Intervention de Franck DHERSIN

Réunion du 23 octobre 2023 à 21h30
Ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la ratp — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Franck DHERSINFranck DHERSIN :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir dans cet hémicycle pour l’examen de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

Comme vient de l’indiquer son auteur à l’instant, il ne s’agit pas d’un texte idéologique entérinant le principe de l’ouverture à la concurrence. Ce débat a déjà eu lieu, ici même, au sein de la Haute Assemblée, à l’occasion de l’examen de la LOM, la loi d’orientation des mobilités, en 2019, et, auparavant, en 2009.

Le législateur n’a fait que traduire les obligations qui découlaient du droit de l’Union européenne, fidèle en cela au respect des engagements européens de la France et à la hiérarchie des normes.

Le règlement européen, dit OSP, de 2007 a en effet tracé la trajectoire à suivre par les États membres en matière d’exploitation des services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, avec un choix laissé aux autorités nationales : soit un opérateur interne émanant de l’autorité organisatrice des mobilités, soit l’attribution de contrats de service public après mise en concurrence.

La loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dite ORTF, de 2009 a tiré les conséquences de cet acte juridique européen, en fixant des échéances à quinze ans, vingt ans et trente ans : une ouverture effective à la concurrence le 31 décembre 2024 pour le transport routier, le 31 décembre 2029 pour le tramway et le 31 décembre 2039 pour le transport guidé, c’est-à-dire le métro et le RER.

Le processus de cette ouverture à la concurrence a été déterminé par la LOM en 2019, notamment en ce qui concerne les modalités pratiques de transfert des salariés aux nouveaux employeurs, tout en garantissant la portabilité de certains éléments du statut RATP et des acquis sociaux de haut niveau, avec le fameux « sac à dos social ».

Le cadre normatif de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien découle de ces deux lois.

J’ai souhaité insister sur la genèse de l’ouverture à la concurrence et les jalons législatifs qui ont précédé le texte nous occupant ce soir, pour une raison assez simple : aujourd’hui, nous ne débattons pas du principe de l’ouverture à la concurrence. Ce débat est tranché, et le rouvrir serait malhonnête et irresponsable. Ce processus est en effet déjà engagé, tous les acteurs s’y préparent : Île-de-France Mobilités, la RATP, mais également les entreprises de transport susceptibles de candidater pour l’attribution des 13 lots.

Faire comme si nous pouvions remettre en cause la trajectoire que nous nous sommes collectivement fixée nous exposerait non seulement à un recours en manquement auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, mais aussi à des protestations légitimes de la part des entreprises qui préparent leurs offres et qui ont engagé pour ce faire d’importantes ressources.

Il s’agit donc d’un processus engagé depuis une quinzaine d’années, sur une temporalité longue, afin de laisser le temps aux acteurs de s’y préparer dans les meilleures conditions possible.

Valérie Pécresse l’a affirmé en réunion plénière de la commission, et Jean Castex me l’a confirmé dans le cadre des auditions que j’ai conduites : l’autorité organisatrice des mobilités et le monopole historique ne contestent ni les échéances ni le bien-fondé de l’ouverture à la concurrence. Donner à croire aux syndicats et aux salariés qu’un moratoire est souhaitable, et même possible, n’est pas une position responsable.

Ce texte est animé par une intention aussi simple que louable : faire en sorte que le processus d’ouverture à la concurrence soit équitable, socialement juste et améliore la qualité du service, dans l’intérêt des usagers du quotidien, en veillant à la continuité du service public, mais aussi des salariés, afin que l’ouverture à la concurrence profite à tous et ne crée pas de perdants.

J’ai tout lieu de croire que le texte permet d’atteindre cet objectif. En effet, les acteurs que j’ai entendus estiment que nous avons trouvé un point d’équilibre à même de fluidifier le processus et de rassurer les salariés, avec un aménagement du calendrier raisonnable et respectueux du cadre réglementaire européen.

J’ai notamment entendu MM. Bailly et Grosset, chargés par Île-de-France Mobilités d’une mission de préfiguration sociale pour faciliter l’ouverture effective à la concurrence. Ils retrouveront dans ce texte l’ensemble de leurs recommandations et les solutions qu’ils ont préconisées pour faciliter le transfert des salariés, dans le respect de l’équité concurrentielle et en assurant la meilleure qualité de service possible dans un cadre social exigeant.

Les syndicats que j’ai entendus, s’ils sont effectivement opposés à l’ouverture à la concurrence et me l’ont fait savoir au cours d’un échange franc et courtois, ont reconnu que ce texte élargissait le socle des bénéficiaires du « sac à dos social ». Le désaccord avec les syndicats est donc principiel. Il ne porte pas sur les modalités du texte que nous examinerons ce soir, car les évolutions proposées sont en réalité socialement mieux-disantes par rapport au droit actuel.

Le texte tend à combler les angles morts de la LOM et à allonger les délais d’information pour permettre aux salariés de mieux se préparer à un changement professionnel, dont je conçois qu’il suscite des inquiétudes. Il surmonte le problème de l’impossible transfert de 19 000 salariés, 308 lignes de bus et 4 500 bus en une seule nuit !

