La règle de l’irrecevabilité financière trouve en effet ses origines sous la IIIe République : dans la résolution Berthelot votée le 16 mars 1900, puis dans l’instauration en 1920 d’une procédure d’irrecevabilité financière générale dans le règlement de la Chambre des députés.
Par la suite, cette règle fut constitutionnalisée par l’article 17 de la Constitution de la IVe République, qui disposait qu’« aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires ».
Enfin, reprenant la loi du 31 décembre 1948 portant fixation pour l’exercice 1949 des maxima des dépenses publiques et évaluation des voies et moyens, dite loi des maxima, le décret du 19 juin 1956 a imposé une compensation pour toute proposition affectant les finances publiques.
L’article 40 de la Constitution n’a fait que donner une pleine effectivité à la règle de l’irrecevabilité financière. En effet, contrairement aux Républiques précédentes, l’application de cette règle n’est plus laissée à l’unique appréciation des assemblées parlementaires : le Gouvernement peut invoquer l’article 40 en séance publique, et le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour assurer son respect. La règle de la recevabilité financière, inscrite à l’article 40 de la Constitution, n’est donc pas une innovation de la Ve République.
Hier comme aujourd’hui, la règle de la recevabilité financière constitue une nécessité qui n’a rien d’excessif.
Vous le savez, l’article 20 de la Constitution charge le Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation. En cela, il est responsable devant le Parlement.
Il est notamment responsable de l’équilibre du budget pour lequel il présente, chaque année, un projet de loi de finances.
C’est une quasi constante dans toutes les démocraties modernes : c’est au Gouvernement qu’il revient de préparer le budget, qu’il présente ensuite au Parlement pour être discuté.
Il n’est cependant pas concevable que des initiatives parlementaires, sans accord du Gouvernement, puissent altérer les équilibres budgétaires qu’il a définis, en assumant sa responsabilité devant le Parlement.
Cela reviendrait non seulement à saper les efforts fournis chaque année par le Gouvernement pour tendre vers l’équilibre de nos finances publiques, mais aussi à diluer la responsabilité qu’il tient de l’article 20 de la Constitution.
Par ailleurs, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) a assoupli les conditions de recevabilité des amendements de crédits portant sur une loi de finances. En effet, son article 47 précise que « la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant aux crédits [de] la mission ».
Ainsi, si le Gouvernement reste le seul compétent pour créer une mission, les parlementaires peuvent modifier à la hausse ou à la baisse les crédits des programmes composant une mission ou créer un nouveau programme, à condition de ne pas augmenter les crédits de la mission.
Au-delà de la lettre de l’article 40, la pratique suivie par les assemblées et le Conseil constitutionnel laisse une grande marge d’appréciation au Parlement pour la mise en œuvre de l’irrecevabilité financière.
Ainsi, le Conseil constitutionnel ne se déclare compétent pour connaître d’une violation de l’article 40 que lorsque le Parlement s’est préalablement prononcé. Cette règle du « préalable parlementaire » souligne le rôle central exercé par le Parlement dans la procédure.
Les assemblées ont su s’approprier ce rôle, à tel point qu’une partie de la doctrine n’hésite pas à qualifier le Parlement de juridiction de premier degré, l’appel étant réservé au juge constitutionnel.
Ainsi, les rapports de recevabilité financière des amendements et des propositions de loi représentent des « bréviaire[s] indispensable[s] pour connaître et comprendre les subtilités de l’application de l’article 40 de la Constitution », comme le relevait le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand.
Le rapport d’information sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale de 2022 d’Éric Woerth et le rapport d’information sur la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat de 2014 de Philippe Marini détaillent avec précision la jurisprudence abondante et bien établie de la recevabilité financière par les présidents successifs de la commission des finances de chaque chambre.
Les présidents de la commission des finances visent de façon continue à concilier le respect des exigences organiques et constitutionnelles avec la volonté de favoriser l’initiative parlementaire.
Toute décision de recevabilité financière est motivée et peut faire l’objet d’une explication détaillée à la demande du parlementaire auteur de l’amendement par le président de la commission des finances.
Enfin, les statistiques ne permettent pas de conclure à une censure massive des amendements sur le fondement de l’article 40. Lors de la précédente législature, seulement 8, 4 % des amendements déposés en séance publique ont été déclarés irrecevables, et seulement une proposition de loi.
Vous l’avez compris, le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de loi constitutionnelle.
Je ne suis pas certain que faire de l’article 40 de la Constitution le responsable de tous nos maux nous apporte une quelconque solution, car il n’est que l’un des instruments classiques du parlementarisme rationalisé.
D’ailleurs, en cohérence avec la position de la commission des lois, je note que, parmi les quarante propositions pour une révision de la Constitution utile à la France émises par le Sénat en 2018, aucune ne visait l’article 40.
En outre, une éventuelle réflexion sur l’irrecevabilité financière des propositions de loi et des amendements parlementaires devrait de toute évidence s’inscrire dans le cadre d’un débat beaucoup plus large sur la modernisation et l’équilibre de nos institutions.
Le Président de la République a annoncé des travaux transpartisans en ce sens et je sais d’ores et déjà que le Sénat y prendra toute sa part.