Notre pays ne peut pas mettre les gens dans des situations irrégulières vis-à-vis de la loi du fait de la complexité croissante de celle-ci et de l'inflation législative nationale et européenne. Comment ne pas voir que ce texte n'apporte rien au phénomène inexcusable de précarisation des étrangers ?
Venons-en à l'intégration par le travail : c'était l'un des deux piliers mis en avant par les ministres Darmanin et Dussopt. L'accès au travail est la clé de l'intégration des adultes arrivant sur notre sol. Je sais que cette conviction est partagée, au vu du traitement des Ukrainiens lors de leur arrivée. La crise ukrainienne a montré que l'Europe et notre pays pouvaient accueillir, de manière à la fois convenable et rapide, dès lors que la volonté politique en ce sens était affirmée. Le régime dérogatoire appliqué aux Ukrainiens, qui a fait ses preuves, ne devrait-il pas tendre à devenir la règle ?
La question de la régularisation – la jambe gauche bien maigrichonne du texte –, abordée en partie dans l'article 3, est essentielle. Permettez-moi de rappeler l'objectif annoncé : régulariser les travailleurs sans-papiers pour faciliter leur intégration, leur éviter d'être à la merci de réseaux mafieux et permettre à de nombreuses branches de notre économie de fonctionner normalement, comme beaucoup d'employeurs le demandent.
Or, monsieur le ministre, en l'absence du ministre du travail, vous nous dites aujourd'hui que vous allez passer un accord avec la droite afin que cet article 3 ne permette de régulariser que le moins de monde possible, sans satisfaire aucun des objectifs que vous aviez vous-même annoncés. Comment ne pas vouloir protéger des personnes qui travaillent et qui veulent s'intégrer de la peur permanente du contrôle, de l'éloignement, d'un nouvel exode ? Personne ne peut être complètement intégré, même après des années, en vivant dans une telle crainte. Intégrer par le travail, c'est aussi régulariser par le travail.
Par ce texte, vous proposez également de multiplier les OQTF ainsi que les CRA et, en même temps, d'imposer plus de contraintes dans le cadre du renouvellement des demandes, pour les étudiants par exemple, pour les prises de rendez-vous en préfecture ou encore pour l'obtention de titres, alors que l'on sait déjà que les délais sont insupportables.
Nous étions prêts à féliciter le Gouvernement pour enfin agir sur la rétention de mineurs dans les CRA, mais la limitation de l'interdiction de placement aux mineurs âgés de moins de 16 ans est une farce qui ne nous amuse pas.
Vous organisez les défaillances systémiques de la CNDA – manque de moyens et de personnels – et, en même temps, vous vous appuyez sur ces délais rendus trop longs pour justifier une réflexion au sujet des modifications des règles de droit pour limiter les recours et généraliser le juge unique !
Les assesseurs de la formation collégiale ne sont pas forcément des magistrats : cesser de faire appel à la collégialité, notamment au membre désigné par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, n'accélérera pas les procédures.
Certes, il y a une embolisation d'un système mal dimensionné, mais la seule réponse est un calibrage adapté, avec un nombre de locaux et un effectif adéquats.
Au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous sommes clairement en faveur d'une meilleure célérité des procédures, mais jamais aux dépens des fondamentaux de la justice, des droits de la personne ou des conditions de travail des agents de notre service public.
Je pense aussi à l'enterrement définitif de la promesse d'Orléans de 2017, lorsque le Président avait déclaré qu'aucun demandeur d'asile ne dormirait dehors : rien de ce qui nous a été présenté ne s'attelle à ce sujet pourtant essentiel.
Et comment ne pas évoquer la fin de l'AME, qui, comme l'ont souligné des milliers de médecins, acteurs de la santé et du social, est une aberration ? Quelle est cette légende d'un soi-disant appel d'air que tous les chiffres et témoignages démentent ?
Nous devons veiller à une inconditionnalité de la dignité dans l'accueil : il y va de notre honneur, dont je regrette que nous ne fassions pas preuve à un degré égal face à l'Aquarius ou à l'Ocean Viking.
L'accord comme le rejet des demandes d'asiles doivent s'inscrire dans le respect des procédures et des personnes, et dans le cadre d'une prise en charge digne, de l'accueil jusqu'au traitement des demandes.
Chers collègues, n'y voyez ni naïveté ni idéalisme utopique, mais entendez au contraire le besoin d'accueillir humainement et de mieux respecter la dignité de chacun. Ce projet de loi ne le permet pas : nous avons la responsabilité de le faire évoluer dans les jours qui viennent.