Intervention de Olivier Véran

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 24 septembre 2020 à 10h00
Audition de M. Olivier Véran ministre des solidarités et de la santé

Olivier Véran, ministre :

Le déni consiste à ne pas vouloir - c'est presque psychologique. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

S'agissant de la souveraineté, nous ne sommes pas totalement dépendants de l'Asie en matière de tests parce que nous avons des grands fabricants de produits à nos portes et même en France. En revanche, il est vrai, Monsieur Henno, que notre dépendance à quelques pays étrangers est totale pour les médicaments, aussi bien pour les chaînes de fabrication que pour les matières premières - à plus de 90 %. Il est dangereux et irresponsable que la France et l'Europe se soient totalement départies de capacités de production de produits qui sauvent des vies.

Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, et ce n'est ni votre faute ni la mienne : cela remonte à des années, voire des décennies. Toujours est-il que nous devons retrouver de la souveraineté européenne pour tout ce qui peut nous être indispensable.

Vous avez voté l'année dernière, dans le cadre d'un texte dont j'étais le rapporteur à l'Assemblée nationale, une disposition obligeant les laboratoires à stocker des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur sur le territoire européen. Nous allons aller plus loin : il faut réindustrialiser. Mais ce ne sera pas simple, parce qu'il y aura des sites Seveso à implanter un peu partout en Europe... Ce sera compliqué, mais il faut le faire.

En ce qui concerne le prix des tests, d'abord, il faut que vous sachiez que la France les prend en charge à 100 %, sans condition. Nous sommes les seuls à le faire : personne n'avance de frais, et il y a des pays dont la part de remboursement par le système de santé est moins importante, avec un reste à charge. Ensuite, les laboratoires sont amenés à s'équiper en plateformes PCR haut débit en masse : il est important de leur donner l'assurance qu'ils ne le feront pas à perte. Quand on leur demande d'embaucher en contrat à durée déterminée (CDD) ou en contrat à durée indéterminée (CDI) des salariés pour faire des prélèvements ou faire tourner les bécanes, il faut leur donner de la lisibilité.

J'ai été interrogé aussi sur les moyens hospitaliers. Le Ségur de la santé prévoit de remercier et de reconnaître les soignants et les soignantes, avec 8 milliards d'euros de revalorisations. J'ai annoncé hier en comité de suivi de Ségur que la première tranche de 90 euros nets par mois serait versée dès la fin du mois de septembre dans les hôpitaux et les Ehpad qui le peuvent, sinon en octobre. En plus d'anticiper les mesures du Ségur, nous avons créé 4 000 lits supplémentaires, alors qu'on en a fermé des milliers année après année, et recruté 15 000 soignants supplémentaires pour que les équipes ne soient pas déstabilisées.

Sur le match Lyon-Turin du 26 février, je pourrais vous répondre que la décision n'était pas de la compétence du ministre, mais du préfet du département ; mais vous ne seriez pas beaucoup renseignés. D'un point de vue épidémiologique, à cette date, le Piémont ne faisait pas partie des zones d'exposition à risque définies par Santé publique France. En outre, en France, le virus ne circulait pas activement en février. Aucun cluster n'était signalé en Auvergne-Rhône-Alpes et, en dehors de celui des Contamines-Montjoie, considéré comme maîtrisé. J'ajoute que l'Italie avait instauré ses propres frontières, en interdisant les circulations en dehors des territoires concernés par la diffusion du virus. Enfin, quand la question du match s'est posée, il y avait déjà un grand nombre de supporters italiens dans les rues des villes françaises : il n'aurait pas forcément été plus safe qu'ils se rassemblent dans des bars... Au reste, il n'y a pas eu de cluster issu de cette rencontre.

La question des Ehpad est éminemment importante. Je ne puis laisser insinuer que nous y aurions moins fait attention. Nous avons prêté aux Ehpad une attention de tous les instants.

Le 5 mars, des consignes d'hygiène, des mesures d'orientation interne et des réflexes à avoir pour la prise en charge des résidents ayant des signes évocateurs de Covid sont diffusés, et les premières restrictions sur les visites sont décidées - une décision déjà difficile.

Le 6 mars, je déclenche dans les Ehpad le plan bleu, le plan de crise qui prévoit, par exemple, les gestes barrières.

Le 11 mars, je suis amené à interdire les visites de proches.

Le 22 mars, la règle de distribution des masques est affinée en liaison avec toutes les instances scientifiques et les représentants du monde de la gériatrie.

Le 23 mars, une stratégie sanitaire de soutien aux Ehpad est établie sur la base d'un retour d'expérience des régions les plus touchées.

Le 28 mars, je demande la limitation des déplacements au sein des établissements pouvant aller jusqu'au confinement en chambre sur appréciation de l'équipe, après avoir saisi le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) et le conseil scientifique.

Le 30 mars, j'annonce l'accès prioritaire aux tests de dépistage pour les résidents d'Ehpad et les personnels au fur et à mesure de l'augmentation des capacités de test, conformément aux recommandations du conseil scientifique.

Enfin, le 7 avril, j'élargis massivement cette doctrine de dépistage dans les Ehpad.

Humainement, ces décisions ont été les plus dures à prendre de toute la crise. S'agissant en particulier du confinement en chambre, j'en ai pris la décision après avoir consulté des directeurs d'Ehpad et de groupe d'Ehpad à l'étranger, qui avaient connu la vague avant nous ; ils m'ont expliqué que, quand le virus est entré, le seul moyen de l'arrêter est d'isoler tout le monde.

Hier, nous avions encore 180 clusters actifs dans les Ehpad. Nous avons fait le choix de protéger sans isoler, ce qui est fondamental. Nous ne voulons pas que le syndrome de glissement des personnes âgées en Ehpad s'accélère encore.

À propos de la Guadeloupe, une autre question éminemment importante, je suis très étonné que le directeur général du CHU ne soit pas associé à la gestion de crise, mais je vais me renseigner, car il est important qu'il soit associé en première ligne.

Oui, la situation sanitaire en Guadeloupe est inquiétante ; c'est la situation la plus dégradée que nous connaissions. Il y a aussi un problème à Saint-Martin, avec une porosité de la frontière - même si la question des frontières est moins difficile à gérer que par le passé.

La mobilisation de la réserve sanitaire est totale depuis plusieurs semaines. Plusieurs dizaines de médecins, d'infirmiers, d'aides-soignants, d'épidémiologistes et d'experts ont été envoyés sur place. Le service de santé des armées est pleinement mobilisé, et l'hôpital militaire qui a été utilisé à Mulhouse et à Mayotte est en route pour la Guyane, où il arrivera le 25 septembre.

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