Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons que, pour être le plus juste et le plus efficace possible, notre système de santé doit s’appuyer sur trois principes fondamentaux.
Tout d’abord, une solidarité sans faille, celle-là même qui sous-tend l’ensemble de notre modèle de protection sociale.
Ensuite, une capacité d’adaptation et de modernisation : son importance n’a sans doute jamais été aussi visible que pendant la crise sanitaire, mais elle ne l’est pas moins face aux défis qui se dessinent.
Enfin, un ensemble de coopérations et de liens de confiance renforcés entre les différents professionnels et acteurs du système, pour répondre aux besoins et aux attentes des Français dans chacun de nos territoires.
La réponse à apporter s’inscrit dans la cohérence et la complémentarité des actions et des différentes politiques que nous menons. Lorsque j’ai pris les rênes du ministère de la santé et de la prévention, je suis devenu à la fois le ministre des soins hospitaliers et des soins de ville, de l’hôpital public et de l’hospitalisation privée, des professionnels qui exercent en ville et de ceux qui exercent en milieu rural.
À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je mesure la difficulté de la tâche à laquelle vous avez été contraints en devant travailler simultanément sur deux textes : d’une part, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, dont j’ouvrirai l’examen à l’Assemblée nationale dans quelques heures, qui traduit dans le cadre d’une loi financière les logiques de transformation de notre système de santé, en particulier dans le champ de la prévention, de l’accès aux produits de santé et de l’évolution du cadre de rémunération des établissements de santé ; d’autre part, cette proposition de loi, qui permet d’avancer sur le sujet des dynamiques de confiance et de responsabilité territoriale des professionnels de santé.
La rapporteure ainsi que la rapporteure générale et le président de la commission des affaires sociales ont regretté cet examen simultané, et je dois dire que je suis sensible à leur critique. Peut-être aurais-je dû défendre un autre calendrier d’examen par le Sénat de cette proposition de loi. Je ne sais pas si cela se pratique ici, mais je vous prie d’accepter mes excuses : je souhaitais que soient exposés simultanément les différents éléments qui sont aujourd’hui sur la table. À cet égard, je pourrais aussi mentionner le travail que nous conduisons sur la convention médicale.
Je mesure toutefois que le délai de quelques semaines qui s’est écoulé depuis le renouvellement sénatorial et la constitution de la commission des affaires sociales ne vous a sans doute pas permis d’approfondir la réflexion autant que vous l’auriez souhaité.
Nous sommes cependant tous d’accord pour considérer que les défis à relever sont immenses et urgents et imposent de la transparence. C’était aussi pour cette raison que j’avais souhaité mener de front ces différents chantiers – peut-être était-ce une erreur, en effet.
La santé constitue bien le premier sujet de préoccupation de nos compatriotes. Ils nous le rappellent sans cesse. Plusieurs d’entre vous me l’ont dit, notamment ceux qui ont remis en jeu leur mandat sénatorial. Les Français me le rappellent aussi lors de mes différents déplacements.
Tous nous interpellent, à raison, sur le manque de médecins et de professionnels de santé, ainsi que sur les nombreux défis auquel notre système de santé doit faire face. Ces défis, je crois que nous pouvons les relever en renforçant la confiance : la confiance des professionnels, qui ont choisi des métiers exceptionnels, mais difficiles et exigeants ; la confiance de nos concitoyens dans les politiques de santé qui les protègent ; la confiance dans l’avenir du système de santé et dans ses acteurs, avec lesquels nous devons le coconstruire.
Cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par Frédéric Valletoux. Elle comporte, je le crois, une partie des solutions.
La matrice de l’engagement territorial, qui constitue le fil directeur de ce texte, recouvre la volonté de mobiliser tous les acteurs d’un territoire et de les impliquer plus largement, pour mieux répondre à la problématique de l’accès aux soins. Je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, que beaucoup d’entre vous ont eu à mettre en œuvre concrètement dans leur commune ou leur département cet esprit de coalition.
