Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 24 octobre 2023 à 14h30
Amélioration de l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Émilienne PoumirolÉmilienne Poumirol :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner une nouvelle proposition de loi sur les déserts médicaux.

Alors que nous demandons depuis des années une loi ambitieuse de réorganisation complète de notre système de santé, celle-ci ne semble toujours pas être à l’agenda du Gouvernement. Nous allons donc examiner aujourd’hui une énième proposition de loi sans véritable portée, dont certains articles n’ont même aucun lien avec la question des déserts médicaux.

L’accès à la santé partout, pour tous, voilà ce qui devrait motiver l’action du Gouvernement, et non pas une logique purement comptable de réduction des dépenses. De ce point de vue, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 n’est pas de nature à nous rassurer : en effet, avec un Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) qui progresse moins vite que l’inflation pour la deuxième année consécutive, les moyens accordés à la santé ne sont pas suffisants pour répondre aux enjeux structurels d’accès aux soins.

Nous le voyons tous dans nos territoires, cette vision court-termiste des politiques de santé aboutit à une situation où l’accès aux soins n’est, aujourd’hui, plus garanti dans notre pays. Je rappelle les chiffres : 30 % de la population française vit dans un désert médical et 11 % de la population, c’est-à-dire 6 millions de personnes, n’a pas de médecin traitant. Chaque année, 1, 6 million de personnes renoncent à des soins.

L’inquiétude monte partout sur notre territoire et, pour pallier les défaillances de l’État, les collectivités territoriales n’ont d’autre choix que de trouver des solutions sur leurs moyens propres. Je tiens d’ailleurs à saluer tous nos élus, qui se démènent au quotidien pour apporter une réponse à nos concitoyens. Ainsi, en Occitanie, la région a créé, depuis deux ans, des centres de santé avec des médecins salariés qu’elle finance elle-même sans compensation de l’État.

La France trahit ainsi le pacte social hérité du Conseil national de la Résistance et sa promesse d’égal accès aux soins. Et nous le savons, les inégalités ne cessent et ne cesseront de se creuser, si nous ne prenons pas des mesures structurelles fortes.

Face à la désespérance de nos concitoyens, dont nous sommes tous témoins sur nos territoires, le Gouvernement fait la sourde oreille. Il ne semble toujours pas prendre la mesure du naufrage de notre système de santé. Nous sommes aujourd’hui face à un véritable abandon de la santé par le Gouvernement – n’ayons pas peur des mots !

Nous devons donc examiner aujourd’hui une nouvelle proposition de loi un peu fourre-tout de la majorité gouvernementale. Comme pour la proposition de loi Rist 2, l’examen de ce texte arrive au beau milieu des négociations conventionnelles avec les médecins – une nouvelle fois, la temporalité et la méthode interrogent…

Certaines mesures représentent néanmoins un progrès et nous les soutiendrons.

Ainsi, nous saluons l’interdiction du cumul d’exonérations fiscales et d’aides à l’installation, qu’elles soient proposées par les collectivités territoriales ou les ARS, afin de lutter contre le nomadisme médical.

Nous défendrons également la possibilité de signer dès la deuxième année de premier cycle un contrat d’engagement de service public et son élargissement aux étudiants en maïeutique et en pharmacie. En signant ce contrat, les futurs soignants s’engagent, en contrepartie d’une allocation mensuelle, à exercer au minimum deux ans dans un désert médical à la fin de leur formation.

Enfin, nous soutiendrons la création d’un statut d’infirmier référent pour les patients en affection de longue durée. Nous proposons même d’élargir cette mesure à l’ensemble des assurés qui le souhaitent.

Cependant, nous déplorons que les articles les plus réformateurs de cette proposition de loi aient été supprimés par la commission.

Aussi, nous proposons de rétablir l’obligation de participer à la permanence des soins ambulatoires (PDSA) pour les médecins libéraux selon des modalités fixées contractuellement avec l’ARS. Depuis 2002 et la réforme Mattei, il n’existe plus d’obligation de garde pour les médecins libéraux.

Depuis ce passage au volontariat, nous observons une dégradation de la permanence des soins ambulatoires : 38 % seulement des médecins libéraux y participent et, évidemment, ce sont toujours les mêmes, en particulier ceux qui travaillent déjà énormément et qui sont, pour beaucoup, en burn-out.

Ce manque de gardes de la part de la médecine libérale a pour effet direct l’engorgement des urgences, lesquelles se retrouvent dès lors en grande difficulté.

