Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 16 octobre 2023 à 16h00
Programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 — Discussion générale

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Le monde change, mais en France, rien ne change !

La dernière édition du Moniteur des finances publiques du FMI – je vois que vous lisez vous aussi les productions de cette institution, monsieur le ministre – indique pourtant clairement que l’action climatique va contraindre les décideurs à des arbitrages difficiles.

D’un côté, recourir principalement et de manière croissante à des mesures de dépenses pour atteindre les objectifs de lutte contre le changement climatique va se révéler de plus en plus coûteux. Un endettement élevé, la hausse des taux d’intérêt et la dégradation des perspectives de croissance rendront les finances publiques de plus en plus difficiles à équilibrer.

D’un autre côté, opter pour le statu quo rendrait le monde plus vulnérable face aux effets du réchauffement climatique.

Dit autrement, les pouvoirs publics sont confrontés à un trilemme : ils doivent mettre en œuvre des mesures faisables politiquement, atteindre les objectifs climatiques que nous nous sommes fixés et assurer la viabilité des finances publiques.

Je n’ai pas le sentiment, malheureusement, que ce projet de loi de programmation prenne la mesure de ce trilemme. Selon la trajectoire de solde structurel présentée dans le texte, qui est assise, comme l’a rappelé le rapporteur général, sur des hypothèses très optimistes, le déficit serait de 2, 7 points de PIB en 2027. Le Haut Conseil des finances publiques souligne d’ailleurs le poids croissant des charges d’intérêts de la dette.

Par ailleurs, l’objectif fixé pour 2027 suppose, du côté des dépenses, d’importantes économies structurelles qui ne sont absolument pas documentées. Le Gouvernement indique qu’elles pourront être précisées à l’issue d’un exercice de revue de la dépense… Parlons-en, de cette revue et de l’évaluation de la qualité de la dépense publique !

Le projet de loi de programmation prévoit un dispositif d’évaluation fondé sur des évaluations annuelles thématiques. Un premier exercice s’est déroulé au premier semestre 2023 et a fait l’objet d’un rapport au Parlement.

Disons-le, les douze premières missions étudiées sont de natures et d’enjeux très variés : y voisinent notamment, pêle-mêle, la politique du logement et les dépenses de nuitées hôtelières de l’hébergement d’urgence. Permettez-moi d’observer que l’assiette de dépenses n’est pas exactement la même dans un cas et dans l’autre…

La Cour des comptes a choisi de se saisir de ce sujet et a complété les travaux engagés par le Gouvernement en publiant au mois de juillet dernier neuf notes thématiques. Là encore, la politique du logement a été étudiée. Cet effort s’inscrit dans la droite ligne des propos du Premier président, M. Pierre Moscovici, qui a préconisé, devant les sénateurs, de « lever le capot » de la dépense publique.

Quels sont les effets de ces premiers rapports ? Je vous le donne en mille : il n’y en a pas !

J’en donne un seul exemple : le Fonds national d’action sociale de la branche famille. La conclusion des travaux réalisés à ce sujet a déclenché l’ire des élus locaux. Ainsi, le 30 septembre dernier, voici ce que tweetait le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) : « Après l’alerte de l’AMF sur la décision de diminuer, en 2023, puis de supprimer à la rentrée 2024 le fonds de soutien aux activités périscolaires, Élisabeth Borne m’a fait savoir que les crédits pour 2023/24 seraient rétablis. Pour la rentrée 2024, l’AMF fera des propositions. » Traduction : six mois de travail pour rien…

Ces travaux pourraient être utilement complétés par ceux du Conseil d’État, qui, dans son étude annuelle publiée au début du mois de septembre, nous invite à étudier les politiques publiques en chaussant non pas seulement les lunettes de celui qui les fait, mais aussi celles de l’usager, ce qui revient à les aborder en donnant la priorité à l’impératif de proximité et au pragmatisme.

Un deuxième champ doit faire l’objet d’une évaluation si nous voulons diminuer la dépense publique, celui des dépenses fiscales.

Pour une meilleure information du Parlement, l’exécutif devra remettre annuellement une liste des niches fiscales arrivant à échéance ainsi qu’une évaluation des niches non bornées dans le temps. Tout cela sera très certainement pour le projet de loi de finances pour 2025, car je n’ai toujours pas trouvé de document en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2024 – ce n’est pas faute d’avoir cherché de nouveau il y a encore quelques instants…

Il conviendrait avant toute chose de définir ce qu’est une dépense fiscale : dans le tome II du document d’évaluation des voies et moyens annexé au PLF pour 2024, pas moins de cinq pages sont nécessaires pour nous expliquer de quoi il retourne. La norme actuelle est très floue : comment expliquer que le taux de TVA à 10 % sur la cantine d’entreprise soit considéré comme une dépense fiscale quand le taux de TVA à 5, 5 % sur la cantine scolaire ne l’est pas ?

Par ailleurs, les dépenses fiscales n’ont pas de « responsable » au sens des « responsables de programme » de la Lolf : ce sont des dépenses de guichet.

La dernière revue systématique des dépenses fiscales remonte à 2011. Elle faisait suite à une inscription dans la loi de programmation des finances publiques de 2009. À l’époque, 315 dépenses avaient été analysées. Dans son rapport sur le budget de l’État en 2022, la Cour des comptes relève que les multiples évaluations annoncées depuis dix ans sont restées lettre morte. Et le PLF relatif au prochain exercice ne fait pas exception : sur les 467 dépenses inscrites dans le document d’évaluation que j’ai cité, 403 seulement sont chiffrées, dont 129 avec un ordre de grandeur. Dit autrement, 41 % des dépenses fiscales sont mal connues ! La présente loi de programmation limitant leur durée à trois ans, il va falloir dès maintenant commencer le travail d’évaluation…

Au prochain épisode, je vous parlerai de l’évaluation du budget climatique : là aussi, il y aura beaucoup à dire !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion