Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 6 novembre 2023 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Gérald Darmanin :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sans conteste, les deux grands défis de notre siècle, qui se présentent déjà à nous, sont les questions environnementales et les questions migratoires.

Chacun est au fait des enjeux environnementaux, chacun les commente, chacun les voit, mais les enjeux migratoires sont moins évidents à traiter dans les débats médiatiques et politiques. À la lecture de la presse ce matin encore, nous pourrions croire que la France est une île, même si, nous l’avons vu récemment, le fait de se refermer sur son île n’est pas très efficace en matière d’immigration…

Quelque 110 millions de personnes : c’est le nombre de déplacés dans le monde en 2023 selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) du fait des guerres au Soudan, en Syrie, en Afghanistan, en Ukraine. Notre continent, l’Europe, est entouré de terres instables : Caucase, Proche-Orient, Moyen-Orient, Sahel, Libye.

Si les pays du Sud accueillent les trois quarts de ces déplacés, l’Europe connaît elle aussi une augmentation de son immigration irrégulière et de ses demandes d’asile. Ces dernières ont augmenté de 60 % depuis le début de l’année et concernent tous les pays, régimes politiques et gouvernants.

À ces demandeurs d’asile s’ajoutent entre 21 et 24 millions de réfugiés par an du fait des dérèglements climatiques, soit 60 000 par jour ! Les pays les plus pauvres sont cinq fois plus touchés par ces dérèglements, ce qui accroît le nombre de départs dans leur population vers l’Occident, vers l’Europe.

En un mot, nous n’avons pas fini de parler d’immigration…

C’est peut-être tant mieux, car, mesdames, messieurs les sénateurs, parler d’immigration revient à parler de notre souveraineté, de ce qui fait un État et ses frontières, des choix de ce dernier en matière d’accueil sur son territoire, en matière d’intégration et de conditions à cette intégration, ou permet de définir ceux dont on veut se séparer.

Parler d’immigration est certes difficile, car nous parlons de femmes, d’hommes et d’enfants, mais c’est nécessaire et éminemment politique.

Parler d’immigration, c’est aussi parler de notre modèle républicain et social, de sa capacité à intégrer, des moyens qu’on lui octroie, des règles que nous fixons.

Parler d’immigration, c’est également parler de sécurité.

Enfin, parler d’immigration, c’est parler aux Français.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme moi, vous rencontrez vos électeurs ; comme moi, vous lisez les sondages. Les Français sont préoccupés par l’immigration. Ils sont parfois paradoxaux, mais toutes et tous nous demandent de légiférer et de prendre des décisions.

Le texte que propose le Gouvernement est une proposition en ce sens. Ici, devant vous, avec humilité, le ministre de l’intérieur, qui, depuis trois ans et demi, est chargé, à la demande du Président de la République et de la Première ministre, de ces questions, est ouvert à la discussion avec le Sénat, avec l’ensemble du Parlement, pour coconstruire, ensemble, un texte ferme, juste et, surtout, efficace.

Ce qui comptera pour le ministre de l’intérieur que je suis, ce ne seront ni les postures ni les futures majorités, mais ce sera l’efficacité. Sommes-nous capables de doter de moyens notre pays, nos services de police, nos services préfectoraux, tous ceux qui travaillent dans le monde parfois difficile des questions migratoires, pour plus d’efficacité, pour répondre à la demande d’autorité des Français, pour répondre aux exigences d’intégration, pour éviter que les populistes ne surfent sur l’incapacité qu’ont les États d’appliquer leurs décisions ?

Le Gouvernement est cohérent. La loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), pour laquelle vous avez ici très majoritairement voté, au-delà même de la majorité sénatoriale, augmentait de 25 % les crédits du ministère de l’intérieur alloués à l’intégration. Elle ouvrait une refonte extrêmement importante des préfectures et du travail que ces dernières fournissent au service de nos concitoyens.

Monsieur le président de la commission des lois, vous m’avez demandé, voilà plus de deux ans, une telle refonte. Je tiens, au travers de ce propos, à saluer tous les agents de préfecture, tous ceux qui travaillent dans les bureaux et assurent les accueils, dans des conditions parfois très difficiles. Ils reçoivent à la fois nos compatriotes et ceux qui, étrangers, veulent des titres de séjour ou qui ont reçu de notre part l’ordre de repartir chez eux.

Cette réforme des préfectures, qui n’est pas d’ordre législatif, accompagne ce texte de loi. Elle est la conséquence de la Lopmi. Je m’engage à présenter devant vous dans les prochaines semaines cette réforme profonde, d’ordre réglementaire, pour qu’elle soit effective au 1er janvier de l’année prochaine.

En quelques mots, j’indique qu’elle vise à accorder tous les moyens nécessaires pour que les préfectures vérifient l’intégration des personnes, pour qu’elles examinent les titres de séjour après le premier dépôt d’une demande et pour leur permettre de lutter avec force, en les renvoyant dans leur pays, contre tous ceux qui ont des casiers judiciaires ou qui commettent des actes de délinquance en France et abusent de notre générosité. Il s’agit d’accorder aux préfectures les moyens d’appliquer les fameuses obligations de quitter le territoire français (OQTF), expression devenue pour les Français un synonyme d’incapacité à appliquer les reconduites hors du territoire.

Cette réforme vise en même temps à ne pas embêter tous ces étrangers qui vivent depuis tant d’années, parfois des décennies, sur le sol national, qui ne font de mal à personne et qui attendent longtemps le renouvellement de leur titre de séjour.

Je pense à ce chibani de Tourcoing qui, depuis quarante-cinq ans, réside sur le territoire national. Certes, il a gardé la nationalité de son pays d’origine, mais il a combattu dans les armées françaises. La République ne s’honore pas à le faire patienter devant la préfecture du Nord pour renouveler son titre de séjour alors que, à 80 ans, il ne fait de mal à personne et, pour ainsi dire, chante La Marseillaise comme nous tous.

Mesdames, messieurs les sénateurs, après la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, après la refonte de la vie de nos préfectures, le temps à venir est aussi européen, au travers de la modification de nos règles d’asile et d’immigration.

L’Europe a une gouvernance économique de l’immigration, elle a des conseils des ministres de l’économie et des finances, des conseils au sein desquels se réunissent les ministres de la zone euro, mais elle n’a pas de gouvernance politique de l’immigration. Alors que nos frontières sont communes et que les enjeux sont planétaires, nous ne parlons pas, sauf très difficilement, d’une seule voix quand il s’agit d’aborder la question migratoire.

Il est évident que l’une des grandes réponses à ce défi est l’Union européenne. Tous les gouvernants, y compris ceux qui ont fait électoralement campagne contre l’Europe, en sont à appeler la Commission européenne, le Parlement européen ou leurs collègues européens des autres ministères de l’intérieur pour pouvoir répondre aux crises, comme cela a été récemment encore le cas à Lampedusa.

Oui, il faut des règles européennes ; oui, la libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne doit se faire si, et seulement si, les frontières extérieures de l’Europe sont tenues, et fermement. Actuellement, ce n’est pas le cas.

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