Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre Constitution, l’article 40 est un outil constitutionnel comparable à l’article 49, alinéa 3, dont la seconde salve s’abat sur l’Assemblée nationale. Tout comme lui, il s’apparente à une véritable tenaille, qui enserre la capacité des parlementaires – en l’espèce, à proposer une nouvelle dépense. L’article 49.3, c’est le couperet ; l’article 40, c’est la tenaille.
Souhaitant renforcer ici la démocratie parlementaire, nous demandons l’abrogation de cet article.
Mes chers collègues, la cohérence politique de notre groupe est incontestable, et nous avons pour nous la constance.
Le rapporteur de ce texte, notre collègue Stéphane Le Rudulier, a estimé que le paradoxe de finances publiques qui sombrent depuis les années 1970 alors même que les parlementaires étaient interdits de dépenser était un argument qui paraît « fallacieux ». Nous souscrivons !
Chers collègues de la majorité, vous vous apprêtez néanmoins à voter un cinquantième budget en déficit d’affilée. Mais, si l’endettement public était de 74 milliards d’euros en 1978, il atteint le montant faramineux de 3 046 milliards d’euros au second trimestre de cette année.
Si vous n’avez pas directement majoré les dépenses, vous ne vous êtes pas privés de rogner les recettes fiscales, en multipliant les réductions d’impôt, crédits d’impôt, niches fiscales et autres formes de démantèlement des recettes de l’État. Vous en avez le droit, car ce n’est pas stricto sensu une « dépense » : c’est bien, au sens de l’article 40 de la Constitution, une « diminution des ressources publiques », que vous gagez par une autre recette. Enfin, si c’est légistiquement vrai, c’est politiquement trompeur !
Si toutes les majorations du prix du tabac que vous avez demandées en créant ou prolongeant des niches fiscales avaient effectivement eu lieu, le paquet de cigarettes avoisinerait sans nul doute aujourd’hui les 1 000 euros ! Voilà le sérieux budgétaire prôné par les tenants de la rigueur…
Les membres du Gouvernement, notamment le ministre actuel de l’économie, M. Bruno Le Maire, se plaisent à fustiger des oppositions dépensières, alors qu’elles n’ont pas le droit de l’être par voie d’amendement.
Finalement, toute l’argumentation consiste à présumer l’irresponsabilité budgétaire des parlementaires, un comble quand les propositions de recettes nouvelles que notre groupe formule à hauteur de dizaines de milliards d’euros chaque année, à l’occasion de chaque loi de finances, sont rejetées au nom d’une « doctrine fiscale de la terre brûlée ».
Les parlementaires se font hara-kiri et, d’une certaine manière, entérinent leur soumission à l’exécutif, au seul motif qu’il « détermine et conduit la politique de la Nation », conformément à l’article 20 de la Constitution. Chers collègues, ne déposez plus d’amendements sur aucun texte, de sorte à vous appliquer vos propres préconisations !
Vous reconnaissez, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement est seul légitime à formuler certaines propositions. Vous reconnaissez que l’article 40 est un outil contre le progrès social et, enfin, qu’il vous empêche de vous confronter à vos paradoxes en matière budgétaire.
Nous allons examiner un budget avec 358 amendements choisis par le seul Gouvernement, dans le cadre du détestable 49.3, exonérant ainsi ces nouvelles dispositions d’étude d’impact, donc de chiffrage financier. L’irresponsabilité n’est pas toujours là où on le croit…
Vous balayez tour à tour toute proposition de réforme de l’article 40 de la Constitution, au profit d’une amélioration timide de l’explication des raisons pour lesquelles il s’abat sur les parlementaires. Ne feignez pas de vouloir nous expliquer ce que nous comprenons bien assez…
Cette modification à la marge, éventuellement, du règlement du Sénat revient à nier l’importance démocratique du sujet.
Notre rapporteur a comparé notre Parlement au Parlement britannique. C’est un mauvais exemple, tant celui-ci est lui-même particulièrement bâillonné et pris dans des dynamiques majoritaires… Le Parlement français est quant à lui singulier : il est particulièrement maltraité et dépossédé de prérogatives budgétaires.
Monsieur le rapporteur, vous ne voulez pas de l’abrogation. Vous considérez qu’il faut conserver un corset parlementaire. Au moins pouviez-vous considérer de le desserrer !
Vous l’avez fait lors de notre échange, lequel a été cordial, respectueux et apprécié de part et d’autre. Vous dénonciez, vous aussi, l’effet couperet.
Vous avez avancé des propositions fort intéressantes, qui auraient pu nous rassembler, comme l’exigence de l’évaluation du coût effectif d’un amendement ou l’exercice d’un droit d’appel. Vous avez déclaré dans votre intervention que l’on aurait pu imaginer un aménagement pour fixer le montant de l’impact budgétaire de tel ou tel amendement, pour décider finalement qu’un tel aménagement était aventureux et qu’il n’était pas de saison.
Ces propositions n’apparaissent pas dans le texte, et c’est bien dommage. Décidément, on ne peut pas toucher à la loi d’airain de l’article 40 !
Toutes ces pistes sont refusées aujourd’hui. Chacun semble se complaire dans l’impuissance budgétaire. Pour notre part, nous nous réjouissons d’assister à un vrai débat autour d’une vision commune du Parlement, plaidant légitimement pour donner aux parlementaires les moyens de donner les moyens à la Nation.