le public et le privé ? Lors de nos auditions, on nous a rapporté que certaines cliniques étaient vides alors que des hôpitaux publics étaient saturés. Quels moyens avez-vous pris pour remédier à cela ?

Fort de votre expérience dans cette gestion de crise, envisagez-vous de reconsidérer le rôle et les moyens des hôpitaux de proximité ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

L'agence Santé publique France a été au rendez-vous de l'épidémiologie et de la distribution. Elle a été percutée par sa première crise sanitaire d'envergure, affectant le territoire français dans son ensemble. Je ne rappellerai pas l'intégration de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) dans le dispositif rénové de Santé publique France : vous l'aviez votée. Il faudra peut-être s'interroger à nouveau sur cette organisation dans l'avenir.

Les scientifiques de Santé publique France, nombreux, produisent beaucoup de données, précieuses au quotidien. En plus de sa mission logistique de stockage, l'agence s'est retrouvée à organiser dans l'urgence une mission de distribution de masques, à partir de l'entrepôt unique de Marolles jusqu'à chaque officine ou hôpital de France. Peut-être faudra-t-il s'interroger sur nos procédures de stockage des matériaux de protection : faut-il préférer un seul stock centralisé ou bien imaginer d'autres solutions ? Votre commission d'enquête pourra nous éclairer.

Nous avons reconstitué les stocks stratégiques, notamment ceux de médicaments à usage anesthésique et de réanimation, de manière à pouvoir traiter jusqu'à 29 000 malades. Nous en avions traité 17 000 lors de la première vague. Ces stocks sont cruciaux. Nous l'avions dit avec Édouard Philippe. Il a fallu déployer des trésors d'ingéniosité pour faire basculer de petits stocks dormants en clinique vers d'autres hôpitaux qui risquaient d'en manquer. Grâce à cela, aucun malade n'a été extubé, mais ce n'est pas passé loin. D'où notre décision de réorganiser des stocks beaucoup plus importants que ceux dont nous disposions, dans un contexte où la demande mondiale explosait, avec des consommations parfois multipliées par mille. Même certains pays producteurs ont manqué de ces médicaments. La situation était tendue.

Nous voulons disposer d'un stock stratégique d'État de 1 milliard de masques, dont 800 millions de masques chirurgicaux et 200 millions de masques FFP2. Ce stock sera complètement reconstitué d'ici à deux semaines. Il nous manque peut-être 100 millions de masques chirurgicaux et nous avons 60 millions de masques FFP2 de plus que ce que prévoient nos objectifs. Nous disposons aussi de millions de masques chirurgicaux pédiatriques et nous avons de quoi équiper jusqu'à 14 000 lits de réanimation.

Nous ne pourrons proposer un vaccin que lorsque des études cliniques correctement réalisées en population générale auront démontré qu'il est efficace et sûr. Nous avons créé un consortium avec les Pays-Bas, l'Italie et l'Allemagne. Nous avons prospecté auprès d'AstraZeneca, un laboratoire anglais, l'un des tout premiers à avoir pu envisager une phase d'expérimentation en population générale. Nous avons passé avec lui un contrat d'intention de commandes de 300 millions de doses, à un prix raisonnable, afin d'en disposer pour tout le territoire européen. À la demande du Président de la République, la France a systématiquement demandé des doses supplémentaires pour pouvoir aider les pays en difficulté d'approvisionnement.

La Commission européenne à qui nous avons confié ce pré-contrat a organisé des comités d'experts chargés de prospecter auprès des laboratoires en phase avancée de développement de vaccin, afin que nous puissions nous procurer un vaccin sûr et efficace dans les meilleurs délais. Il est trop tôt pour se prononcer sur les recommandations d'usage de ce vaccin anti-covid. Il y aura saisine de la Haute Autorité de santé en urgence quand nous disposerons des données d'études cliniques.

Concernant les hôpitaux privés, j'ai évidemment appelé les directeurs d'établissement dont on me disait qu'ils n'étaient pas mobilisés. Comme ministre de la santé, je n'ai pas ménagé ma peine, jour et nuit, pour chercher des lits de réanimation disponibles, organiser des transferts sanitaires, appeler des ministres à l'étranger afin de les sonder sur leurs capacités d'accueil, monter des TGV en moins de 48 heures - une première dans notre pays ! - pour transporter des malades jusqu'aux hôpitaux où ils pourraient être accueillis... Il faudrait avoir été complètement abruti, pardonnez l'expression, pour avoir négligé des places d'accueil qui auraient été disponibles dans la rue d'à côté : vous en conviendrez.

Je ne pense pas être complètement abruti, non plus que les ARS, ni les directeurs d'établissements hospitaliers. Si certains établissements privés ont tardé à se mobiliser, les ARS les ont systématiquement rappelés à l'ordre. On a constaté des difficultés particulières dans une région dont vous avez auditionné le directeur général. Je suis intervenu en passant quelques appels incitant à la mobilisation. La situation est très vite rentrée dans l'ordre. Au moment où circulait l'information selon laquelle les cliniques privées n'étaient pas mobilisées, M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) publiait des communiqués pour indiquer que c'était factuellement faux. Encore une fois, tout lit utile pour les malades, en réanimation ou pas, en hôpital de proximité ou en CHU, en clinique privée ou à l'hôpital public, tout lit utile doit être utilisé.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Oui. Nous n'avons pas manqué d'utiliser l'ensemble des parcs hospitaliers. Les directeurs généraux des ARS et les délégués départementaux n'ont pas ménagé leurs efforts sur le terrain pour s'assurer que tous les lits de réanimation étaient utilisés.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Monsieur le ministre, vous parlez d'une région que je connais bien, et je puis vous dire qu'il y a eu des difficultés au départ. Elles ont été largement remontées et commentées. Il faut reconnaître cette réalité, même si elle n'a pas été la même partout. Ce n'est pas une critique, mais nous souhaitons que ces difficultés ne puissent pas se reproduire. Y a-t-il eu des mesures pour fluidifier davantage les relations entre public et privé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

J'avais moi aussi appelé Lamine Gharbi et nous l'avons auditionné. Dans certaines régions, il y a eu une latence dans la mobilisation des cliniques privées. Peut-être faudrait-il opérer un travelling arrière à partir de données factuelles pour déterminer ce qu'a été la réalité ? Nous gagnerions à croiser les données de la FHP et les vôtres.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

J'ai mis de la pression sur le directeur général de l'ARS de la région concernée par ces difficultés particulières. J'ai également indiqué très clairement que nous utiliserions les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) pour repérer tout patient qui aurait été opéré en chirurgie programmée, puis envoyé dans un service de réanimation ou de soins intensifs d'une clinique du territoire, alors même que les plans blancs étaient activés. Ces patients ne pourront pas bénéficier du remboursement des soins par l'Assurance maladie et je m'occuperai personnellement d'établir un dispositif de sanction. Comment être plus clair sur le sujet ?

En revanche, j'ai pu être interpellé par une clinique bénéficiant du suivi de réanimation, mais qui ne pouvait pas accueillir de patients Covid, car tous ses lits étaient réservés aux non-Covid, c'est-à-dire aux patients qui auraient fait un AVC très grave, un infarctus, ou qui auraient été opérés en urgence d'un cancer. Il y avait des lits réservés dans le secteur public comme dans le secteur privé.

Une autre clinique dont les lits n'étaient pas tous pleins avait dû céder ses médicaments de réanimation, ne pouvant donc plus recevoir de patients. Son équipe était cependant venue renforcer celle d'un autre hôpital.

Je ne voudrais pas laisser croire que certains professionnels de santé auraient attendu le chaland en voyant que tout s'effondrait autour d'eux. Je ne le crois pas une seconde, car ces professionnels ont leur vocation chevillée au corps. Je ne voudrais pas non plus que l'on puisse croire que des directeurs de structures territoriales se soient désintéressés de la mobilisation du parc hospitalier. Nous avons vécu la crise ensemble et nous étions tous parfaitement mobilisés.

Les données de PMSI montreront si tel ou tel établissement s'est montré déloyal, ce dont je doute.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Monsieur le ministre, il ne s'agit pas de cela. Il s'agit d'établissements qui avaient des lits vides, qui étaient prêts à accueillir des malades atteints de la covid, et qui ne les ont jamais vus venir.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Donnez-moi une liste de ces établissements.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il ne s'agit pas de remise en cause, mais de fonctionnement de l'articulation entre privé et public. Il y a eu des difficultés. Notre commission d'enquête n'a pas pour but de les dénoncer, mais de faire en sorte qu'elles ne se reproduisent plus. D'où la question précise de la rapporteure : avez-vous pris des mesures pour garantir la fluidité entre les deux secteurs ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Dans les premières semaines, il fallait un équipement en assistance circulatoire extracorporelle (Ecmo) pour faire de la réanimation. Certains établissements privés n'en disposaient pas. Il a fallu leur en fournir avant de pouvoir utiliser leurs lits. Des raisons médicales, d'équipement et d'organisation peuvent expliquer certaines difficultés.

Je peux tout entendre et tout dysfonctionnement doit être corrigé dans cette période difficile. Cependant, il faut être précis. J'ai besoin du nom des établissements, des dates et des équipes concernées par les difficultés sur lesquelles vous m'interpellez.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Le problème a été vite corrigé, Monsieur le ministre. Encore une fois, nous ne cherchons pas à vous mettre en cause. Mais il y a eu besoin de facteurs de correction. Pouvez-vous nous assurer que ce type de problème ne se reproduira pas ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

S'il y a eu des problèmes, il n'y en aura plus.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous ne pouvons pas faire fi des témoignages que nous avons entendus pendant des heures d'audition. Nous devons en prendre acte. On peut dire que tout s'est bien passé, mais le nombre de morts en France est important par rapport à d'autres pays. Rien n'interdit de vouloir améliorer les choses.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Aidez-moi en me donnant des éléments factuels.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

La loi Ma Santé 2022 a porté une ambition politique forte pour les hôpitaux de proximité dont la modernisation avait commencé sous Mme Touraine, grâce au statut et au financement pérenne qui leur avaient été attribués. Le Ségur de la santé va plus loin, qui veut restaurer des hôpitaux dignes de ce nom dans l'ensemble du territoire, grâce à un plan d'investissement de 6 milliards d'euros et à la reprise de leur dette.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous nous avez donné des faits sur les activités de stockage, de logistique et de distribution de Santé publique France. Quel regard portez-vous sur l'intégration de l'Éprus ? Y a-t-il des modifications à apporter pour améliorer la réactivité de l'agence en période de crise ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

L'organisation de Santé publique France doit donner lieu à réflexion. Les cellules d'intervention en région (CIRE) sont en lien avec les ARS, mais pas sous leur tutelle. Il faut réintégrer la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la question logistique dans un appareil qui dispose de tous les outils pour être performant. La question mérite d'être posée dans les territoires, notamment sur les stocks de matériel de protection.

Santé publique France produit des données précieuses. Cela a parfois donné lieu à une certaine confusion, par exemple sur le nombre de tests qui a été fortement sous-évalué, semaine après semaine. Ce nombre était estimé sur la base d'échantillons de laboratoires publics et privés. On me faisait reproche à l'époque de ne pas suffisamment tester la population. J'ai donc suggéré des améliorations au président de Santé publique France, qui m'a répondu que la démarche était simplement statistique et ne visait pas à colliger des données exhaustives.

Je continue d'échanger avec l'agence. Santé publique France ne peut pas à la fois rendre compte de la situation et proposer une modélisation d'études épidémiologiques par anticipation. Il suffit de regarder les courbes d'incidence : les retards d'inscription des données dans SI-DEP - système d'information de dépistage - donnent faussement l'impression que la situation s'améliore. Santé publique France alerte sur ce point, en rappelant qu'il faut quelques jours de recul avant de pouvoir analyser ces données non consolidées.

On peut toujours évoluer en matière de gestion de crise, et nous le ferons. Mais nous avons aussi besoin de stabilité pour traverser la crise. L'heure de proposer des réorganisations et de la modernisation viendra, mais plus tard.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Votre stratégie consiste à maintenir la circulation du virus à un niveau tel que les activités de soins usuelles puissent se poursuivre. Cela passe par l'augmentation des moyens hospitaliers et vous avez cité une progression jusqu'à 14 000 lits de réanimation.

