Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par Cathy Apourceau-Poly et plusieurs sénateurs membre du groupe CRCE-K, dont notre ancienne collègue la présidente Éliane Assassi, a pour objet l’amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.
Je commencerai tout d’abord par rappeler le cadre général de l’amnistie, loi d’exception dont la pratique est de plus en plus limitée.
Le quatrième alinéa de l’article 34 de la Constitution dispose que l’amnistie relève de la loi. Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, « sur le fondement de ces dispositions, le législateur peut enlever pour l’avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés ». Les effets de l’amnistie sont définis aux articles 133-9 à 133-11 du code pénal. L’article 133-10 prévoit que l’amnistie « ne préjudicie pas au tiers » ; les préjudices civils peuvent donc être indemnisés.
Historiquement, les lois d’amnistie poursuivent deux finalités.
La première est le retour à la paix civile ou l’apaisement des passions après des périodes de troubles particulièrement déstabilisatrices. On pense, par exemple, à la fin de la guerre d’Algérie. L’amnistie tend, par l’extinction de l’action publique et la libération des personnes détenues, à permettre le retour de tous à la vie civile. C’était le but de la loi du 10 janvier 1990 portant amnistie d’infractions commises à l’occasion d’événements survenus en Nouvelle-Calédonie, par exemple.
La seconde finalité est le désengorgement des juridictions de contentieux de masse considérés comme de faible importance. C’est en ce sens que peuvent être interprétées les lois d’amnistie votées après les élections présidentielles sous la Ve République, jusqu’à la présidence de Jacques Chirac.
Les lois d’amnistie, qui se sont multipliées au cours des années 1980, ont été l’objet de critiques de plus en plus nombreuses.
De fait, depuis 1990, aucune loi d’amnistie n’a plus été adoptée en lien avec des événements ou un territoire donné, et les revendications portées en ce sens ont été écartées par le Président de la République. Plus récemment, la pratique des lois d’amnistie proposées par le Gouvernement à la suite des élections présidentielles n’a pas été reconduite à l’occasion des élections de 2007. La dernière loi de ce type date donc de 2002, et cette pratique semble abandonnée depuis lors.
Outre que de telles lois semblent le fait du prince et seraient plus fréquentes qu’autrefois avec le passage au quinquennat, la tolérance de la société à voir des infractions, dont la plupart relèvent du quotidien – ainsi des infractions routières – rester impunies semble désormais faible.
Le nombre d’infractions exclues du champ des lois d’amnistie avait, en conséquence, progressivement augmenté, au point d’interroger sur la légitimité du choix des infractions susceptibles d’être amnistiées.
Bien qu’elles tirent toutes les conséquences juridiques de l’évolution de la jurisprudence relative aux lois d’amnistie, ces critiques peuvent également être adressées au texte en discussion.
La première de ces critiques concerne le caractère mal défini de la notion de « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux ». Cette notion paraît très étendue, au point d’être potentiellement insaisissable, voire de poser des difficultés d’interprétation.
La loi pénale étant d’interprétation stricte, toute imprécision tend à priver un dispositif d’effet. Des divergences d’interprétation sont cependant possibles et pourraient être dommageables sur des questions d’amnistie.
La seconde critique, plus importante, concerne le champ de l’amnistie prévu. Il est particulièrement large, puisqu’il concerne la plupart des délits survenus « à l’occasion » de conflits du travail ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux. Ce champ dépasse les seuls manifestants venus défendre une cause ; il inclut également ceux qui ont pu se joindre à eux dans l’intention de commettre des délits.