Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 31 octobre 2023 à 14h30
Amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux — Rejet d'une proposition de loi

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

La proposition de loi dont nous débattons a pour objet, comme l’a indiqué Mme la sénatrice Silvani, d’amnistier les contraventions et délits punis de moins de dix ans d’emprisonnement, lorsqu’ils ont été commis à l’occasion de conflits du travail, d’activités syndicales ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux.

Si vous le voulez bien, arrêtons-nous un instant sur les mots, car, en droit, la sémantique compte double, si j’ose dire. Le mot « amnistie » nous vient du latin amnestia, emprunté au grec ancien amnêstía, qui signifie « un oubli ». L’amnistie peut donc être juridiquement comprise comme une forme d’oubli, d’amnésie législative, qui serait consentie pour satisfaire un souhait du corps social. Il peut s’agir de rétablir la paix civile après des événements collectifs particulièrement douloureux. Tel était le cas après la guerre d’Algérie.

À ces amnisties événementielles se sont succédé des amnisties générales, une forme de solde de tout compte pratiqué systématiquement par la gauche, mais aussi par la droite, entre 1981 et 2002 à la suite des élections présidentielles.

Cette « tradition », dont l’objet originel avait muté, s’est finalement éteinte voilà plus d’une vingtaine d’années et, disons-le clairement, il ne paraît pas opportun de la ressusciter.

En réalité, un tel oubli n’avait rien d’un pardon, mais tout d’une renonciation coupable venant affaiblir l’autorité de l’État et remettre en question l’indépendance de la justice.

En 2023, une telle loi d’amnistie ne ferait qu’aggraver la discorde et nourrir l’impunité, alors même que les voies de l’apaisement ont été trouvées et que le dialogue social a été renoué lors d’une grande conférence sociale le mois dernier.

Au-delà du principe, sur lequel nous sommes en désaccord, cette proposition de loi pose deux difficultés majeures.

Tout d’abord, elle aurait pour effet d’amnistier un champ très large d’infractions, passibles d’une peine pouvant atteindre dix ans de prison. Par exemple, seraient amnistiés plusieurs types d’atteintes aux personnes et aux biens, comme le vol précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours. Pour rappel, cette infraction est punie de sept ans d’emprisonnement.

Un vol commis lors d’une manifestation serait donc amnistié. Voilà ce que vous nous proposez.

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