Votre stratégie sur les masques, les gestes barrières et la distanciation physique se montre relativement efficace : la reprise de l'augmentation du virus n'a pas la même cinétique qu'au printemps.

En revanche, la stratégie scientifique qui consiste à tester, tracer, isoler est dysfonctionnelle. Le constat est partagé et documenté. Les délais pour les tests dépassent celui de la contagiosité, ce qui empêche la rupture des chaînes de transmission. La Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) observe, grâce aux traçages, que 80 % des personnes infectées n'ont pas été identifiées comme cas contacts. Quant à l'isolement, aucune solution n'est proposée pour les personnes en habitat collectif et communautaire.

Ce dysfonctionnement est pour une large part responsable de la reprise de la circulation du virus. Comment en est-on arrivé là alors qu'il n'y a plus de problème de tests en termes quantitatifs ? La période estivale aurait pourtant dû permettre d'affiner la mise en oeuvre de votre stratégie.

Sibeth Ndiaye nous a rappelé combien la société attendait de la transparence et de l'horizontalité. Hier, vous avez annoncé des décisions sans aucune concertation avec les acteurs des territoires concernés, qu'il s'agisse des élus locaux, des acteurs de santé, de ceux du secteur médico-social. Pourquoi ne pas les avoir consultés en amont ? Comment mettez-vous en oeuvre les concepts de transparence et d'horizontalité dans le processus d'élaboration de vos décisions ?

Au cours des auditions, beaucoup ont mis en avant le rôle du couple préfet-maire. Désormais, on a l'impression que le préfet donne des ordres aux maires, le ministre siégeant à l'échelon supérieur. Si les réponses autoritaires étaient les plus efficaces du monde, nous pourrions entendre ce discours, même en démocratie. En l'occurrence, cela risque d'avoir des conséquences sur l'efficacité des décisions adoptées.

Au mois de juillet, les acteurs de première ligne que nous avons auditionnés ont manifesté de la colère et du ressentiment à l'encontre des autorités publiques. Il s'agit d'acteurs parfaitement insérés dans notre société, pharmaciens, médecins, infirmières, aides à domicile, professionnels du grand âge. Ils nous ont tous dit qu'on ne les avait pas respectés, les autorités refusant de prononcer le mot de « pénurie » quand ils manquaient de matériel. Cela a largement contribué à rompre le lien de confiance entre la population et les pouvoirs publics, rupture extrêmement préjudiciable à la lutte contre l'épidémie dans notre pays.

Dans quelle mesure cette rupture du lien de confiance vous préoccupe-t-elle ? À quelles valeurs vous référerez-vous pour que les autorités de santé, les institutions politiques et la population fassent bloc contre l'épidémie ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Nous sommes en mesure d'augmenter les moyens hospitaliers à 14 000 lits si nécessaire, au prix d'efforts considérables. Nous avons les respirateurs et les médicaments qu'il faut. Les soignants, même fatigués, restent mobilisés.

La stratégie est d'essayer d'écraser le virus, de l'enrayer, de le traquer plutôt que ce soit lui qui nous traque. Il s'agit de l'affaiblir et de le maintenir au niveau le plus bas possible. Nous avons réussi à le faire grâce à des mesures extrêmement fortes en sortie du confinement.

Les mesures de gestion - restrictions de circulation et des grands rassemblements, fermeture des bars et des restaurants -, très douloureuses, sont fondées sur le strict niveau de pression sanitaire. Quand on a 30 % de patients Covid en réanimation, c'est une alerte sérieuse qui fait basculer un territoire ; quand il y en a 60 % l'alerte, d'autant plus sérieuse, peut donner lieu à d'autres types de mesures. La pression sanitaire reflète l'évolution de l'incidence de la crise, en particulier chez les personnes âgées. C'est l'indicateur que nous suivons pour pouvoir opérer.

Dire que la stratégie « tester, tracer, protéger » est dysfonctionnelle traduit la difficulté que nous avons pu avoir pour assurer l'accès de la population aux tests. Nous avons augmenté notre capacité à 1,3 million de tests par semaine, grâce à la mobilisation extraordinaire des laboratoires publics et privés qui continuent d'acheter des machines pour la PCR afin de tester encore davantage.

Cet été, je recommandais aux gens d'aller se faire tester. Nous pouvions faire 700 000 tests et nous n'en faisions que 400 000. Le virus circulait peu. J'avais annoncé à la fin du mois d'août que les semaines de rentrée donneraient sans doute lieu à une certaine tension sur l'accès aux tests, car les gens rentraient de vacances et que la pression sanitaire commençait à monter.

Les données du SI-DEP - système d'information de dépistage - montrent que, sur 80 % de gens testés, 28 % sont symptomatiques, soit un tiers. Quelque 35 000 à 40 000 cas contacts se font tester chaque jour. Si l'on ajoute une dizaine de milliers de soignants et les aides à domicile, le nombre de cas contacts est déjà conséquent. Plus la pression sanitaire augmente, plus le public prioritaire s'accroît.

La priorisation demandée au début du mois d'août a fonctionné jusqu'à ce qu'elle ne fonctionne plus. C'est allé très vite. J'ai présenté des dispositions efficaces pour que toute personne dont l'état de santé le justifie puisse bénéficier d'un test sans délai. Grâce aux 20 barnums d'Île-de-France, nous pouvons effectuer 500 tests par jour, entre 8 heures et 14 heures pour le public prioritaire, avec un rendu de 48 heures.

Je n'ai rien à cacher. À l'échelle nationale, les deux tiers des résultats de tests sont rendus dans les 48 heures. Quand ce n'est pas le cas, notamment dans les métropoles et en Île-de-France, nous faisons tout pour améliorer la situation.

Cette difficulté sur les tests suffit-elle à expliquer la reprise de l'épidémie ? Je ne le crois pas. Voyez le Japon, fort d'une expérience et d'une stratégie systématique en matière de pandémie, avec une culture du masque bien ancrée et un dispositif de protection quasiment infaillible : il a pourtant été percuté. Même chose pour Israël, totalement confiné. Souvent citée en exemple, l'Allemagne a pourtant été le premier pays européen à reconfiner des régions entières alors même que le virus circulait peu.

Le virus alterne entre des zones d'activité aiguës et des périodes d'accalmie. J'ai passé le mois d'août à alerter sur la reprise de l'épidémie chez les populations jeunes, notamment à Marseille. Je mettais en garde, car l'exemple international, en Floride par exemple, a montré que quand les jeunes étaient touchés, le virus finissait par passer chez les moins jeunes. Certains experts préconisaient sur les plateaux de télévision que les jeunes se contaminent les uns les autres. Vous en avez reçu certains, ici, qui considéraient que le virus avait muté, devenant moins dangereux, et qu'il n'y aurait pas de deuxième vague. Je n'ai jamais tenu ce discours et j'ai au contraire mis en garde contre une telle idée, incitant à mettre en oeuvre des mesures de gestion efficaces contre une reprise de l'épidémie.

Il est fondamental d'avoir la confiance des élus et de travailler avec eux. Je remercie les maires, celui de Montpellier, Michaël Delafosse, celui de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, la maire de Lille particulièrement, Martine Aubry, le maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, la maire de Paris, Anne Hidalgo, celle de Rennes, Nathalie Appéré. J'ai parlé au téléphone à l'ensemble de ces maires, hier après-midi, entre les prises de décision en conseil de défense et les annonces de ces décisions.

Plusieurs sénateurs. - Ce n'est pas de la concertation !

L'ensemble de ces maires, notamment celui de Grenoble, Éric Piolle, et d'autres encore, se sont montrés réceptifs. Je leur ai annoncé qu'il y aurait une concertation avec les préfets pendant 48 heures, selon le protocole habituel, pour adapter les mesures en fonction de la situation épidémique dans chaque territoire. Tout cela s'est passé sans difficulté.

Quant à Marseille, hier, en fin d'après-midi, j'ai parlé au premier adjoint au maire et au président de la région. J'ai appelé la maire de Marseille...

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Madame la sénatrice, je suis sous serment. J'ai parlé à la maire de Marseille plusieurs fois au téléphone, cet été. Je lui ai expliqué, au mois d'août, que les indicateurs à Marseille devenaient mauvais, que les contaminations touchaient les jeunes, que des soirées sur des rooftops rassemblaient plus de 1 000 personnes sans masque, ce qui aggravait le danger pour l'évolution de la situation. Un conseil de défense consacré à Marseille a proposé un couvre-feu, en concertation avec les autorités concernées, pour que les bars et restaurants ferment à 11 heures du soir. Il s'agissait de freiner la diffusion de l'épidémie et de montrer à la population combien la situation devenait périlleuse.

Je me suis rendu à Marseille le 27 août et j'ai passé plus de deux heures en préfecture à discuter avec les parlementaires, les élus de la ville, de la métropole, du département et de la région, ainsi qu'avec plusieurs maires de villes adjacentes. J'ai également rencontré la maire de Marseille en préfecture de Marseille pendant plus d'une demi-heure. Je leur ai dit que si nous ne prenions pas rapidement des mesures de gestion pour enrayer l'épidémie, nous aurions certainement à en prendre de plus fortes, plus tard.

Les élus marseillais avec qui j'ai discuté considéraient que consulter n'était pas concerter. Sans doute. Mais concerter ne veut pas forcément dire tomber d'accord. Le principe de responsabilité doit primer à un moment donné. Quand il s'agit de protéger la vie des gens, il faut être capable de prendre des mesures, même difficiles.

Une personne sur trois en réanimation a plus de 65 ans. Ces personnes demandent à être protégées. Enrayer la circulation du virus, protéger les hôpitaux et les services de réanimation, protéger et soulager les soignants, vu la vague épidémique à laquelle nous avons dû faire face, c'est agir en responsabilité. Je l'assume et continuerai à le faire chaque fois que cela sera nécessaire.

Monsieur Jomier, vous avez déclaré dans la presse que le ministre de la santé était sans arrêt en train de « courir après le virus ». Pour changer cela, il faut accepter l'idée que nous soyons obligés d'acter un certain nombre de décisions rapidement compte tenu de la situation sanitaire. Évitons de nous lester du boulet que seraient les jours de délai entre l'observation et l'action. J'ai entendu les critiques sur les mesures de gestion prises trop tardivement au printemps, le confinement trop long, le déconfinement intervenu trop tôt, puis trop tard...

Monsieur le rapporteur, vous parlez de confiance. Mon cap est celui de la constance, celle d'assumer mes décisions, de les prendre sur la base des recommandations des scientifiques, en conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), sous la responsabilité du Premier ministre et du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Vous avez remarqué tout de même, Monsieur le ministre, que nous avons très peu parlé, dans le cadre de cette commission d'enquête, des mois de mars et d'avril. Nous avons en effet constaté que les pouvoirs publics avaient globalement pris, dans le feu de l'épidémie, les mesures qui, probablement, s'imposaient - je laisse de côté la question de la distance des responsables politiques avec les acteurs de terrain, que j'ai déjà soulevée, en disant seulement que votre réponse ne permettra sans doute pas de faire beaucoup progresser les choses, ce dont je suis navré.

Nous avons entendu hier deux anciennes ministres. L'une a dit que le problème était l' « acculturation scientifique » des Français, sans envisager à aucun moment le défaut de culture de santé publique des responsables politiques et de l'appareil d'État - cette question n'est pourtant pas inintéressante. L'autre a fait un plaidoyer que j'ai trouvé assez convaincant à propos de l'intuition qu'elle a eue au mois de janvier ; ses propos pour nous expliquer pourquoi le relais ne s'était pas fait vers des décisions rapides, en revanche, ne m'ont pas du tout convaincu. Elle nous a rappelé que nous débattions de la loi Bioéthique pendant qu'elle se préoccupait de l'épidémie ; or elle avait tout loisir, alors, pour en parler avec le président de la commission des affaires sociales, qui était assis à deux mètres d'elle, et avec les parlementaires, ce qu'elle n'a jamais fait.

Vous citez des tas de personnes extérieures qui ont tenu à votre endroit des propos inopportuns ; dont acte. Ne vous en faites pas, nous y avons eu droit nous aussi. Et ce n'est pas parce que nous écoutons que nous opinons. La question est, bien plutôt, de comprendre : une ministre a une intuition juste ; elle comprend qu'il se passe quelque chose. Pourquoi ce retard dans l'exécution des décisions prises par rapport à d'autres pays ? Il ne s'agit pas de comparer point par point. Vous disiez que le Japon a eu beau bien tester, tracer, isoler, l'épidémie ne s'est pas arrêtée ; mais le Japon n'a pas fermé les restaurants. Comparaison ne vaut pas raison.

