Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2024, la loi Toubon aura 30 ans. Ce texte, et avant lui l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, mise à l’honneur aujourd’hui, garantit à nos concitoyens un « droit au français ». Hasard du calendrier, le président Emmanuel Macron inaugurait ce jour la Cité internationale de la langue française.
Nous examinons la proposition de loi de notre collègue Pascale Gruny visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive. Ce sujet fait débat et est source de divergences, vous l’aurez compris. Ce débat est non pas linguistique, mais idéologique et sociétal.
Les défenseurs de l’écriture inclusive affirment que la langue et la pensée sont liées. En modifiant la langue, en la rendant plus inclusive, on favoriserait l’égalité entre les femmes et les hommes. Une société qui inclurait les femmes dans son langage les inclurait dans son fonctionnement. Permettez-moi d’en douter !
Est-ce à dire que les pays qui ont recourt au pronom neutre sont plus égalitaires et inclusifs à l’égard des femmes que les pays francophones ? Les femmes ne sont pas mieux considérées chez nos amis anglophones, et ce malgré une langue on ne peut plus inclusive, puisque non genrée. Le chinois et le turc sont également des langues qui n’appliquent pas l’accord masculin-féminin. Pour autant, la Chine et la Turquie ne sont ni connues ni reconnues pour être des modèles d’égalité entre les femmes et les hommes.
Dans la langue française, le recours au masculin n’a pas vocation à occulter le féminin. Je me dois de rappeler qu’en français le masculin est le genre non marqué qui peut jouer le rôle d’un neutre. Comme dans bien d’autres langues, le masculin a valeur générique et peut être utilisé quand le sexe de la personne n’est pas à prendre plus en considération que ses autres particularités individuelles. Au contraire, ajouter un suffixe féminin à la fin du nom masculin, c’est ne présenter les femmes qu’à moitié, comme accessoires.
La condition des femmes n’est pas une histoire d’orthographe. Nous ne devons pas la réduire à cela. La condition des femmes évoluera grâce non pas à un point médian, mais à des programmes de lutte contre les violences conjugales, à des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle adaptés, à une prise en charge qualitative de leur santé, à la recherche de l’égalité salariale et à la protection de leurs droits fondamentaux.
C’est tout l’intérêt du travail que j’ai mené pendant mes six années en tant que présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. J’ai la conviction que l’écriture inclusive n’aurait pas fait avancer les combats que la délégation a menés, qu’il s’agisse de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, d’en finir avec les zones blanches de l’égalité, de défendre la place des femmes dans l’entreprise et dans la fonction publique, d’améliorer la santé des femmes au travail ou de dénoncer les dangers de l’industrie pornographique.
Nos travaux ont permis de donner la parole aux femmes, de plonger au cœur des discriminations et d’aller chercher les maux à la source afin de mieux les soigner.
Nos travaux ont abouti à des mesures concrètes. Je pense, par exemple, à la récente adoption de la proposition de loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique, que j’ai présentée avec Martine Filleul et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes.
Enfin, je tiens à alerter sur les conséquences de l’utilisation de l’écriture inclusive. Selon une étude du ministère de l’éducation nationale publiée en juin dernier, un jeune français sur neuf a des difficultés de lecture et près de la moitié d’entre eux sont en situation d’illettrisme.
Souhaitons-nous vraiment aggraver ces chiffres ? L’écriture dite inclusive est en réalité une langue d’exclusion pour plusieurs millions de personnes en France – environ 10 % de la population sont concernés. L’écriture inclusive est compliquée à appréhender et à manier, surtout pour nos concitoyens présentant des difficultés ou des handicaps tels que la dyslexie.
D’autant que l’écriture inclusive n’est pas la seule forme d’écriture alternative. Si nous normalisons le recours à l’écriture inclusive, nous ouvrons la porte à l’écriture non binaire et aux autres formes qui pourraient émerger. Il ne serait alors plus question de suivre l’évolution de la langue, mais, au contraire, de la réécrire complètement.
Mes chers collègues, le français est un trésor national que nous devons préserver. C’est notre patrimoine.
Selon le linguiste et cofondateur du dictionnaire Le Petit Robert, Alain Rey, l’écriture inclusive est inutile, parce qu’elle ne peut se représenter à l’oral. Un texte en écriture inclusive qui ne peut se parler, quelle aberration !
En conclusion, je tiens à saluer le travail du rapporteur Cédric Vial, qui a permis de préciser le texte par l’adoption de deux amendements en commission.
Le groupe Union Centriste entend donc mettre non pas un point médian, mais un point final à ce débat en votant cette proposition de loi.