Intervention de Ian Brossat

Réunion du 6 novembre 2023 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion générale

Ian Brossat  :

Vous l'avez compris : notre vision est à mille lieues de celle que défendent la majorité sénatoriale et le Gouvernement. Nous sommes à la fois en désaccord avec votre constat de départ et, par conséquent, avec toutes les mesures qui en découlent.

En effet, les amendements qui ont été votés en commission des lois visent en réalité à aggraver le projet initial présenté par le Gouvernement : je pense ici à la limitation du droit du sol et du regroupement familial – ce qui est d'ailleurs totalement contradictoire avec l'objectif d'intégration, car il faudra m'expliquer comment un étranger qui vient en France peut s'intégrer, dès lors qu'il n'a pas la possibilité de vivre en famille – et à la remise en cause de l'aide médicale de l'État.

Au fond, partant de l'idée que l'immigré est une menace, vous déployez une stratégie selon laquelle vous parviendrez à réduire les flux migratoires en dégradant les conditions d'accueil de ceux qui cherchent refuge chez nous. C'est totalement faux : d'abord parce que, depuis des années, ces conditions d'accueil ont déjà été considérablement dégradées sans que cela ait en rien conduit à un tarissement des flux ; ensuite, parce que le faible taux de recours aux nombreuses aides dont peuvent bénéficier les immigrés prouve bien que ceux-ci ne viennent pas en France pour ce motif.

Comment expliquer autrement que le taux de recours à l'aide médicale de l'État soit d'à peine 50 % ? Comment expliquer que 70 % des étrangers en situation régulière, ressortissants d'un État hors de l'Union européenne, ayant droit au revenu de solidarité active (RSA) n'y ont pas recours ? C'est bien la preuve que ces personnes ne viennent pas en France pour bénéficier d'aides.

Adopter une telle vision, c'est par ailleurs se tromper fondamentalement : en effet, ce qui provoque la migration, c'est non pas l'attractivité du pays d'accueil, mais bien la situation du pays de départ. Pour avoir un effet sur les flux, il faut donc agir sur la situation du pays de départ et non pas dégrader les conditions d'accueil sur notre sol.

Dès lors, deux possibilités se présentent à nous. Soit nous restons dans le déni et continuons à vendre le mirage d'une immigration zéro – ou d'une immigration quasi réduite à néant – : faire ce choix, c'est laisser le chaos s'installer. Soit nous regardons la réalité des migrations en face et nous organisons les conditions d'un accueil digne et d'une intégration par l'école, par la langue et par le travail.

C'est d'ailleurs précisément parce que cette organisation fait défaut que nous en sommes là aujourd'hui. C'est précisément ce qui nourrit le discours sur le chaos migratoire : c'est l'absence de voie légale d'immigration qui crée un marché pour les passeurs ; c'est l'absence d'hébergements dignes qui crée un marché pour les marchands de sommeil – d'ailleurs, nous proposons un amendement visant à permettre aux victimes des marchands de sommeil qui portent plainte de bénéficier d'un titre de séjour provisoire, afin de les protéger. C'est, enfin, l'absence de régularisation massive par le travail qui crée les conditions pour que des patrons voyous puissent profiter de la misère.

Autrement dit, le drame est non pas l'immigration, mais son exploitation par un certain nombre de personnes qui profitent de la misère humaine. Cela a été dit, mais la suppression par la commission des lois de l'article 8, qui sanctionnait les employeurs d'immigrés sans-papiers, soulève une question qui devrait interpeller chacun d'entre nous : dans une relation d'exploitation, qui est coupable ? L'exploiteur, ou l'exploité ? Seule la régularisation des travailleurs sans-papiers nous permettrait de sortir de cette hypocrisie.

Vous l'aurez compris : la vision que nous défendons est aux antipodes de celle du texte issu des travaux de la commission des lois. Ne l'oublions pas : lorsque nous débattons au sujet des étrangers qui vivent sur notre sol et des politiques qui les concernent, c'est d'abord de nous-mêmes, de notre vision de notre pays et de nos valeurs qu'il est question.

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