C'est sur la façon dont l'État puis notre société ont réagi que je souhaitais vous interroger. Vous nous expliquez que vous êtes engagé de longue date dans la santé publique, que vous prenez beaucoup de décisions, que vous avez compris, au mois d'août, que quelque chose ne fonctionnait pas. Pourquoi cette stratégie « tester, tracer, isoler », dont vous reconnaissez qu'elle a été longtemps dysfonctionnelle, l'est-elle encore en partie aujourd'hui ? Nous voulons comprendre les mécanismes qui ont présidé à de tels dysfonctionnements ; c'est cela qui nous intéresse, et non pas de mettre en cause telle ou telle personne.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Je comprends parfaitement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Vous pouvez donc garder un ton mesuré et posé, sans vous emporter, et vous verrez que nous avancerons sur ces questions.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous ne doutons pas de votre sens des responsabilités, Monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Parmi tous les membres du gouvernement que nous avons reçus, l'autocritique a été plutôt rare. Y a-t-il des sujets, malgré tout, sur lesquels vous admettez, pour une raison x ou y, un temps de latence ? Si oui, pourquoi ? Et comment souhaitez-vous corriger ces dysfonctionnements ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Je réponds sur l'acculturation scientifique des Français. Un sondage est sorti il y a quelques semaines ; la question était : « Pensez-vous que le traitement X soit efficace contre le coronavirus ? » On peut commencer par se demander ce qui passe par la tête d'un sondeur pour qu'il se dise que les Français ont un avis à propos d'un traitement sur lequel la communauté scientifique n'a pas tranché. Résultat : 40 % des Français considéraient que le traitement était efficace, 40 % d'entre eux considéraient qu'il ne l'était pas, et 20 % des Français ont répondu qu'ils ne savaient pas... Je ne vais pas vous faire le coup des « 60 millions d'épidémiologistes ». « La santé a remplacé le salut », disait Canguilhem : c'est devenu un dogme, un mythe, et un objet politique puissant. Les revendications d'un droit à la santé, d'une sécurité sociale et d'une sécurité sanitaire ont, très légitimement, d'ailleurs, émergé comme revendications politiques au moment où le patient se métamorphosait en usager de la santé, ce qui est très bien, depuis au moins la grande loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Cette transformation se trouve amplifiée par les réseaux sociaux et les chaînes d'information en continu : on voit se succéder, sur les plateaux de télévision ou sur Twitter, énormément de gens qui disent une chose et son contraire. Parfois, par chance, la personne qui dit une chose et celle qui dit son contraire sont bien deux personnes différentes ; parfois, quand la chance tourne, c'est la même personne, et il est rare qu'elle soit réinterrogée sur ses propos du passé. Tout cela crée beaucoup de confusion.

Cela ne veut pas dire que la science soit l'apanage des sachants et des scientifiques. Je suis médecin, comme vous, Monsieur Jomier. Je considère qu'une information doit être claire, loyale, appropriée, comprise. Il faut donc être transparent à propos des données dont nous disposons pour décider ; je l'ai été hier encore en montrant les courbes, les anticipations, les simulations, les modélisations, avec les réserves d'usage, car la science n'est pas imparable. Il faut prendre le temps d'expliquer et de réexpliquer le pourquoi des décisions.

Vous dites que nous avons parfois trop tardé à prendre certaines décisions. Notez que vous me dites en même temps - vous l'avez dit juste avant -que je décide sans prendre le temps d'organiser une consultation ou une concertation. Mais deux jours, parfois, c'est trop tard : ça peut faire la différence, lorsque la pression sanitaire monte ! Oui, il faut répondre en urgence. J'ai été neurologue dans une unité de soins intensifs neurovasculaires, où je traitais des AVC par thrombolyse. « Le temps, c'est du neurone », disait-on : on avait une heure trente pour thrombolyser un malade avant qu'il ne conserve un handicap à vie, qu'il s'agisse d'un handicap physique, moteur ou sensitif, ou d'une perte de langage. Prendre des décisions en urgence, les assumer, les expliquer, cela fait donc partie intégrante de ma formation professionnelle et de ma vocation de médecin.

Je ne dis pas que c'est simple : je dis que je dois parfois prendre des décisions rapidement. Je pourrais faire la liste des moments où j'ai eu à tenter, par tous les moyens légaux et raisonnables, d'accélérer les processus de décision. Et si vous me demandez si je suis satisfait de la façon dont tout a roulé, je vous réponds non, madame la sénatrice Deroche ! Évidemment non !

La presse s'en est d'ailleurs fait écho : j'ai souvent trouvé - je pense aux tests salivaires, ou aux tests antigéniques - que les recherches étaient trop longues. Un exemple : j'appelle les équipes médicales d'un grand CHU pour leur demander de reproduire une expérimentation sur un protocole de traitement très célèbre, en leur accordant un comité de protection des personnes et en finançant leur recherche ; on met plus de deux semaines à m'envoyer le résultat ; quand je finis par le recevoir, un jeudi soir, on me dit que le comité se réunira la semaine suivante pour statuer ; je m'y oppose, je fais en sorte qu'il se réunisse le samedi, des amendements sont déposés sur le protocole, etc. Vous finissez par prendre un mois dans la vue ! Il m'est évidemment arrivé d'enrager.

Une dernière anecdote : lorsque la France a manqué d'écouvillons - le premier producteur mondial est italien, et les frontières étaient fermées -, une femme formidable, Mme Lemoine, qui tient une entreprise familiale de cotons-tiges dans l'Orne, s'est proposée pour fabriquer des écouvillons. Elle a été très rapide pour transformer ses chaînes de production. Mais cela prend du temps ! Entre le moment où nous manquions des écouvillons nécessaires aux prélèvements et l'autorisation définitive des nouveaux écouvillons, il s'est écoulé des semaines. Il faut des processus de validation scientifique : nous faisons attention à tout ! Quand des masques arrivent de Chine, même si vous manquez de masques sur le territoire, vous ne pouvez pas les distribuer tant que la douane n'a pas vérifié qu'ils étaient conformes et efficaces ; et ça prend des jours ! Entre le moment où vous prenez une décision et le moment où elle est mise en oeuvre de façon opérationnelle, ça prend des jours.

Le système français est particulièrement normatif ; nous avons fait sauter, pendant la période, un paquet de normes qui étaient illusoires et dérisoires - j'ai signé des décrets et des arrêtés de simplification à tour de bras -, mais, que voulez-vous, certaines choses prennent du temps. Croyez-moi : je le regrette au moins autant que vous.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

C'est au législateur qu'il incombe d'arrêter d'hypernormer !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

La question n'est pas d'opposer des gouvernants qui seraient responsables de tout et un Parlement qui voudrait absolument mettre en cause leur responsabilité. Nous en sommes déjà à 40 000 morts ; les gouvernements précédents et le Parlement doivent assumer eux aussi la responsabilité de la réduction des moyens des hôpitaux et de la santé, et en tirer les conséquences pour la suite. Personne ne remet en cause votre implication, Monsieur le ministre.

L'opinion publique a peur parce que l'épidémie reprend, parce qu'il n'y a pas de traitement. Il faut à la fois la protéger, la responsabiliser et la rassurer ; pour le moment, le compte n'y est pas, même si vous faites des efforts.

Le débat médiatique est ce qu'il est ; tout le monde est devenu un expert et, comme les experts ne sont pas d'accord entre eux, la situation devient totalement anxiogène pour les Français. On ne sait plus où on en est, et la parole publique perd sa crédibilité. Je l'ai dit à Gérald Darmanin : il faudrait, pour traverser cette crise, une unité de la parole publique. Les ministres, aussi sympathiques soient-ils, ne peuvent pas tous venir sur les plateaux de télévision raconter leur vision de la crise sanitaire. Le ministre de la santé devrait être, comme c'est le cas dans d'autres pays, le seul chargé de s'exprimer et de faire des annonces en la matière. La dispersion de la parole publique et de la parole scientifique rend le climat extrêmement anxiogène.

Vous avez parlé de transparence. Vous avez dit avant-hier que, avec 950 personnes en réanimation, nous étions à 19 % de nos capacités actuelles. J'ai eu une discussion un peu vive avec les gens de l'ARS d'Île-de-France sur ce point. Je résume : il y avait 5 500 lits de réanimation au début de la crise ; une montée en puissance progressive a permis d'atteindre, nous dit-on, les 10 000 lits au mois de juillet, dont 2 300 environ en Île-de-France. Comment 19 % de 10 000 peuvent-ils faire 950 ? Dites-nous où on en est pour de bon ! Il faut que nous comprenions. Vous avez évoqué la possibilité de passer à 14 000 lits s'il était nécessaire d'accroître la mobilisation. Où en est-on réellement aujourd'hui ? Disposons-nous de capacités supplémentaires complètes - je ne parle pas de respirateurs d'appoint ? Si oui, la dramatisation n'a aucun sens là où il faudrait plutôt rassurer les gens...

Sur les traitements, par ailleurs, on entend tout et n'importe quoi. Certains responsables sanitaires affirment que le traitement des patients et la connaissance de la maladie se sont nettement améliorés. Où en est-on vraiment ? Le taux de mortalité que nous avons connu au printemps peut-il revenir ?

Un dernier point. Vous avez parlé des commandes de vaccins faites par la France et par la Commission européenne. Le groupe Johnson & Johnson annonce qu'il est en avance sur les autres groupes dans la mise au point du vaccin - dit-il vrai ? Je n'en sais rien. Ma question est la suivante : les Français pourront-ils se faire vacciner dès qu'un groupe, quel qu'il soit, aura trouvé un vaccin sûr, ou la France et l'Union européenne devront-elles attendre les vaccins des groupes auxquels elles ont passé commande, même s'ils sont en retard ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

L'audition de Mme Buzyn, hier, a été un moment fort. Nous avons bien compris que les plus hautes autorités avaient très tôt eu l'intuition du danger, mais qu'il y avait eu à déplorer un retard dans l'exécution des mesures. Je cite Mme Buzyn : « Il y a eu une sorte de déni, y compris dans les administrations, dans les hôpitaux, chez les médecins : notre société n'a pas cru qu'on pouvait mourir en France. » Quel a été le périmètre de ce déni ? L'avez-vous ressenti lorsque vous avez pris vos fonctions, à la mi-février ?

Ma deuxième question, plus technique, porte sur les tests. Qu'en est-il de notre souveraineté ? Quel est, en matière de tests, notre niveau de dépendance vis-à-vis de l'Asie ? Quid, en outre, des différences de prix, qui sont de presque 50 %, par exemple, entre la France et l'Espagne ? Avez-vous une explication ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Monsieur le ministre, je salue l'hommage que vous venez de rendre à la communauté hospitalière et aux équipes médicales et paramédicales, qui n'ont pas toujours été reconnues à leur juste valeur ni accompagnées dans leurs attentes légitimes, en termes de moyens humains et logistiques notamment.

Le 26 février dernier, le match entre l'Olympique lyonnais et la Juventus Turin s'est déroulé à Lyon, 3 000 spectateurs débarquant d'Italie au moment même où ce pays devenait le plus contaminé en Europe. Pourquoi avez-vous autorisé cette rencontre ? Qui vous a poussé à l'autoriser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Je voudrais revenir sur la stratégie de lutte contre l'épidémie et, plus particulièrement, sur les décès dans les Ehpad - le sort de ces derniers n'a visiblement pas été, en France, la priorité absolue. Dès lors que les Ehpad étaient confinés, cet isolement aurait dû s'assortir de consignes claires s'adressant y compris aux cuisiniers ou aux livreurs ; or ces personnes n'ont reçu aucune consigne. Il s'est donc produit ce qui devait se produire : le virus est entré dans les Ehpad. Dans ma commune du Lot, département très peu touché, et dans les Ehpad des communes limitrophes, la moitié des résidents étaient « covid+ ».

Quelles ont été les consignes ? Comment sont-elles parvenues aux directeurs des établissements ? N'aurait-il pas fallu organiser la protection de toutes les personnes qui avaient partie liée avec des Ehpad ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

En Guadeloupe, la situation est critique, et même dramatique.

