J’ose espérer que règne dans cette enceinte un respect unanime du débat parlementaire et de la démocratie locale – j’y reviendrai.
Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire. Plus encore, il faut le rappeler, le calendrier que vous proposez va venir percuter très directement les élections municipales de 2026.
Les citoyens de la région Île-de-France ne se sont d’ailleurs jamais prononcés clairement sur ce sujet de l’ouverture à la concurrence. La perspective des séquences électorales à venir, en 2026, en 2027 et surtout en 2028, mérite que nous attendions, c’est-à-dire que nous laissions la parole aux citoyens. C’est d’autant plus nécessaire que l’ouverture à la concurrence – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – n’était pas une obligation : le fameux règlement européen n° 1370/2007, dit OSP, ne fixait pas d’obligation en la matière.
Je précise que la computation des seuils s’applique bien pour trente ans à compter de décembre 2009, date d’entrée en vigueur du règlement : nous avions donc jusqu’en 2039… Vous l’avez vous-même dit, monsieur le ministre : il paraissait plus sage de décaler le calendrier. Nous estimons, quant à nous, qu’il fallait décaler le décalage !
Quoi qu’il en soit, nul problème démocratique majeur ne se posait ici, d’autant que les choses ont changé depuis 2020, cela n’aura échappé à personne : crise sanitaire, tensions sociales, difficultés de recrutement, tout cela est venu singulièrement compliquer la tâche.
Surtout, nous observons d’ores et déjà, au gré des échanges que nous avons avec les organisations syndicales et avec les élus, les effets très préoccupants de la mise en concurrence qui a eu lieu en grande couronne avec le réseau Optile (Organisation professionnelle des transports d’Île-de-France).
Voici les retours du terrain, qui ne sont rien moins qu’imaginaires : pour les salariés, coût social élevé et détérioration des conditions de travail ; pour les usagers, coût sociétal élevé, dégradation de la qualité de service. Les propos que nous avons recueillis, à Melun Val de Seine, sur le plateau de Saclay, dans le Vexin ou à Moret Seine et Loing, sont extrêmement sévères, qu’ils émanent des élus, des citoyens ou même des entreprises attributaires des lots.
Ainsi est-il question, dans un courrier rédigé par l’administrateur général d’Optile, de « difficultés financières importantes, parfois insoutenables, qui risquent d’entraîner une dynamique négative sur la qualité de service, le climat social et la capacité à recruter ».
Ce que nous entendons là, et ce n’est pas un cas isolé, c’est que les entreprises dont vous parliez en évoquant l’éventuel report supplémentaire que nous pourrions proposer expriment leur mécontentement, et de la manière la plus vive, à propos d’une mise en concurrence qui est déjà à l’œuvre.
Pour ce qui est du « sac à dos social », vous avez rappelé les progrès qui ont été réalisés. Certes, mais quid de la situation de départ ? Elle n’était à l’évidence absolument pas satisfaisante. Oui, des progrès ont été accomplis par rapport à cette situation de départ, mais la réalité est que le schéma qui est ici proposé ne rassure en rien les salariés et leurs représentants. Nous avons rencontré nous aussi les organisations syndicales : leur message est extrêmement clair.
L’opposition n’est pas que de principe : elle vaut y compris pour les mesures contenues dans cette proposition de loi et pour ses angles morts, par exemple le service de nuit. La réorganisation prévue, avec un seul lot pour les bus de nuit, entraînera nécessairement, sans mauvais jeu de mots, une « perte en ligne » pour de nombreux chauffeurs qui ne se porteront pas volontaires, mais aussi pour le service lui-même.
Quid également du maintien du salaire net et de tous les avantages existants, qui n’est pas garanti ? Nous avons notamment parlé avec les organisations syndicales des jours de repos.
Quant à la supervision et à la gestion des incidents, elles suscitent également de très fortes inquiétudes : la transition n’a pas tout à fait été préparée, c’est le moins que l’on puisse dire. De ce point de vue, le rapport de la mission Bailly-Grosset, du moins le document que nous avons pu consulter, s’en tient au service minimum au regard des attentes exprimées par les organisations syndicales. Ces dernières ont elles-mêmes dit qu’elles considéraient que cette mission « n’était pas légitime »…
Des interrogations financières subsistent par ailleurs : on le sait très bien, un mur d’investissements attend Île-de-France Mobilités, alors même que cette structure est déjà en très grande difficulté.
Des incertitudes majeures pèsent sur ses recettes, et l’on peut craindre que le financement des dépenses induites, qui pourraient croître énormément – cela se vérifie déjà en grande couronne –, demain, en petite couronne et à Paris, finisse par reposer assez largement sur l’usager, comme cela se produit couramment ces dernières années. Une telle situation se paierait d’un coût sociétal, à savoir le recours plus fréquent à la voiture – c’est ce que l’on observe en grande couronne –, d’un coût social et d’un coût financier.
Mes chers collègues, en votant cette motion tendant à opposer la question préalable, nous redonnerons aux citoyens la possibilité de choisir en toute connaissance de cause