Intervention de Céline Brulin

Réunion du 17 octobre 2023 à 14h30
Partage de la valeur au sein de l'entreprise — Discussion générale

Photo de Céline BrulinCéline Brulin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier s’est ouverte une conférence sociale afin « que le travail paie mieux », selon les propres termes de la Première ministre ; conférence sociale arrachée – je le rappelle – par les représentants de la gauche lors des rencontres de Saint-Denis, auxquelles le Président de la République avait invité les dirigeants des partis politiques.

Ces mots de la Première ministre sont l’aveu implicite que le projet de loi dont nous engageons la discussion ne se traduira pas véritablement par une augmentation du pouvoir d’achat des salariés ; ils atténuent singulièrement ce que M. le ministre vient de nous dire en parlant d’exercice de démocratie sociale réussi.

La conférence sociale était également demandée par les organisations syndicales, unies face à la nécessité d’augmenter les salaires, l’ensemble des salaires et pas seulement les plus bas, par exemple en les indexant sur l’inflation.

Les organisations syndicales ont tenu à inscrire cet impératif dans le préambule de l’accord national interprofessionnel, en précisant : « Les partenaires sociaux réaffirment que le salaire doit rester la forme essentielle de la reconnaissance du travail fourni par les salariés et des compétences mises en œuvre à cet effet. »

Les organisations syndicales ont unanimement exprimé une autre revendication : que les exonérations fiscales ou sociales des entreprises soient conditionnées. Elles ont manifesté leur déception à cet égard à l’issue de la conférence d’hier.

Ce projet de loi nous est présenté comme l’aboutissement d’un compromis entre les organisations syndicales et patronales ; mais l’on omet souvent de dire que la deuxième organisation syndicale de salariés de notre pays a refusé de signer l’ANI et que les organisations syndicales signataires en critiquent elles-mêmes la portée, extrêmement limitée.

Je pense aussi que, du côté du Gouvernement, la vision de la démocratie sociale est à géométrie variable.

Monsieur le ministre, quand l’intersyndicale, unanime, soutenue par 75 % des Français, rejette votre réforme des retraites, vous n’écoutez pas. §Quand l’intersyndicale, comme, du reste, les organisations d’employeurs, refuse une ponction sur les comptes de l’Agirc-Arrco, vous passez en force.

De votre côté, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous dites que les parlementaires doivent « s’effacer pour laisser place à la démocratie sociale ». Vous êtes pourtant venus au secours du Gouvernement pour sauver la très impopulaire réforme des retraites. Cette dernière n’a dû son adoption qu’à la volonté de 193 sénateurs, soit même pas la totalité de la majorité sénatoriale… Drôle de façon de s’effacer au profit de la démocratie sociale !

Vous prétendez vouloir que ce projet de loi soit la transposition fidèle de l’accord ; or non seulement la redéfinition des métiers repères pour le réexamen des classifications n’y figure pas, mais vous en avez extirpé les mesures les plus favorables.

Dès lors, le texte que nous allons examiner est en deçà de l’accord national interprofessionnel signé en février dernier. Il se résume essentiellement à l’obligation pour les entreprises de 11 à 49 salariés d’instituer un dispositif de partage de la valeur, limité en réalité aux entreprises qui réalisent un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives.

Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), ces conditions limiteraient le nombre d’entreprises à 17 500 sur les 130 000 concernées ; ainsi, seuls 180 000 salariés sur les 27 millions que compte notre pays pourraient bénéficier d’un tel dispositif.

Ce projet de loi crée également une obligation de négociation dans les entreprises de moins de 50 salariés pour mettre en place un dispositif de participation. Il s’agit d’une obligation de réunir représentants des salariés et employeurs autour d’une table, non d’aboutir à un résultat.

Enfin, en prévoyant d’établir un niveau d’intéressement inférieur au seuil prévu par la loi et en renvoyant aux employeurs le soin de définir la notion de résultats exceptionnels, une telle mesure aura un effet extrêmement limité sur le pouvoir d’achat des salariés.

La commission des affaires sociales du Sénat a par ailleurs supprimé des modifications apportées par l’Assemblée nationale, qui avaient pourtant recueilli l’approbation des organisations syndicales ; c’est bien le signe que, sur ce sujet aussi, droite sénatoriale et Gouvernement marchent main dans la main.

En résumé, vous multipliez les dispositifs de primes, de participation, d’intéressement ou encore d’actionnariat salarié, alors que la priorité demeure l’augmentation des salaires. En outre, on peut craindre que les outils déployés ne bénéficient pas beaucoup plus qu’aujourd’hui aux salariés des PME, où, précisément, il y a moins de négociations salariales que dans les grosses entreprises.

C’est pourquoi les élus de notre groupe voteront contre ce projet de loi, tout en défendant des propositions permettant de revaloriser les salaires de nos concitoyens.

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