Je souhaite d'abord relayer le cri d'alarme du directeur général du CHU, M. Gérard Cotellon. Ce CHU avait déjà des difficultés, depuis son incendie, mais il reste l'hôpital ressource du groupement hospitalier de territoire (GHT) de la Guadeloupe. Pourtant, d'après nos informations, alors que des comités de suivi sont organisés par M. le préfet, auxquels participent tous les élus, le directeur général n'y est pas systématiquement invité.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation très grave ; le manque de moyens vient s'ajouter à des carences infrastructurelles qui existaient déjà de longue date, en matière d'équipements notamment. Votre prédécesseure s'est déplacée plusieurs fois en Guadeloupe ; la situation, depuis, n'a pas vraiment évolué. La ministre des armées a d'ailleurs fait des annonces ici même, il y a deux jours, concernant la mobilisation de personnels médicaux des armées.

Les mesures que vous avez annoncées sont-elles en cohérence avec les besoins réels de ce territoire ? La fermeture des bars et des restaurants vous semble-t-elle une réponse pertinente compte tenu de la situation ? Le projet inabouti de plateforme de biologie des Antilles et les moyens limités que l'ARS met à disposition du CHU et des hôpitaux n'amplifient-ils pas les difficultés ? Que comptez-vous faire à partir de maintenant pour que les mesures qui doivent être prises le soient, et pour que le directeur du CHU, en tant que chef de file du GHT, soit impliqué dans toutes les décisions qui concernent ce territoire ?

Il est vraiment dommage que le directeur du CHU, malgré ses responsabilités, ne soit pas suffisamment entendu. Vous avez sans doute eu vent du communiqué assez virulent qu'il a rendu public : il en a gros sur la patate.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Monsieur le sénateur Karoutchi, il y a eu 31 000 morts, et non 40 000. La France dispose des données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur la surmortalité observée une année par rapport aux années précédentes. Il n'y a pas eu 10 000 morts cachés, ni à domicile ni à l'hôpital ! J'ajouterai même que toutes les personnes qui étaient porteuses du covid-19 et sont décédées ne pas nécessairement mortes du covid-19. Si nous avions dû, comme certains pays voisins - je pense à nos amis anglais -, ajouter du jour au lendemain 15 000 morts aux chiffres officiels, j'aurais été bien en peine de le justifier devant vous aujourd'hui.

Vous avez parfaitement raison, Monsieur le sénateur : 950 patients en réanimation, cela ne fait pas 19 % du nombre maximal de lits que nos hôpitaux peuvent armer, mais bien 19 % des lits actuellement armés. Je l'ai dit en préambule, et c'est fondamental : à chaque fois que vous armez un lit de réanimation, vous désarmez un bloc opératoire, vous annulez une opération de chirurgie cancérologique ou orthopédique, une greffe, une pose de stent coronarien, tous ces actes indispensables pour la santé de ceux de nos concitoyens qui n'ont pas le covid-19.

Ce n'est donc pas parce que je dis que nous serions capables, si la situation l'exigeait, d'augmenter fortement le nombre de lits disponibles que nous souhaitons le faire. Plus nous maintenons la pression contre le virus, moins nous prenons le risque de devoir recommencer à appeler des patients pour leur dire que nous ne pouvons pas nous occuper d'eux.

Le traitement qui fonctionne aujourd'hui, qui apporte en tout cas une plus-value, c'est la dexaméthasone, dérivé bien connu de la cortisone, d'utilisation courante dans tous les hôpitaux français, pas cher, pour lequel on dispose de stocks - attention : si j'ai 38 de fièvre et une petite toux, je n'ai pas de raison de prendre ce médicament ; en revanche, si je suis hospitalisé et si les équipes considèrent que mon état justifie ce traitement, il peut m'être administré. La dexaméthasone réduit le nombre de cas graves, donc la mortalité, et les durées de séjour en réanimation, ce qui permet, corrélativement, d'augmenter les capacités de réanimation.

L'autre traitement dont les réanimateurs nous disent aujourd'hui qu'ils l'utilisent couramment, c'est l'administration d'oxygène à très haut débit, 50 litres par minute, ce qui évite d'avoir à intuber les patients et à les placer en coma - l'intubation sur des poumons fragilisés par le virus crée des lésions respiratoires et des voies aériennes qui peuvent entraîner des séquelles et aggraver encore l'état du malade.

Ces traitements permettent de réduire le nombre de malades intubés et les durées de réanimation. En revanche, le recours aux lits d'hospitalisation conventionnels est plus important qu'au cours de la première vague : les gens vont moins en réanimation, mais vont à l'hôpital. Nous faisons donc très attention à éviter une pression trop forte sur nos capacités en lits conventionnels.

Concernant les vaccins, c'est la Commission européenne, avec des experts de tous les pays, en toute indépendance vis-à-vis des laboratoires, qui y travaille. Elle passe avec les laboratoires qui ont lancé des travaux en avance de phase des engagements de précommande, qui seront convertis en précommandes, elles-mêmes converties en commandes lorsque la situation le justifiera. La Commission européenne a ainsi précommandé 300 millions de doses au laboratoire AstraZeneca - j'en ai parlé. Faites le calcul : cela permettrait de couvrir les besoins.

Le travail est conduit de façon extrêmement attentive ; je pense qu'il doit se jouer à l'échelle européenne. Cela fait sens - vous en conviendrez -, et cela nous rend plus puissants au moment de contractualiser, s'agissant tant des négociations de prix que de notre capacité à garantir l'accès précoce du marché européen au vaccin.

Quant au laboratoire Johnson & Johnson, il fait partie des quelque dix-huit ou vingt laboratoires qui ont un candidat vaccin à l'étude ; il est très certainement en lien avec la Commission européenne, au même titre que n'importe quel autre laboratoire.

Le déni, Monsieur Henno, ni ma prédécesseure ni moi-même n'en avons fait preuve. Ayant pris mes fonctions un lundi à dix heures, j'ai immédiatement rencontré le Premier ministre, et nous avons beaucoup parlé de l'épidémie.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Ce n'était pas le sens de la question de notre collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

En effet : je parlais d'un déni dans le pays - ou plutôt, c'est Mme Buzyn qui en a parlé.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Une menace devient réelle quand elle est aux portes, voire seulement quand elle frappe...

Voilà trois semaines encore, il y avait presque une forme de déni d'une partie du pays : j'ai passé mon mois d'août et le début de mon mois de septembre à expliquer qu'il n'y avait pas de raison de penser que le virus avait tout d'un coup décidé de faire ce que les virus ne font jamais, perdre en dangerosité vis-à-vis de leur hôte ! Et que c'est parce que les jeunes se contaminaient qu'il y avait moins d'hospitalisations, mais que, les jeunes contaminant les moins jeunes, il y aurait autant d'hospitalisations. Peut-être y a-t-il une forme de pensée magique.

Nous fournissons un effort intense de résilience collective : des gens n'ont pas pu enterrer leur mort en famille, certains ont perdu leur emploi, les enfants ne sont pas allés à l'école, des gens ont perdu des proches, des soignants sont épuisés et notre système a été mis à rude épreuve comme jamais dans notre histoire, en tout cas de mon vivant. Dans ce contexte, on n'a plus envie de l'épidémie. Comme n'importe quel Français, j'ai envie que ça s'arrête ! Donc, quand on voit que les indicateurs sont meilleurs, qu'on est en train de passer à autre chose, que c'est l'été...

Au reste, je comprends le désir des jeunes de recommencer à vivre. J'ai quarante ans, mais je m'associe à cette génération Y - factuellement, j'en fais partie. Nous avons connu la pandémie, les attentats terroristes, nous connaissons le réchauffement climatique, le chômage de masse et la crise économique : c'est lourd !

Je n'ai jamais voulu adopter une position paternaliste, moralisatrice ou hyper-hygiéniste, mais sensibiliser au fait que le virus n'est pas sans danger et que, chacun d'entre nous, nous devrions faire un petit effort supplémentaire, par exemple en recevant cinq ou six copains au lieu de quinze, ou en ne voyant pas cinq ou six copains différents de ceux qu'on a vus la veille dans un bar.

Il faut faire attention : si l'on porte le masque au Sénat, dans la voiture ou dans le métro il faut aussi, quand on accueille chez soi dix amis pour le déjeuner, ne pas se prendre dans les bras et ne pas se serrer la main. Au demeurant, une grande majorité des Français l'ont compris. Mais on a vu, y compris dans des villes en situation d'alerte, des scènes d'effusions de joie, par exemple pour des matchs de foot. Quand je vois des gens ne respecter aucune distance, je souffre parce que j'imagine la transmission du virus...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Donc, vous souscrivez plutôt à cette idée d'un déni, ou du moins d'acceptation.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Le déni consiste à ne pas vouloir - c'est presque psychologique. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

S'agissant de la souveraineté, nous ne sommes pas totalement dépendants de l'Asie en matière de tests parce que nous avons des grands fabricants de produits à nos portes et même en France. En revanche, il est vrai, Monsieur Henno, que notre dépendance à quelques pays étrangers est totale pour les médicaments, aussi bien pour les chaînes de fabrication que pour les matières premières - à plus de 90 %. Il est dangereux et irresponsable que la France et l'Europe se soient totalement départies de capacités de production de produits qui sauvent des vies.

Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, et ce n'est ni votre faute ni la mienne : cela remonte à des années, voire des décennies. Toujours est-il que nous devons retrouver de la souveraineté européenne pour tout ce qui peut nous être indispensable.

Vous avez voté l'année dernière, dans le cadre d'un texte dont j'étais le rapporteur à l'Assemblée nationale, une disposition obligeant les laboratoires à stocker des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur sur le territoire européen. Nous allons aller plus loin : il faut réindustrialiser. Mais ce ne sera pas simple, parce qu'il y aura des sites Seveso à implanter un peu partout en Europe... Ce sera compliqué, mais il faut le faire.

En ce qui concerne le prix des tests, d'abord, il faut que vous sachiez que la France les prend en charge à 100 %, sans condition. Nous sommes les seuls à le faire : personne n'avance de frais, et il y a des pays dont la part de remboursement par le système de santé est moins importante, avec un reste à charge. Ensuite, les laboratoires sont amenés à s'équiper en plateformes PCR haut débit en masse : il est important de leur donner l'assurance qu'ils ne le feront pas à perte. Quand on leur demande d'embaucher en contrat à durée déterminée (CDD) ou en contrat à durée indéterminée (CDI) des salariés pour faire des prélèvements ou faire tourner les bécanes, il faut leur donner de la lisibilité.

J'ai été interrogé aussi sur les moyens hospitaliers. Le Ségur de la santé prévoit de remercier et de reconnaître les soignants et les soignantes, avec 8 milliards d'euros de revalorisations. J'ai annoncé hier en comité de suivi de Ségur que la première tranche de 90 euros nets par mois serait versée dès la fin du mois de septembre dans les hôpitaux et les Ehpad qui le peuvent, sinon en octobre. En plus d'anticiper les mesures du Ségur, nous avons créé 4 000 lits supplémentaires, alors qu'on en a fermé des milliers année après année, et recruté 15 000 soignants supplémentaires pour que les équipes ne soient pas déstabilisées.

Sur le match Lyon-Turin du 26 février, je pourrais vous répondre que la décision n'était pas de la compétence du ministre, mais du préfet du département ; mais vous ne seriez pas beaucoup renseignés. D'un point de vue épidémiologique, à cette date, le Piémont ne faisait pas partie des zones d'exposition à risque définies par Santé publique France. En outre, en France, le virus ne circulait pas activement en février. Aucun cluster n'était signalé en Auvergne-Rhône-Alpes et, en dehors de celui des Contamines-Montjoie, considéré comme maîtrisé. J'ajoute que l'Italie avait instauré ses propres frontières, en interdisant les circulations en dehors des territoires concernés par la diffusion du virus. Enfin, quand la question du match s'est posée, il y avait déjà un grand nombre de supporters italiens dans les rues des villes françaises : il n'aurait pas forcément été plus safe qu'ils se rassemblent dans des bars... Au reste, il n'y a pas eu de cluster issu de cette rencontre.

La question des Ehpad est éminemment importante. Je ne puis laisser insinuer que nous y aurions moins fait attention. Nous avons prêté aux Ehpad une attention de tous les instants.

