Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques jours, j’étais avec les salariés de la clinique de l’Abbaye de Fécamp, des agents de l’hôpital public et des habitants mobilisés pour que cette clinique, en redressement judiciaire, soit reprise, avec l’ensemble de ses salariés, par l’hôpital public.
À défaut, un service de chirurgie disparaîtrait, entraînant d’autres graves conséquences pour les Fécampois, le devenir de la maternité y étant par exemple lié. Je sollicite d’ailleurs, monsieur le ministre, toute votre attention sur cette situation.
En évoquant cet exemple, je veux redire ici ce que subissent des millions de nos concitoyens : fermeture récurrente des urgences, délais de rendez-vous excessifs pour consulter un généraliste, impossibilité parfois d’en trouver chez un spécialiste.
Comment accepter que 6 millions de personnes n’aient pas de médecin traitant dans notre pays, que la mortalité infantile progresse et que nos urgences pédiatriques soient au bord de l’effondrement ? Comment ne pas comprendre que de plus en plus de nos concitoyens se sentent abandonnés par la République ?
Les professionnels de santé, en ville comme à l’hôpital, sont eux-mêmes épuisés. L’un d’entre eux nous disait, lors des auditions organisées par la rapporteure, ne même pas voir « le début de la lumière au bout du tunnel ».
Cette situation nécessiterait un plan Marshall, un projet de loi ambitieux, des mesures structurelles et des moyens à la hauteur de l’enjeu.
En guise de quoi, nous avons cette proposition de loi, qui intervient quelques mois seulement après la loi Rist 2, quelques jours avant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et alors que se rouvrent les négociations conventionnelles avec les médecins.
Il s’agit d’un texte fait de mesures d’affichage, technocratiques pour certaines, dont on peut douter des effets réels sur l’amélioration de l’offre de soins.
Il s’agit d’une proposition de loi qui, dès son titre, semble vouloir faire peser sur les seules professions de santé la situation que nous connaissons aujourd’hui, exonérant l’État, la puissance publique en général, de ses propres responsabilités. Qui plus est, elle considère la territorialisation comme une réponse absolue.
Donnez tous les pouvoirs que vous voulez aux conseils territoriaux de santé : s’ils doivent continuer de gérer la pénurie de soignants, ils ne parviendront pas à améliorer l’accès aux soins.
Or c’est précisément ce qu’attendent nos concitoyens, comme les élus locaux et les collectivités locales, qui se démènent pour améliorer les choses, mais se heurtent aux travers structurels de notre système de soins.
Certes, cette proposition de loi contient de-ci de-là quelques mesures intéressantes, par exemple l’encadrement de l’intérim, le retour à une forme de solidarité du secteur privé pour rétablir la permanence des soins ou encore l’exonération de la majoration du ticket modérateur pour les patients dont le médecin part à la retraite sans être remplacé.
Reste que ce texte manque cruellement d’ambition et les modifications apportées par la commission des affaires sociales du Sénat en limitent encore la portée. Je pense notamment à la permanence des soins ambulatoires, sujet crucial à nos yeux.
La commission a également atténué le principe de responsabilité collective des établissements publics et privés sur la permanence des soins, en introduisant un principe de gradation du processus. Pas de quoi changer véritablement la donne !
Il y a également trop peu sur la formation. Pour engager un réel effort en la matière, il faudrait partir des besoins et pas des limites capacitaires de nos universités. Il faudrait démocratiser les études de santé, s’appuyer sur ceux qui veulent devenir infirmiers et que Parcoursup écarte trop souvent des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi).
Si peu encore en faveur de la régulation de l’installation des médecins, seuls professionnels de santé à ne pas y être soumis, alors que l’échec de la liberté d’installation est aujourd’hui établi.
Enfin, ce texte ne répond pas à l’indigne situation faite aux praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), qui forment les premières lignes dans les services des hôpitaux désertés avec une rémunération bien faible par rapport aux responsabilités qu’ils exercent.
En supprimant des articles, en renvoyant ce sujet au débat sur le projet de loi Immigration, la majorité sénatoriale fait le choix de débattre des conditions de séjour des Padhue par le prisme du contrôle de l’immigration plutôt que par celui de l’accès aux soins. Voilà pourtant bien la véritable priorité de nos concitoyens !
Le groupe CRCE-Kanaky a déposé une trentaine d’amendements, notamment pour rétablir l’obligation de garde les soirs et les week-ends, encadrer l’installation des médecins, permettre aux collectivités territoriales de bénéficier des aides à l’installation pour la création de centres de santé et, de manière générale, favoriser véritablement l’accès aux soins de tous.
Non, tout n’a pas été essayé pour faire face à la désertification médicale que nous connaissons. Il faut d’urgence sortir des impasses de notre système de santé !