J’ai confiance dans le sens des responsabilités des professionnels. Cette démarche, je l’oppose – et je le dis sans détour – à celle qui vise à imposer des mesures de coercition, notamment pour empêcher les médecins de s’installer à tel ou tel endroit. Si ces dernières peuvent sembler un remède attractif à court terme, je pense, après avoir d’ailleurs moi aussi beaucoup hésité sur cette question, que créer des rigidités et des contraintes serait totalement contre-productif et ne ferait que détourner plus encore de l’exercice de la médecine, en particulier de la médecine générale, qui constitue, nous le savons bien, un pilier incontournable de l’accès à la santé de nos concitoyens.
C’est pourquoi je souhaite d’emblée poser un préalable important à nos débats pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïtés : ce texte n’a en aucun cas vocation à se substituer à une action résolue et de long terme visant à augmenter structurellement le nombre de soignants.
Comme tous les grands pays, et pas seulement européens, la France est confrontée à une crise démographique qui touche la ressource médicale et soignante. C’est un fait.
Nous avons mesuré les dégâts du numerus clausus, et nous voyons d’ores et déjà les premiers effets de sa suppression. Nous formons davantage de professionnels : +15 % par an en moyenne.
Nous maintiendrons, collectivement et résolument, notre effort. Je pense notamment au travail que nous réalisons avec les régions pour former plus d’infirmiers et d’aides-soignants.
Tous les nouveaux professionnels qui arriveront dans le système bénéficieront, dans leur exercice quotidien, des nouvelles formes de coopération et d’organisation dont nous allons discuter.
Augmenter structurellement le nombre de professionnels et prendre des mesures d’application immédiate pour mieux coordonner et répartir les compétences en fonction des besoins constituent deux éléments nécessairement complémentaires.
Je m’y attache, à mon niveau, en reprenant la négociation conventionnelle avec les médecins libéraux. J’accorde la plus grande importance à cette étape fondamentale de la relation entre la puissance publique et la profession. Je suis convaincu que c’est par la confiance et le dialogue que nous aboutirons à une nouvelle convention.
Je souhaite que celle-ci puisse donner aux médecins tous les moyens pour réinventer leur métier, être davantage associés aux évolutions du système de santé et ainsi toujours mieux répondre aux besoins de santé de nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’articulation entre ces deux échéances – la discussion avec les médecins libéraux, d’une part, l’examen de cette proposition de loi déjà adoptée par l’Assemblée nationale au mois de juin dernier, d’autre part – représente une opportunité qu’il convient de saisir.
Il s’agit de tracer la perspective d’un pacte renouvelé de confiance et d’engagement avec les professionnels de santé. En effet, il n’existe ni solution miracle ni solution unique pour continuer à transformer et à fluidifier le fonctionnement et l’organisation territoriale de notre système de santé.
Ce texte a avant tout pour objectif de renforcer et de donner corps à la solidarité entre les différentes composantes du système de santé, dans une logique de coopération renforcée et de responsabilité partagée, à tous les niveaux.
Rien ne serait pire, j’y insiste, que de lier, par la loi, les mains des acteurs de la santé : nous les empêcherions de faire preuve de cette agilité si essentielle pour faire face aux défis que nous connaissons.
En effet, si l’État doit rester le garant des valeurs qui fondent notre système et si les grandes priorités doivent être définies à l’échelon national, l’enjeu est, aujourd’hui, de fournir des outils et des leviers, puis de faire confiance à ceux dans les mains desquels nous les plaçons, pour qu’ils puissent s’organiser et faciliter l’émergence de réponses territorialisées.
Ces leviers sont de différentes natures.
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) constituent le cadre principal de structuration des soins de proximité. La commission des affaires sociales a fait le choix de supprimer le rattachement automatique de tout professionnel de santé, sauf opposition de sa part, à une CPTS. Si le Gouvernement ne souhaite pas faire un totem de cette disposition – il n’a d’ailleurs pas déposé d’amendement pour la rétablir –, je pense qu’il conviendra de réfléchir, au cours de la navette parlementaire, à une disposition permettant de mieux valoriser la place opérationnelle des CPTS.