Le 5 mars, des consignes d'hygiène, des mesures d'orientation interne et des réflexes à avoir pour la prise en charge des résidents ayant des signes évocateurs de Covid sont diffusés, et les premières restrictions sur les visites sont décidées - une décision déjà difficile.

Le 6 mars, je déclenche dans les Ehpad le plan bleu, le plan de crise qui prévoit, par exemple, les gestes barrières.

Le 11 mars, je suis amené à interdire les visites de proches.

Le 22 mars, la règle de distribution des masques est affinée en liaison avec toutes les instances scientifiques et les représentants du monde de la gériatrie.

Le 23 mars, une stratégie sanitaire de soutien aux Ehpad est établie sur la base d'un retour d'expérience des régions les plus touchées.

Le 28 mars, je demande la limitation des déplacements au sein des établissements pouvant aller jusqu'au confinement en chambre sur appréciation de l'équipe, après avoir saisi le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) et le conseil scientifique.

Le 30 mars, j'annonce l'accès prioritaire aux tests de dépistage pour les résidents d'Ehpad et les personnels au fur et à mesure de l'augmentation des capacités de test, conformément aux recommandations du conseil scientifique.

Enfin, le 7 avril, j'élargis massivement cette doctrine de dépistage dans les Ehpad.

Humainement, ces décisions ont été les plus dures à prendre de toute la crise. S'agissant en particulier du confinement en chambre, j'en ai pris la décision après avoir consulté des directeurs d'Ehpad et de groupe d'Ehpad à l'étranger, qui avaient connu la vague avant nous ; ils m'ont expliqué que, quand le virus est entré, le seul moyen de l'arrêter est d'isoler tout le monde.

Hier, nous avions encore 180 clusters actifs dans les Ehpad. Nous avons fait le choix de protéger sans isoler, ce qui est fondamental. Nous ne voulons pas que le syndrome de glissement des personnes âgées en Ehpad s'accélère encore.

À propos de la Guadeloupe, une autre question éminemment importante, je suis très étonné que le directeur général du CHU ne soit pas associé à la gestion de crise, mais je vais me renseigner, car il est important qu'il soit associé en première ligne.

Oui, la situation sanitaire en Guadeloupe est inquiétante ; c'est la situation la plus dégradée que nous connaissions. Il y a aussi un problème à Saint-Martin, avec une porosité de la frontière - même si la question des frontières est moins difficile à gérer que par le passé.

La mobilisation de la réserve sanitaire est totale depuis plusieurs semaines. Plusieurs dizaines de médecins, d'infirmiers, d'aides-soignants, d'épidémiologistes et d'experts ont été envoyés sur place. Le service de santé des armées est pleinement mobilisé, et l'hôpital militaire qui a été utilisé à Mulhouse et à Mayotte est en route pour la Guyane, où il arrivera le 25 septembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Il y a deux jours, Mme Parly nous a dit que, en Guadeloupe, nous aurions probablement eu les moyens humains de faire face. Vous allez sûrement vous mettre d'accord... L'essentiel, c'est que cela se fasse !

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Vous aurez les moyens de cet hôpital militaire, qui arriveront sur place demain et seront opérationnels le 28 septembre. Nous faisons extrêmement attention. D'ailleurs, nous avons réussi à endiguer des départs d'épidémie cet été en Guyane, à Mayotte et d'autres territoires ultramarins, avec un impact sanitaire en termes de mortalité bien plus faible qu'en première vague.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Quid de la plateforme haut débit ? Une demande a été formulée par le directeur général du CHU : qu'est-ce qui freine ? Les délais d'analyse actuels ne permettent pas de prendre en charge rapidement les éventuelles personnes contacts, ni celles qui seraient porteuses.

S'agissant des moyens mobilisés à Mulhouse, je les ai explicitement demandés à Mme Parly il y a deux jours : vous avez tous entendu sa réponse. Les annonces de M. le ministre ce matin sont plutôt rassurantes.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Tant sur la composition de l'élément militaire de réanimation (EMR) qui va arriver en Guadeloupe que sur la plateforme PCR haut débit pour l'hôpital de Guadeloupe, je vous communiquerai cet après-midi des données chiffrées précises. Je vais également appeler ma collègue ministre des armées, dont dépend le service de santé des armées.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous voudrez bien, Monsieur le ministre, communiquer ces données à la commission d'enquête.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Boulay-Espéronnier

Roger Karoutchi a raison d'insister sur l'importance de la parole publique et de son uniformité, mise à mal au début de la pandémie. En revanche, je ne le rejoins pas quand il dit que l'ensemble de la population est très inquiète. Il me semble que l'une des difficultés que vous avez à gérer, c'est qu'une partie de la population est inquiète, mais une autre peut-être pas assez. L'uniformité de la parole publique est d'autant plus importante.

Dès lors qu'on en appelle à la responsabilité de chaque Français, il est normal que chacun cherche le niveau de connaissance qui l'aidera à surmonter cette période assez compliquée. La parole publique doit composer avec ce qui se dit dans les médias et sur les réseaux sociaux. Compte tenu des incertitudes attachées à ce qui s'y dit, l'uniformité de la parole publique est réellement essentielle.

Afin de réduire les tensions sur les laboratoires, n'est-il pas temps de réinstaurer la prescription obligatoire des tests PCR en encourageant fortement la téléconsultation et en ayant une communication claire sur le sujet ? La téléconsultation est vraiment une valeur d'avenir !

Quel est notre niveau de connaissance sur les séquelles des patients qui ont déjà été atteints du covid ? Les informations les plus fantaisistes circulent à cet égard. En particulier, peut-on retomber malade ?

J'entends dire que les tests sont plus chers en France que dans de nombreux pays européens. Si c'est vrai, quelle en est la raison ?

Enfin, quelle est votre position sur le télétravail : pensez-vous qu'il faille l'encourager dans les entreprises ? Nous serons peut-être amenés à légiférer en la matière dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Je fais partie des élus qui ne doutent absolument pas de la mobilisation des services du ministère, non plus que de celle de M. le ministre et de Mme Buzyn. Je le précise pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, parce que je sens bien que, quand on émet un certain nombre de critiques, la situation devient très conflictuelle.

Sans qu'il y ait de mises en cause individuelles, nous avons à nous pencher, comme l'a souligné Roger Karoutchi, sur des choix politiques, dont un certain nombre vous incombent ; d'autres sont antérieurs à votre prise de fonction - nous ne vous demandons évidemment pas de tout endosser. À la lumière de ce que nous vivons, il y a des choses à modifier.

Vous savez pertinemment que notre système de santé était en tension avant cette pandémie, singulièrement l'hôpital. Vous le savez d'autant plus qu'il y a eu très récemment une démission assez fracassante : celle du chef du service des urgences du Kremlin-Bicêtre, le docteur Maurice Raphael, un homme extraordinaire qui, depuis dix ans, ne comptait pas ses heures. Je le cite : « Tous les matins, se retrouver avec au moins seize patients sans lit pour les accueillir, c'est trop, j'arrête. » Plus de dix médecins de cette équipe ont également annoncé leur départ. Il y a un an, ce médecin a alerté ; aujourd'hui, il considère que ce n'est plus possible.

Vous annoncez 14 00 lits armés, mais, comme vous l'avez reconnu avec une grande franchise, pour armer des lits en réanimation il faut en désarmer ailleurs. En clair, on déshabille Pierre pour habiller Paul. L'inquiétude est donc très grande. Des soins sont déprogrammés, et d'éminents spécialistes nous ont dit que des patients victimes de cancer avaient eu des pertes de chance, y compris en cancérologie pédiatrique.

À la lumière de cette pandémie, comment donner de nouveaux moyens à l'hôpital ? Vous avez annoncé la création de 15 000 emplois, mais la moitié servira à pourvoir des postes vacants. Il faudrait 15 000 emplois effectifs, parce que les personnels sont à bout !

Le Gouvernement a beaucoup misé sur la communication, mais celle-ci a été très cacophonique. De mon point de vue, le langage de vérité nécessaire n'a pas été tenu : il aurait fallu reconnaître la pénurie de masques et dire comment on agissait en conséquence. Les approximations scientifiques portent un coup à toutes les décisions ultérieures.

Hier, vous avez annoncé des mesures pour protéger les personnes, mais un décret d'août a sorti de la liste des personnes vulnérables pouvant prétendre au télétravail un certain nombre de victimes de maladies comme l'obésité ou les maladies cardiovasculaires. N'est-ce pas contradictoire ?

Par ailleurs, les mesures qui semblent autoritaires font appel à la responsabilité individuelle. La majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens sont conscients : dans la vie quotidienne, les gestes barrières sont plutôt respectés. Faisons attention, car le risque est aussi celui d'une atteinte aux libertés et aux droits.

Dans les Ehpad, j'ai le sentiment que, quand une personne est en perte d'autonomie ou très âgée, on lui dénie ses droits, on choisit à sa place. Certaines personnes auditionnées ont abordé ce sujet. De nombreuses personnes sont mortes non du covid, mais de l'isolement.

S'agissant enfin du manque de médicaments et de réactifs, il faut créer dès maintenant un pôle public du médicament et de la recherche au niveau national et au niveau européen. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Comment la veille sur les risques pandémiques est-elle organisée au ministère ? Avec quels types de personnels et sur la base de quels types de renseignements ? Son efficacité a-t-elle été analysée, et envisagez-vous de la réformer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Le 14 mars, le Premier ministre annonce la fermeture des bars, des restaurants et des autres commerces non indispensables, à partir de minuit le soir même. Le 15 mars, le Gouvernement ou le Président de la République - c'est à vous de nous le dire - choisit de maintenir le premier tour des élections municipales, en faisant porter sur les mairies la responsabilité et la maîtrise des mesures sanitaires. Les conditions dans lesquelles les opérations de dépouillement du scrutin ont été précisées in extremis, le dimanche après-midi, sont assez rocambolesques... À cette époque, le masque est dédié aux soignants et non obligatoire pour l'ensemble de la population - de toute façon, il n'y en a pas. C'est donc le « système débrouille ». Des cas sont apparus après ce premier tour, et des scrutateurs sont même décédés.

Qui a décidé de maintenir le premier tour des élections municipales ? Avez-vous eu un retour d'information sur les répercussions de cette élection ?

L'adhésion, la confiance de nos concitoyens sont essentiels. Hier soir, vous avez communiqué à l'ensemble de la Nation des recommandations et les dernières mesures prises. Ce matin, sur Instagram, le comédien Nicolas Bedos a publié un pamphlet humoristique, mais traduisant un sentiment de méfiance, de retrait, sur le thème : vivons, quitte à en mourir. N'y a-t-il des changements à faire dans la manière de véhiculer les informations ? Au-delà de cette expression, on sent bien qu'une bonne partie des Françaises et des Français n'adhèrent pas totalement aux gestes de précaution.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Madame Boulay-Espéronnier, je pense que tous les Français sont inquiets : les uns davantage par la crise sanitaire, les autres davantage par la crise économique et sociale qui peut les frapper. Certains s'inquiètent des deux, mais je ne connais pas de Français qui ne soit inquiet de rien dans la période que nous connaissons. Tous les pays concernés par le covid sont dans la même situation : la crise remet en question énormément de choses dans le monde. Près de trois humains sur quatre ont été confinés - fait inédit -, et nous avions perdu l'expertise des grandes pandémies.

Dans ce contexte d'inquiétude partagée, il faut une ligne de communication claire. Je suis désolé si la communication gouvernementale vous a paru manquer de clarté par moments. Nous avons organisé la communication autour du ministère de la santé, du Premier ministre et du Président de la République. Les ministres ont été amenés à participer à des conférences de presse lorsque les sujets abordés concernaient leur périmètre ministériel. Je n'ai pas eu le sentiment que, les uns et les autres, nous nous marchions sur les pieds. Le Président de la République a insisté pour que la communication soit la plus claire et la plus uniciste possible.

Est-ce que je m'interroge, le matin en me rasant, sur la prescription obligatoire des tests ? Oui. Nous avons réorienté tous les barnums pour tester massivement tous les publics prioritaires, mais, si jamais nous étions néanmoins en difficulté, ou si le nombre de cas prioritaires devenait tel que nous n'arrivions pas réduire les délais, nous pourrions être amenés à faire ce que nombre de pays ont déjà fait : mettre en place des systèmes de prescription obligatoire. Mais si l'on demande à quelqu'un d'aller chez son médecin avant d'aller faire un test, avec les épidémies et les viroses qui arrivent, on va se prendre vingt-quatre à trente-six heures dans la vue avant que la personne ne puisse se faire tester... Pour l'instant, je consulte. Nous le ferons si c'est nécessaire, mais nous n'en sommes pas là.

