Intervention de Olivier Véran

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 24 septembre 2020 à 10h00
Audition de M. Olivier Véran ministre des solidarités et de la santé

Olivier Véran, ministre :

Le Ségur soutient très fortement l'hôpital. Dans le cadre du PLFSS, vous aurez l'occasion de voter des mesures de soutien : créations de postes, réouvertures de lits, reprise de dette, investissement hospitalier. Sans oublier les 8 milliards d'euros versés aux salariés, dont plus de 80 % sont des femmes sous-payées pour le travail qu'elles font.

S'agissant des masques, si je réponds en trente secondes sur la doctrine et la pénurie, vous allez, Monsieur le président, me reposer la question...

Je le répète, je ne fais pas de lien entre la pénurie de masques et la doctrine d'utilisation des masques. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et l'OMS, qui n'avaient pas à gérer de stocks de masques, avaient la même doctrine. Le 6 avril, alors qu'on produisait déjà des masques grand public, l'OMS déconseillait encore expressément le port généralisé du masque, considérant que ce serait contreproductif : « Aucune donnée ne montre actuellement l'utilité du port du masque pour les personnes en bonne santé dans les espaces collectifs, y compris s'il est généralisé, pour prévenir les infections par des virus respiratoires. Le port du masque médical dans les espaces collectifs peut créer un faux sentiment de sécurité et amener à négliger d'autres mesures essentielles, comme l'hygiène des mains. » C'est ce que j'ai répété à l'envi. Toutes les instances scientifiques et tous les vieux grimoires du ministère de la santé, qui regorgent d'études sur la grippe et la grippe H1N1 entre 2009 et 2020, tendaient vers la même doctrine.

Quand j'ai pris mes fonctions, en matière de stock de masques, le mal était fait. Mais si j'avais dû dire aux Français : on aurait dû vous donner des masques, mais on n'en a pas, je le leur aurais dit. La doctrine et le stock sont deux choses différentes. En l'occurrence, on n'avait pas un stock suffisant, même pour protéger les soignants. Quant à la doctrine, elle était inspirée des recommandations scientifiques françaises, européennes et internationales, et nous l'avons fait évoluer bien avant l'OMS : lorsque, le 4 ou le 5 juin, elle a considéré que le masque grand public pouvait, sans faire consensus scientifique, être intéressant, il y avait belle lurette que nous produisions des masques grand public.

Je ne veux pas donner l'impression d'être au-dessus de la polémique. Je comprends parfaitement qu'on s'interroge. Est-ce que je regrette qu'on n'ait pas eu les stocks de masques suffisants pour protéger les soignants, les personnels hospitaliers, les médecins ? Évidemment oui. Mais, si nous avions eu 2 milliards de masques en stock, les aurait-on distribués à la population ? Sur la base des recommandations dont on disposait, je ne vois pas pourquoi on l'aurait fait. Nous avions des gants : nous aurions pu les distribuer aux gens, et nous l'aurions fait si nous nous étions rendu compte que le gant est protecteur - de fait, il ne l'est pas. Jusqu'à preuve du contraire, il n'y a pas de passage aérosol du coronavirus : c'est ce que nous disaient les scientifiques du monde entier. Le port du masque en population générale ne s'imposait donc pas, et n'était même pas forcément recommandé d'après la Haute Autorité de santé.

Dès ma deuxième conférence de presse, j'ai dit que le masque aurait une utilité si au moins 60 % de la population le portait continuellement et de la bonne manière. Cela ne change rien au fait que nous n'en avions pas assez pour protéger correctement les soignants dans les hôpitaux et en ville, ce qui a été extrêmement dur à gérer. Je me souviens avoir parlé de gestion en bon père de famille pour éviter l'épuisement des stocks.

Le décret sur les personnes vulnérables vise avant tout à éviter la désinsertion professionnelle de plusieurs millions de personnes en activité partielle depuis des mois. Un avis du 19 juin du Haut Conseil de la santé publique autorise la fin de l'activité partielle prévue au 1er septembre. On peut faire évoluer les choses en fonction de la circulation du virus, et la priorité reste évidemment la protection des plus fragiles. Mais le risque de désinsertion professionnelle est réel. J'ai consulté moi-même les fédérations d'usagers pour déterminer des listes de maladies donnant lieu à mise en activité partielle persistante. Par ailleurs, un médecin peut, sur ordonnance, continuer de déclarer son patient comme étant trop à risque pour travailler. Dans tous les cas, nous favorisons le télétravail.

