Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la « délégation de service public au privé » – puisque l’on n’a pas le droit de parler de « privatisation » ! – des bus de la RATP de Paris et de la petite couronne. « Privatisation », c’est pourtant l’expression employée par le collectif des 250 élus d’Île-de-France…
Issu d’une directive européenne, ce processus est prévu par LOM pour le 1er janvier 2025. Or, à quasiment un an de cette échéance, chacun s’accorde à reconnaître que les conditions matérielles, économiques et sociales ne sont pas pleinement réunies.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’interroge donc légitimement sur le processus d’ouverture à la concurrence proposé au travers de ce texte, qu’il s’agisse de la préservation des conditions de travail des salariés, de l’intérêt des usagers ou de la continuité de service public.
Nous regrettons que l’option possible, dans le cadre des règles européennes, de régie publique n’ait pas été retenue. Nous savons tous, en effet, que dans Paris et la petite couronne les bus, les métros, les tramways, voire les RER, fonctionnent en un ensemble multimodal interconnecté, à savoir le réseau de la RATP.
Mettre en concurrence des éléments de cet ensemble, c’est prendre le risque de susciter de multiples problèmes ou difficultés. Nous ne pouvons pas agir sans un minimum de préparation et d’anticipation. Avec 12 ou 13 lots et des lignes ou des dépôts « éclatés », peut-être faut-il se préparer à un fiasco…
Les quelque 19 000 agents concernés ne sont pas sereins au sujet de leur transfert aux différents opérateurs. Les syndicats, qui sont en première ligne, tirent la sonnette d’alarme.
Monsieur le rapporteur, ce n’est pas parce que nous reprenons leurs arguments qu’il faudrait nécessairement les balayer d’un revers de main sans y apporter de réponse ! Les syndicats s’interrogent, notamment, sur le bien-fondé de cette ouverture à la concurrence et sur la capacité des opérateurs à répondre aux attentes sociales, alors qu’il existe déjà de fortes difficultés structurelles en matière de recrutement.
Le groupe auquel j’appartiens s’interroge sur l’échéance retenue. Pourquoi ne pas se donner plus de temps, afin d’apaiser les tensions et de clarifier les zones d’ombre ?
Une proposition de loi communiste déposée à l’Assemblée nationale prévoyait un compromis possible. Ce texte, on le sait, a été balayé en commission par un amendement tendant à rapprocher fortement le délai, comme vise également à le prévoir la présente proposition de loi.
L’autorité organisatrice a fait le choix de retenir le critère du prix – 40 % de la note finale – comme premier élément de notation. Mais l’offre la moins-disante économiquement pourrait aussi être la moins-disante socialement. Le risque est ici que les opérateurs privés ne rognent en premier lieu sur la masse salariale.
Or nous devons garantir l’attractivité des transports publics du quotidien. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des débats que nous avons eus tout au long de cette après-midi. Leur développement est un sujet majeur si nous voulons assurer un report modal vers les mobilités décarbonées.
Le défi est donc grand pour la région Île-de-France, qui s’apprête à absorber d’importantes charges d’exploitation supplémentaires et à entamer la nécessaire transition énergétique d’électrification des bus.
Je m’interroge également sur la constitution des allotissements, dont nous ne pouvons mesurer la pertinence, comme je l’ai souligné tout à l’heure, puisque leur détail précis est inconnu à ce stade. Un équilibre serait essentiel entre les lignes rentables et celles qui sont plus fragiles.
L’ouverture à la concurrence risque, par ailleurs, au vu de conditions de mise en œuvre, d’amplifier la discrimination territoriale et de mettre à mal, voire de condamner, les traverses, c’est-à-dire ces petites lignes indispensables dans les quelques zones blanches mal desservies dans Paris intra-muros, qui sont aujourd’hui maintenues grâce aux financements de la ville.
En plus de la multiplication des opérateurs, qui sera source de complexité, l’attribution des lots pour cinq ans sera, elle, source d’instabilité.
Selon Valérie Pécresse, la mission confiée à Jean Grosset et à Jean-Paul Bailly, qui n’a pas été publiée, je le rappelle, et dont j’attends de lire les recommandations, aurait été menée autour d’une réelle concertation avec l’ensemble des personnels. Mais tout cela est bien flou, d’autant que la dégradation des conditions de travail et de la qualité de l’offre est déjà visible dans des secteurs de grande et moyenne couronnes ouverts à la concurrence.
Dans ces zones, alors que la présidente de la région parle d’une « nette amélioration avec des services plus nombreux », certaines collectivités souffrent du manque de bus.
Nous percevons de nombreux risques dans le processus précipité en cours. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe ne votera pas ce texte.