Sur le covid au long cours, j'ai dit tout ce que je savais à l'Assemblée nationale. Des personnes font des formes graves, vont en réanimation et ont des troubles respiratoires avec des scanners thoraciques montrant des lésions de type fibrose, avec des séquelles respiratoires potentiellement à long terme ; elles sont mises en maladie professionnelle et suivies en pneumologie. D'autres présentent des formes qui ne sont pas forcément graves, en tout cas ne vont pas à l'hôpital, mais conservent une fatigue, des maux de tête, des crampes, des courbatures, parfois une perte d'appétit ou des vertiges : tous symptômes difficiles à rassembler sous une seule étiquette, mais qui sont bien ressentis par ceux qui les ont, parfois pendant deux semaines, parfois pendant deux mois, parfois des mois encore après la maladie.

La recherche clinique s'efforce de comprendre la nature de ces symptômes et ce qui a pu les provoquer. J'ai vu différentes hypothèses qui font l'objet de protocoles d'études. Des filières de prise en charge de ces patients sont organisées dans des centres spécialisés. Ces personnes, sans cause anatomique identifiée, se sentent dyspnéiques : c'est l'un des mystères de ce virus, mais un virus a vocation à être élucidé. J'entends trouver un moyen de soulager ces personnes le plus rapidement possible, mais, pour l'heure, nous sommes très loin d'un consensus scientifique sur la question.

S'agissant des risques de rechute, vous savez qu'il y a eu quelques cas de personnes immunisées qui ont réattrapé le virus. Des cas emblématiques, puisqu'ils ont fait la « une » de la presse scientifique mondiale, mais sur des millions et des millions de cas. On peut raisonnablement considérer qu'il n'y a pas de raison de réattraper le covid quand on l'a attrapé une première fois. Reste que nous avons peu de recul. Les anticorps vont-ils durer, six mois, un an, deux ans ? Je ne puis pas vous le dire. Il ne faut pas se précipiter : l'histoire du VIH a été marquée par cette terrible histoire des gens chez lesquels on identifiait des anticorps, et auxquels on disait qu'ils étaient immunisés contre le sida. La situation est tout à fait différente, mais avoir des anticorps n'est pas forcément un élément déterminant pour la suite. En l'occurrence, nous avons des indices qui laissent à penser que si : on peut donc être plutôt optimiste.

Les tests sont gratuits pour tous. Un test PCR coûte cinquante-cinq euros, un prix qui permet aux biologistes d'investir et d'acheter des plateformes. S'ils ne s'équipent pas et n'anticipent pas, nous n'aurons pas assez de tests.

Le télétravail, trois fois oui : il peut être très intéressant que vous meniez un travail législatif en la matière.

Madame Cohen, la médecine d'urgence est compliquée même hors crise. Nombre de médecins urgentistes, passionnés par leur profession, finissent par évoluer vers d'autres types d'exercice, parce qu'il est dur de passer ses nuits et ses journées à chercher des places et à gérer le stress, parfois sans forcément se sentir en sécurité, avec un nombre et une diversité tels de patients. Je me souviens de mes dernières gardes aux urgences comme jeune médecin : on me confiait la liste des vingt patients dont je devais m'occuper, un nouveau patient arrivant toutes les cinq minutes...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les anecdotes nous passionnent, mais essayez, s'il vous plaît, de répondre de manière concise, et néanmoins précise.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Le Ségur soutient très fortement l'hôpital. Dans le cadre du PLFSS, vous aurez l'occasion de voter des mesures de soutien : créations de postes, réouvertures de lits, reprise de dette, investissement hospitalier. Sans oublier les 8 milliards d'euros versés aux salariés, dont plus de 80 % sont des femmes sous-payées pour le travail qu'elles font.

S'agissant des masques, si je réponds en trente secondes sur la doctrine et la pénurie, vous allez, Monsieur le président, me reposer la question...

Je le répète, je ne fais pas de lien entre la pénurie de masques et la doctrine d'utilisation des masques. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et l'OMS, qui n'avaient pas à gérer de stocks de masques, avaient la même doctrine. Le 6 avril, alors qu'on produisait déjà des masques grand public, l'OMS déconseillait encore expressément le port généralisé du masque, considérant que ce serait contreproductif : « Aucune donnée ne montre actuellement l'utilité du port du masque pour les personnes en bonne santé dans les espaces collectifs, y compris s'il est généralisé, pour prévenir les infections par des virus respiratoires. Le port du masque médical dans les espaces collectifs peut créer un faux sentiment de sécurité et amener à négliger d'autres mesures essentielles, comme l'hygiène des mains. » C'est ce que j'ai répété à l'envi. Toutes les instances scientifiques et tous les vieux grimoires du ministère de la santé, qui regorgent d'études sur la grippe et la grippe H1N1 entre 2009 et 2020, tendaient vers la même doctrine.

Quand j'ai pris mes fonctions, en matière de stock de masques, le mal était fait. Mais si j'avais dû dire aux Français : on aurait dû vous donner des masques, mais on n'en a pas, je le leur aurais dit. La doctrine et le stock sont deux choses différentes. En l'occurrence, on n'avait pas un stock suffisant, même pour protéger les soignants. Quant à la doctrine, elle était inspirée des recommandations scientifiques françaises, européennes et internationales, et nous l'avons fait évoluer bien avant l'OMS : lorsque, le 4 ou le 5 juin, elle a considéré que le masque grand public pouvait, sans faire consensus scientifique, être intéressant, il y avait belle lurette que nous produisions des masques grand public.

Je ne veux pas donner l'impression d'être au-dessus de la polémique. Je comprends parfaitement qu'on s'interroge. Est-ce que je regrette qu'on n'ait pas eu les stocks de masques suffisants pour protéger les soignants, les personnels hospitaliers, les médecins ? Évidemment oui. Mais, si nous avions eu 2 milliards de masques en stock, les aurait-on distribués à la population ? Sur la base des recommandations dont on disposait, je ne vois pas pourquoi on l'aurait fait. Nous avions des gants : nous aurions pu les distribuer aux gens, et nous l'aurions fait si nous nous étions rendu compte que le gant est protecteur - de fait, il ne l'est pas. Jusqu'à preuve du contraire, il n'y a pas de passage aérosol du coronavirus : c'est ce que nous disaient les scientifiques du monde entier. Le port du masque en population générale ne s'imposait donc pas, et n'était même pas forcément recommandé d'après la Haute Autorité de santé.

Dès ma deuxième conférence de presse, j'ai dit que le masque aurait une utilité si au moins 60 % de la population le portait continuellement et de la bonne manière. Cela ne change rien au fait que nous n'en avions pas assez pour protéger correctement les soignants dans les hôpitaux et en ville, ce qui a été extrêmement dur à gérer. Je me souviens avoir parlé de gestion en bon père de famille pour éviter l'épuisement des stocks.

Le décret sur les personnes vulnérables vise avant tout à éviter la désinsertion professionnelle de plusieurs millions de personnes en activité partielle depuis des mois. Un avis du 19 juin du Haut Conseil de la santé publique autorise la fin de l'activité partielle prévue au 1er septembre. On peut faire évoluer les choses en fonction de la circulation du virus, et la priorité reste évidemment la protection des plus fragiles. Mais le risque de désinsertion professionnelle est réel. J'ai consulté moi-même les fédérations d'usagers pour déterminer des listes de maladies donnant lieu à mise en activité partielle persistante. Par ailleurs, un médecin peut, sur ordonnance, continuer de déclarer son patient comme étant trop à risque pour travailler. Dans tous les cas, nous favorisons le télétravail.

Madame Jourda, le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss), la cellule opérationnelle chargée de la réception et de la gestion des alertes sanitaires et de la coordination des acteurs de l'expertise sanitaire, est certifié ISO. Je vous transmettrai le détail de sa composition. Nombre de partenaires sont mobilisés au-delà de cette structure et de la sous-direction : les ARS, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Établissement français du sang (EFS), l'Agence de la biomédecine, l'Institut national du cancer (INCa), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Toutes ces structures, qui comportent les meilleurs experts, participent à la veille de sécurité sanitaire, chacune dans son domaine.

Je crois que cette organisation a fonctionné : aux Contamines-Montjoie, dans l'Oise, les problèmes ont été identifiés tout de suite. Mais cette question fera partie du retour d'expérience général.

Pour le premier tour des municipales, c'est le politique qui a décidé ; nous ne sommes pas dans un biopouvoir.

Le conseil scientifique a été consulté deux fois, les 12 et 14 mars. Les deux avis sont publics. Je vous affirme sous serment que j'ai demandé au conseil : n'internalisez pas la contrainte politique, ne vous préoccupez pas de savoir si c'est compliqué d'annuler une élection, demandez-vous seulement si l'annulation du premier tour vous paraît nécessaire ou utile. Le 12 mars, le conseil recommande de ne pas annuler les élections. Deux jours plus tard, je redemande son avis compte tenu de l'évolution de la situation sanitaire, et sa réponse est la même : « L'exercice de la démocratie, garanti par la sécurité sanitaire du vote, gagne à être préservé, afin que la population conserve dans la durée une confiance. »

Les opérations du premier tour des municipales se sont déroulées dans des conditions particulières : distanciation sociale, respect des gestes barrières, gel hydro- alcoolique pour les stylos, entre autres mesures. Les études n'ont pas montré, il me semble - même si, sous serment, je n'aime pas employer cette expression -, un impact mesurable de cette élection. Dans les mois qui viendront, les scientifiques publieront des données affinées.

Enfin, sur le grand sujet, presque philosophique, de savoir s'il faut vivre quitte à en mourir, je puis comprendre ce type de réflexions quand elles emportent des conséquences sur la seule santé de celui qui les mène. On ne peut pas imposer aux gens de prendre soin d'eux malgré eux. En revanche, on peut leur imposer de prendre soin des autres malgré eux. Dans une voiture, la ceinture de sécurité n'a pour but seulement de protéger le conducteur : elle protège aussi les autres.

L'hygiénisme est une discipline complexe, peuplée de mises en garde, d'injonctions. Relisez Camus : nous n'avons rien inventé ! Le confinement d'Oran, la lassitude qui gagne la population semaine après semaine, mois après mois, la tentation de certains de se dire : et puis tant pis. Certains commencent à dire que, finalement, ce sont des personnes âgées, que c'est peut-être moins grave...

On n'est pas dans Soleil vert : dans la société française, au pays des Lumières, on protège les personnes vulnérables, quels que soient leur âge et leurs facteurs de risque sanitaire. Ce n'est pas à moi, ce n'est pas à nous de décider qui mérite d'être protégé et qui peut mourir pour protéger les autres.

C'est une question essentielle : nous avons fait le choix, sur lequel le Président de la République a été très clair, du « quoi qu'il en coûte » pour protéger la vie et assurer la sécurité des Français. Pour ceux qui seraient réservés sur l'intergénérationnalité, à laquelle je crois fondamentalement - j'ai fait de la neurologie et j'ai commencé ma carrière comme aide-soignant dans un Ehpad -, j'ajoute que près d'un malade sur trois admis en réanimation a moins de soixante-cinq ans.

Vivre quitte à en mourir, c'est une phrase à l'emporte-pièce qu'on peut lancer sur un blog ou compte Instagram, pour faire un effet de tribune ou peut-être comme exutoire personnel. Dans la période actuelle, je pense que nous devons être extrêmement attentifs, surtout quand nous sommes écoutés, à notre façon de nous exprimer et aux messages que nous véhiculons. Une société qui déciderait de faire l'impasse sur ses vieux, ses fragiles, ses précaires, de faire l'impasse sur des morts évitables, ce ne serait pas celle dans laquelle j'ai été élevé et dans laquelle j'ai envie d'élever mes enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Avec mon expérience de médecin généraliste, je voudrais vous interroger sur la pratique actuelle.