Madame Jourda, le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss), la cellule opérationnelle chargée de la réception et de la gestion des alertes sanitaires et de la coordination des acteurs de l'expertise sanitaire, est certifié ISO. Je vous transmettrai le détail de sa composition. Nombre de partenaires sont mobilisés au-delà de cette structure et de la sous-direction : les ARS, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Établissement français du sang (EFS), l'Agence de la biomédecine, l'Institut national du cancer (INCa), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Toutes ces structures, qui comportent les meilleurs experts, participent à la veille de sécurité sanitaire, chacune dans son domaine.

Je crois que cette organisation a fonctionné : aux Contamines-Montjoie, dans l'Oise, les problèmes ont été identifiés tout de suite. Mais cette question fera partie du retour d'expérience général.

Pour le premier tour des municipales, c'est le politique qui a décidé ; nous ne sommes pas dans un biopouvoir.

Le conseil scientifique a été consulté deux fois, les 12 et 14 mars. Les deux avis sont publics. Je vous affirme sous serment que j'ai demandé au conseil : n'internalisez pas la contrainte politique, ne vous préoccupez pas de savoir si c'est compliqué d'annuler une élection, demandez-vous seulement si l'annulation du premier tour vous paraît nécessaire ou utile. Le 12 mars, le conseil recommande de ne pas annuler les élections. Deux jours plus tard, je redemande son avis compte tenu de l'évolution de la situation sanitaire, et sa réponse est la même : « L'exercice de la démocratie, garanti par la sécurité sanitaire du vote, gagne à être préservé, afin que la population conserve dans la durée une confiance. »

Les opérations du premier tour des municipales se sont déroulées dans des conditions particulières : distanciation sociale, respect des gestes barrières, gel hydro- alcoolique pour les stylos, entre autres mesures. Les études n'ont pas montré, il me semble - même si, sous serment, je n'aime pas employer cette expression -, un impact mesurable de cette élection. Dans les mois qui viendront, les scientifiques publieront des données affinées.

Enfin, sur le grand sujet, presque philosophique, de savoir s'il faut vivre quitte à en mourir, je puis comprendre ce type de réflexions quand elles emportent des conséquences sur la seule santé de celui qui les mène. On ne peut pas imposer aux gens de prendre soin d'eux malgré eux. En revanche, on peut leur imposer de prendre soin des autres malgré eux. Dans une voiture, la ceinture de sécurité n'a pour but seulement de protéger le conducteur : elle protège aussi les autres.

L'hygiénisme est une discipline complexe, peuplée de mises en garde, d'injonctions. Relisez Camus : nous n'avons rien inventé ! Le confinement d'Oran, la lassitude qui gagne la population semaine après semaine, mois après mois, la tentation de certains de se dire : et puis tant pis. Certains commencent à dire que, finalement, ce sont des personnes âgées, que c'est peut-être moins grave...

On n'est pas dans Soleil vert : dans la société française, au pays des Lumières, on protège les personnes vulnérables, quels que soient leur âge et leurs facteurs de risque sanitaire. Ce n'est pas à moi, ce n'est pas à nous de décider qui mérite d'être protégé et qui peut mourir pour protéger les autres.

C'est une question essentielle : nous avons fait le choix, sur lequel le Président de la République a été très clair, du « quoi qu'il en coûte » pour protéger la vie et assurer la sécurité des Français. Pour ceux qui seraient réservés sur l'intergénérationnalité, à laquelle je crois fondamentalement - j'ai fait de la neurologie et j'ai commencé ma carrière comme aide-soignant dans un Ehpad -, j'ajoute que près d'un malade sur trois admis en réanimation a moins de soixante-cinq ans.

Vivre quitte à en mourir, c'est une phrase à l'emporte-pièce qu'on peut lancer sur un blog ou compte Instagram, pour faire un effet de tribune ou peut-être comme exutoire personnel. Dans la période actuelle, je pense que nous devons être extrêmement attentifs, surtout quand nous sommes écoutés, à notre façon de nous exprimer et aux messages que nous véhiculons. Une société qui déciderait de faire l'impasse sur ses vieux, ses fragiles, ses précaires, de faire l'impasse sur des morts évitables, ce ne serait pas celle dans laquelle j'ai été élevé et dans laquelle j'ai envie d'élever mes enfants.

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