Intervention de Mélanie Vogel

Réunion du 31 octobre 2023 à 14h30
Amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux — Discussion générale

Photo de Mélanie VogelMélanie Vogel :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour des travaux du Sénat. L’examen de cette proposition de loi intervient en effet à un instant tout particulier pour notre démocratie.

Alors que le Gouvernement se montre toujours plus incapable de répondre aux crises, alors que les élus et les pouvoirs publics échouent à remplir leurs missions premières – protéger l’intérêt général, garantir à chacune et à chacun de manger à sa faim, de se loger, de vivre de son travail, de se reposer, d’avoir les mêmes droits que ses voisins, de ne pas craindre les discriminations, d’envisager un avenir commun sur une planète vivable –, ce sont bien souvent les manifestants, les syndicalistes, les militants, les mouvements sociaux qui sont attaqués. Ils le sont plus que les pollueurs, les évadés fiscaux, les exploiteurs, les racistes et les sexistes.

L’État a failli et ce sont ses enfants qui trinquent. Ils trinquent d’ailleurs deux fois : en payant le prix de ses mauvais choix politiques et en payant celui de les contester.

Évoquons tout d’abord le prix des mauvais choix politiques de l’État. Je pense, par exemple, aux questions climatiques. Selon les dernières données publiées le 3 octobre dernier, nous pouvons affirmer que la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre de la France nous conduira à violer nos propres engagements internationaux, européens et nationaux. Pendant ce temps, le Gouvernement s’entête à poursuivre un projet climaticide et injuste, vieux de trente ans, la réalisation de l’autoroute A69.

De même, malgré la promesse présidentielle de 2017, le Gouvernement ne demande plus l’interdiction du glyphosate à l’échelon européen. Je rappelle que ce produit est un herbicide « total », qui tue tous les végétaux, sans distinction, sauf ceux qui sont génétiquement modifiés pour lui résister, et que ses effets sur la santé humaine, mais aussi sur notre modèle agricole, ne sont plus à démontrer.

Dans le même temps, le Gouvernement est incapable de répondre à l’urgence sociale, encore accentuée par l’inflation. Un huitième de la population française ne mange pas à sa faim ; un tiers des étudiants sautent des repas. Alors que la France compte plus de 9 millions de pauvres, les 500 Françaises et Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 5 % l’année dernière.

Rien ne saurait justifier une telle aggravation des inégalités et rien ne peut étouffer la colère qu’elle nourrit.

C’est la raison pour laquelle les citoyennes et les citoyens se mobilisent et grossissent les rangs des mouvements sociaux – nous étions ainsi des millions dans la rue pour combattre la réforme des retraites. C’est pourquoi des militants passent leurs week-ends à essayer de protéger la nature, les arbres, l’eau, que ce soit à Sainte-Soline, dans le Tarn ou encore à Notre-Dame-des-Landes.

J’en viens maintenant au prix de la contestation, puisque tel est le sujet de notre discussion.

Au lieu d’être entendus, au minimum respectés, les mouvements sociaux sont criminalisés. Cette criminalisation a atteint son apogée au moment de la contestation massive contre la réforme des retraites : des passants, qui ne manifestaient même pas, se sont retrouvés au poste de police parce qu’ils sortaient d’un restaurant au mauvais moment.

Pour la première fois depuis un demi-siècle, un dirigeant syndical national, qui n’avait aucun lien direct avec les faits reprochés, a été convoqué par la gendarmerie. Dans trois semaines, trois syndicalistes comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Selon la CGT, quelque 600 travailleurs et travailleuses seraient ainsi ciblés par des procédures disciplinaires à la suite des mobilisations contre la réforme des retraites.

De manière similaire, des militants écologistes sont criminalisés, parce qu’ils s’opposent à cette aberration écologique que constituent les mégabassines. Ils se battent pour notre accès commun à l’eau, non pour se faire plaisir : nous aimerions, toutes et tous, passer des week-ends de détente entre amis et n’avoir jamais à choisir entre la décision de prendre le risque de se retrouver dans le coma et la perspective de voir nos biens communs confisqués.

Toutefois, le schéma et la doctrine de maintien de l’ordre en France, alors que la répression s’intensifie de manière constante et systémique, rendent l’action de manifester et de militer de plus en plus difficile. Ce n’est pas le fruit du hasard.

L’immense majorité des personnes arrêtées ne font d’ailleurs pas partie des individus violents, dont nous condamnons, bien sûr, les méthodes.

Cette situation est grave, non seulement parce que la cause des manifestants est juste, mais aussi parce que la démocratie meurt si elle cherche à criminaliser les opposants au pouvoir. C’est le propre d’un gouvernement démocratique, sa condition existentielle, sa définition même, que de permettre, et plus encore, d’organiser et de protéger la contestation, le débat, les luttes politiques, y compris contre lui. Il lui revient de garantir la liberté d’expression à celles et à ceux dont il déteste les idées.

C’est donc pour rétablir la confiance en la vitalité de notre démocratie que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient les objectifs de cette proposition de loi. Nous avons entendu, bien sûr, les remarques formulées par le garde des sceaux : le calibrage du dispositif est sans doute trop large. Nous faisons donc confiance au Gouvernement et à nos collègues de l’Assemblée nationale pour amender ce texte. En tout cas, le signal politique envoyé à nos concitoyens sera bien meilleur si cette proposition de loi est adoptée que si elle est rejetée.

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