On a régulièrement entendu le chiffre de 700 000 tests par semaine - je ne sais pas si c'était un objectif, un chiffre d'efficacité ou de capacité d'absorption des tests. On est aujourd'hui à 1,1, 1,2, voire 1,3 million de tests par semaine. Le chiffre de 700 000 était-il scientifique ou technique ? Comment l'excédent pourrait-il aujourd'hui être résorbé ? Car si le chiffre de 700 000 correspond aux capacités d'absorption, le quasi-doublement du nombre de tests provoque les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui.

Un de ces problèmes est particulier à la médecine générale : je veux parler de l'arrêt de travail. Aujourd'hui, on a parfois l'impression de mettre des gens en arrêt de travail pour rien : ils sont cas contacts sans pouvoir télétravailler, on les met donc en arrêt de travail en attendant le test, parce que les délais sont longs. Il y a peut-être une expertise à mener sur le nombre d'arrêts de travail. En tout cas, un vrai problème se pose, pour l'entreprise, mais aussi pour le patient, puisque le délai de carence a été remis en place en juillet. Résultat : les arrêts de travail courts posent aux gens de vraies difficultés financières, tout au moins pour les petits salaires. J'implore votre attention sur ce sujet à la fois médical et social.

Je termine par une question de rétrospective, peut-être un peu plus agressive, mais qui nécessite que vous y répondiez. Le Président de la République nous a dit, dans une très belle déclaration : « c'est la guerre. » Seulement, hier, Mme Buzyn nous a expliqué, en fin d'intervention et de façon un peu impromptue, que Santé publique France avait failli, notamment sur les stocks - et pas seulement pour les masques. À cet égard, nous lui avons fait redire ce qu'elle avait annoncé, de façon un peu discrète, à l'Assemblée nationale : sur d'autres produits, nous avions des défaillances extrêmes.

Ainsi, nous avons commencé la guerre avec un très beau char d'assaut, la santé publique, mais qui n'était pas chargé en obus... En cas de guerre, je suppose que le militaire chargé de mettre les obus dans le char d'assaut serait recherché et identifié, pour qu'on sache ce qui s'est passé. Avez-vous mené une enquête interne au sein de Santé publique France pour identifier les responsabilités liées aux manques et péremptions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Premièrement, nous tenons tous, comme vous, à rendre hommage et reconnaissance aux soignants. Mais pensez-vous que votre décret sur la reconnaissance de la maladie professionnelle, dont il résulte que seuls les soignants ayant été oxygénés auront cette reconnaissance, soit vraiment une reconnaissance ? S'agissant du remplacement d'un soignant testé covid, mais asymptomatique, quelle est votre position ?

Deuxièmement, pour être souvent interrogée comme parlementaire, par exemple sur l'éventuelle fermeture des piscines ou sur les taxis qui ont une vitre en plexiglas, mais dont les chauffeurs ne portent pas de masque, je consulte beaucoup les informations sur le site du Gouvernement. Or il n'est toujours pas à jour de vos annonces d'hier...

Ma troisième question, que j'ai déjà posée hier à Mme Buzyn, porte sur la gestion des masques par Santé publique France.

Selon l'expertise faite au début 2018, ce sont 95 % des médicaments qui étaient « out », et, sur 700 millions de masques, il n'en restait plus que 99 millions. À la lettre du directeur de Santé publique France, envoyée le 6 septembre, le DGS répond, le 30 octobre, qu'il faut commander 50 millions de masques, et encore 50 millions « si le budget le permet ». Ni le DGS ni le directeur de Santé publique France n'ont transmis ces informations à la ministre. Pensez-vous que c'est normal ?

Il y a un véritable problème. La question de la crédibilité et de l'organisation de l'État est posée. Quand je vois ce que fait peser l'État sur les maires... Comment se fait-il qu'il n'y ait ni enquête ni sanctions ? La crédibilité repose aussi sur la reconnaissance de la pénurie.

Quatrièmement, vous avez dit : « Je vais gérer la crise aujourd'hui et demain. » Nos citoyens nous demandent souvent pourquoi l'hôpital privé n'accepte pas tous les malades non atteints de la covid. Quelle est votre position sur l'articulation entre hôpital privé et hôpital public ? Comment se fait-il que, dans un hôpital public, des médecins ne trouvent pas de place en hospitalisation d'urgence pour 16 personnes. Est-on aussi mal préparé que lors de la dernière vague ?

Ma dernière question porte sur l'organisation de l'État. Lors de son audition à l'Assemblée nationale, et hier encore devant nous, Mme Buzyn a dit qu'il faudrait peut-être revoir le système et créer une agence chargée de l'ensemble des pandémies, qu'elles soient sanitaires, environnementales ou accidentelles. Quel est votre avis sur cette proposition ?

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous parlez avec la bonne foi de celui qui s'est démené comme personne - on l'a vu - pour faire face à une crise forte, inattendue, exceptionnelle, mais vous vous enfermez dans cette bonne foi et cette conviction. Or cette commission d'enquête a pour objectif d'éclairer les problèmes qui se sont posés pour les corriger. Le malaise, c'est que vous ne reconnaissez aucun problème, et que vous vous entêtez au sujet des masques. Vous ne vous êtes pas interrogé sur la question des masques grand public et vous êtes « abrité » derrière l'OMS. Cela vous arrangeait, puisqu'il n'y avait pas de masques. Une ministre est même venue nous expliquer qu'il était dangereux et contreproductif de porter un masque !

Tout le monde le sait aujourd'hui, c'est parce qu'il n'y avait pas de masques que l'on a expliqué qu'il n'en fallait pas. Aujourd'hui, on dit à tous de porter un masque, car cela réduit les risques. Dans les pays asiatiques, cette doctrine est installée depuis bien longtemps : on aurait pu se demander pourquoi ils le faisaient... Vous pourriez le reconnaître ! Cela pose un problème de confiance de l'ensemble des citoyens par rapport à la parole publique, dans le contexte d'une crise.

On nous a dit la semaine dernière qu'il y aurait un conseil de défense et que le Président de la République allait faire des annonces fortes. En effet, on voit bien que le virus circule et qu'il faut réagir fortement, et l'on sait qu'il y a une exponentielle depuis déjà une dizaine de jours. Et puis, il n'y a pas d'annonce, hormis celle que les préfets vont agir et prendre des mesures parce qu'il faut localiser celles-ci.

Hier, on apprend qu'un certain nombre de mesures sont prises, notamment à Marseille, à Paris, en Guadeloupe, etc. Vous dites : « On a concerté. » Non ! La maire de Paris a été appelée une heure avant. Or elle n'est pas d'accord avec ce qui est proposé, même si elle souhaite que des mesures soient prises. Ce doit être le même cas à Marseille.

Bien entendu, il faut des mesures. Mais il faut se concerter avec les élus locaux, avoir le souci de dire les choses telles quelles et trouver les bonnes mesures. C'est décousu : il n'y a aucune annonce du Président de la République ; on dit aux préfets que la concertation durera une semaine, mais on prévient des mesures une heure avant...

Fermer les bars à 22 heures, c'est porter atteinte du point de vue économique à une profession qui est déjà dans une situation catastrophique. Entre la situation dans laquelle il suffit de s'assoir à une terrasse pour ne plus porter le masque et ne plus respecter de distanciation sociale, d'où les attroupements énormes dans tous les cafés et les restaurants, et la fermeture, on pourrait prendre une mesure intermédiaire et dire : en dehors du moment où l'on boit, on doit porter le masque, y compris sur les terrasses. Cela, un élu pourrait vous le dire, à condition que vous écoutiez avant de faire des annonces. Tandis que la panique est en train de monter, la concertation est réduite à pas grand-chose.

Ma dernière question est aussi un conseil. Je pense qu'il est plus productif pour entraîner la Nation à affronter une telle crise de dire aux Français les choses telles qu'elles sont et telles qu'elles se posent à vous, qui devez prendre des décisions, plutôt que de les cacher.

Il est clair que vous êtes confronté à la question suivante : un virus circule de façon exponentielle et la situation ressemble à ce qui se passait au mois de mars. La mesure que vous avez prise alors, le confinement, était radicale. Vous savez que vous ne pouvez pas agir ainsi aujourd'hui sans mettre à bas l'économie. Vous pourriez dire aux Français que, pour sauvegarder les activités économiques, on va prendre un peu plus de risques, aller travailler, prendre des transports, laisser les écoles ouvertes. Dites-le, que c'est pour cela que vous ne reconfinez pas !

Quand il s'agit, non plus d'activités économiques, mais pour les gens de s'amuser, vous faites n'importe quoi : vous tapez. Les Français sentent cette incohérence. Dites les choses, et vous entraînerez la Nation !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Cette commission d'enquête veut aussi identifier les points qui pourraient être améliorés afin de mieux préparer l'appareil d'État et l'appareil sanitaire à d'éventuelles difficultés, comme celles que nous revivons aujourd'hui.

Je voudrais vous interroger sur les relations de l'État avec les ARS. Le choix de cette commission a été d'entendre d'abord les acteurs dits « de terrain », avant les responsables nationaux. Nous avons ainsi auditionné des directeurs d'ARS. Il est ressorti de ces auditions que de nombreuses alertes avaient été adressées au ministère - je parle de la période qui a débuté avec votre prise de fonctions, Monsieur le ministre. Ces directeurs d'ARS, dont l'interlocuteur naturel était le DGS, ont constaté que leurs signalements étaient restés sans réponse. J'ajoute que tous les directeurs d'ARS participaient à la réunion téléphonique qui se tenait tous les soirs, et qu'il n'y avait donc pas de possibilités d'appréhension différenciées selon les territoires.

L'objet de ma question n'est pas de vous suggérer de faire une autocritique... Avez-vous identifié des pistes d'amélioration dans la façon dont vous avez travaillé avec les ARS ? J'illustrerai ce point en évoquant la question des transferts de malades effectués en France ou à l'étranger.

Un directeur d'ARS nous a relaté un incident qui s'est produit le 6 avril à l'occasion du transfert de patients en Autriche, et alors que l'avion était d'ores et déjà présent. Sur instructions du cabinet du ministre, il a été décidé d'arrêter le transfert. Ces instructions ont été appliquées sans que l'on sache si la santé des patients pouvait être mise en danger par cette décision.

La formule que vous avez employée : « je ne crois pas que les ARS soient complètement abruties » signifiait que vous considériez qu'elles avaient une réelle compétence. Comment expliquez-vous que votre cabinet ait décidé de stopper ce transfert, alors même que les malades étaient au pied de l'avion ?

La situation dans les universités, dont on parle peu, se dégrade de manière considérable. Quelles sont les instructions précises et efficaces adressées en ce domaine ?

Je pense que votre mémoire vous joue des tours, Monsieur le ministre. J'ai retrouvé l'un de vos propos, tenu en février lors d'une conférence de presse, sur les stocks de masques FFP2 : « Nous disposons de stocks stratégiques dans les hôpitaux, dans un très grand nombre de cabinets libéraux et dans un grand nombre de services de l'État, qui nous permettent de faire face à la demande. Il n'y a donc aucun problème d'accès à ces masques pour toutes celles et tous ceux qui en ont besoin. » Il faut être très attentif à tous les propos qui ont été tenus !

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Madame de La Gontrie, j'ai été très attentif au travail des ARS, avec lesquelles nous avons eu des discussions quasi quotidiennes, et j'ai pu m'assurer de leur travail dans différentes situations. Vous avez entendu un directeur général d'ARS qui a été démis de ses fonctions en conseil des ministres, et qui a saisi la justice pour contester cette décision, laquelle a justement été prise parce que j'étais attentif à l'action de chaque ARS dans chaque territoire concerné.

Le Grand Est a certes été la région la plus fortement et précocement frappée par la crise épidémique, mais je vous invite à consulter l'ensemble de ses élus, quel que soit leur bord politique....

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Lorsque je me suis entretenu avec eux, il y avait un consensus sur les dysfonctionnements. Je ne considère donc pas que le constat fait par ce directeur d'ARS doive l'emporter sur celui de l'ensemble des autres directeurs, de l'administration centrale et de mes services ministériels.

Le transfert que vous évoquez, qui concernait 6 patients, ne devait pas se faire vers l'Autriche, mais vers la République tchèque. J'étais à cette époque appelé plusieurs fois par jour par des élus de la région Grand Est - maires, présidents de département - ou par des directeurs d'établissement, qui me suppliaient d'activer tous les réseaux d'évacuation sanitaire, car la pression se faisait plus forte face à la vague épidémique qui montait. Ils avaient, légitimement, très peur. J'ai parlé à tous ces responsables, tous bords politiques confondus.

