Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un texte important, qui va bien au-delà de simples sujets économiques, sociaux ou budgétaires.
La manière dont nous parlons, la manière dont nous écrivons est bien plus qu’un code normatif : c’est un code humain, civilisationnel, qui en dit long sur ce que nous sommes.
Attenter au vocabulaire ou à sa syntaxe, c’est déconstruire notre langue et, au-delà, les relations humaines. Une langue n’est pas un caprice arbitraire, c’est un pacte qui permet aux hommes et aux femmes de vivre ensemble, un pacte qui suppose des règles objectives qui doivent être respectées.
Depuis quelques années, nous assistons à la prolifération de ces usages qui entendent adapter notre graphie. Sous prétexte de féminisation, ils visent à remplacer l’emploi du masculin par une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine. Au nom de cette prétendue modernité apparaissent des expressions lourdes et sans beauté.
L’écriture inclusive présuppose une lecture idéologique de l’évolution de la langue. Au cours de l’évolution qui a conduit à la langue française telle que nous la connaissons aujourd’hui, le genre neutre a été absorbé par le genre masculin : ce n’est pas une histoire de misogynie. La circulaire du 21 novembre 2017 reconnaissait d’ailleurs que « le masculin est une forme neutre ».
Il existe certainement d’autres manières d’affirmer l’égalité entre les hommes et les femmes que de détricoter notre belle langue. On ne résout pas une problématique professionnelle par un faux débat.
Non, l’écriture inclusive n’est pas une évolution normale de la langue française. Ce n’est pas une démarche similaire au passage du latin aux langues vernaculaires ou de l’ancien français au français actuel avec l’apparition d’une forme écrite. Ce n’est pas même une évolution tout court ; c’est une démarche militante alimentée par l’idéologie et imposée brutalement.
L’écriture inclusive est non pas une demande de ceux qui écrivent, mais un choix imposé par des cénacles restreints au nom d’une conception dévoyée de la modernité. C’est un mauvais signe envoyé à tous ceux qui apprennent le français ou qui veulent devenir Français. Pour les jeunes qui ont parfois des difficultés à apprendre et à maîtriser notre langue, ce sera non pas une écriture inclusive, mais une écriture exclusive, qui ne leur donnera certainement pas le goût de la lecture. Cela risque même de renforcer l’anglais.
Contre ce choix arbitraire et idéologique, nous ne pouvons que déplorer une certaine impuissance publique.
Les circulaires de 2017 et de 2021 n’ont pas eu les effets escomptés, peut-être parce qu’elles n’étaient pas les textes idoines au regard de notre hiérarchie des normes. À un certain moment, c’est au législateur qu’il appartient de prendre ses responsabilités.
Voilà quelques mois, à l’occasion d’un contentieux concernant une collectivité locale, le juge administratif s’était retranché derrière le silence de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qui dispose que la langue française est « la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ». Il fallait donc remédier à cette anomalie en rappelant que les textes qui imposent la langue française excluent l’usage de cette graphie dénaturante.
Pour cette raison, la présente proposition de loi dispose que les documents qui doivent être rédigés en français, en application de la loi de 1994 ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, ne sont pas réputés répondre à cette exigence en cas de recours à l’écriture inclusive. Cela méritait d’être inscrit dans la loi, qui s’impose au juge et à l’administration. Je m’en réjouis d’autant plus que ce texte est le fruit d’une démarche sénatoriale lancée par mes collègues Pascale Gruny et Étienne Blanc, que je salue.
La décision du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021 sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion avait censuré, au nom de la Constitution, l’usage de signes diacritiques dans la transcription des actes de l’état civil. Pour le Conseil constitutionnel, cela conduirait à reconnaître à des particuliers « l’usage d’une langue autre que le français » dans leurs relations avec les administrations et les services publics.
Le Conseil constitutionnel s’était donc prononcé sur le français, tel qu’il est sérieusement pratiqué. Il est donc possible de défendre cet usage normal du français et d’exclure ces pratiques qui n’ont rien à voir avec notre langue. Le législateur ne doit pas se laver les mains, au risque de voir la priva lex – pardonnez-moi ce latinisme – l’emporter.
En raison de l’importance de l’enjeu, nous voterons le texte dans sa rédaction issue des travaux de commission. En cette journée d’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, ne nous trompons pas de débat.