Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne puis commencer cette intervention sans condamner, comme tous ceux qui m'ont précédé, l'effroyable massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre dernier ; sans dénoncer ceux qui, chez nous, refusent de le condamner ; sans exprimer notre compassion et notre solidarité envers ses victimes ; enfin, sans avoir une pensée particulière pour nos compatriotes assassinés et pour ceux qui sont aujourd'hui retenus en otages.
Mais quelle que soit notre colère et quelle que soit notre douleur, nous avons le devoir de comprendre pour agir.
Il y aura un avant et un après le 7 octobre 2023, comme il y a eu un avant et un après le 11 septembre 2001 et un avant et un après le 24 février 2022.
Touche par touche, le visage du monde actuel se dessine. Le XXe siècle a vu la lutte à mort des démocraties contre les totalitarismes, que nous avions cru avoir gagnée à jamais le jour de la chute du mur de Berlin.
Le 11 septembre 2001 a révélé comme un coup de tonnerre que les démocraties, jusqu'à la plus puissante, étaient vulnérables.
Le 24 février 2022 a vu se reformer l'internationale des dictateurs contre le monde libre : Russie, Chine, Corée du Nord et Iran se sont alliés dans la guerre contre l'Ukraine, contre l'Europe et l'ordre du monde libéral.
Le 7 octobre 2023 a vu les mêmes quatre cavaliers de l'Apocalypse des dictatures se montrer solidaires dans le refus de dénoncer le terrorisme islamiste. Ce jour a aussi vu le reste du monde ne plus choisir son camp, contrairement au siècle précédent, mais se déterminer au gré de ses intérêts. Le monde bipolaire du XXe siècle a vécu, le monde unipolaire des trente dernières années aussi ; celui d'aujourd'hui voit se recréer l'affrontement des démocraties et des dictatures, mais dans un univers multipolaire où rien n'est joué d'avance. Dans ce monde nouveau, il ne faut pas se le cacher, les démocraties ont perdu beaucoup de terrain en trente ans.
Mais la partie est loin d'être terminée. Et il faut d'abord tordre le cou à une propagande mensongère, qui fait florès grâce à la simplicité de son slogan et à la sous-intelligentsia des pseudo-experts : non, le Sud global n'existe pas.
Loin d'être global, ce prétendu Sud est parfaitement divisé. Une dizaine de pays africains, huit pays d'Amérique latine et surtout l'Inde, qui représente un sixième de l'humanité, ont partagé les condamnations des Occidentaux contre le Hamas.
Beaucoup d'autres n'ont pas pris position, parce qu'ils pensent que cette guerre n'est pas la leur, ou parce qu'ils craignent la fin de la sécurité de leur approvisionnement pétrolier. Ce Sud global allié aux dictateurs est le rêve de l'internationale des tyrans, comme le mouvement des non-alignés était la marionnette de l'URSS ; mais ce n'est aujourd'hui qu'un rêve. Notre responsabilité historique est de faire en sorte qu'il ne devienne pas réalité ; autrement, le XXIe siècle se transformerait en cauchemar.
On peut disserter sans fin des raisons qui ont poussé le Hamas à cet effroyable massacre. Elles sont nombreuses, mais il en est une qui domine toutes les autres : la volonté d'anéantir les accords d'Abraham. Et si les mains qui ont égorgé les enfants israéliens viennent de Gaza, le cerveau qui a conçu ce plan atroce et machiavélique est à Téhéran.
La première des réactions internationales a été celle de Joe Biden ; il faut l'en créditer. Il n'a pas hésité à traverser deux fois l'Atlantique en vingt-quatre heures pour s'entretenir en tête-à-tête avec ses alliés israéliens et tenter, sans succès pour l'heure, de rencontrer les dirigeants arabes modérés.