La République tchèque était une destination éloignée pour des malades. Le jour où ce transfert devait avoir lieu, la vague épidémique avait commencé à baisser de façon sensible, et le nombre de patients admis dans les services de réanimation de la région refluait depuis quelque temps. J'ai été contacté par des équipes sur place, me disant qu'elles trouvaient aberrant d'envoyer par hélicoptère des patients en République tchèque, car ils sortiraient du coma très loin de chez eux et de leur famille, alors même qu'il y avait désormais des places vacantes dans les hôpitaux environnants.

Madame la sénatrice, je suis certain qu'à ma place vous auriez pris la décision d'annuler ce transfert sanitaire, et que chacun ici aurait pris la même décision. Celle-ci est contestée par le directeur d'ARS que vous avez cité : cela me conforte dans la décision, guère facile, que nous avons prise de nous séparer de cette personne en pleine crise.

Étant sous serment, je ne peux pas sortir de mes compétences sanitaires en répondant sur le sujet des universités. Vous avez insisté sur la nécessité d'avoir une communication gouvernementale harmonieuse. Je préfère donc laisser répondre sur cette question la ministre chargée de ce domaine. Les protocoles sanitaires décidés au niveau national sont très clairs. Leur application territoriale par certains rectorats, écoles ou universités, peut éventuellement être renforcée, mais cela nécessite l'expertise de la ministre de l'enseignement supérieur.

Pour ce qui concerne les chiffres techniques relatifs aux tests, la capacité PCR était : à la fin de février et au début de mars de 2 000 à 2 500 tests par jour ; au début d'avril de 5 000 tests par jour ; au moment du déconfinement, le 11 mai, entre 40 000 et 50 000 tests par jour. La capacité a été calculée en fin de confinement sur la base d'un R inférieur à 1, avec pour chaque cas positif 10 à 15 cas contacts. Nous avions donc estimé que nous serions en mesure d'atteindre, si nécessaire, le chiffre de 700 000 tests. Une donnée différente est apparue au moment du déconfinement : au lieu de 10 à 15 cas contacts, il y avait entre 2 et 4 cas contacts par patient positif, ce qui a changé la donne.

Nous sommes désormais capables de procéder à 1,3 million de tests, puis davantage à l'avenir, si nécessaire.

Le sujet des délais de carence est extrêmement compliqué. La situation diffère selon que l'on est cas contact ou positif, en activité partielle, ou bien en arrêt de travail avec indemnités journalières. L'assurance maladie, les ARS et les médecins le savent. Quoi qu'il en soit, le télétravail doit être encouragé à chaque fois que c'est possible, surtout dans les zones où le virus circule beaucoup.

Sur le rôle de Santé publique France lors de la crise, mon rôle n'est pas de tirer à l'arme lourde, pour reprendre votre métaphore guerrière, sur une agence composée d'experts qui se sont organisés et ont fait de leur mieux depuis le début de la crise. Cela ne veut pas dire que nous ne laissons pas de place à la critique ou à l'autocritique. Nous sommes capables de pointer le doigt sur des lenteurs et des inerties. J'ai ainsi évoqué précédemment la mauvaise publication des chiffres des tests, qui m'a énervé durant un moment - on nous reprochait de ne pas faire de tests ; or nos propres chiffres étaient en dessous de la réalité. J'ai aussi parlé des écouvillons, qui sont emblématiques d'un certain nombre de lenteurs, lesquelles ne sont pas forcément liées à Santé publique France, mais ont pu émailler la gestion de crise. Nous reverrons tout cela a posteriori.

Je suis au milieu d'une bataille et j'ai besoin que les troupes, notamment les agences, soient mobilisées et motivées. À chaque fois que j'enregistre des dysfonctionnements, je n'accuse pas, surtout publiquement ; j'y vais ! Je me suis donc rendu à Santé publique France lors de visites plus ou moins organisées afin de rencontrer toutes les personnes et de saisir les sujets tels qu'ils se posaient. C'est ainsi que j'envisage le management en période de crise.

Les soignants cas contacts ou asymptomatiques doivent être exclus du travail durant la même période que les autres personnes. On avait envisagé qu'ils reviennent au travail masqués, si l'ensemble système sanitaire était saturé et si c'était pour les malades une question de vie ou de mort. Si tel n'est pas le cas, ils sont logés à la même enseigne que les autres personnes.

Je n'entrerai pas dans le détail des mesures qui ont été annoncées hier. Je l'ai dit, les préfets, qui sont chargés de concerter les élus dans les différents territoires, devront ensuite affiner les différentes mesures relatives aux horaires, aux modalités d'application, etc.

Je ne commenterai pas ce qui s'est passé durant la période antérieure au 16 février, parce que je ne connais pas les faits avec suffisamment de précision et d'assurance. Je ne me risquerai donc pas, alors que je suis sous serment, à émettre un avis personnel. Non seulement celui-ci ne serait pas très intéressant, mais vous avez auditionné les précédents ministres de la santé concernés.

Sur l'articulation hospitalière entre public et privé, j'ai abondamment répondu.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Madame Guillemot avait demandé s'il serait utile de créer une agence de crise spécifique.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

J'ai répondu précédemment. L'Éprus, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) et l'Institut de veille sanitaire (InVS) ayant fusionné, il faut probablement revoir cette déclinaison. Notre pays va devoir s'armer contre d'autres types de crises, qui ne seront pas forcément épidémiques, mais qui auront trait à la santé environnementale dans les territoires. Il faudra faire de l'information, de la formation, de l'intervention. On reverra donc ce dispositif avec vous, forts de votre expérience.

Vous dites, Monsieur Assouline, que l'on avait annoncé des mesures fortes. Je ne viens pas ici avec des opinions ou des on-dit ! Je ne peux pas me le permettre, car je suis ministre chargé de la crise. Je ne raisonne et ne décide qu'à partir des faits. Je ne sais pas qui vous a annoncé qu'il y aurait des mesures fortes lors du précédent CDSN... Quant à moi, j'en ai vécu plus de trente : certains ont donné lieu à des annonces fortes, d'autres étaient destinés à faire le point des objectifs.

Vous dites que tout le monde sait très bien ce qu'il en était des masques, et vous me demandez de faire un parjure. Je vous ai répondu qu'il n'y avait pas de lien entre la doctrine des masques et la gestion de la pénurie. Or vous me dites : « Tout le monde le sait et vous mentez. » Soit vous faites le constat d'un parjure, ce qui vous engage, soit vous me demandez de me parjurer, ce que je refuse, vous ayant répondu sur le fond.

Ne soyons pas dupes, les élus qui dénoncent le manque de concertation dénoncent en fait la nature des mesures prises. Ils le font d'ailleurs publiquement. Concentrons-nous non pas sur la forme, mais sur le fond des mesures ! On peut toujours passer deux semaines à consulter les uns et les autres... Mais si l'on ne tombe pas d'accord à la fin, alors il y a ceux qui disent : « j'ai consulté, je décide, car gouverner c'est choisir, et ainsi, je protège », et les autres qui se plaignent de ne pas avoir été consultés puisqu'ils n'ont pas gagné. Je vous ai donné l'exemple marseillais : nous avons passé deux heures à la préfecture, et des semaines à alerter et sensibiliser...

Ces élus ont parfaitement le droit de contester des mesures, mais nous avons aussi le droit de les mettre en place, car elles réduisent l'épidémie. Des études montrent que les risques sont quatre fois plus élevés d'être contaminés par la covid après que l'on a fréquenté un bar. Je n'y peux rien ! Moi aussi, lorsque j'avais le temps, je fréquentais les bars et les restaurants ; il ne s'agit pas d'incriminer qui que ce soit. C'est un fait complexe, qui participe de la diffusion de l'épidémie.

Monsieur Assouline, la loi prévoit que la police sanitaire est une compétence de l'État relevant du Premier ministre, du ministre des solidarités et de la santé et des préfets. Le Premier ministre et le Gouvernement ont fait un choix. J'entends parfaitement les critiques et les remises en question. Je comprends qu'un maire ait envie de défendre la vie sociale dans sa commune, ses bars et ses restaurants. Mais j'entends aussi les maires qui, tout en défendant la vie sociale et économique, me disent que c'est la bonne décision à prendre aujourd'hui pour protéger les habitants, puisque la diffusion épidémique augmente.

Ce n'est pas une question politique. Des maires issus du même parti que la maire de Marseille ou celle de Paris considèrent qu'une mesure nécessaire, dès lors qu'elle est justifiée, ne doit pas être discutée. Je ne dis pas que ce n'est pas dur ! Je me mets à la place des Marseillais et je sais que des gens sont en colère, même si je ne vais plus sur les réseaux sociaux, car je ne suis pas masochiste.

Honnêtement, tout ce qui est fait est destiné à assurer la protection des gens. Personne n'a critiqué les mesures de restriction de rassemblements et de couvre-feu mises en place en Mayenne, au mois de juillet, lors de la reprise épidémique ! Que s'est-il passé alors ? L'épidémie est retombée et l'impact sanitaire a été extrêmement faible. Nous avons fait la même chose en Guyane lorsque l'épidémie a commencé à flamber, et on a réussi à l'enrayer. Il y a pas de raison que nous n'y parvenions pas à Marseille, comme dans tout autre territoire de la République. Notre seul objectif est de protéger la santé des Français.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Allez-vous rendre obligatoire la vaccination antigrippale ?

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je précise, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, que je demandais de la cohérence dans les mesures. Un Français pourrait vous demander pourquoi l'activité sportive, qui ne doit pas être très importante pour l'économie, est interdite : 10 enfants dans une grande salle n'ont pas le droit de faire de la danse, mais on peut entasser 30 mômes dans une classe ! Que répond-on aux parents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Lors de la mise en isolement des Ehpad, a-t-il été prévu dans les consignes que l'ensemble du personnel, et même les livreurs, devaient bénéficier d'équipements de protection, et pas seulement les soignants ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran, ministre

Non seulement les livreurs devaient être protégés, mais ils ne pouvaient pas rentrer dans les établissements !

En tant que ministre de la santé, je crois sincèrement aux bienfaits du sport. Mais dans les salles de sport, du fait de la transpiration, des jets de gouttelettes, des mouvements, les contaminations sont beaucoup plus importantes que dans le milieu professionnel, où sont imposés la distanciation et le masque.

Monsieur Assouline, je n'ai pas dit hier soir que les gymnases et les salles de sport seraient interdits aux enfants, notamment dans le cadre en scolaire. J'ai dit que ce sujet faisait partie des mesures en concertation entre les préfets et les élus dans les zones concernées.

La campagne antigrippale commencera le 13 octobre, comme chaque année, et pas avant. Si l'on vaccine trop tôt, le vaccin perd en efficacité dans la durée et ne protège pas au bon moment. Nous disposons des conclusions de l'épisode grippal dans l'hémisphère sud : la grippe y a été retardée - il y a donc des raisons de penser que la grippe, qui apparaît habituellement en France à partir du 20 décembre, interviendra encore plus tard - et faible, du fait des gestes barrières et de la distanciation sociale. Il y aurait aussi un mécanisme de compétition entre la grippe et la covid, qui utilisent un récepteur similaire.

Nous devons néanmoins veiller à la vaccination dans notre pays des publics vulnérables et des soignants, qui constituent une cible importante. Nous mettrons l'accent sur la campagne vaccinale. Pour la première fois, en plus des commandes des officines, nous avons procédé à des sécurisations de commandes d'État. Nous avons 30 % de doses de vaccins en plus par rapport aux années précédentes.

La vaccination des soignants sera un véritable enjeu. À La Réunion, la couverture vaccinale antigrippale des soignants en Ehpad n'a pas dépassé les 30 %. Une obligation devrait être prévue dans la loi ; je ne suis pas certain que nous aurions le temps de le faire... Nous aurons une stratégie affinée en matière de vaccination antigrippale, qui passe par la Haute Autorité de santé. Nous nous tenons prêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Il faudra se poser la question de l'obligation de vaccination pour les soignants, dont on parle depuis des années.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il faut une véritable volonté. La grippe devrait être citée en exemple pour que nos concitoyens comprennent l'intérêt de la vaccination contre la covid. Nous sommes donc fort intéressés par cette campagne de vaccination.

Merci, Monsieur le ministre, pour vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 10.

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