Nous examinons un texte de progrès qui permet à un plus grand nombre de salariés de bénéficier de garanties sociales de haut niveau issues du statut RATP, qui évite la pagaille le 1er janvier 2025 et permet d’assurer une meilleure équité concurrentielle : voilà trois bonnes raisons de le défendre devant vous.

Néanmoins, ce ne sont pas les seuls motifs d’intérêt du texte. Celui-ci contribue également à limiter les cas de mobilités géographiques imposées aux salariés, du fait de la réorganisation menée par Île-de-France Mobilités, avec le rattachement des lignes aux centres-bus, pour garantir une meilleure cohérence des lots mis en concurrence.

Ce texte opère ainsi une transformation importante des modalités du transfert : il ne s’effectue plus ligne par ligne, mais par centre-bus. Sans cette disposition, plus de 3 000 salariés auraient risqué de changer de lieu de prise de poste et, ainsi, de subir un allongement significatif de leurs trajets domicile-travail.

Pour limiter les phénomènes de sureffectif ou de sous-effectif qui pourraient découler de ce changement d’unité de transfert, ce texte met en œuvre une procédure de volontariat, confiée à Île-de-France Mobilités.

Il prévoit des dispositions spécifiques pour les conducteurs de bus de nuit, sans lesquelles ces conducteurs attachés aux horaires nocturnes et atypiques seraient reversés sur des lignes de jour.

Il permet également que les salariés des entités mutualisées ou filialisées ne soient pas moins bien lotis que les salariés transférés de la RATP aux nouveaux employeurs.

Ce texte se caractérise par un soin constant apporté aux garanties sociales et à la situation de chaque salarié. Il veille également à ce que le dialogue social puisse se poursuivre sans discontinuité à une période charnière pour l’ensemble du personnel de la RATP, l’article 6 visant à proroger le mandat des représentants du personnel de l’établissement public industriel et commercial RATP jusqu’à l’affectation du dernier lot par Île-de-France Mobilités.

Une autre disposition phare du texte, de nature à éviter un « big-bang organisationnel », est celle qui laisse à Île-de-France Mobilités la latitude d’échelonner le calendrier d’ouverture effective à la concurrence pendant une durée maximale de deux ans par rapport à la date initialement fixée par le législateur, c’est-à-dire entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026.

Cet aménagement, prévu à l’article 4, contribuera à fluidifier le processus d’attribution des lots, avec un séquençage qui évite une désorganisation des services de transport public, laisse le temps aux candidats de préparer des offres mieux calibrées et desserre pour Île-de-France Mobilités la contrainte d’avoir à superviser, en une seule nuit, un impossible transfert.

Ce nécessaire aménagement de calendrier s’explique aussi par la perspective désormais proche – l’été 2024 –, des jeux Olympiques et Paralympiques, qui solliciteront de manière inédite les pleines capacités de transport public de la capitale.

Le texte prévoit également le report, pour une période transitoire de quinze mois, de l’entrée en vigueur du cadre social territorialisé, le CST. Celui-ci prévoit notamment une ampleur journalière de travail maximale de onze heures, alors que cette amplitude est de treize heures à la RATP, en vertu d’un accord collectif d’entreprise.

L’entrée en vigueur du CST lors du changement d’employeur entraînerait un besoin immédiat d’environ 500 à 700 conducteurs supplémentaires, pour compenser la baisse de l’amplitude horaire maximale journalière de deux heures. Ce n’est évidemment pas souhaitable, en raison de la distorsion concurrentielle induite par une telle mesure.

Pour lever cette difficulté, je présenterai, au nom de la commission, un amendement tendant à ouvrir la possibilité de maintenir cette amplitude maximale à treize heures au sein des entreprises attributaires, dès lors qu’un accord d’entreprise le prévoit, c’est-à-dire au terme d’un dialogue social avec les salariés et les syndicats, pour écarter le risque d’une décision unilatérale non voulue par les salariés.

Parmi les autres dispositions significatives de la proposition de loi, je signalerai celle qui précise la mission de règlement des différends confiée à l’Autorité de régulation des transports, l’ART, en cas de litige entre Île-de-France Mobilités et la RATP sur le nombre de salariés à transférer par centre-bus ou encore les modalités concernant les biens de retour et les biens de reprise.

Ce texte prévoit enfin une meilleure représentation des entreprises au sein du conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités, qui me semble justifiée par le rôle contributif déterminant des employeurs : ces acteurs assurent en effet près de la moitié du financement des transports publics en Île-de-France, au travers du versement mobilité et du remboursement des frais de transport aux salariés.

En définitive, il s’agit d’un texte nécessaire pour accompagner l’immense défi technique, opérationnel et social de l’ouverture à la concurrence de l’un des réseaux les plus denses d’Europe, tout en répondant aux attentes des salariés et en élargissant le socle des bénéficiaires du « sac à dos social ».

La commission s’est attachée à sécuriser juridiquement le texte, en respectant l’esprit qui a animé son auteur, notre collègue Vincent Capo-Canellas, afin de garantir la qualité et la fluidité du processus d’ouverture à la concurrence.

Elle a permis d’améliorer l’équité concurrentielle du processus, en s’assurant que les candidats soient à même de présenter leur offre avec le meilleur niveau d’information possible et le temps nécessaire pour soumissionner, dans l’intérêt des voyageurs et de la qualité du service public.

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