Seules quelques phrases en langue de bois figuraient dans le communiqué publié après sa rencontre avec le Premier ministre israélien, mais il n'est pas besoin d'être spécialiste de géopolitique pour savoir ce qu'a vraiment dit le président des États-Unis : « Le 11 septembre 2001 a été pour le peuple américain le même choc que le 7 octobre pour le peuple israélien. La colère et la soif de vengeance nous ont conduits à deux erreurs majeures : l'invasion de l'Afghanistan, dont nous sommes repartis vingt ans plus tard aussi humiliés qu'au Vietnam, et l'invasion de l'Irak, qui a embrasé tout le Moyen-Orient et a eu comme conséquence le pire qui pouvait arriver : la création de Daech. C'est exactement ce que souhaitait Ben Laden. Nous continuerons inlassablement de vous aider à assurer l'existence et la sécurité d'Israël, mais ne commettez pas la même erreur ! »
Ce conseil, au lendemain même des attentats abominables du Hamas, qui ne peuvent conduire qu'à un désir de vengeance indiscriminée, était sans doute l'un des plus difficiles que Joe Biden ait donnés de toute sa vie. Les alliés indéfectibles d'Israël que sont les Américains étaient sans doute les mieux placés pour le donner. Mais c'est aussi le seul conseil qui puisse demain faire échouer le plan du Hamas et de l'Iran, en tentant de sauver les accords d'Abraham. Les Européens l'ont relayé ; c'est aujourd'hui le Président français qui délivre le même message.
La nature de la riposte de Tsahal montrera si ces conseils ont porté leurs fruits, si Israël parviendra à distinguer la population palestinienne des terroristes qui la prennent en otage depuis vingt ans, et s'il parviendra, dans ce monde où seules les images comptent, à montrer au monde qu'il le fait. Ce sera effroyablement difficile.
Ne parlons même pas de la situation des otages et du risque de guerre au Nord, avec le Hezbollah et, pire, avec l'Iran.
Il faudra ensuite répondre à une question essentielle : quelles sont les options à moyen terme ? Aucune ne semble pour l'heure crédible. L'occupation est impossible dans la durée, le maintien du Hamas au pouvoir est inacceptable, son remplacement par son rival, le Fatah, est intenable, une force d'interposition arabe est inenvisageable et un gouvernement fantoche est inimaginable.
Une guerre totale contre le peuple palestinien et non pas uniquement contre le Hamas, outre qu'elle serait contraire au droit humanitaire, ruinerait la détente amorcée par Israël depuis les accords d'Abraham avec ses voisins : Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Maroc et, potentiellement, l'Arabie saoudite.
Cette détente est le seul espoir d'un Moyen-Orient apaisé et concentré sur son développement économique plutôt que sur l'affrontement des idéologies et des guerres de religion.
Elle vient de subir un coup terrible, et l'échec du sommet pour la paix qui vient d'avoir lieu au Caire entre États arabes et européens n'incite pas à l'optimisme.
À long terme, la seule façon d'éradiquer le terrorisme islamiste est, pour Israël et ses partenaires arabes, de trouver le chemin de la stabilité et, un jour, de la paix. Parvenir à une coexistence pacifiée avec ses voisins est pour Israël non pas un choix, mais une obligation. Ceci suppose de résoudre enfin le problème laissé sans réponse depuis toutes ces années : comment réussir la cohabitation de deux peuples qui vivent sur cette même partie du monde et qui y resteront ?
Les accords d'Abraham avaient commencé d'établir une pierre à cet édifice de paix. La prise en compte de l'avenir des Palestiniens, qui constituaient la tache aveugle de ces accords, doit les compléter, si l'on veut que le Moyen-Orient ne reparte pas pour vingt ou trente ans de guerre, analogues aux soixante-quinze ans qui se sont écoulés depuis 1947.
Les massacres du 7 octobre semblent nous éloigner pour longtemps d'une telle réponse, mais l'histoire est faite de surprises. Et le vertige d'un nouvel embrasement dont les conséquences seraient dramatiques peut, sans doute, faire retrouver le chemin de la raison. C'est à cette très fragile espérance que notre pays doit se raccrocher. §