Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre commission a examiné et adopté, la semaine dernière, ce projet de loi qui prévoit l’entrée en vigueur de deux nouvelles conventions fiscales bilatérales, l’une avec le Danemark, l’autre avec la Grèce.
Comme vous le savez, l’article 53 de la Constitution subordonne l’entrée en vigueur de certains accords internationaux, dont les conventions fiscales, à l’autorisation du Parlement. Les pouvoirs de ce dernier sont néanmoins limités en la matière, étant donné que les projets de loi concernés ont pour unique objet de valider, ou de rejeter, les solutions négociées par l’exécutif.
Alors que le Sénat se trouve être la première assemblée saisie, l’examen de ce texte est d’autant plus attendu que les deux conventions qu’il concerne ont été signées par la France voilà plus d’un an : en février 2022 pour le Danemark et en mai 2022 pour la Grèce. Les solutions négociées n’entreront en vigueur qu’à la condition que la loi soit adoptée par le Parlement.
Sans revenir dans le détail sur les stipulations des deux conventions, qui ont été présentées par Mme la secrétaire d’État au nom du Gouvernement, mon propos se concentrera sur les problèmes pratiques qui ont justifié l’ouverture de nouvelles négociations avec ces deux pays partenaires.
En ce qui concerne l’article 1er, c’est-à-dire la convention fiscale avec le Danemark, la principale difficulté à régler concerne la taxation des pensions. En effet, depuis le 1er janvier 2009, la France et le Danemark ne sont plus liés par aucune convention fiscale. Cette situation résulte du choix unilatéral du Danemark de dénoncer la convention antérieure.
Ce choix avait été motivé par le fait que, sous l’empire de l’ancienne convention, les pensions privées versées aux retraités danois, qui sont relativement nombreux en France, étaient exclusivement imposables par le fisc français.
Cette situation apparaissait déséquilibrée à nos amis danois, dès lors que 1 500 pensionnés danois sont installés en France et que les cotisations versées pendant leur vie active bénéficiaient d’un avantage fiscal au Danemark.
Votre rapporteur relève que cette question excède le seul cas de la France : le Danemark a également dénoncé, en 2008, sa convention fiscale bilatérale avec l’Espagne, et aucune nouvelle convention fiscale entre les deux pays n’a été conclue à ce jour.
Le règlement de ce différend concernant l’imposition des pensions privées était à la fois un préalable à l’ouverture des négociations et l’un des principaux enjeux de l’adoption d’une nouvelle convention bilatérale.
L’accord conclu en février 2022, qui repose sur un mécanisme atypique de crédit d’impôt inversé, permet de dégager une solution qui préserve les intérêts du Trésor public français, tout en rétablissant partiellement le droit du fisc danois d’imposer les pensions privées.
Concrètement, une fois la convention entrée en vigueur, les retraités danois installés en France continueront d’être assujettis à l’impôt français pour l’intégralité des montants de pensions privées qu’ils perçoivent. Néanmoins, ils seront également imposables au Danemark à hauteur de la différence entre l’impôt qui est payé en France et celui qu’ils auraient payé au Danemark sur ces revenus.
En pratique, le Trésor public français conserve l’intégralité de son droit à taxer et le fisc danois se voit octroyer un droit résiduel à taxer, uniquement dans le cas où l’impôt dû au Danemark est supérieur à l’impôt dû en France.
Cette solution est donc sans conséquence sur le montant de nos recettes fiscales prélevées sur les retraités danois installés en France et elle permet de satisfaire la demande danoise de taxer les pensions privées de source danoise.
Il faut enfin préciser que cette solution a été assortie d’une clause du grand-père, selon l’expression désormais consacrée, en application de laquelle le régime transitoire en vigueur, qui permet de maintenir les règles fixées par la convention de 1957 pour les retraités installés en France avant le 28 novembre 2007, continue de s’appliquer.
À cet égard, il convient de souligner que la situation actuelle, c’est-à-dire l’absence de convention fiscale bilatérale franco-danoise, n’est pas favorable au climat des affaires entre les deux pays, alors même que le Danemark est un partenaire économique important pour la France.
Par conséquent, la commission a adopté sans le modifier l’article 1er du projet de loi, afin de permettre l’entrée en vigueur de la convention franco-danoise du 4 février 2022.
En ce qui concerne l’article 2, c’est-à-dire la ratification de la convention franco-grecque, la principale difficulté avait trait aux cas de double imposition de résidents français en Grèce.
La convention franco-grecque en vigueur date de 1963. Sa rédaction complexe a donné lieu à l’émergence de deux types de difficultés.
En premier lieu, la Grèce a instauré, en 2011, une contribution exceptionnelle de solidarité assise sur les revenus déclarés. Cette contribution n’était, par la force des choses, pas mentionnée par la convention de 1963. Des résidents français en Grèce ont ainsi pu être doublement imposés sur leurs revenus.
Cette situation est réglée par la nouvelle convention franco-grecque. Son champ d’application mentionne explicitement la contribution exceptionnelle de solidarité. Cette mention vient confirmer l’analyse du Conseil d’État grec, qui, dans une décision de 2018, a assimilé la contribution exceptionnelle de solidarité à l’impôt sur le revenu.
En second lieu, la convention du 11 mai 2022 clarifie la répartition de l’imposition des rémunérations publiques.
La convention de 1963 prévoyait une imposition partagée des rémunérations publiques. En application de la convention, les rémunérations publiques de source française étaient également imposables par la Grèce, sous réserve que cette dernière élimine la double imposition en accordant un crédit d’impôt d’un montant égal à celui de l’impôt qui est perçu par la France.
Ce principe d’une imposition partagée des rémunérations publiques est resté inappliqué jusqu’en 2020. À compter de cette date, les autorités grecques se sont saisies de cette possibilité et ont commencé à imposer ces revenus, en veillant à déduire l’impôt payé en France de celui qui est demandé en Grèce.
Sur ce fondement, la Grèce a réclamé à des résidents français, notamment des enseignants du lycée franco-hellénique Eugène-Delacroix, des arriérés d’impôt au titre des revenus perçus depuis 2014. Les sommes demandées représentaient plusieurs milliers d’euros par contribuable.
La nouvelle convention simplifie largement les règles d’imposition des rémunérations publiques. Elle prévoit un principe d’imposition exclusive, et non plus partagée, des rémunérations publiques dans l’État de source.
Afin de régler concrètement la situation des résidents français faisant l’objet de redressements de la part des autorités grecques, la convention prévoit, dans le protocole annexé, une clause rétroactive jusqu’en 2015. La Grèce renonce ainsi à la perception de ces arriérés d’impôt.
Cette convention présente le double avantage de moderniser les relations franco-grecques en matière fiscale et de régler les difficultés de double imposition qui ont émergé ces dernières années. Par conséquent, la commission a également adopté cet article.
Pour conclure, au regard des avancées permises par la renégociation de ces deux accords par l’exécutif, la commission a adopté ce texte qui autorisera le Gouvernement à faire entrer en vigueur ces deux nouvelles conventions fiscales.