Les professionnels qui y sont engagés sont en effet animés de la volonté de faire progresser les organisations locales et il est indéniable que leur mobilisation et leur enthousiasme contribuent grandement au succès de ce mode d’organisation : 450 CPTS existaient en 2019, 756 en 2022 ; désormais, les CPTS couvrent plus de 80 % de la population.
Je ne soutiens évidemment pas qu’en matière de coordination toutes les CPTS sont parvenues au même niveau de maturité. Toutefois, la dynamique à l’œuvre montre qu’elles répondent à un besoin. Cela a été déjà particulièrement visible pendant la crise sanitaire au cours de laquelle elles ont facilité la mobilisation des libéraux et permis de faire tomber quelques murs entre les professions de santé.
Ces communautés sont également un lieu d’innovation et de progrès : je pense à des expérimentations qui permettent l’accès direct à certaines professions par ce biais.
Depuis des années, le Gouvernement accompagne fortement ce mouvement de structuration de la coopération. À cet égard, je tiens à souligner l’engagement de la ministre déléguée, Agnès Firmin Le Bodo, qui promeut le plan 100 % CPTS et qui a réalisé un « tour de France » des CPTS. Ce dernier a permis de dresser un état des lieux de ces communautés dans les territoires et d’identifier les facteurs de leur succès.
L’intégration des professionnels de la médecine scolaire dans les CPTS contribue ainsi à la coordination des interventions des professionnels de la santé de l’enfant. Il s’agit aussi d’une action essentielle dans notre plan de lutte contre le harcèlement scolaire.
Parallèlement, ce texte précise la définition du conseil territorial de santé (CTS), organe de démocratie sanitaire à l’échelle du territoire, élargit sa composition, renforce ses missions et ses responsabilités, pour lui permettre de répondre aux objectifs en matière d’amélioration et de continuité de l’accès aux soins.
À l’instar des députés, vous vous êtes largement saisis de cette mesure, mesdames, messieurs les sénateurs.
S’il accueille favorablement l’ajout de la participation des conseils des ordres professionnels, le Gouvernement défendra, sur ce point, une proposition de compromis entre les versions des deux assemblées, afin de rétablir notamment les leviers d’action à la main des acteurs territoriaux pour créer une offre de santé dans les territoires où elle est insuffisante. Cette proposition de loi vise ainsi à confier aux professionnels de santé qui siègent dans les CTS la responsabilité collective de s’organiser, afin de répondre aux besoins identifiés dans leur territoire.
Il est également proposé dans ce texte – c’est un point sur lequel je voudrais insister et à propos duquel j’ai déjà eu des échanges avec la rapporteure et le président de la commission des affaires sociales – d’élargir la responsabilité collective relative à l’organisation de la permanence des soins en établissements de santé, la fameuse PDSES, qui revient aux établissements et aux professionnels de santé qui les composent, dans le public comme dans le privé.
Il s’agit de mettre en œuvre cette responsabilité collective, notamment de rééquilibrer le dispositif entre le secteur public et le secteur privé, pour réduire la pression sur l’hôpital.
Là encore, les modalités du mécanisme ont fait l’objet de nombreux débats.
Je vous proposerai une position qui est, je l’estime, équilibrée et réaliste. Elle a été coconstruite avec les acteurs et vise à clarifier le nouveau cadre de participation des établissements de santé et des professionnels qui y exercent.
Ce cadre traduit la confiance que nous avons à l’égard des acteurs des territoires pour s’organiser. Il reposera en effet sur un appel à candidatures des établissements qui seront libres d’y répondre, qu’il s’agisse des établissements publics ou privés non lucratifs ou encore des cliniques privées, avec l’accord des praticiens libéraux qui y exercent.
Aussi, lorsqu’un établissement participant à la PDSES ne pourra pas assumer sa mission, faute de personnel suffisant, le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) pourra intervenir, mais seulement si un premier appel à candidatures a été lancé, afin de permettre à l’établissement d’assurer la permanence des soins qui lui incombe.
Je tiens à insister sur ce point crucial : le principe du volontariat des établissements et des professionnels de santé exerçant en leur sein est un pilier de cette future organisation de la PDSES. Celle-ci repose sur la confiance.
C’est uniquement de manière ultime et subsidiaire, en cas de carence et en dernier recours, qu’un établissement et ses professionnels de santé pourront être désignés pour assurer cette mission, dont l’exercice sera exclusivement effectué dans l’établissement sollicité.
Les professionnels de santé salariés des établissements publics ou libéraux pourront par ailleurs être sollicités pour renforcer les équipes d’autres établissements, mais uniquement, j’y insiste là encore, s’ils se sont portés volontaires pour le faire.
Outre les dispositifs structurants que sont les CTS, l’organisation de la PDSES et, comme je l’appelle de mes vœux, l’élargissement de la couverture des CPTS, le texte comporte plusieurs avancées sur des points plus précis.
Je les évoquerai rapidement, car nous aurons tout le loisir de les approfondir au cours des débats.
Le texte consolide ainsi le lien essentiel entre les patients et leurs professionnels de santé habituels pour éviter des ruptures dans les parcours de soins. Je pense à la création de la fonction d’infirmier référent, qui prend tout son sens au service des patients souffrant d’une affection de longue durée (ALD), comme le traduit l’apport de la commission des affaires sociales.
Je pourrais citer aussi les mesures concernant le statut et la gouvernance des hôpitaux, ainsi que les dispositions spécifiques applicables aux praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ou relatives à l’outre-mer. À cet égard, je salue l’important travail mené par Agnès Firmin Le Bodo.
Je tiens à mettre l’accent sur une mesure importante : celle qui porte sur l’interdiction de l’intérim en début de carrière soignante.
Il convient de souligner que les différentes mesures mises en place pour mieux réguler l’intérim visent non pas cette pratique en soi, mais les excès qui ont pu y être associés.
C’est tout le sens du plafonnement du montant des rémunérations des praticiens intérimaires, mis en œuvre par mon prédécesseur François Braun, au printemps dernier, en application de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification. Je tiens à citer François Braun, car cette mesure était une mesure difficile à prendre : elle avait été envisagée à plusieurs reprises par différents gouvernements, qui ont finalement exclu d’y recourir. Elle est pourtant nécessaire, même si sa mise en œuvre peut poser des difficultés à court terme dans certains établissements.
La possibilité de recourir à l’intérim est en effet nécessaire dans le système de santé, mais celle-ci doit rester une soupape et une capacité d’ouverture, et c’est pour lutter contre les dévoiements de ce système que le Gouvernement a souhaité agir. L’intérim ne peut être le mode de fonctionnement habituel des établissements et des professionnels.
Il nous faut trouver l’équilibre permettant de stabiliser et de renforcer les collectifs de travail hospitaliers, mais aussi de mieux accompagner les jeunes soignants dans le passage du statut d’étudiant à celui de professionnel de santé, en leur permettant de continuer à développer leurs connaissances dans des équipes stables. C’est aussi dans cette optique visant à renforcer l’attractivité et la construction des collectifs que le Gouvernement a présenté par voie d’amendement une mesure d’équité, qui vise à corriger une injustice qui pèse sur l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires : il sera ainsi proposé de traiter à l’identique les émoluments hospitaliers et les émoluments universitaires.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai confiance en votre capacité à trouver des solutions aux difficultés, avec comme pierre angulaire le souci de parvenir à une meilleure organisation territoriale des soins, grâce à la confiance donnée aux acteurs de terrain. Celle-ci permettra de susciter leur engagement, de les encourager à trouver une meilleure coordination et de renforcer leurs responsabilités.
Comme je l’ai indiqué précédemment, ce texte s’inscrit dans le chantier plus large de notre action résolue au service de nos concitoyens et des professionnels de santé. Je souhaite que nous continuions à avancer ensemble.