Une autre mesure que nous souhaitons réintroduire dans ce texte est l’instauration d’une année de professionnalisation obligatoire dans les déserts médicaux pour les médecins généralistes. Face à la pénurie de médecins, cette mesure permettrait de déployer rapidement 4 000 jeunes médecins généralistes dans les zones sous-denses.

Enfin, nous souhaitons soumettre au débat la création d’un nouvel indicateur, voté à l’Assemblée nationale, qui dressera une cartographie précise, par bassin de vie, de la répartition de l’offre de soins sur le territoire français.

Cet indicateur aura également pour objet de définir, dans les zones les moins dotées, un niveau minimal d’offre de soins à atteindre pour chaque spécialité médicale. Il devra pour ce faire tenir compte des besoins de la population, en particulier au regard de sa sociologie – nombre de personnes âgées, etc. –, et du temps médical conventionné sans dépassement d’honoraires disponible réellement sur chaque territoire. Cet indicateur pourrait ainsi constituer un outil très intéressant pour élaborer nos politiques de santé.

Au-delà de ces mesures, certaines questions, pourtant majeures, ne sont néanmoins pas évoquées dans cette proposition de loi.

En effet, il n’y a pas un mot sur la problématique de l’attractivité de la médecine générale ni sur la formation des médecins. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, les mesures coercitives pures n’auront pas de sens ni d’efficacité si nous ne repensons pas la formation et l’organisation de l’exercice de la médecine en France. Ces leviers sont fondamentaux pour mettre fin à la situation de pénurie et pour lutter contre la désertification médicale que nous connaissons.

Aussi, pour aller plus loin, nous allons proposer à la Haute Assemblée de voter pour la mise en place d’une organisation coordonnée du parcours de soins de premier recours proposée l’an dernier dans notre proposition de loi, d’autant qu’elle est préconisée par l’ordre national des médecins.

Face à la pénurie de médecins, il est primordial de faciliter le gain de temps médical. Une organisation de soins coordonnés, centrée sur la répartition des actes entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé, au travers d’un protocole dûment établi par une équipe, permettra de dégager du temps médical, en priorité pour les patients sans médecin traitant ou en ALD.

Cette mesure répondrait ainsi à l’objectif de faciliter la prise en charge des Français par une équipe de soins primaires de proximité. C’est le but qui est recherché.

De plus, nous proposons de mettre en place une mesure pour encadrer l’intérim médical et paramédical. En effet, depuis le début des années 2000, le recours aux contrats d’intérim à l’hôpital a augmenté de manière exponentielle. Son coût annuel pour l’hôpital public est ainsi passé de 500 millions d’euros en 2013 à 1, 4 milliard d’euros en 2018.

Devant le développement de ce véritable mercenariat médical, les gardes pouvant être rémunérées jusqu’à 2 500 euros, la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist 1, a prévu de limiter la rémunération de celles-ci. C’est très bien, mais nous proposons une mesure complémentaire, à savoir limiter dans la durée, en nombre de jours par an, la possibilité d’exercer en intérim. Notre but est non pas d’interdire la possibilité, notamment pour les jeunes, de recourir à des contrats de courte durée, mais d’encadrer l’intérim au sens strict, c’est-à-dire lorsque la mise à disposition du praticien se fait par le biais d’un contrat passé avec une entreprise d’intérim.

Enfin, nous l’avons déjà évoqué, les politiques incitatives, mises en place notamment par les collectivités territoriales, n’ont pas fonctionné. Bien au contraire, elles ont entraîné des effets pervers de concurrence entre les territoires et de surenchère de la part des médecins.

Face à cet échec, et au regard de la situation de pénurie dans notre pays, il nous est apparu nécessaire de mettre en place une mesure de régulation à l’installation des médecins libéraux : le conventionnement sélectif, qui prévoit que dans les zones où existe un excédent d’offre de soins, soit 3 % du territoire, un nouveau médecin libéral ne puisse s’installer en étant conventionné à l’assurance maladie que si un médecin libéral de la même zone cesse son activité. Cette mesure vise à rétablir un équilibre dans l’installation des médecins sur notre territoire.

Nous le savons tous, il n’y a pas de remède miracle ou de mesure magique, mais nous avons besoin d’une volonté politique forte. Or je sais que nous sommes nombreux dans cet hémicycle à l’avoir.

Désormais, il y a urgence, monsieur, le ministre. Il est temps d’agir et d’entendre la détresse de nos concitoyens devant les problèmes causés par les déserts médicaux.

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